La liberté de culte des protestants sacrifiée

Il a l’air toujours bien las ce taureau ailé de ma ville, souvenir d’une église protestante désaffectée, joyeusement reconvertie en maison de quartier. Il est aussi l’écho lointain d’un monde pagano-chrétien, mêlant les héritages symboliques pour associer le taureau des sacrifices, l’animal ailé des mythologies et l’un des quatre textes majeurs du Nouveau Testament, l’Evangile selon Luc [1]. Et bien la lassitude de l’animal est de mise en cette veille du 28 mai, car dès demain, les protestants perdent leur liberté de culte.

Lausanne, ©CClivaz

De manière incompréhensible, alors même que les restaurateurs y ont renoncé, il sera demandé à quiconque veut assister à un culte protestant de décliner son identité à l’entrée, une identité soigneusement listée et conservée deux semaines durant. A noter également que les célébrations seront privées de communion, de baptême et de chant : c’est ce qu’annonce le site officiel de l’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud (EERV). Est-ce là ce qui a été négocié avec les Eglises à Berne pour leur permettre de reprendre les célébrations plutôt ? Faut-il y voir un sacrifice justifié pour la cause commune, et tel ce taureau à terre, courber l’échine avec résignation ? Certes non.

A vrai dire, le bon sens déjà alerté, les lecteurs avisés auront une surprise de taille en allant comparer le donné protestant avec les recommandations de l’évêché catholique de Lausanne-Genève-Fribourg. En effet, son site commente ainsi : « Faut-il dresser une liste de présence des participants ? Selon l’OFSP, le devoir de traçage des chaînes de transmission ne vaut que si le respect des règles de distance ne sont pas assez garanties. Toutefois, dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, il est exigé que le respect de la distanciation sociale soit garanti. Dès lors, le recours au traçage est inutile ». Par ailleurs, les catholiques pourront communier, et des solistes chanter à la messe.

Que diantre s’est-il passé dans l’esprit des autorités protestantes pour qu’elles fassent preuve d’un tel zèle policier envers leurs ouailles ? Je laisse la question à qui de droit. Mais il est évident que les protestants font un choix qui pourrait indiquer un tournant dans leur histoire, à l’heure où ils ne sont plus que 24% dans le canton de Vaud, selon l’ouvrage d’Olivier Bauer, professeur de théologie pratique à l’Université de Lausanne [2]. En effet, ce qui distingue une Eglise subventionnée par l’Etat, en prise avec la sphère publique, c’est notamment la liberté de culte. Le droit inaliénable d’entrer dans une église et d’en ressortir sans qu’il ne soit rien demandé, laissant à « Dieu le jugement des cœurs », selon les anciens principes de l’EERV.

L’humour du 28 mai veut que ce jour-là précisément, l’application SwissCovid sera à la disposition d’un plus large public, préparée avec soin par l’EPFL et l’ETH, pour permettre au quidam de conserver l’anonymat via la gestion d’identifiants aléatoires par l’intelligence artificielle, dans un système décentralisé si innovant qu’il a déjà été repris par Google et Apple. Du côté des Eglises, la donne est claire : qui veut désormais entendre des chants, communier et garder sa liberté de culte devra considérer ce dimanche qu’il convient de pousser plutôt la porte de l’Eglise chrétienne majoritaire. A moins de choisir le mode usuel de méditation des vaudois protestants : la promenade en montagne.

[1] L’association entre l’évangéliste et l’animal ailé, image venue du tétramorphe d’Ezechiel 1,1-14 et reprise dans l’Apocalypse 4,7-8, a été faite par le Père de l’Eglise latin Irénée, au 2ème siècle de notre ère (Contre les hérésies III,11,8).

[2] Olivier Bauer, 500 ans de Suisse protestante, Alphil, 2020, p. 152. En libre accès grâce à une bourse du Fonds National Suisse: https://www.alphil.com/freedownload.php?sku=978-2-88950-045-1

Elle s’appelle «Corona», et c’est une réussite nationale

Dans mon blog du 24 avril, je cherchais un nom pour cette application de traçage du virus, préparée par l’EPFL et l’EPFZ. Ces derniers jours, dans la presse et les médias, on a commencé à voir son nom technique «DP-3T», et cette  anonymisation nous a permis à tous de réaliser que nos Ecoles fédérales avait réussi l’impensable : développer leur propre produit, prenant de cours Google et Apple. Dans l’émission de CQFD du 30 avril dernier, Alfredo Sanchez, chef de projet, explique : «Le modèle décentralisé est la garantie de cette anonymisation des contacts. Le système mis en place ne travaille que par identifiants complètement aléatoires. Et aucune donnée, mais vraiment aucune donnée, n’est échangée ou stockée sur un serveur centralisé avec des informations personnelles. […] Google et Apple se sont joints, c’est un fait historique, pour reproduire ce qu’on est en train de faire, et on est largement en avance sur le terrain là-dessus» (min. 8.00-8.16).

