Lectures pour des plages de repos
La distanciation n’oblige pas à bronzer dans la solitude. Avec un livre ou une revue nous sommes toujours en compagnie. Ce dernier billet, avant la longue pause que prendra ce blog cet été, propose deux lectures : A l’aube des mouches, un recueil de poèmes d’Arthur Billerey et la revue littéraire romande La cinquième saison, dont le 11ème numéro Passage du poème, qui vient de paraître, est entièrement consacré à l’art de Polhymnie. Le jeune poète en est l’une des têtes pensantes. Passionné par les mots écrits, Arthur Billerey vient aussi de créer la chaîne Youtube Trousp, entièrement consacrée au livre. « J’ai eu l’idée de créer Trousp car je réfléchissais, pendant le confinement, à la question suivante : par quel moyen la littérature et la poésie peuvent réinvestir l’espace public ? Je me suis dit que réinvestir l’espace public numérique était déjà un premier acte. Et puis je crois qu’il est important de parler littérature, en plus de l’écrire. Les auteurs et les autrices, après avoir noirci le papier, ont encore les hauts fourneaux de l’imagination qui fument. Du moins pour les inspirés. Ils ont donc leur mot à dire. » Pour l’instant cette jeune chaîne apprend à marcher. Nul doute qu’elle saura bientôt courir et danser.
La cinquième saison : revue littéraire romande
Chaque trimestre, La cinquième saison invite des plumes de tous bords à se prêter au jeu de la contrainte et de la chronique. Nouvelles, portraits et fragments, récits de voyage, entretiens et tribunes libres, autant de genres qu’elle brandit dans ses pages aux côtés des trésors dormant dans les tiroirs des éditeurs. Chaque numéro est dédié à un thème ce qui permet de couvrir tout le panel de la littérature actuelle. Entre ses pages l’on rencontre les auteur-e-s qui font la littérature romande du moment, des plus confirmés aux plus jeunes espoirs. Mais pas uniquement. Comme démontré par ce onzième numéro, l’on y croise également des disparus, comme Chessex ou Nietzsche, et des écrivain-e-s, des quatre coins de la francophonie, tout à fait vivants. Extrait de la quatrième de couverture :
« Ces acteurs – la poésie logeant en chacun de nous – ne se limitent pas aux terres encloses de Suisse romande délimitées par la frontière de Saint-Gingolph, de Pontarlier ou Genève, derrière laquelle il y a la France. Il était cardinal que les acteurs sollicités se trouvent à Paris, à Genève, à Sainte-Colombe-sur-Gand, à Devesset, à Chavannes-près-de-Renens, à Vevey ou à Fribourg, à Mons comme au Luxembourg. Autrement dit qu’il y ait une réponse unanime et francophone. N’habitons-nous pas une langue, plutôt qu’un pays ? dirait Paul Célan. « Pourquoi publiez-vous de la poésie ? » et « Pourquoi lisez-vous de la poésie ? » sont les deux grandes questions qui orientent ce numéro et qui donnent la parole aux éditeurs et aux lecteurs. » Dans tous les numéros de La cinquième saison, les textes des autrices et auteurs vivants sont inédits.
Naturellement, ce Passage du poème attribue les fauteuils d’honneur aux poètes. Toutefois, selon la coutume de la revue, une grande place est laissée à la critique – Peu importe où nous sommes d’Antoinette Rychner, Rivières, tracteurs et autres poèmes d’Alain Rochat… On y lit également des interviews d’auteurs : François Debluë ou Alain Freudiger.
