Écrire sagesse ou délire, écrire pour ne pas mourir

S’apercevoir qu’il faudra se presser

J’ai commencé ce blog en 2018. La passion qu’il a éveillé en moi m’a permis de découvrir des poètes, d’entretenir de magnifiques échanges avec des auteurs, des écrivaines, des libraires, des bibliothécaires et de nombreuses personnes qui s’investissent dans le monde de l’édition. A cet espace je me suis donnée corps et âme. A ma grande et heureuse surprise, le nombre de mes abonnés a constamment augmenté. Une superbe récompense.

Sans la littérature, sans les personnes qui la font, sans vous qui suivez ces lignes, cet endroit n’aurait pas pu exister. Alors merci, merci à tous, à toutes, d’avoir posé vos yeux sur mes mots. Merci de m’avoir confié vos livres et vos phrases, vos émotions, vos concepts et vos pensées. Merci !

Cependant, les flammes de la passion demandent de la constance et du temps. Ce blog m’en réclamait avidement et je les lui ai offerts sans compter.

Avant d’être invitée par le quotidien Le Temps, j’ai écrit pendant une quinzaine d’années pour le blog du journal Le Monde avant qu’il ne disparaisse presque subitement. Je m’y étais investie autant qu’en ce lieu qui ferme aussi ses portes. Je reçois cette deuxième rupture comme un signe : je dois me consacrer entièrement à mes futurs livres. Le moment est venu de totalement plonger dans mes écrits, de mettre en forme les projets, les idées, les sentiments, les sensations qui ne demandent qu’à égoïstement posséder sans partage ma peau et mon esprit. J’ai donc décidé de mettre un terme à mes aventures avec les blogs. D’enfin devenir fidèle à celle qui me réclame, pour elle seule, depuis longtemps : mon écriture littéraire. Or, tout à coup, je m’aperçois qu’il faudra me presser pour tout accomplir.

J’ai choisi d’imager ces impressions avec quelques mots d’Anne Sylvestre. Des mots qui me ressemblent, qui sont également miens depuis que j’écris et qui, au fur et à mesure que le temps passe, s’apparentent de plus en plus à ma réalité. Je me réfère à sa chanson Écrire pour ne pas mourir dont je vous laisse un extrait ci-dessous. Vous pouvez facilement la retrouver dans son entier sur la toile.

Les parutions de mes trois prochains livres – très différents les uns des autres – sont agendées. Si aucun imprévu ne vient contrarier ce timing, ils paraîtront successivement cet automne 2023, au printemps 2024 et au cours du premier semestre 2025.

Je vous invite à régulièrement suivre mon actualité sur mon site officiel : dunia-miralles.info

D’une manière plus ludique, je figure aussi sur Facebook et Instagram. J’utilise également ces voies pour annoncer les nouvelles publications à mon lectorat.

Au plaisir de vous retrouver bientôt.

Dunia Miralles, le 28 juin 2023

 

 

Dunia Miralles : livres parus entre mars 2000 et juin 2023 :

Swiss trash, roman, Baleine, 2000. Réédition : éditions L’Âge d’Homme, 2015

Fille Facile, nouvelles, Torticolis et frères, 2012

Inertie, roman, éditions L’Âge d’Homme, 2014

Mich-el-le, une femme d’un autre genre, roman, éditions L’Âge d’Homme, 2016

Alicante, poésie bilingue français-espagnol, Torticolis et frères, 2018

Folmagories, nouvelles, éditions L’Âge d’Homme, 2018

Le baiser d’Anubia, instants autobiographiques, Torticolis et frères, 2023

 

L’image qui illustre l’article est un détail de la couverture du recueil collectif Les Affolés et du bandeau qui l’accompagnait. Ce livre est à présent épuisé.

Le printemps : bruyante saison pour les citadins

Joli mois de mai (la poésie des chantiers)

Penchée sur l’ordinateur, je sens mon œil glisser sur le calendrier qui se trouve en haut, à droite, à côté de l’horloge. Chaque jour s’égrainent des dates qui me paraissent changer de plus en plus vite. Je retourne au document Word. Obsessionnelle, je ne vois rien du printemps. Une seule chose m’occupe : le tapuscrit que je dois rendre fin mai à mon éditeur. Un récit à paraître en octobre, très différent des sujets que j’aborde habituellement. Un livre qui demande de la constance et beaucoup de concentration.

Mes yeux picotent. Le pollen n’est pas en cause. Ils se croisent fatigués de regarder un texte, noir sur blanc, se construire. J’ai envie de soleil et d’air frais, mais je reste assise, accaparée par l’écran, immobile. Quand je me lève de la chaise, mes genoux peinent à se déplier.

Je voudrais ouvrir les fenêtres et le balcon en grand pour, au moins, profiter du chant des oiseaux et de l’air si agréable en cette saison. Mais le bruit qui vient de l’extérieur me fracasse le cerveau. Me déconnecte les synapses. Et soudainement, je me souviens que les printemps se suivent et se ressemblent. Que pour les citadins, depuis longtemps, ils n’ont plus rien de bucolique.

Dans Le baiser d’Anubia, l’ouvrage paru en début d’année, figure un petit poème sur le sujet.

 

 

Je décide de sortir me promener afin d’échapper un instant au bruit environnant. Au bas des escaliers, une série de pages A4, collées près des boîtes aux lettres, attirent mon attention. Elles sont signées par la gérance et plusieurs entrepreneurs. De grands travaux vont commencer ces prochains jours dans mon immeuble. Il nous faut immédiatement vider les caves et les galetas. Entreposer dans nos appartements le matériel dormant qui s’y trouve. Au bruit “printanier” du quartier s’ajouteront les décibels du chantier, que l’on entendra courir sur tous les murs, et la constante et encombrante présence d’objets poussiéreux que l’on ne garde que pour des usages occasionnels. Durant les cinq mois que dureront les transformations de la maison, raquettes, bouteilles de vin et produits de lessive me rappelleront qu’il ne neige plus en hiver, que je n’ai jamais rien à fêter et qu’aucun détergeant ne lave la sottise humaine.