Je ne suis pas surprise que ce soit en Suisse qu’on lie modèle décentralisé et recherche de technologie de pointe. C’est notre manière d’être et nos usages qui ont permis à cette innovation d’aboutir: nous avons la décentralisation naturelle. Il fallait aussi imaginer l’introduction d’identifiants aléatoires et faire confiance à l’intelligence artificielle, lui donner le droit d’exploiter son potentiel propre, sans lui demander simplement d’agir à la mode des êtres humains. Ce partenariat, cette alliance des personnes et des technologies, dûment discuté sur la place publique et au parlement, me donne confiance, comme citoyenne et comme scientifique. Nous évitons ainsi le risque du fichage des données, redouté dans la version française et européenne de cette application, et qui nous rappelle des souvenirs difficiles, qu’on regarde dans l’histoire plus lointaine ou plus proche.

L’heure de la décision s’approche. Pour ma part, je n’hésite pas : ce week-end, c’est 2000 personnes qui faisaient la queue pour recevoir un sac de 20frs de nourriture à Genève, comme nous l’avons appris hier soir au téléjournal de la RTS. La situation ne nous laisse que le choix d’adopter un comportement citoyen, en associant divers moyens de protection, à commencer par les recommandations de l’OFSP, que nous suivons avec une belle rigueur d’ensemble. «Corona» ne sera qu’un moyen parmi d’autres, mais permet d’espérer que nous puissions mener au mieux nos existences dans les semaines et les mois à venir. Elle restera au choix de chacun, mais selon Alfredo Sanchez, même un « pourcentage plus faible [d’utilisateurs] aurait de toutes façons un impact positif » (CFFD, min.10.10-10.14).

Ce débat, Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse, l’observe avec attention : « Nous suivons avec beaucoup d’intérêt ce travail, car je pense qu’il pourrait être un exemple pour d’autres pays. Avec nos autres partenaires, nous analysons ce que l’EPFL propose. Nous espérons que les chercheurs seront attentifs à nos recommandations. De toute façon, si une application doit avoir le soutien de la population, des garanties doivent être données, sinon cela sera un échec ». Le débat populaire, public, large est indispensable à notre identité collective, et il est en route.

A point nommé, le communiqué de presse du parlement nous a appris, le premier mai dernier, le nom de cette application, lui donnant ainsi son acte de naissance : Corona Proximity Tracing. Le Conseil des Etats en discutera sous le numéro 20.3168 la semaine prochaine, un débat lancé par une commission du Conseil National dès le 22 avril dernier. Il est révélateur de lire dans son article d’opinion publié ce 3 mai, que Solange Ghernaouti ignore le nom de cette application qu’elle désigne encore de son acronyme anonyme DP-3T, renvoyant dos à dos toutes les applications en préparation. Que le débat parlementaire nous permette un discernement judicieux et serein, par-delà les experts en concurrence.

Quel que soit le devenir de cette application, grâce au meilleur de l’intelligence de nos chercheurs, démonstration a été faite qu’il est encore possible, dans la recherche subventionnée par les fonds publics, d’aller plus vite et plus adéquatement que les géants Google et Apple. C’est le trait ultime de la démocratie que de pouvoir mettre le code d’une telle innovation en libre accès. Voici la res publica, la cause publique, sauve, prenant soin au mieux des citoyens, en pariant sur leur responsabilité libre et individuelle.

Oui à l’application « Trace le virus ! » préparée par l’EPFL et l’EPFZ

Plus qu’un blog réflexif, le lectorat trouvera ici pour une fois une prise de position, certes étayée et assumée, mais allant droit au but, car le temps presse. Qui voudra bien relire les blogs précédents ne devrait avoir aucune peine à réaliser que l’autrice de ces lignes est très attachée à la liberté individuelle, mise à mal, par exemple, par le traçage des assurés. Mais le sujet est tout autre. Comme le proclament les bus lausannois, nous sommes « responsables ensemble », et c’est pourquoi je ferai usage avec discernement de l’application « Trace le virus ! », préparée par l’EPFL et l’EPFZ, dès qu’elle sera disponible.

