Un livre 5 questions: “La Pythie” de Mélanie Chappuis

La Pythie de Mélanie Chappuis: introduction

Sélectionné pour le Prix des lecteurs de la ville de Lausanne, le roman La Pythie, de Mélanie Chappuis –Éditions Slatkine – fait un magnifique parcours depuis sa parution.

« A l’âge de 22 ans, dans les bras de Jérôme, Adèle Meurice entrevoit les circonstances exactes de l’accident : son amour est renversé par une voiture et meurt dans l’ambulance. La prophétie se réalise point par point. Dévastée par cette prémonition, Adèle a ensuite à plusieurs reprises la confirmation qu’elle possède le don d’entrevoir le pire dans des circonstances extatiques. Pourquoi l’orgasme lui montre-t-il l’autre dans son dernier instant ? D’où vient cette malédiction ? Une quête identitaire autour du plaisir, de la mémoire et de la transmission ».

La Pythie, nous emporte à travers la vie, la mort, les cultures, les vies et les âges. De Genève, l’histoire nous transporte au Chili, en l’Araucanie sur les terres des Mapuche. Un roman documenté et chamanique à lire avec attention car chaque détail compte.

La phrase extraite du livre :

“Un condor n’a rien à faire au pied d’un arbre, il doit voler “.

 

La Pythie interview de Mélanie Chappuis

Dans votre imaginaire, comment est née La Pythie ?

Je souhaitais écrire un roman avec un souffle, créer un personnage de femme qui captive, émeuve et perturbe, qui s’égare et finit par se trouver… Une de ces femmes intuitives que j’admire. Connectée. À la nature, aux autres, à ses ancêtres. Que l’on ait envie de la suivre dans sa quête, sans la lâcher. Adèle est vraiment née le jour où j’ai entendu l’ethno-musicienne et chamane Corine Sombrun s’entretenir avec Frédéric Lenoir dans l’émission « Les racines du ciel ». Corine Sombrun raconte ses transes, explique ce qui l’a menée à la première d’entre elles, en l’occurrence une cérémonie chamanique à laquelle elle assistait en Mongolie. Elle poursuit en révélant que l’orgasme a aussi, une fois, déclenché chez elle un état modifié de conscience, durant lequel elle s’est sentie devenir loup. Frédéric Lenoir, peut-être un peu gêné, enchaîne. Ils discutent yoga, méditation, marche en forêt. Je les laisse continuer sans moi, j’ai mon sujet de roman. Adèle sera cette femme qui entre en transe au moment de l’orgasme, ses extases lui donnant à voir l’autre dans son ultime instant. Elle sera cette Pythie des temps modernes, avec un don comme une malédiction. Elle se perdra en essayant de sauver les hommes dont elle entrevoit la mort, avant de comprendre que ses visions lui parlent d’elle. Et de renouer avec ses origines mapuches.

Dans la tradition Mapuche, les machi sont désignés par les esprits dès la naissance. Si l’on est « élu», on ne peut guère échapper à notre destin de machi même si, enfant, l’on nous éloigne de notre culture d’origine. Croyez-vous que le destin de chacun d’entre nous soit tracé ?

Les réponses que je me propose varient et se contredisent. J’oscille entre la toute-puissance du libre arbitre et l’implacabilité de la prédestination. C’est une question que je me suis beaucoup posée pendant la rédaction de la Pythie. Aujourd’hui elle a un peu perdu de son importance. Mais tout de même, j’aime croire que les hasards n’en sont pas, que mon âme reconnaît certaines personnes comme ayant déjà croisé son chemin… Il arrive que les liens soient si forts et si instantanés entre deux êtres… D’une façon plus terre à terre, je m’intéresse aussi beaucoup à ce que l’on hérite de nos parents, grands-parents, ces atavismes auxquels on échappe difficilement.

Votre père était diplomate. Enfant, vous avez vécu dans de nombreux pays. Pour vous la notion de racines a-t-elle un sens ?

 Je suis davantage habitée par la notion de déracinement. Je me suis souvent vue comme un être flottant, incapable de s’ancrer, mal à l’aise avec la durée. Ça reste une lutte. Je suis très nostalgique des pays dans lesquels j’ai vécu, en particulier de l’Argentine. L’idée, quand j’étais enfant, était de suivre mes parents jusqu’au baccalauréat, et de m’installer ensuite en Suisse, mon pays, pour mes études universitaires. Ce que j’ai fait. La première année, passée à Fribourg, fut très difficile, je ne trouvais pas ma place. J’ai ensuite déménagé à Genève, et je crois que j’y ai enfin mes racines. C’est la ville dans laquelle je me sens le mieux. Ma patrie d’adoption. Les Genevois voyagent beaucoup, partent en week-end, en vacances… Plus jeune, j’amenais mes amis à l’aéroport, et je rentrais à la maison heureuse de ne pas être à leur place, dans un avion. Tout ce qui m’intéressait, c’était de rester à Genève. J’avais peur que la ville m’échappe si je la quittais, ne serait-ce que quelques jours. Aujourd’hui, c’est toujours un soulagement d’y revenir, d’y atterrir.

Durant l’écriture du livre vous dîtes avoir prêté une grande attention à vos rêves. Cela aurait amené votre inconscient à vous guider dans l’écriture. Considérez-vous cela un début de médiumnité ?