Mon cœur s’accélère et ma respiration devient difficile. J’ai envie de fuir, fuir, fuir… très loin. Dans un lieu où aucun bruit produit par un Être Humain ne puisse me rattraper.

Peut-être dans une grotte.

Le baiser d’Anubia, Dunia Miralles, Torticolis et frères 2023

Mon site d’écrivaine : c’est par ici

 

Marie Gaulis : s’interdire d’oublier

Le fil d’Ariane d’une œuvre poétique

En survolant son histoire, l’on pourrait croire que les bonnes fées s’étaient penchées sur le berceau de Marie Gaulis. Fille d’Henriette de Foras, artiste peintre française, et de l’écrivain, dramaturge et comédien suisse Louis Gaulis, elle naît dans un milieu privilégié à Thonon-les-Bains, en 1965, dans un monde de beauté et d’érudition. Enfant de voyageurs, sa jeunesse est marquée par les Alpes, les populations de La Méditerranée, ou les rues de New-York et Paris.

Son père, collaborateur pour la Croix-Rouge Internationale, est tué au Liban alors qu’elle n’a que 12 ans. Un deuil qui ne l’empêchera pas de poursuivre de brillantes études de grec moderne et de s’intéresser aux écrivaines australiennes d’origine grecque. En parallèle, elle écrit une œuvre poétique dont le premier ouvrage, Le fil d’Ariane, paraît en 1993. Sur la quatrième de couverture de ce recueil, elle écrit :

« Ces textes sont des fragments de temps remontés à la surface de la mémoire. J’ai retrouvé des moments de bonheur fugitif et dense, et aussi les chagrins qui ont marqué le passage de l’enfance à l’âge adulte. J’ai senti à nouveau des goûts, des parfums anciens que je croyais perdus.

Je pense qu’écrire, c’est s’interdire d’oublier. C’est découvrir, par un cheminement sans logique, par des associations d’odeurs, de lieux, de saisons, tout un monde de souvenirs qu’on tient en soi. »

Deux poèmes contenus dans Le fil d’Ariane :

 

Traductrice, essayiste, poétesse et romancière, Marie Gaulis construit, livre après livre, une œuvre puissante et sensible où le passé se mêle au présent, et où l’empreinte de son père laisse une trace d’encre sur les pages, notamment dans Lauriers amers.

Elle est encore jeune quand la maladie se présente à elle. Le cancer l’emporte, alors qu’elle n’a que 53 ans, à La Chaux-de-Fonds où elle avait élu domicile et où elle a passé les dernières années de sa vie à écrire.

Mon livre, celui de la photographie, est une première édition qui a bien vécu, mais d’après mes informations on le trouve encore en librairie.

 

Sources :

– Le fil d’Ariane, éditions de l’Aire, 1993

– Lauriers amers, éditions Zoé, 2009

– Le Royaume des oiseaux, éditions Zoé, 2016

– Wikipédia

Linda Speer : une poésie qui pressentait #MeToo

Menstrues : le cycle menstruel pour inspiration

Six ans après le mouvement #MeToo et les dénonciations des sévices endurés par le corps des femmes, il est intéressant de lire – ou de relire – Menstrues de Linda Speer. Paru en mars 2016, soit 18 mois avant les manifestations du mouvement qui dénoncent les violences – notamment gynécologiques – faites au genre féminin, Menstrues a, en arrière-fond, une musicalité qui présage les événements à venir. Entre autres, le combat pour que les serviettes hygiéniques et les tampons ne soient plus taxés comme des produits de luxe, mais comme des biens de première nécessité.

Publié par les Éditions des Sables, dans la collection Rose des Sables, Menstrues ce sont vingt-huit poèmes qui racontent l’expérience d’une femme, et sans doute de beaucoup d’entre nous. Le recueil, découpé en trois parties – Menstrues, Retard ma saison préférée, Dry Day – évoque sans vulgarité, et souvent avec des métaphores, l’un des tabous de notre société.

Dans ses poèmes, Linda Speer nous laisse entrevoir la difficulté d’être une personne de sexe féminin face au regard de l’homme, de l’amant, de la mère ou de la société.

Autres particularités de ce livre : le dessin de sa couverture a été peint avec du sang menstruel par l’artiste sud-africaine Zanele Muholi.

Certains poèmes, écrits en néerlandais ou en anglais, sont traduits en français et en miroir sur la page de droite.

Ce livre peut être directement commandé sur le site des Éditions des Sables : ici

Biographie de Linda Speer

Linda Speer est née à Lugano en 1985. Elle grandit en Suisse et commence à écrire à la suite de ses premières menstruations. Sa famille étant originaire des Pays-Bas elle écrit à la fois en néerlandais et en français. Cette activité reste intime et confidentielle. C’est après avoir fréquenté l’université, où elle touche à la sociologie, aux études sur le genre, et brièvement à l’histoire des religions, qu’elle développe une vision plus consciente des rapports sociaux et culturels entre femmes et hommes. Elle décide alors de publier son travail, dans lequel l’écriture explore la féminité en tant qu’expérience de vie et source de création.

Fondées par la journaliste, écrivaine et poétesse féministe Huguette Junod, les Éditions des Sables ont vu le jour à Genève en 1987. Riches de sept collections – poésie, œuvre de fiction, récit, essai, jeunesse, ouvrages pédagogiques et polars – elle compte des auteurs et autrices de tout horizons.

Sources :

Menstrues, Linda Speer, Éditions des Sables, mars 2016

– Sites des Éditions des Sables

Un livre, une vidéo et 2 questions : « Le baiser d’Anubia » le dernier livre de Dunia Miralles

Trouble de la personnalité borderline : témoignage

Une fois n’est pas coutume, c’est dans mon univers que j’emmène aujourd’hui les lecteurs de cet espace. Mon dernier livre, des fragments autobiographiques sur le trouble de la personnalité limite (borderline) vient de paraître. Comme il est difficile, pour un-e auteur-e de parler de soi et de son propre ouvrage, j’ai choisi de publier l’article de l’écrivaine et critique littéraire Bernadette Richard, paru le 28 janvier 2023 dans l’hebdomadaire Le Ô.