  • Les antécédents : c’est à Singapour que le prototype de cette application a été lancée en mars, sous le nom de « Trace together », que je choisis de rendre en français par un adage plus dynamique : « Trace le virus ! ». Les résultats sont sans appel : au 23 avril 2020, on compte à Singapour 11’178 cas de COVID-19 pour seulement 12 décès. Le code de l’application a été rendu disponible par les autorités.
  • L’EPFL et l’EPFZ ont toutefois décidé de se démarquer des tentatives européennes, en proposant  une alternative aux nombreux avantages: nous avons le choix d’utiliser ou non cette application. Comme l’indiquait la RTS au téléjournal du soir de ce 24 avril, si 60% d’entre nous l’utilisent, elle sera efficace. Avoir le choix, c’est être en démocratie.
  • Nous sommes responsables non seulement face aux malades potentiels, mais aussi face aux plus fragiles économiquement dans notre pays: pour tous, il faut adopter dans les mois à venir un mode d’être responsable, car le vaccin est encore loin à l’horizon. « Un pour tous, tous pour un », c’est un choix.
  • Il faut espérer que les politiciens liront les bons articles avant de débattre de la question : la vraie difficulté liée à cette application sera la résistance de Google et d’Apple. Alors que la Neue Zürcher Zeitung tait cette information capitale, Le Temps l’indique clairement : « Même si une date a été fixée, il reste encore énormément de travail à effectuer, notamment avec Apple et Google. Les deux sociétés américaines, qui contrôlent à elles deux environ 99% des systèmes d’exploitation pour smartphones, développent une solution technique commune pour supporter des applications de traçage ».
  • Dès que nous nous déplaçons avec un smart phone, nous livrons sans arrière-pensée nos déplacements à ces sociétés américaines commerciales, entre autres : et nous refuserions d’être solidaires de nos concitoyens ?
  • Last but not least, les données de l’application préparées par l’EPFL et l’EPFZ resteront sur votre portable et ne seront pas reportées sur un serveur externe. C’est donc de l’auto-observation au service de notre protection mutuelle. Un libre choix. Comme celui de vous munir ou non d’un smartphone.

Il n’y a donc aucune hésitation à avoir, pour le 60% d’entre nous au moins, espérons-le.

 

Quand les tombes se vident – Hart Island (NY)

Elle s’appelle Hart Islandau large de New York, mais on la surnomme l’« île des morts », car depuis 1869, on y enterre les corps new-yorkais non réclamés par leur famille, ou dont les funérailles ne peuvent être payées, soit près d’un million de décédés. Une vidéo filmée par drone nous a brusquement mis face à la réalité COVID-19 sur cette île : de nouvelles fosses y sont creusées précipitamment pour accueillir en nombres des personnes mortes de la maladie, comme l’explique le journal de La Côte à 8h55 aujourd’hui.

De semblables pratiques ont déjà eu cours dans l’histoire, ne serait-ce que sur Hart Island elle-même, qui a accueilli des personnes décédées du sida dans les années 80, ou comme l’Île des Morts dans le Finistère, au large de Brest, qui servait de cimetière au lazaret de l’île de Trébéron, dévolue à la mise en quarantaine. Nous espérions ces temps révolus, n’est-ce pas ? Les images toutes récentes de Hart Island sont d’autant plus dures qu’elles rappellent les charniers du siècle écoulé, ceux qui nous hantent, et quand bien même les corps reposent ici dans des cercueils de bois léger individuels, et non pas à même la terre, entassés. Il faut comprendre plus loin, et la suite amplifie le premier effroi.

De fait, un article incisif de Gothamist, journal de la radio publique de New-York, expliquait le 9 avril dernier que « l’augmentation des enterrements a commencé suite au changement sans état d’âme des règlements par le service du Chief Medical Examiner : il suffit de garder les corps seulement 14 jours, au lieu du délai habituel de 30 jours, avant de les enterrer sur Hart Island ». Le délai avait même d’abord été réduit à six jours, avant de revenir à quatorze jours. Une telle décision a-t-elle été prise en consultation avec le projet Hart Island, menée par l’artiste visuelle Melinda Hunt, qui porte depuis plus de vingt ans le souci de redonner des noms à ces tombes et d’en assurer la dignité ? On peut à juste titre se poser la question.

Gustave Doré, « La vision de la vallée des ossements desséchés », 1866; domaine public; auteur: Slick-o-bot; wikicommons

Il faut savoir qu’en avril 2018, l’érosion de Hart Island a provoqué la mise à jour de 174 squelettes, monceaux d’os affleurant au grand jour, prêts à tomber dans la mer, ou déjà emportés par les flots. Les tombes qui se vident, littéralement. Des images dignes d’un tableau de Gustave Doré représentant des « ossements très nombreux sur le sol de la vallée, complètement desséchés » (La Bible, Ezéchiel 37,2). Cet épisode de 2018 a suffisamment choqué l’opinion pour que le Federal Emergency Management Agency de New-York attribue alors 13 millions de dollars au projet pour la réhabilitation de cet espace mortuaire, dès début 2019. Que va-t-il se passer maintenant, alors que la cadence d’enterrements est passée de 25 morts par semaine à 24 morts par jour ?

