Vélo et tricot font parfois bon ménage (ici à Lausanne, av. de la Harpe)

Paris-Roubaix: sous les pavés, les inégalités

“Mesdames, faites du sport”, ai-je lu récemment dans les colonnes du Temps, sous la plume d’un confrère. Moi je veux bien. Mais dans ce domaine aussi, il y a du boulot pour faire bouger les mentalités. Prenons la mythique course Paris-Roubaix, samedi, avec l’éclatante victoire de la cycliste britannique Elizabeth Deignan. Un prénom de reine pour la souveraine de l’Enfer du nord. Mais une prime de smicarde.

Pour l’avoir emporté sur les pavés de Paris-Roubaix, Elizabeth Deignan touche 1535 euros. Le vainqueur masculin, lui, se voit remettre un chèque de 30’000 euros. On croit rêver et pourtant nous sommes bien en 2021. D’aucuns m’objecteront que le parcours féminin, de 116,5 km, est plus court que le parcours masculin, de 257,7 km. Soit, mais sans être économiste, le fait que le parcours soit la moitié moins long ne me paraît pas justifier le fait que la première femme reçoive 20 fois moins d’argent que le premier homme.

Vélo et tricot font parfois bon ménage (ici à Lausanne, av. de la Harpe)
Vélo et tricot font parfois bon ménage (ici à Lausanne, av. de la Harpe) (c) Emmanuelle Robert

Autre argument: “c’est la première fois que les femmes courent Paris-Roubaix, alors ça n’attire pas les sponsors. Gageons qu’ils seront plus nombreux pour la deuxième édition”. Justement, c’est une PREMIÈRE! Le cyclisme vient de rater l’occasion de redorer son blason envers les femmes. En empruntant un terme à un autre sport qui se joue à 11 avec un ballon, on pourrait qualifier cela d’autogoal.

Le vélo, un sport de mecs?

À ceux qui m’objecteront qu’il s’agit de sport de compétition mais que dans le sport populaire, c’est différent, je répondrai par une anecdote personnelle. Il y a six ans de cela, j’ai voulu m’offrir un vélo de route. En carbone. Un “vrai”. Et j’avais une idée assez précise de la manière dont je souhaitais l’équiper. J’ai fait plusieurs magasins de cycles avant de tomber sur des spécialistes avisés et non sexistes. Mais auparavant, j’ai eu droit à ces réponses:

“On a ce modèle-là, en aluminium. Pour les dames, ça va très bien.”

“Ah non, on a n’a pas de petite taille.”

“Mais vous savez, vous pourrez pas mettre de panier dessus.”

Il y a donc encore quelques obstacle à franchir pour les femmes avant de pouvoir faire du sport “comme tout le monde”.

La révolution de l’ultra trail

“Oui mais les femmes, physiologiquement, vous avez des capacités plus limitées que les hommes,  il faut l’accepter”, me rétorqueront, enfin, les fanas de la biologie. Eh bien non, pas toujours. Au lancer du poids, probablement. Mais la nuance s’invite dès qu’on parle d’endurance.

Cette année, en ultra trail, la Française (et un peu suissesse, aussi!) Claire Bannwarth est arrivée première au scratch, donc avant les hommes, de deux épreuves d’ultra endurance. En février, elle a remporté la Trans 360° avec ses 240 km et 12 500 m D+ aux îles Canaries. Cet été, elle a remis cela à la Portugal 281 Ultra marathon. Et elle ne va pas s’arrêter là car la dame enchaîne quasiment un ultra par semaine.

Claire Bannwarth n’est pas la seule femme de la discipline à coiffer les hommes au poteau sur des distances qui défient l’imagination. Cette année, la Néozélandaise Ruth Croft a fait de même au Tarawera ultra marathon.

Mise à jour: Trek rétablit la parité

Une lectrice attentive me signale la nouvelle suivante: l‘équipe de Lizzie Deignan, Trek-Segafredo, a décidé de lui verser une prime comblant l’écart avec celle versée au vainqueur masculin de Paris-Roubaix. Selon France Info, la triomphatrice n’est pas la seule à bénéficier de ce rattrapage puisque deux de ses coéquipières, troisième et huitième, sont également concernées.
“Les femmes méritent autant que les hommes et Trek-Segafredo s’est donc engagé à ce que ses coureurs et coureuses perçoivent les mêmes primes, en espérant qu’à l’avenir, les organisateurs versent des prix équivalents”, a déclaré le service communication de l’équipe à franceinfo: sport, peut-on lire sur le site.
(Mise à jour du 5 octobre 2021)

Prière de ne pas rattraper les hommes

P.S à propos d’égalité devant le sport, rappelons cette histoire, belge mais vraie, d’une course cycliste féminine interrompue parce qu’elle rattrapait celle des hommes: C’était début mars 2019.