Dunia Miralles : une œuvre bousculante

Le dessous des cartes, les arrière-cours de notre société malade, la dope, les petits secrets inavouables, la transidentité, les paumés en tout genre – selon le regard moraliste des citoyens dits raisonnables –, autant de sujets que Dunia Miralles traite dans ses romans.

Au début du millénaire, il avait fallu une *Espagnole pour dénuder dans « Swiss trash », son premier livre, une certaine face cachée de la Suisse, celle de la drogue. Entre les lecteurs qui avaient adoré, ceux qui s’étaient enfin reconnus et les heureux normés qui peinaient à croire que notre patrie propre en ordre abritait de tels cas sociaux, l’ouvrage est devenu culte.

Vaille que vaille, Miralles a poursuivi sa route dans le labyrinthe des mots – souvent des maux pour elle. S’ensuivirent « Fille facile », « Inertie », autres explorations d’univers peu conventionnels, puis le très décalé « Alicante », bilingue français-espagnol, une suite de pensées, de regards, agrémentée d’un CD.

Arrivèrent ensuite « Mich-el-le, une femme d’un autre genre », qui donna lieu à un spectacle émouvant, et « Folmagories », des nouvelles qui sont comme des hommages à Edgar Poe, Oscar Wilde ou encore Stephen King, inscrites (sauf deux) dans le décor des Montagnes neuchâteloises.

Le Baiser d’Anubia : une entrée pour les montagnes russes du TPL

Et voici « Le Baiser d’Anubia », un livre qui pourrait déranger, des pages qui ne laisseront aucun lecteur indifférent : une plongée dans la tête de l’auteure. Audace ? Exhibitionnisme ? Règlement de compte avec cette salope de vie qui ne ménage pas les borderline(s) ? Un peu de tout, principalement sous forme de phrases courtes, entre des perceptions, des souvenirs jetés dans l’urgence sur le papier, et des illuminations esthétiques, historiques, journalistiques, échappées d’une angoisse sous-jacente, celle qui ne permet pas à l’écrivaine de vivre selon les codes sociaux en vigueur.

Une deuxième partie fait office de reportage concernant ce fameux trouble de la personnalité limite, décortiqué avec précision. Miralles évoque également ses rapports difficiles avec les psys. Et, comme un phare bienveillant dans la nuit noire d’une existence difficile, l’amour de son compagnon.

L’auteure s’est longtemps interrogée sur le fonctionnement de son psychisme. Qui suis-je, en fait ? Pourquoi son mental est-il si fluctuant, la privant d’un bonheur facile et accessible à tous ?

Elle y répond – du moins pour le lecteur – à travers cette confession qui bouscule les codes littéraires. Qui sait ? Son témoignage permettra peut-être aux esprits étroits et emplis de préjugés de revoir leurs certitudes. 

 

 Dunia Miralles : l’interview

 Avec cette confession, vous ne craignez pas les commentaires désobligeants ?

Dans tous mes livres, excepté peut-être « Folmagories », je me suis mise en danger. Mais au final, je suis récompensée par la réaction de mes lectrices et lecteurs, concernés par les problématiques que j’aborde. Pour une fois, ils se sentent compris, écoutés et moins seuls. Je sais que j’écris des choses qui peuvent me valoir un retour de boomerang désagréable.

Ça ne vous gêne pas de vous mettre ainsi à nu ?

Ça fait partie de ma démarche littéraire de faire du funambulisme sur le fil d’une épée, en risquant de nuire à mon cheminement d’écrivaine, de nuire à ma réputation de femme, mais je m’en moque. Il est important pour moi de mettre au jour des choses que l’on tient généralement bien cachées.

Célébrités psychoatypiques

Dans  « Le baiser d’Anubia » le lecteur peut aussi rencontrer des célébrités psychoatypiques et neuroatypiques : Jean Cocteau, Billie Eilish, Kurt Cobain, Virginia Woolf, Elon Musk, Gérard de Nerval…

Ci-dessous, une lecture du « Baiser d’Anubia » mise en images par Chingón.

 

Site Dunia Miralles – Ecrivaine : ici

*A noter : je suis née en Suisse et naturalisée depuis 1987.

Source :

– « Le Baiser d’Anubia », de Dunia Miralles, éditions Torticolis et Frères, 2023

– Hebdomadaire Le Ô

Béatrice Corti-Dalphin : « Tabou » entre les lignes de l’abus

La poésie pour exprimer l’indicible

Avec pudeur, la femme de lettres a raconté les viols d’une petite fille par une femme. C’était à Genève, dans les années quarante. Des jeux d’adultes restés longtemps enfouis, occultés par l’esprit de l’enfant, la jeune fille, la femme… Chez ces gens-là, « On ne causait pas ». Puis un jour, elle s’est souvenue, par bribes, de son enfance. Alors « pour le dire » elle a écrit les fragments de ses souvenirs.

Dans sa deuxième partie de Tabou, la petite fille devenue adulte part à la recherche du Père absent. C’est dans la ville jardin de Singapour qu’elle le trouve sous la forme d’un arbre auquel elle rend visite régulièrement.

Paru en 2013 aux Éditions Samizdat, Tabou peut encore être acheté sur le site de l’éditeur.

 

 

 

Béatrice Corti-Dalphin : biographie

Béatrice Corti-Dalphin est née dans le quartier de Carouge, à Genève, en 1936. Son père était expert-comptable et sa mère institutrice.

Élève de « l’école supérieure des jeunes filles » de la rue Voltaire à Genève, Béatrice confiait à son journal intime – Le carnet en similicuir vert – sa solitude, le désastre du huis clos familial. Dévoreuse de livres et bonne élève, elle a commencé à écrire tôt.

Fascinée depuis toujours par l’Orient, ses séjours en Asie ont commencé en 1964.

Elle a exercé pendant plus de trente ans la profession de psychothérapeute indépendante.

Béatrice Corti-Dalphin a reçu de nombreux prix :

  • Société des poètes et artistes de France, Prix de poésie libérée, 1989
  • Prix de poésie libérée, 1992
  • Prix Anaïs Jacquet, 1993
  • Prix Laurent Desvignes pour « Samsara » 1995
  • Prix pour « Miettes de Bonheur », 2002
  • Grand prix de la nouvelle pour « Le thé chez Mariage », 2002

 

 

Sources :

Tabou, textes poétiques, Éditions Samizdat 2013.