On n’est jamais préparé aux fosses communes, aux enterrements de masse, aux ossements qui remontent à la surface de nos îles de quarantaine. L’urgence de gérer le cours terme, dans la peur de la contagion, conduit à préparer sur Hart Island des suites difficiles. La perspective officielle est de considérer ces enterrements comme « temporaires, au cas où un membre de la famille ou un proche souhaiterait éventuellement réclamer le corps », comme l’explique l’article du Gothamist. En voyant les empilements de cercueils dans les tranchées, on se demande au monde comment on pourra réclamer son mort… Dans quelques années ou décennies, on risque bien de voir ces tombes se vider de leurs ossements, les rendre à la mer, faute de terre. Le Gothamist conclut laconiquement qu’Hart Island devrait être ouverte au public le 1erjuillet 2021.

Cet épisode du COVID-19 nous met face à l’importance des ossements, alors même que la BBC a annoncé cette nouvelle le jour de la fête chrétienne de Vendredi-Saint, qui commémore la crucifixion de Jésus de Nazareth. Au tournant de notre ère, les corps des crucifiés, mort infamante, étaient privés de tombe, de cérémonie funèbre. Les tombes des crucifiés, par définition, restaient vides. Toutefois, l’archéologie nous a livré un seul reste d’un corps de crucifié, un os du pied transpercé par un clou, trouvé en 1968, dans une tombe juive du premier siècle de notre ère, exhumée au nord-est de Jérusalem. Il s’agit de Jehohanan, fils d’Hagkol, issu d’un milieu plutôt aisé et qui avait entre 24 et 28 ans. La trouvaille a suscité et suscite encore des discussions sur le détail des modalités de crucifixion, comme en témoigne cet article archéologique de Kristina Killgrove. Cet os transpercé d’un clou, seul rescapé de cette pratique antique, confirme qu’en de rares cas, il était malgré tout possible de récupérer le corps d’un crucifié, à l’instar de celui de Jésus de Nazareth (La Bible, Evangile selon Matthieu 27, 57-60).

Ce n’est donc jamais en vain que les ossements du passé reviennent à la surface de notre présent, fût-ce un seul. Les ossements surgis en 2018 sur Hart Island devraient impérativement conduire à un dialogue plus large dans la communauté new-yorkaise sur la prise en charge, en ce moment même, de ceux et celles que leurs proches n’auront pas pu réclamer, faute de temps ou de moyens.

 

La démocratie, bien essentiel

Déjà le Tessin apprend, tout comme l’Italie et la France, à distinguer entre biens de consommation essentiels et non essentiels. Gageons que les Suisses Romands pourraient se mettre prochainement à cet apprentissage. Tout comme l’eau, l’air, le riz et les pâtes, la démocratie appartient de fait et de droit à nos biens les plus essentiels, sans lesquels tout s’arrête, au sens propre du terme.

Le journal radio suisse la 1ère annonçait ce matin qu’à Genève, «le parlement ne siégera plus jusqu’à nouvel avis» (min. 1.12-1.14), sans que cette décision ne soit annoncée comme accompagnée d’une réflexion sur des mesures transitoires à mettre en place. Au contraire, c’est avec fermeté et clarté qu’Isabelle Moret, présidente du Conseil National, expliquait ce matin dans ce même journal radio pourquoi la session parlementaire aura lieu demain : «Le parlement n’est pas une manifestation, nous sommes un lieu de travail. Les parlementaires vont à Berne pour travailler, et nous avons la possibilité, dans ce grand palais fédéral, de respecter les recommandations de l’Office fédéral de la santé»; et la politicienne d’expliquer que le parlement ne serait réuni physiquement dans son entier que pour de brefs moments de vote (min. 1.18-2.22).

Berne, palais fédéral; @ GNU GPL; auteur: Aliman5040; wikicommons

Il est capital que l’entier des partis politiques réalisent le bien-fondé de ce choix de la présidente. Le parlement serait sans doute également bien inspiré de réfléchir, pendant qu’il est encore réuni physiquement, à la mise en place d’une procédure intérimaire de débat et de vote virtuels, au cas où la situation d’urgence COVID-19 se prolongerait. La journaliste a conclu en son sujet en signalant que les votations du 17 mai étaient maintenues, précisant «pour l’instant, en tous cas» (min. 2.23-2.27). Considérer la démocratie comme un bien essentiel devrait impérativement nous conduire à tout mettre en oeuvre afin d’éviter un éventuel blocage de notre fonctionnement démocratique. Il repose en effet sur un rythme régulier et un débat constant.