Arthur Billerey : A l’aube des mouches
L’été, en particulier cet été 2020 qui impose un éloignement sanitaire, est un moment propice pour découvrir la poésie comme l’écrit si bien Fabienne Althaus-Humerose, la créatrice du Prix du roman des Romands. Dans ce dernier numéro de La cinquième saison, elle nous conseille d’oublier ce que l’on nous a enseigné à l’école. A la place, elle propose de nous laisser aller à la lecture, sans nous préoccuper ni de la versification, ni du rythme des mots. Elle nous suggère d’abandonner l’idée que la poésie est un art qui ne s’adresse qu’aux initiés, un style littéraire trop abscons pour les néophytes. Elle nous exhorte à enfermer dans un galetas poussiéreux le cliché d’une lecture savante et empesée, qu’il faudrait religieusement appréhender dans un silence monacal. Au contraire, elle nous enjoint à nous adonner à la poésie sur le sable d’une plage, dans le bus, dans le train ou à une table de bistrot. Partout où un temps fractionné permet une lecture courte, partout où la vie bouillonne. « Mettez un livre de poèmes dans votre sac et ouvrez-le de temps à autre… Ne vous interrogez pas sur les intentions du poète, mais sur les intentions que vous pouvez dès lors admettre pour vous. Ne retenez pas ce qui vous paraît incompréhensible, retenez ce que vous avez intensément et profondément vu et saisi. » C’est pourquoi, pendant ces vacances, je vous incite à découvrir Arthur Billerey. A l’aube des mouches, paru aux Éditions de l’Aire, nous emmène avec suavité dans des mondes à doubles faces ou s’insinuent la poésie du quotidien. Des jardins où les tiges des roses ne manquent pas d’épines et où ce qui paraît surréaliste devient soudainement limpide. Les poèmes choisis ne sont pas représentatifs du contenu de l’ouvrage qui nous emporte avec bonheur d’un paysage ou d’un sentiment à l’autre. Ils correspondent uniquement à l’humeur qui m’habitait au moment de ma lecture. Quant au jeune poète fourmillant d’idées, il écrit actuellement son prochain recueil : Le réchauffement syllabique.
Entrevue : Arthur Billerey poète, assistant éditorial, brasseur d’idées littéraires
– Comment est née la revue littéraire “La cinquième saison” ?
La cinquième saison est née au moment de la mort de L’Hebdo, qui était un magazine généraliste, avec un accent sur la littérature. Face à la disparition inquiétante de cette tribune littéraire, des acteurs et des actrices du milieu du livre se sont réunis pour fomenter quelque chose. Après plusieurs réunions et délibérations, il est resté une petite équipe, prête à s’investir totalement, bénévolement et artistiquement pour offrir aux lettres romandes l’écho dont elles avaient cruellement besoin. Et cela devait passer par l’épanchement. Une revue, ce n’est pas un journal limité par la taille de ses colonnes. Les auteurs et les autrices peuvent y aller franco, librement, noircir le papier et laisser courir leur plume. Plusieurs rubriques sont constantes. La plus importante, la rubrique Critique, permet à la rédaction de chroniquer les parutions actuelles, de veiller à ce qu’il y ait une réponse à tous ces livres publiés dont certains, dans la cohue tumultueuse des nouveautés, n’ont parfois pas plus d’écho qu’une bouteille à la mer. La rubrique Entretien permet de connaître l’opinion, sur tel ou tel sujet, de celles et ceux qui travaillent dans le livre. Il y aussi toujours une rubrique inventée, plutôt récréative, qui correspond au thème du numéro, ainsi qu’une rubrique Poésie. Pour accompagner le texte, la revue s’étoffe d’une poignée d’illustrations qui introduisent les rubriques et qui font de la revue papier, en plus d’être un trésor de mots et d’idées, un coffre de papier à ouvrir. Pour paraphraser Flaubert, on pourrait dire que la ligne éditoriale de La cinquième saison est de marcher droit sur un cheveu suspendu entre le double abîme du lyrisme et du vulgaire.
Le dernier numéro, Passage du poème, est entièrement destiné à la poésie. L’idée était de profiter du vent doux et favorable du Printemps des Poètes, et de la Poésie, qui n’ont finalement jamais eu lieu à cause de la crise sanitaire. C’est le premier numéro qui s’intéresse de près à un genre, qui lui cherche des poux. L’expérience sera peut-être réitérée avec le théâtre, l’essai, ou allez savoir, le roman courtois. Pour toutes ces folles équipées, la rédaction compte aujourd’hui deux nouveaux rédacteurs, Romain Debluë, poète et philosophe, ainsi que l’éditrice Florence Schluchter-Robins. Les autres membres fondateurs sont Christophe Gaillard, professeur et écrivain, ainsi que le soussigné.
– Vous écrivez vous-même de la poésie. D’où vient votre intérêt pour cet art?