– Site de la SGE (Société Genevoise des Écrivains).

 

Livres, éditeurs et auteurs romands : les sacrifiés du confinement (2)

Le combat des éditeurs romands

Lire romand c’est soutenir les éditeurs et les auteurs de proximité, mais pas uniquement. Certes, la crise tout le monde y a droit et, si certains considèrent la littérature comme une chose dispensable, il faut tout de même rappeler qu’elle participe entièrement à l’économie. En effet, sous l’étiquette « NON ESSENTIEL » se cache une réalité très terre-à-terre. La littérature ne se compose pas uniquement d’une bande d’écrivaillon-ne-s qui se regardent le nombril en alignant des mots sur du papier. Elle s’ancre dans un pan de l’économie bien réel : des librairies et des libraires, des imprimeries et des imprimeurs, des éditeurs, des transporteurs, des distributeurs, des représentants, des employés de commerce, des bureaux, du mobilier, des comptables, des locaux de stockage et d’autres pour la vente, du matériel informatique, des juristes, des journalistes, des graphistes, des correcteurs, des apprentis dans plusieurs corps de métiers et j’en passe. Dans la débâcle actuelle, comme dans la restauration, ce sont les plus petits les plus touchés. Surtout ceux qui viennent de créer leur entreprise. Marilyn Stellini, fondatrice les éditions Kadaline en 2019, souligne « Les librairies ont rouvert, mais les embouteillages dans les rayons défavorisent largement les petites structures. Raison pour laquelle Kadaline a suspendu toutes les parutions du premier semestre, reportées ultérieurement. Sans parler du manque de salons littéraires qui peuvent représenter un apport dans le chiffre d’affaires. » Dès le début de la pandémie, les librairies ont prévenu les éditeurs qu’elles ne pourraient pas payer ce qu’elles leurs devaient. Quelques uns ont dû utiliser les aides perçues en tant que salaire pour payer les factures courantes de leur maison d’édition (locaux, chauffage, électricité, etc). Résultat : certains, sont sans salaire depuis plusieurs mois alors que, même en temps “normal” l’édition romande ne permet guère de remplir un bas de laine. Autre effet boule de neige : actuellement les éditeurs suisse romands croulent sous les retours des libraires. Les fermetures imposées aux commerces dit “non-essentiels”, ne leur ont pas permis de vendre les livres parus durant les deux confinements. Andonia Dimitrijevic, directrice des Éditions L’Âge d’Homme précise : « Les éditeurs vivons sur les mises en vente. Sans mise en vente cela devient hardcore. De plus, pour ceux qui avons également des stocks et une partie de nos affaires en France, c’est très compliqué. Nous ne pouvons plus aller à Paris ou nous déplacer comme nous devrions le faire pour que notre entreprise fonctionne normalement. Les librairies font de nouveau d’excellentes ventes, mais les librairies ne représentent pas à elles seules le monde du livre. Vendre du livre ou le produire ce n’est pas du tout la même chose. Pour les éditeurs romands la situation reste bloquée. En ce moment, nous manquons d’argent pour tout. Notamment pour engager le personnel dont nous aurions besoin pour relancer nos entreprises ou pour publier de nouveaux auteurs. A l’Âge d’Homme, ces prochains mois nous ne pourrons pas publier tous les livres que nous avions prévu et aucun premier ouvrage. Nous n’allons travailler qu’avec des auteurs dont les libraires et les lecteurs connaissent déjà le travail. » Une situation assez ironique alors que la plupart des éditeurs sont submergés sous les premiers romans, le confinement ayant inspiré de nouvelles vocations d’écrivains. Les genres qui ont inspiré celles et ceux qui se sont lancé dans la littérature : la science-ficition et les romans d’anticipation. Toutefois, ces nouveaux arrivants devront s’armer de patience avant de voir leurs romans publiés. Si toutefois un jour ils sont publiés. Actuellement, la majorité des éditeurs en sont surtout repousser les parutions qu’ils avaient prévues pour 2021, tout en anticipant qu’il y aura pléthore de publications dans les prochains mois. Déjà, ils s’attendent à ce que beaucoup d’entre elles passent à la trappe faute de place dans les rayons des libraires. En sont à prévoir qu’il y aura un manque à gagner et qu’ils devront gérer cette donnée. Ces réalités les éditeurs suisses romands, petits ou à peine plus grands, les affrontent depuis le début de la pandémie. Une situation qui risque de perdurer les mois à venir face aux géants de l’édition hexagonale qui, sans prendre de risques, vont envahir les rayons des librairies avec des ouvrages de développement personnel et des auteurs bankables.

 

Livres romands présentés en 2020

La semaine passée j’ai publié une partie de la liste des auteurs suisses romands dont j’ai présenté les livres en 2020. En voici la deuxième et dernière partie. Lire local, c’est non seulement permettre à la littérature suisse d’exister. C’est participer à l’économie de nos cantons.

 

A l’aube des mouches, poésie, Arthur Billerey, éd. de L’Aire : un recueil de poèmes par l’un des fondateurs de la revue littéraire romande La cinquième saison. Passionné par les mots écrits, Arthur Billerey a également créé la chaîne Youtube Trousp, entièrement consacrée au livre.

Fleurs imaginaires , poésie, Corinne Reymond, éd. Torticolis et Frères : avec empathie et tendresse, Corinne Reymond rend hommage aux personnes happées par l’âge ou la maladie.  Sa longue carrière d’aide-soignante aux soins à domicile, en EMS, à l’hôpital ou en hôpital psychiatrique, l’a menée à écrire ses expériences avec les patients. Dans son métier, plus que les soins, ce qu’elle recherche c’est le relationnel, le contact avec les gens, apprécier qui ils sont, sentir leurs états d’âme, se pencher sur l’histoire de leur vie. “Plus on devient âgé, plus ça devient riche” dit-elle. Une richesse qu’elle n’a pas voulu laisser perdre.