Beaucoup d’entre nous relisent ces jours La peste d’Albert Camus : comme Soshana Felman l’avait si magistralement souligné en 1992, ce roman utilise la métaphore de la maladie et des attitudes de chacun/e pour illustrer la situation politique de la deuxième guerre mondiale [1]. Notre résistance au COVID-19 ne l’emportera qu’appuyée par un fonctionnement démocratique stable, qui sait s’adapter aux contraintes du présent, quoi qu’il advienne. Les paroles d’Albert Camus, citoyen Nobel, lors de son discours à Uppsala en 1957, résonnent de manière plus percutante que jamais : «Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse».

 

[1] Shoshana Felman, “Camus’ The Plague, or a Monument to Witnessing”, dans Reading the Past: Literature and History, Tamsin Spargo (éd.), Houndmills: Palgrave, 2000, p. 127-146 [réédition d’un texte publié en 1992 dans S. Felman – D. Laub, Testimony. Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, New York / Londres: Routledge, 1992, p. 93-119].

De la libre circulation, l’autre

Notre pays connaît un important débat politique, à l’approche des votations du 17 mai, sur la libre circulation des travailleurs européens. On ne saurait par trop souligner que monde des employeurs et monde des employés sont unis dans la discussion, et soutiennent avec vigueur cette libre circulation des travailleurs dont nous bénéficions tous économiquement. C’est toutefois de l’autre circulation libre, ou libérée, dont cet article de blog veut parler.

Un reportage du téléjournal de la RTS, mardi soir 25 février, faisait état de ce dont plusieurs d’entre nous ont sans doute déjà pris conscience : les CFF possèdent, via leur application et l’usage des QR-codes sur les abonnements, une immense banque de données sur nos déplacements. Le reportage s’intitulait : «Que connaissent les CFF de votre vie? En utilisant l’application, une immense banque de données est à disposition de l’entreprise» ; à l’heure où j’écris ces lignes, la vidéo ne semble pas accessible.

Source: http://bahnbilder.ch/picture/4148; auteurs: Kabelleger / David Gubler; CC BY-SA 3.0; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:SBB_Re_450_097_ZKB_Nachtnetz.jpg

Le reportage était courageux, mettant à la disposition de la réflexion du plus grand nombre de froides observations déjà faites par certains. On se demande, en l’état, que devient la « puissance du sujet », évoquée dans un billet de blog précédant, face à cette gestion algorithmique implacable.

Le reportage omettait toutefois un paramètre important : la liberté de mouvement demeure possible pour ceux qui ont une marge financière. Il suffit, tant que cela est encore possible, d’acheter un bon vieux billet CFF papier plein tarif, et le trajet ne sera répertorié nulle part. La libre circulation de nos personnes privées devient chaque jour davantage un luxe, monnayable. On ne peut dès lors que se réjouir de l’initiative du Luxembourg qui, dès ce premier mars, libère la circulation des personnes privées en rendant gratuit ses transports publics, et promeut, du même coup, la protection de l’environnement.

On observera aussi, avec humour noir, que le système de reconnaissance faciale qui quadrille la Chine est mis à mal par les simples masques papier en usage pour cause de coronavirus. Comme le souligne un article de la Tribune de Genève du 18 février dernier, « en quelques années, Pékin a mis en place l’un des réseaux de surveillance de masse les plus avancés au monde. Même les toilettes publiques de la capitale en sont équipées, pour lutter contre l’abus de papier WC, disent-ils. Pas plus de trois coupons par personne toutes les neuf minutes, c’est la règle, impossible d’y déroger ». Dès lors, « l’arrivée du masque ‘anti-Covid-19’, dont l’efficacité est toujours discutée, a donc révélé une faille de taille dans le Big Brother chinois. En temps normal, cette technologie de reconnaissance faciale peut identifier un citoyen en quelques secondes avec une précision de plus de 99,9%, explique le South China Morning Post. Selon les experts, le simple port d’un masque sanitaire peut réduire cette précision à 30%, ajoute le quotidien anglophone publié à Hongkong ».

Si le rire est bon pour la santé, on dira qu’en ce dimanche des malades, le coronavirus nous arrache un faible sourire à l’idée du masque papier qui contrecarre la surveillance presque millimétrée des citoyens chinois. Reste à décider ce que nous souhaitons ici pour la liberté de circulation de nos personnes privées dans les transports publics, et pour un choix clair en faveur de la protection du climat : amis luxembourgeois, chapeau bas !

Vers la contraception alternée : une manière de fêter le 1er février 1959 ?

Pour une fois, cédons à la modalité vaudoise du “y’en a point comme nous” : c’est une fierté d’appartenir au premier canton suisse où les hommes ont accordé démocratiquement le droit de vote aux femmes, le 1erfévrier 1959. Et ce d’autant plus que le dernier demi-canton suisse à le faire, Appenzell Rhodes-Intérieures, attendra 1990, et par décision du Tribunal fédéral.

