Dessine-moi un lièvre (et un aviateur)

Au rayon “roman noir”, les femmes de lettre romandes se comptent sur les doigts d’une main gantée. Mais les rares aventurières qui se risquent à tremper leur plume dans l’encre noire le font avec un tel talent qu’on ne doute pas qu’elles donneront vite envie à d’autres d’explorer les humaines ténèbres (c’est pas pour rien que ténèbres s’écrit au féminin pluriel, crénom de tonnerre!). Je salue, ici, le travail de Marie-Christine Horn: et j’ai reçu “Le cri du lièvre”, son dernier roman, comme un uppercut.

Écrit dans une langue merveilleuse (à mon sens, son évocation de la nature de la belle Gruyère a des accents qui rappellent Corinna Bille), ce roman, paru aux éditions BSN, tisse une intrigue angoissante autour de la violence faite aux femmes. C’est une œuvre signée et revendiquée comme datant d’après #metoo. Attention spoil (juste un poil de lièvre): à  défaut de libérer la parole, face à la violence, certaines libèrent les actes…

J’ai aimé ce livre, aussi, parce qu’il marie un réalisme au scalpel avec des traits d’humour (certaines scènes passent du cocasse au tragique, et vice-versa) et même une touche d’onirisme. À coup sûr, Marie-Christine Horn est une voix à part dans le concert des lettres romandes.  Parmi les blogs du Temps, d’autres, d’ailleurs (heureusement pour elle) s’en sont rendu compte avant moi.

Inhérente au roman noir, la critique sociale affleure, les pièges se referment et on se demandent comment tout cela va finir. Bref, à lire de toute urgence, d’une traite, sans respirer.

Un été 1928 décoiffant

Pour reprendre mon souffle, j’ai cru intelligent de me plonger dans “Un été 1928” au titre si innocent, toujours chez le même éditeur BSN (non, je n’ai pas d’actions), de Gilles de Montmollin. Grave erreur d’un point de vue respiratoire, tant ce bouquin va à 200 à l’heure, mais excellente initiative d’un point de vue littéraire car c’est un deuxième bonheur de lecture en cette rentrée 2019. Voilà un roman d’aventure, un vrai, comme on n’en fait plus ou si rarement. Et moi, ça m’amuse drôlement plus de rallier le Pôle Nord en dirigeable que tourner autour du nombril de tel grand nom des lettres (complétez avec celui qui vous viendra à l’esprit).

Trépidant, rapide et en pleines “années folles” avec des voitures de course qu’on fait démarrer à la manivelle, l’Aéropostale de Saint-Ex et de Mermoz, le Paris du Boeuf sur le Toit, des hydravions et… des dirigeables à la conquête des Pôles. On s’y croirait. Et je m’y suis cru.

Évidemment, quand on connaît l’oiseau de Montmollin, on se doute que ça va finir par mal tourner, tout ça.  Et ça tourne mal. C’est un peu “les Tontons flingueurs” rencontrant la Grande Histoire, mais je n’en dirai pas plus, de peur de déflorer le sujet par mon excès d’enthousiasme. Courez donc chez votre libraire demander ce petit dépaysement spatio-temporel qui donne presque envie de faire un tour en Amilcar.

Les deux auteurs ont eu les honneurs de l’émission “Entre nous soit dit” de la RTS. Pour éviter toute jalousie confraternelle, voici les liens:

– Marie-Christine Horn

Gilles de Montmollin

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.

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