Balles neuves, roman, Olivier Chapuis, éd. BSN Press : malgré l’amour de son épouse, de sa fille et de son fils, Axel Chang éprouve une jalousie et une haine grandissantes envers Roger Federer à qui tout réussi. Une obsession qui le conduit à la dérive. Un récit peu conventionnel, Axel Chang étant le personnage d’un tapuscrit imaginé par un auteur en mal de reconnaissance, agacé par les succès du sportif d’élite devant qui toutes les portes s’ouvrent pendant que lui croupit. Conseillé et coaché par un écrivain mondialement célèbre, le créateur d’Axel Chang poussera son histoire jusqu’à ses extrêmes limites.

Dernier concert à Pripyat, roman, Bernadette Richard, éd. L’Âge d’Homme : dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, eut lieu dans l’ex-Union Soviétique, dans la centrale nucléaire de Tchernobyl, l’accident atomique le plus dévastateur de l’histoire. Une hécatombe qui a coûté l’existence de milliers de personnes et péjoré la vie d’autant de survivants. Passionnée par la question nucléaire, la journaliste et romancière Bernadette Richard nous emmène dans la Zone interdite de Pripyat. Le livre raconte l’histoire de trois jeunes garçons qui fuient de chez eux en compagnie d’une vieille dame la nuit de la catastrophe. Quelques années plus tard, les trois compagnons deviennent stalkers. Défiant les dangers de la contamination, ils pénétreront régulièrement dans La Zone interdite, non seulement pour l’explorer, mais aussi pour lui rendre ses lettres de noblesse à travers la musique. Au cours de leurs expéditions, ils rencontreront tous les réprouvés et désœuvrés du système soviétique.

Roman de gares, roman, Jean-Pierre Rochat, éd. D’Autre part : Dèdè est obligé d’abandonner sa ferme dans le Jura bernois après cinquante ans de labeur. En plein hiver, il part sur les routes accompagné d’un jeune âne. Avec son équipage, il espère descendre, à pied, dans le sud de la France en s’arrêtant de ferme en ferme pour y trouver assiette et logis selon la coutume des journaliers d’autrefois. Empreint de tradition et de souvenirs bienveillants, Dèdè s’imagine que les paysans lui ouvriront leur porte comme lui-même ouvrait la sienne quand il possédait sa propre demeure. Il doit déchanter. Par chance, deux femmes exceptionnelles croiseront son chemin.

Soupirs du soir, roman, Jean-Michel Borcard, éd. Torticolis et Frères : dans un style cinématographique, les péripéties de deux anciens dératiseurs : l’alcoolique, plutôt de droite, Carl Meinhof et l’antifa Joseph Miceli ouvrier dans une scierie. Malgré leurs différences, les deux hommes cultivent une amitié qui ne se dissout dans aucun liquide. Si on ne reconnaissait pas Bulle et sa région, on imaginerait les ambiances décrites dans la campagne du Maine ou dans une petite ville du Montana. Le roman exhale les milieux ruraux et alternatifs, la sueur du travail manuel, le bois fraîchement coupé dont on fabrique les flûtes douces et parfois les cercueils, les vapeurs d’essence, le sang d’abattoir et même les effluves de l’amour.

Les Enfers, roman, Patrick Dujany, éd. Torticolis et Frères : pas loin d’un village au doux nom luciférien, au cours de l’une de ces fameuses torrées comme on n’en fait que sur les crêtes et les flans du massif du Jura, quatre membres de Burning Plane, un groupe de death-metal-core, agrémentent leurs saucisses de champignons hallucinogènes. Pour améliorer le goût de la forestière cuisine, ils l’arrosent de trop d’alcool. C’est au milieu de cette débauche culinaire qu’apparaît Satan. Aux quatre gastronomes, il propose de devenir un groupe de rock mondialement connu, à condition qu’ils lui vendent leurs âmes.

Les choses gonflables, roman, Miguel Angel Morales, éditions Torticolis et Frères : Miguel Angel Morales s’est distingué en fondant le collectif Plonk & Replonk. Mais pas uniquement. Pendant longtemps, il a tenu les chroniques rock du feu quotidien L’Impartial et animé des émissions pour RTN. Les Choses Gonflables ne se résument pas. Elles se lisent. Le récit se déroule, au départ, dans un monde étrange qui ressemble à une parodie du nôtre. Un endroit où vivent les Ploucs et les Beaux. Puis, peu à peu, on change de plan comme si les personnages se promenaient d’univers en univers, dans des mondes parallèles qui se superposent.

Libraires, éditeurs et auteurs romands : les sacrifiés du confinement littéraire (1)

La sinistrose du milieu littéraire

Depuis début 2020 et mars 2021, considérées comme non-essentielles, les librairies suisses ont été fermées par deux fois. Toutes ont subi d’énormes pertes. Si cela s’est avéré difficile pour les libraires cela s’est révélé encore plus cruel pour les éditeurs. Actuellement, les librairies commencent à se « refaire » grâce à leur rayon « développement personnel » -pour celles qui vendent ces publications. Ces ouvrages, déjà fort prisés avant la pandémie, ont encore gagné en lecteurs grâce à elle. Ce n’est pas le cas des éditeurs romands. Beaucoup sont sur le point de glisser leur clé sous le paillasson. Financièrement, les auteurs avons peu perdu.  Pourquoi ? Parce qu’un bassin aussi réduit que la Suisse romande ne permet pas de vivre de l’écriture. Covid ou pas, la plupart d’entre nous n’entrons, ni n’entrerons jamais dans nos frais. Notre récompense est constituée du plaisir des lecteurs à se plonger dans nos livres, de nos rencontres avec eux et avec nos camarades de la littérature. L’écriture se nourrit de lectures, de prises de notes, de rencontres et de recherches diverses qui souvent demandent un investissement financier. Écrire un livre suppose des mois de travail, de longues heures de solitude devant une feuille de papier ou un ordinateur et souvent des frais que le quidam ne peut pas imaginer –repérages, déplacements, acquisition de livres, de matériel informatique, etc. D’où la sinistrose, voire la dépression, que les auteurs et autrices romands ayant sorti un livre durant 2020 et début 2021 se coltinent en ce moment. Ils se sentent frappés d’une double peine : au long travail jamais rémunéré à sa juste valeur, s’ajoute la détresse d’avoir passé des mois à écrire pour alimenter le pilon.