Pendant ces quelque trente années se déroulait une révolution invisible, mais tout autant importante, et qui désigne aujourd’hui un lieu où l’égalité est encore à conquérir : la contraception. C’est en effet en 1960 que sera commercialisée aux Etats-Unis la première pilule orale contraceptive. En mai 1968 sera inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme des Nations Unies que «les couples ont le droit fondamental de décider librement et en toute responsabilité du nombre d’enfants qu’ils veulent avoir et du moment de leur naissance». Il est à relever que ce droit n’est aujourd’hui de loin pas respecté partout. Pour prendre deux exemples, après avoir drastiquement limité le nombre d’enfant à un par couple, la Chine s’apprête aujourd’hui à taxer les couples qui se limiteraient à un seul enfant. Quant à l’Eglise catholique romaine, elle n’a jamais admis l’usage de la susdite pilule.

Auteur: Béria L. Rodríguez @ Wikimedia Commons      © CC BY-SA 3.0

 

La contraception reste un lieu d’enjeux, de pouvoir et de tensions. Les premières suissesses, vaudoises notamment, à demander la pilule à leur gynécologue, au tournant des années septante, n’en recevaient souvent l’autorisation qu’après avoir mis dignement au monde deux enfants, m’ont raconté des aînées. Il a fallu beaucoup de temps pour que la mention de mai 68 dans la Déclaration des droits de l’Homme devienne un peu plus concrète dans le quotidien des vaudoises et des vaudois. Aujourd’hui, la contraception est encore et toujours un lieu d’inégalité. D’abord parce qu’à cette heure, ni la pilule, ni les préservatifs ne sont remboursés par les caisses maladies, alors que toute la société bénéficie de la régulation des naissances. Le parlement en discute régulièrement, à l’occasion notamment d’un projet de motion relayé par les médias à fin décembre : affaire à suivre.

L’égalité a mal à la pilule, dont plusieurs femmes relèvent l’effet de castration chimique. Ce médicament reste le souci d’un seul des deux partenaires hétérosexuels, sauf exception : il y a parfois des hommes qui proposent à leur partenaire de partager les frais contraceptifs, mais c’est rare. Il est d’usage que la femme « se débrouille » avec cette marque de sa condition, priée de ne jamais l’oublier, et d’éviter tout accident fâcheux. Et si la contraception pouvait devenir partagée, alternée, négociée entre les partenaires ? Les universités d’Edinburgh et de Manchester viennent de lancer un appel à couples prêts à tester un gel inhibant la production de sperme. C’est une vraie révolution en marche, si cela fonctionne.

Les hommes y ont certainement intérêt : les tests de paternité ne permettent plus aujourd’hui la marge de manœuvre d’antan. Et si tout médicament peut avoir des effets inconnus et à vérifier, il est simplement grand temps de partager la responsabilité contraceptive, des implications financières aux implications physiques. En écrivant ce blog, il me semble que la génération qui découvre l’âge adulte en ce moment sera vite prête à une gestion alternée de la contraception. Tout autant que les générations précédentes y auraient été réfractaires. C’est du moins mon vœu en hommage aux pionnières qui ont permis l’advenue du 1erfévrier 1959.

Ella, HeLa : parlons-nous tous la même langue ?

Nous sommes faits de contradictions : les avancées scientifiques et technologiques nous sidèrent et nous emmènent dans une tornade où nous craignons de perdre le souffle. En même temps, la culture générale, et plus encore l’enseignement de cette culture en milieu scolaire, fait peu de place à l’histoire des sciences. Au «langage des autres», ai-je envie de dire.

C’est par le hasard d’une excellente conférence qu’on trouve sur Youtube que j’ai réalisé l’homophonie existant en français entre le refrain que nous avons tous chantonné au moment du décès de France Gall, Ella, elle l’a, et le nom d’une autre femme résumé par l’accronyme HeLa.

La figure de l’artiste jazz américaine, Ella Fitzgerald, est on ne peut plus mise en valeur par le refrain simple mais persistant d’Ella, elle l’a, un phénomène qu’on peut pister jusqu’au cheesecake «Ella» à déguster dans un Montreux Jazz Café. Tout au plus aurons-nous eu une pensée pour Ella Maillard et ses incroyables périples aventureux, en fredonnant la rengaine de la chanteuse française juste décédée. Mais combien d’entre nous aurons pensé à HeLa, soit l’abbréviation d’Henrietta Lacks ?

Plaque en mémoire d’Henrietta Lacks, Wikicommons, CC BY-SA 3.0; auteur: Emw.