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.

10 réponses à “Paris-Roubaix: sous les pavés, les inégalités

  1. Je ne connais pas le nom d’une seule cycliste.
    Je n’achèterais jamais le maillot d’une personne dont je n’ai jamais entendu le nom.
    La championne olympique (j’ai vérifié) fait du vélo à mi-temps et ce n’est même pas sa passion.

    Vous voulez l’égalité salariale? inscrivez-vous dans la course des hommes. 1 course, 1 victoire, 1 prix.

    La vraie égalité est de faire le même travail, dans les mêmes circonstances. Là, oui, on peut parler d’égalité salariale.

      1. Le pseudonymat est un droit; si vous pensiez avoir raison, vous argumenteriez plutôt qu’à chercher mon identité. Et pour quoi? pour une attaque ad personam ?

        Vous trouvez juste une charge de travail 20x supplémentaire?… pour gagner la même chose que des amateures ?

        Vous trouvez juste que les revenus sur instagram sont en faveur des athlètes femmes ?

        L’égalité, c’est un même travail, un même salaire.

        https://www.letemps.ch/suisse/entreprises-suisses-une-trompeuse-equite-salariale

    1. Avez-vous vu la course féminine ? Avez-vous pu constater la météo bien différente entre samedi et dimanche ? Avez-vous pu remarquer l’état des routes et des chemins pavés entre les 2 courses ?
      Vu votre commentaire, certainement pas !

  2. Vous dites que les femmes ne sont pas toutes inférieures physiquement aux hommes. C’est juste mais c’est extrêmement faible: 90% des hommes sont supérieurs à 90% des femmes. Cet argument de l’exception ne tient pas la route. C’est comme si je disait: les bananes mûres ne sont pas toujours jaunes : des daltoniens les voient rouge!

    1. Il ne faut pas oublier que les femmes commencent de se débarrasser du poids patriarcal et le chemin sera encore long.
      Combien de femmes ne se sont pas révélées dans le sport puisque que quoi qu’on dise la majeure partie s’occupe plutôt de sa famille, mari et enfants. C’est encore dans la tradition.
      Combien se sont vues dire dans leur enfance/adolescence ce sport n’est pas pour les filles ?
      Combien n’ont pas persévéré puisque le sport même à haut niveau ne rapporte pas grand-chose, voire rien pour les femmes ?
      Pour le cyclisme notamment, rien dans ce domaine….
      Rien qu’à voir dans les compétitions ou cyclosportives amateur ratio homme/femme.
      Triathlon longue distance pareil !
      Peut-être il ne faut pas voir qu’un seul côté.
      Plus le sport féminin sera valorisé, inculqué dès plus jeune âge, plus il y aura des participantes et plus le niveau sera relevé.

  3. OH MIROIR has a point. Si on prétend à la véritable égalité il faut n’avoir qu’une seule catégorie mixte dans tous les sports: football, haltérophilie, lancer du poids, boxe.

  4. Je trouve que ce serait en effet une bonne chose d’avoir (plus ou moins comme dans le tennis(?)) une parité de dotation entre les courses cyclistes féminines et masculine, et la décision du sponsor de l’équipe de la gagnante est à saluer. Mais je m’imagine également le défi que cela représente actuellement, pour les organisateurs (notamment si les organisations sont séparées).
    Je suis pourtant convaincu que cela va arriver, avec la médiatisation croissante des versions féminines… Tout en comprenant l’impatience.

  5. Il ne fait pas oublier, que ce sont les rentrées financières des droits TV et des sponsors qui permettent de verser une prime aux sportifs. Encore plus dans un sport comme le cyclisme où il n’y a pas de billetterie.

    Alors oui, une prime 20x plus basse pour les femmes est choquante. Il faut tout simplement se dire que le cyclisme féminin rapporte moins d’argent que son pendant masculin.
    Je n’ai pas l’impression que les chaînes TV se soient précipitées pour diffuser l’événement. Je pense être tombé dessus sur Eurosport (Allemagne). J’ai regardé quelques minutes sans toutefois savoir précisément qu’est-ce que je regardais, car j’ignorais l’existence de cette course.

    Alors oui, si la course s’installe sur la durée, peut-être que les sponsors devront débourser plus d’argent et que plus de diffuseurs seront intéressés à acquérir les droits. Je pense sincèrement que l’écart entre les primes versées aux femmes et aux hommes diminuera. Mais cela prendra du temps.

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