 

Lire local : soutenir les éditeurs et auteurs romands

Avec la fermeture des librairies, les annulations des salons et autres manifestations littéraires, les auteurs romands ayant sorti un livre durant ces confinements ont perdu des mois de travail. Personne n’était au rendez-vous : ni les librairies – qui ont fait au mieux de ce qu’elles pouvaient malgré les contraintes -, ni les salons littéraires, ni les lecteurs puisque les médias ne s’intéressent, souvent, qu’aux auteurs déjà plus que reconnus par le grand public. Certes, la commande de livres par Internet a bien fonctionné. Les libraires ont souvent pris des commandes par e-mail ou par téléphone et fait des envois postaux. Certains ont même livré à domicile. Hélas, ce mode de vente favorise surtout les GAFAM et une certaine littérature commerciale, généralement hexagonale ou nord-américaine. Les livres des auteurs suisses, publiés par des éditeurs romands, ne se vendent généralement qu’en librairie, conseillés par le ou la libraire. Si les points de vente de nos livres sont fermés, nos lecteurs ignorent leur existence. Mais il est encore temps pour lire local. C’est pourquoi je publie, ci-dessous, la liste des livres romands que j’ai présenté en 2020. En cliquant sur la référence, vous aurez directement accès à l’article complet.

Littérature romande : des lectures pour tous les goûts

Fondre, Marianne Brun, roman biographique, éd. BSN press : ce récit retrace la vie de l’athlète Samia Yusuf Omar qui avait représenté la Somalie aux JO de Pékin en 2008. Quatre en plus tard, elle disparaissait en Méditerranée en essayant de joindre l’Italie afin de poursuivre son rêve de médaille tout en échappant à un pays en guerre.

Mémoire des cellules, Marc Agron, roman, éd. L’Âge d’Homme : ce thriller psychologique, écrit avec une très belle plume, nous plonge dans le milieu de l’art contemporain tout en nous contant des histoires très humaines. Tellement humaines que l’auteur n’a pas hésité à transformer l’artiste uranaise Pamela Rosenkranz en personnage de fiction.

Touché par l’amour, tout Homme devient poète, collectif, poésies courtes, éd. Kadaline : livre poétique accessible à tous. L’ouvrage, pas plus grand qu’une main, contient des courts textes célébrant l’amour, écrits par trente-deux acteurs et actrices des lettres romandes, notamment Marc Voltenauer, Mélanie Chappuis, Nicolas Feuz, Abigail Seran ou Gilles de Montmollin. Il peut aisément aider à déclarer votre flamme à une personne aimée. Contrairement à ce que le titre peut laisser croire, beaucoup de textes ne sont pas genrés. Cela permet d’offrir ou de recevoir ce livre quelles que soient nos préférences amoureuses.

Le monde est ma ruelle, d’Olivier Sillig, courts textes de voyages, éd. de L’Aire : cet ouvrage nous emmène de Lausanne au Mexique en passant par l’Allemagne, l’Afrique ou l’Amérique du Sud. Derrière son allure tranquille, ce romancier aux multiples casquettes passe sa vie à globe-trotter. Parcourir les rues et les places, regarder vivre les gens, photographier, s’imprégner des ambiances, prendre des notes, occupe une partie de son existence. Rédigées dans un style concis, presque lapidaire, il nous livre ces déambulations par flashs.

Les Aigrettes, Jean-Luc Fornelli, haïkus humoristiques, éd. du Roc : si le nom de ce trouvère ne vous semble pas familier, peut-être que Gossip, qui participait à l’émission La Soupe est Pleine de la RTS La 1ère, éveillera vos souvenirs. Il s’agit du même artiste,  « un poète givré même l’été » ainsi que l’annonce son ouvrage d’épigrammes et autres haïku(ku) suisses – tels qu’il les a baptisés. Fornelli nous propose de chopiner en sa compagnie avec une poésie tendre, comique, parfois ironique ou un tantinet grivoise.

Tu es la sœur que je choisis, collectif, nouvelles, éd. d’en Bas : cet ouvrage est l’aboutissement d’une initiative du quotidien indépendant Le Courrier. Le journal genevois a demandé à des écrivaines romandes un texte littéraire : une parole de femme, pas forcément militante sur le sujet des discriminations liées au sexe. Ces textes, d’une grande force littéraire et poétique, racontent des vies de femme sans tomber dans le militantisme. Un livre dont je conseille particulièrement la lecture aux hommes qui souvent, malgré eux, ignorent les problèmes spécifiques que les femmes doivent affronter.

L’Horizon et après, Bernadette Richard, illustrations de Catherine Aeschlimann, éd. Torticolis et Frères : cet ouvrage réunit des nouvelles inédites et des récits publiés dans divers livres collectifs, journaux et magazines : le journal Longines, Montres Passion, Hull et Erti Editeur à Paris, le site des Éditions Cousu Mouche… Des textes acides, visionnaires, glauques ou même érotiques. Un dessin de Catherine Aeschlimann illustre chaque nouvelle. Cela donne un côté précieux à ce livre accessible à toutes les bourses.

Je publierai la suite de cette liste la semaine prochaine. DM

Mary Shelley : une érudite tragique, amoureuse et féministe

Mary Shelley : la courte durée d’une heureuse jeunesse

Dans la nuit du 16 juin 1816, Lord Byron et ses amis, entre autres Percy Shelley et Mary Wollstonecraft Godwin qui deviendra plus tard Mary Shelley, séjournent à la villa Diodati, à Cologny dans la banlieue de Genève. L’éruption du volcan indonésien Tambora, quelques mois auparavant, provoque de terribles perturbations du climat. De 1816, les documents de l’époque soulignent que ce fut une année sans été. Enfermé dans la maison par les orages qui se suivent, fasciné par le surnaturel, pour se divertir le petit groupe lit des histoires d’horreur. Afin de diversifier les rares activités de cette singulière villégiature, Lord Byron propose qu’ils écrivent chacun une histoire de fantômes. Mary, qui sera la seule à terminer un récit, imagine quelque chose de totalement nouveau en s’inspirant d’un cauchemar qu’elle avait eu. Considéré comme le premier roman de science-fiction lors de sa parution, Frankenstein ou le Prométhée moderne, qui à présent figure parmi les classiques de la littérature, eut certes un succès immédiat mais dut également essuyer quelques critiques peu amènes. Très jeune, l’érudite et innovante Mary Shelley devra affronter les rugosités de l’existence.