Et pourtant, lorsque le professeur Amos Bairoch, co-directeur du groupe CALIPHO à l’Institut Suisse de Bioinformatique, commence à parler d’HeLa dans la conférence adressée à son groupe, il s’exclame : «Bien sûr, vous connaissez tous HeLa !» (26min50 de la vidéo). Puis il rappelle dans les minutes qui suivent la figure d’Henrietta Lacks qui aura donné à la science la première lignée cellulaire cancéreuse, dite lignée cellulaire (cell line) «immortalisée», selon la page Wikipedia anglophone : ces cellules «ont permis en particulier la mise au point du vaccin contre la poliomyélite et une meilleure connaissance des tumeurs et des virus, ainsi que des avancées comme le clonage ou la thérapie génique», nous précise la page Wikipedia francophone consacrée à Henrietta Lacks.

Jusque-là, rien à signaler, semble-t-il, sauf que le consentement d’Henrietta Lacks – notion non existante pour ce type de recherche en 1951 – n’a pas été demandé à l’époque, au grand dam de sa famille qui n’en prendra conscience que bien plus tard. Il en est resté un malaise et un méli-mélo juridique. Quant à la notion de consentement, elle mettra encore du temps à se mettre en place, comme le raconte Amos Bairoch. De fait, pour ce qui concerne la famille d’Henrietta Lacks et la cell line HeLa, l’affaire n’est toujours pas terminée (29min39-44). Un film a contribué en 2017 à faire connaître son histoire, The Immortal Life of Henrietta Lacks. Les réflexions de la famille se poursuivent.

L’histoire (des sciences) de HeLa se révèle donc une riche matière à réflexion, et vaut comme parabole de notre impression d’entrer dans les avancées scientifiques sans toujours savoir où elles pourraient nous mener. Il est bien sûr douloureux pour une famille de constater qu’on ne lui a pas demandé son avis avant d’utiliser les données médicales d’un proche… Mais on peut aussi considérer l’histoire d’HeLa comme une invitation à penser ce que nous voulons faire des quelques dizaines de kilos de chair qui nous sont impartis pour la brève durée de notre vie d’humain. On sait combien on manque encore en Suisse de dons d’organes aux moments critiques : et si l’histoire d’HeLa nous motivait à prendre notre part, d’une manière ou d’une autre, à l’amélioration de la santé d’autrui ? Et avec notre consentement ?

La chanson Ella, elle l’a prend, à cette aulne-là, une toute autre résonnance : HeLa est là, et nous devons toute notre reconnaissance à Henrietta Lacks pour les progrès faits avec le souvenir de son corps, dans les cell lines. Ella, HeLa : de l’avantage d’apprendre à parler le language des autres, pour réaliser que l’histoire des sciences de la vie, c’est la nôtre, celle de notre être humain.

Le film “L’ordre divin” pour mettre en ordre notre mémoire collective

Cela fait donc 46 ans que la moitié de notre population a accordé à l’autre le droit de vote sur le plan national. C’est avec finesse, brio et humour que le film L’ordre divin raconte la mémoire de ces semaines incroyables de 1971, via le personnage de Nora, une femme d’un village suisse allemand, comme tant d’autres. Mais elle ose se confronter au discours social et ecclésial sur «l’ordre divin» qui serait assigné à la femme.

On ira voir ce film entre copines, en couple, avec sa mère, sa fille, seul(e). On en ressortira un peu silencieux, car à plus d’un moment, on ne sait pas toujours si on nous parle de 1971 ou de 2017. En effet, il y a encore fort à faire pour continuer à rendre paritaire les relations hommes-femmes en Suisse.

Par-delà la tarte à la crème de l’égalité salariale, on pensera au congé paternité qui tente une timide percée via une initiative raisonnable, et à l’attente sans doute encore longue de l’introduction de l’imposition individuelle, respectueuse de l’autonomie des parcours de vie. Et que dire du fait que la pillule contraceptive ne soit toujours pas remboursée par l’assurance maladie, alors qu’elle sert l’entier de la population, et non seulement la moitié. De même, l’Office Fédéral de la Santé a dû réclamer longtemps que «la vaccination contre les HPV [s’adresse] à tous les adolescents âgés de 11 à 14 ans». Jusqu’au 30 juin 2016, seules les jeunes filles peuvent se la voir rembourser, alors même que «70 à 80 % des femmes et des hommes sexuellement actifs sont infectés au moins une fois dans leur vie par ces virus». Voici un progrès dont on se réjouira, mais un intense travail d’information se révèle nécessaire.

C’est sur toutes ces questions que l’égalité doit continuer à être établie, pas à pas. Elle a aussi à faire sa place dans la mémoire historique : pour commémorer les 500 ans de la Réformation, l’Office protestant d’éditions chrétiennes (OPEC), éditeur des réformés romands, a publié un jeu pour enfants dès 10 ans composé exclusivement de figures masculines. Et pourtant Marie Dentière, réformatrice contemporaine de Calvin, a son nom gravé sur le mur des Réformateurs à Genève. Plusieurs théologiennes et femmes protestantes essaient de la faire sortir de l’ombre, telle la conteuse Isabelle Bovard.