J’ai collé le plus possible à mon personnage. Je me suis donc placée dans des contextes favorables à l’intuition. Le silence, la marche, l’amour, le yoga… J’ai la chance de me souvenir de mes rêves, surtout lorsque j’en fais l’effort. C’est une gymnastique. Les mapuches ne sont pas les seuls à prêter une grande attention à leurs rêves, il y a aussi les apaches, les mongols, je crois que tous les peuples premiers ont ce souci. J’ai ramené du sommeil quelques épisodes de la vie d’Adèle, et une image que j’ai finalement peu utilisée dans le livre. Celle de l’Ouroboros, le serpent-dragon qui se mord la queue. C’est un symbole très ancien que l’on rencontre dans plusieurs cultures, sur tous les continents. Les premiers à l’avoir représenté sont les Égyptiens au 16e siècle avant notre ère. Il renferme les idées de mouvement, de continuité, d’autofécondation et, en conséquence, d”éternel retour. C’est le contraire de cette idée de stérilité que contient notre expression, « le serpent qui se mord la queue ». Notre civilisation chrétienne a fait du serpent un traitre qui nous détourne du droit chemin, dans les cultures premières il est au contraire respecté, vénéré….

J’ai considéré que rêver de l’Ouroboros était un beau cadeau : j’étais autofécondée du livre que j’étais en train d’écrire, dont les pages sont habitées par ces notions de cycles et d’éternel retour.

C’est peut-être un début de médiumnité. Comme l’est l’écriture. Il y ces instants de grâce pendant l’écriture, où l’on a l’impression d’être des canaux à travers lesquels passent des informations. C’est fluide, les mots se déversent sans être filtrés par nos cerveaux… Ça m’arrive dans chacun de mes livres, même si la majorité des pages sont écrites «  consciemment ».

La question que je pose à toutes les écrivaines et écrivains : à quel personnage littéraire pourriez-vous vous identifier?

Toujours à celui avec qui je passe du temps. Je m’identifie aux personnages de mes lectures, de mes écrits, peu importe qu’ils soient hommes, femmes enfants ou vieillards. Il y a bien sûr des personnages qui m’ont plus habitée que d’autres, malgré mes efforts pour fuir l’identification… Anna Karénine, par exemple, qui va payer si cher le prix de son amour pour Alexis Vronski. Au nom de cette passion, qu’elle ne parviendra plus à cacher, elle va devoir laisser son enfant à son mari et vivre en paria (nous sommes dans la Russie du 19e siècle). Ses remords ensuite, cet amour de mère duquel elle s’est détournée un instant, par folie, et cette incapacité à revenir en arrière. Ce qui a été détruit ne peut-être reconstruit, elle ne verra plus son enfant qu’une seule fois, en cachette, durant un épisode déchirant, elle n’aimera pas sa seconde fille, pourtant conçue avec l’homme de sa vie, la culpabilité étant trop lourde. Elle perdra tout pour cet amour. À terminer par elle-même, au point d’en finir avec sa vie. Devant un Vronsky égal… Anna Karénine est une héroïne sincère, aimante, impulsive, courageuse, elle est donc, hélas, incapable de stratégie, de calcul… Sa personnalité la mène tout droit au chaos. Je me suis un peu trop identifiée à elle, à une époque. Plus aujourd’hui, mais elle m’habite encore.

Interview: Dunia Miralles

Photographie de Louise Anne Bouchard

Biographie et actualité de Mélanie Chappuis:

Mélanie Chappuis est écrivaine, journaliste et chroniqueuse. Elle est l’auteur de six romans, deux recueils de nouvelles et deux recueils de chroniques. En 2012, elle reçoit le prix de la relève du canton de Vaud. En 2018, son livre Ô vous, sœurs humaines, aux éditions Slatkine, est finaliste du prix franco-suisse Lettres-frontières. En 2019, La Pythie, (éd. Slatkine) est en lice pour le Prix des lecteurs de la ville de Lausanne. Sa pièce Femmes amoureuses, actuellement en tournée romande dans une mise en scène de José Lillo, se joue notamment du 3 au 8 septembre au théâtre Pullof de Lausanne.

Prochains rendez-vous autour de La Pythie :

le 28 septembre lors d’une balade littéraire à vélo entre Divonne les Bains et Nyon, organisée par Lettres Frontières.

le 9 novembre au Lausanne Palace. La rencontre, organisée par le Prix des lecteurs, sera suivie d’un apéritif et d’une séance de dédicaces.

Dunia Miralles

Dunia Miralles est l'auteure de SWISS TRASH, roman culte sur les milieux de la drogue à la fin des années 1980, et d'INERTIE qui a été nominé pour le Prix de l'Académie Romande, le Prix du Roman des Romands et qui a reçu le Prix Bibliomedia 2015. Autres livres: MICH-EL-LE une femme d'un autre genre, et FILLE FACILE. FOLMAGORIES est un recueil de nouvelles fantastiques en hommage à Edgar Allan Poe, Andersen, Baudelaire ou Stephen King. ALICANTE, qui surprend par sa poésie en prose mise en musique par Monojoseph, est paru en librairie en avril 2018. LE BAISER D'ANUBIA est une suite de fragments et d'aphorismes. Des mots qui emmènent le lecteur dans l'esprit d'une personne atteinte du trouble de la personnalité limite (borderline).

2 réponses à “Un livre 5 questions: “La Pythie” de Mélanie Chappuis

  1. Très belle et sincère interview et oui, sans doute la vie est bien au-delà de la famille et doit-on transcender ses racines pour être un condor, aussi libre que céleste?

Les commentaires sont clos.