Mary Shelley : journal d’affliction

Italie, été 1822. Le poète Percy Shelley traverse le golfe de Livourne à bord d’un petit voilier qu’il vient d’acheter. La mer est agitée. L’embarcation chavire. Le jeune écrivain meurt. Sa veuve n’a pas encore 25 ans. La douleur soudaine, brutale, anéantit la jeune femme déjà durement éprouvée par le décès de trois de ses quatre enfants. Elle entame alors l’écriture d’un cahier intitulé Journal d’affliction. Elle le tiendra jusqu’en 1844. Une œuvre bouleversante, écrite par une femme brisée qui consigne les souvenirs de son amour, de sa souffrance, de sa solitude. Ces pages sont considérées parmi les plus belles de la littérature romantique. Traduites par Constance Lacroix, elles paraissent en 2017 sous le titre Que les étoiles contemplent mes larmes un très bel ouvrage publié par les éditions Finitude. Après une courte jeunesse, exaltante et heureuse, la vie de Mary Shelley ne sera qu’une suite de deuils. Ces drames la plongeront dans une profonde et incurable dépression, d’autant que les personnes opposées à la relation qu’elle a eue avec son défunt mari, lui feront chèrement payer cette passion. Pour survivre elle écrit, étudie, s’attache follement à son fils Percy Florence et s’acharne à faire reconnaître le talent de Percy Shelley, le seul et unique grand amour de sa vie.

Extraits du journal :

17 novembre 1822

La douleur est préférable à l’absence de douleur. Ma peine me rappelle tout du moins que j’ai connu des jours meilleurs. Jadis, entre toutes, je me vis accorder le bonheur. Puisse ce souvenir ne jamais me quitter ! Celui qui passe auprès des ruines d’une vieille demeure, non loin d’une sente déserte et triste, n’y prête pas garde. Mais qu’il apprenne qu’un spectre, gracieux et farouche, hante ses murs, et voilà qu’elle se pare d’une beauté et d’un intérêt singuliers. Ainsi pourrait-on dire de moi que je ne suis plus rien mais que je vécus un jour, et que je chéris jalousement la mémoire de ce que je fus.

Quand le vautour de mon chagrin s’endort un instant sur sa proie, sans que se relâche jamais l’étau de ses serres cependant, je me sens glisser dans une léthargie plus terrible encore que le désespoir.

19 mars 1823

L’étude m’est devenue plus que nécessaire que l’air que je respire. En façonnant mon esprit à un perpétuel questionnement et à un examen systématique, elle offre une alternative bienfaisante au tumulte de mes rêveries. Le contentement que j’éprouve à me sentir maîtresse de moi éclaire ma vie présente, et l’espoir de me rendre plus digne de mon cher disparu m’apporte un réconfort qui adoucit jusqu’à mes heures les plus désolées.

Mary Shelley : des parents philosophes et hors normes

Mary Wollstonecraft Godwin naît le 30 août 1797 à Londres, fille de deux philosophes hors normes et en avance sur leur temps : Mary Wollstonecraft maîtresse d’école, femme de lettres, féministe convaincue, auteure d’un pamphlet contre le système patriarcal Défense des droits de la femme (1792) ,et de William Godwin précurseur de la pensée anarchiste. Anticonformiste, le couple ne vit pas sous le même toit. Dix jours après la naissance de sa fille, Mary Wollstonecraft meurt emportée par la fièvre puerpérale. Mary et sa sœur Fanny Imlay -âgée de trois ans et demi et née de l’union de Mary Wollstonecraft avec le spéculateur Gilbert Imlay– seront élevées par William.

Mary Shelley: une enfant surdouée

Mary a quatre ans quand William Godwin épouse une veuve mère de deux enfants. Avec elle, le philosophe conçoit un fils. William inculque les idées de leur mère à ses filles. Très rapidement Mary se montre exceptionnellement intelligente et passionnée par l’apprentissage de choses complexes. Les enfants vivent entourés des plus grands intellectuels de l’époque à qui leur père ouvre toujours sa porte.

Mary ne suit pas une scolarité habituelle. Son père assure lui-même en partie son instruction en lui enseignant les matières les plus diverses. Godwin a l’habitude d’offrir à ses enfants des sorties éducatives et ils ont accès à sa bibliothèque. Mary reçoit une éducation exceptionnelle et rare pour une fille du début du 19e siècle. Elle a une gouvernante, un professeur particulier, et lit les manuscrits de son père portant sur l’histoire grecque et romaine.

Souvent, elle et sa sœur Fanny, vont lire et étudier au cimetière de Saint Pancras, près de la tombe de leur mère.

Mary Shelley: Percy un amour passionnel et sulfureux

Lors d’une visite que Percy Bysshe Shelley rend à son père, elle tombe éperdument amoureuse du poète. Elle le sait marié mais ne voit pas d’inconvénient à ce que cet homme brillant, qui cumule les problèmes dus – entre autres – à son athéisme, lui fasse du charme. En 1814, à l’âge de seize ans, elle commence une relation avec lui. En sa compagnie, elle quitte le domicile familial et l’Angleterre. Le couple se rend en France et en Suisse. Cette union courrouce énormément le père de Percy. Dès lors, et pendant tout le reste de sa vie, il mettra une énergie incroyable à rendre infernale l’existence de Mary, d’autant qu’il était en mauvais termes avec son fils. Durant ce périple, elle tombe enceinte de son premier enfant. Elle le perdra à sa naissance.