Donner son plein espace aux voix des femmes est pourtant un facteur d’innovation culturelle et scientifique. La professeur Londa Schiebinger, qui a fondé à l’Université de Standford en 2005 l’institut d’innovations par le genre, a donné une conférence à l’Université de Genève le 30 juin dernier, où elle a livré en avant-première les résultats d’une enquête saisissante : plus une université fait place à l’innovation, plus elle tend à augmenter le nombre de femmes qui travaillent en son sein (voir 5min12 à 5min33 de l’interview). Les deux questions sont corollaires, sans qu’il ne soit encore possible d’établir de lien de cause à effet. C’est à ce point que nous en sommes : vivre la parité et développer une société innovante sont certainement des corollaires. A nous de tisser des liens de causalité entre ces deux dimensions.

Décoder le livre de la vie : des personnes et de la médecine

La génomique n’hésite pas à solliciter le livre comme métaphore pour penser l’écriture de l’ADN : le colloque Wright 2016 a été placé sous le slogan «décoder le livre de la vie». L’impact symbolique

@ C. Clivaz; colloque Wright 2016, Genève, 8 novembre
@ C. Clivaz; colloque Wright 2016, Genève, 8 novembre

de l’expression a été souligné par l’un des conférenciers, Peter Sloterdijk, rappelant dans les pixels du Temps qu’on a souvent considéré que «Dieu écrivait le monde», et que «chez les généticiens, il y a une intuition spontanée, presque irrésistible, à parler du travail sur le génome comme d’une ‘écriture’». Il en va donc encore une fois de «l’écriture au risque du code».

De fait, le «livre de vie» est une expression issue du livre biblique de l’Apocalypse, aux allures plutôt inquiétantes : le livre de vie, on peut en être effacé (Ap 3,5), et un «étang de feu» est promis à ceux qui en seraient retirés (Ap 20,15), selon le langage imagé de ce récit digne des plus belles scènes du Seigneur des anneaux. Proclamer qu’on décode le livre de (la) vie pourrait donc trahir en négatif notre crainte profonde devant cette génomique apprentie sorcière. Conférencier du 8 novembre, Michael Snyder nous disait avec humour que nous pourrions «tous devenir hypocondriaques» avec les possibilités qui s’offrent à nous de connaître notre patrimoine génétique, bientôt dès la naissance, précisait-il.

Alors que les américains étaient en train de voter, Snyder a su donner à son auditoire la mesure du gigantisme des données accumulables à propos d’un seul individu : sur 10 trillons de cellules humaines et 100 trillons de bactéries (l’individu «noir de monde» pour reprendre Alain Bashung !), tout semble mesurable en nous désormais. Et je songeais que nous troquions allégrément l’adage du philosophe antique Protagoras, «l’homme est la mesure de toute chose» pour en arriver à «l’homme est mesurable en toutes choses»… sans savoir encore ce qui nous sera réellement profitable dans l’aventure. On a le droit de prendre la mesure de ce gigantisme, un sentiment que Frédéric Schütz nous communique clairement dans un eTalk sur la médecine personnalisée : il faudrait publier le journal Le Temps pendant quinze ans pour rendre accessible sous ce format le code génétique d’une seule personne, explique-t-il !

Décoder le génome, vouloir la médecine encore plus personnalisée qu’avant, conduit à de multiples réflexions, et en tous les cas à repenser encore le concept de «personne». Si un individu peut être traduit comme un ensemble de 10 trillons de cellules humaines et 100 trillons de bactéries, n’y a-t-il finalement plus «personne» dans cette personne ? La question philosophique de la personne aujourd’hui est posée par Jean-Paul Fragnière à l’Université de Fribourg en décembre prochain : «Y a personne ?! La personne dans la pensée d’Emmanuel Lévinas». Je ne suis pas sûre que les avancées génomiques seront convoquées dans cette conférence, au demeurant sans doute passionnante. Il est pourtant temps de réunir les discours, puisque l’humanisme est radicalement décentré via la génomique : l’homme n’est plus la mesure de toutes choses, il devient mesurable en toutes choses, sans être assuré de demeurer mesuré.

La semaine prochaine va s’ouvrir sur le campus EPFL le salon planète santé, riche de mille événements. Si l’on cherche sur son site le terme de «philosophie», on ne le trouvera toutefois mentionné qu’une fois à propos de la Fédération Romande des Consommateurs qui rend compte de sa propre philosophie. Espérons que l’an prochain, un Jean-Paul Fragnière ou d’autres philosophes seront associés aux débats sur la santé, pour rassembler les discours sur la personne, à l’heure où il devient de plus en plus évident que nous avons tous besoin de (re)faire nos «humanités».