L’intérêt que j’ai pour la poésie vient des mots. Il y a une puissance d’évocation dans un poème. Cela peut aller de la découverte d’un monde derrière le monde, une sorte d’Atlantide sur commande, quand les mots surgissent torrentiellement, à une découverte moins prestigieuse, plus quotidienne, comme une pièce retrouvée sous le canapé, quand les mots surgissent d’un coin sombre. Et puis, il y a dans un poème une gymnastique sonore et une manie furieuse à saisir ce qui nous dépasse. Sans tomber dans un romantisme démodé, j’aime que la poésie reste un moyen de traduire nos rires, nos révoltes, nos passions et notre spleen éternel. Un poème sans émotion, qui se mord la queue dans l’inertie sa propre accélération, ne vaut pas plus que la gousse brisée d’une cacahuète. Hormis des poèmes, des critiques et des notes inachevées, je n’écris rien. Écrire un roman est un art trop difficile.
– Qu’essayez-vous de nous transmettre à travers la poésie ?
En vérité, je ne sais pas trop ce que j’essaye de transmettre. Il est peut-être fou de croire que les poètes transmettent un message clair, médité et cousu main en écrivant un poème. Je crois que les poèmes qu’on écrit sont les plus mauvais. Les meilleurs sont ceux qui s’écrivent eux-mêmes, et qui s’écrient ensuite, sans autre base de départ qu’une intuition, qu’un sentiment, ou que la sonorité du mot lui-même. Et puis quand bien même, s’il y avait une volonté du poète à transmettre un message, le lecteur, avec ses yeux de lecteur, y décèlerait peut-être autre chose. C’est comme la forme des nuages. Vous y voyez un chien enragé alors que votre ami y voit un pamplemousse.
Malgré cela, il y a quand même des recoupements dans mon travail, des décors qui reviennent, des tournures, un vocabulaire, etc. Il y a une part de quotidien, d’humour, de recherche et de lumière bourdonnante, dans A l’aube des mouches.
– A la fin de votre recueil vous citez des poètes, à savoir Corinne Desarzens qui signe la préface, Apollinaire ou Jean-Pierre Schlunegger qui vous ont inspiré certains de vos poèmes. Quels sont les poètes que vous lisez et ceux qui vous inspirent ?
Je lis ceux que vous mentionnez et des poètes plus actuels, comme par exemple Pierre-Alain Tâche, Alexandre Voisard, Jacques Chessex, Laurent Galley, Jean Pierre Siméon, Jacques Roman, Katia Bouchoueva, Brigitte Gyr, Venus Khoury Ghata, Maram Al-Masri. Je suis souvent inspiré en lisant les autres. J’ose les fouiller au corps, comprendre la façon dont ils travaillent. Mais j’avoue revenir sans cesse à Apollinaire, Aragon, Paul Eluard et Jean-Claude Pirotte, qui sont des bougies longue durée sur ma table de chevet.
– La question que je pose à tous les interviewés : à quel poème vous identifiez-vous ?
J’aime beaucoup le dernier tercet de Tristesse, ce classique français d’Alfred de Musset.
Dieu parle, il faut qu’on lui réponde / Le seul bien qui me reste au monde / Est d’avoir quelquefois pleuré
Retenir de toute une vie que nous ne possédons rien d’autre que nos pleurs, au final, est assez vertigineux. Vous imaginez, une larme peut contenir tout ce qui, de votre naissance à votre retraite, vous aura mouillé le codeur. Quelle éclaboussure! Adieu les télévisions, les voitures et les maisons. Vous n’emportez avec vous qu’une valise étanche et il y a une larme à l’intérieur. Pourvu que ce soit une larme de joie.
Entrevue réalisée par Dunia Miralles
Biographie d’Arthur Billerey
Arthur Billerey est né au cœur de la Grande Brasserie d’Audincourt. Après des études en Arts, Lettres et Langues, il est diplômé d’un master spécialisé dans l’édition du livre. Assistant éditorial à L’Aire, il codirige avec passion la collection métaphore, dédiée à la poésie. Membre fondateur de La cinquième saison, chroniqueur au Regard Libre, il suit l’actualité littéraire au poil et il vient de créer Trousp, une chaîne Youtube dédiée au livre. Il a publié dans des ouvrages collectifs, des revues. Son premier recueil, intitulé À l’aube des mouches, est dédié à tous ceux qui salivent tôt.
Pause estivale
Après une longue pause estivale, durant laquelle je m’aventurerai dans d’autres styles littéraires, je reprendrai les activités de ce blog le jeudi 17 septembre. Bonnes vacances! DM.