Humiliée, offensée et enceinte, Harriet l’épouse de Percy, peu ouverte à l’amour libre, les suit. Le sulfureux Lord Byron ajoute rapidement à la confusion lui qui, partout où il passe, jette le trouble. Dans The Encyclopedia of Science Fiction, John Clute, n’hésite pas à affirmer que Fanny, la sœur de Mary, était devenue la maîtresse du Lord.

La communauté amicale qu’ils forment avec Lord Byron et d’autres personnes, se dissout après deux suicides : celui de sa sœur Fanny Imlay et celui de Harriet Westbrook, l’épouse de Shelley, qui choisit de se noyer.

Mary et Percy se marient en 1816, après la mort d’Harriet. Trois autres enfants naissent de leur union. Seul le petit Percy Florence survit à l’enfance. Mary Shelley vit la perte de chaque enfant comme une tragédie. A partir de la mort de la première-née, la vie de Mary Shelley ne sera plus qu’une suite de drames dont elle ne se remettra jamais.

A Londres, Percy Shelley s’absente souvent pour éviter les créanciers. La menace de la prison pour dettes, leur mauvaise santé et la peur de perdre la garde de leurs enfants, incite le couple à quitter l’Angleterre pour l’Italie en 1818. Deux de leurs enfants y mourront.

Percy décède avant son trentième anniversaire. Son corps est incinéré mais son cœur a d’abord été enlevé. Mary l’a enveloppé dans une page de poésie. Elle transportera cette relique pendant un quart de siècle, jusqu’à la fin de ses jours. Après la mort de son mari, Mary se bat pour que l’œuvre du poète soit diffusée. Certains chercheurs n’hésitent pas à affirmer que, sans le travail accompli par Mary, Percy B. Shelley aurait sombré dans l’oubli.

Mary Shelley: un talent et une érudition tardivement reconnus

Bien que Mary Shelley ait écrit six romans après le premier ainsi que des récits de voyage, des biographies de personnages historiques espagnols, portugais et français, des nouvelles et des poèmes, aucune des œuvres ultérieures n’atteint la popularité de Frankenstein ou le Prométhée moderne. Ses œuvres percutantes, féministes et innovantes abordent des sujets chers au 20e et 21e siècles. Mathilda (1819) a pour thème l’inceste et le suicide. Cette œuvre est jugée si scandaleuse et immorale, qu’elle ne sera publiée qu’en 1959. Considéré comme le meilleur de sa production, Le dernier homme (1826), roman qu’il faudrait peut-être lire ou relire en ce moment, raconte la destruction de la race humaine, entre 2073 et 2100, par les guerres et la peste. Par ailleurs, l’auteure utilise les biographies qu’elle écrit, souvent très politisées, pour faire avancer la cause féminine comme dans Lodore (1835) son autobiographie romancée. Selon Wikipédia, dans ce roman, l’écrivaine prend position sur des questions politiques et idéologiques, en premier lieu l’éducation des femmes et leur rôle dans la société. Le roman dissèque la culture patriarcale qui sépare les sexes et contraint les femmes à être dépendantes des hommes.

Le 1er février 1851, à l’âge de cinquante-trois ans, Mary Shelley meurt à Londres d’une tumeur au cerveau. Elle est enterrée à l’église St Peter, à Bournemouth.

Selon les biographies romantiques et victoriennes, Mary Shelley aurait sacrifié son œuvre pour soutenir son mari puis, après sa disparition, le faire publier. Toutefois, dans les années 1970, elle est réhabilitée. Dégagée de l’ombre de son époux, elle est à présent considérée comme une précurseure et une écrivaine à part entière. On lui accorde l’invention de la science-fiction, d’avoir amorcé les études de genres et engendré un mythe universel.

Portrait de Mary Shelley par Richard Rothwell (1840). National Gallery Londres.

Sources:

  • Que les étoiles contemplent mes larmes, Journal d’affliction, Mary Shelley, éditions Finitude.
  • Buscarbiografias
  • Campus n°124
  • Wikipédia

Corinne Reymond: des soins en psychiatrie à la poésie

Corinne Reymond: une plume pour rendre hommage aux aînés

Avec beaucoup d’empathie et de tendresse, Corinne Reymond rend hommage aux personnes happées par l’âge ou la maladie.  Sa longue carrière d’aide-soignante aux soins à domicile, en EMS, à l’hôpital ou en hôpital psychiatrique, l’a amenée à écrire ses expériences avec les patients. Dans son métier, plus que les soins, ce qu’elle recherche c’est le relationnel, le contact avec les gens, apprécier qui ils sont, sentir leurs états d’âme, se pencher sur l’histoire de leur vie. “Plus on devient âgé, dit-elle, plus ça devient riche”. Une richesse qu’elle n’a pas voulu laisser perdre. Un trésor qu’elle a soigneusement protégé dans un livre que chacun d’entre nous peut, avec émerveillement, découvrir. Tous les poèmes sont tirés de situations vécues. Une suite de tableaux délicats, certes, mais également touchants, poignants, troublants quand ils nous rappellent des personnes que nous avons côtoyées, aimées, ou lorsque l’on se projette soi-même dans un futur presque inéluctable.

Bernard Walter, qui préface l’ouvrage, écrit:

“C’est un livre qui est à mettre entre les mains des parents et des proches, ainsi que des personnes responsables, qu’ils soient directeurs, directrices, hommes médecins, femmes médecins, employés, employées, politiciens, politiciennes, aumôniers, aumônières.

Chaque personnage exprime sa vie, c’est lui qui parle, ce n’est pas celle qui vient leur rendre visite, leur apporter son aide. Corinne ne se met pas en scène, elle est juste là, pas trace d’ego, pas de jugement non plus. D’elle on sait peu de chose, et pourtant, dans ces portraits saisissants, elle dit beaucoup d’elle-même et de sa sensibilité des petites choses”.

De Corinne Reymond, on apprendra uniquement qu’elle est domiciliée au Sentier, dans la Vallée de Joux, qu’elle est mère de trois enfants et grand-maman.

Le poème qui suit est extrait du recueil poétique Fleurs imaginaires paru aux Éditions Torticolis et Frères.

Sources:

  • Fleurs imaginaires, éditions Torticolis et Frères
  • VAL TV