Vers la contraception alternée : une manière de fêter le 1er février 1959 ?

Pour une fois, cédons à la modalité vaudoise du “y’en a point comme nous” : c’est une fierté d’appartenir au premier canton suisse où les hommes ont accordé démocratiquement le droit de vote aux femmes, le 1erfévrier 1959. Et ce d’autant plus que le dernier demi-canton suisse à le faire, Appenzell Rhodes-Intérieures, attendra 1990, et par décision du Tribunal fédéral.

Pendant ces quelque trente années se déroulait une révolution invisible, mais tout autant importante, et qui désigne aujourd’hui un lieu où l’égalité est encore à conquérir : la contraception. C’est en effet en 1960 que sera commercialisée aux Etats-Unis la première pilule orale contraceptive. En mai 1968 sera inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme des Nations Unies que «les couples ont le droit fondamental de décider librement et en toute responsabilité du nombre d’enfants qu’ils veulent avoir et du moment de leur naissance». Il est à relever que ce droit n’est aujourd’hui de loin pas respecté partout. Pour prendre deux exemples, après avoir drastiquement limité le nombre d’enfant à un par couple, la Chine s’apprête aujourd’hui à taxer les couples qui se limiteraient à un seul enfant. Quant à l’Eglise catholique romaine, elle n’a jamais admis l’usage de la susdite pilule.

Auteur: Béria L. Rodríguez @ Wikimedia Commons      © CC BY-SA 3.0

 

La contraception reste un lieu d’enjeux, de pouvoir et de tensions. Les premières suissesses, vaudoises notamment, à demander la pilule à leur gynécologue, au tournant des années septante, n’en recevaient souvent l’autorisation qu’après avoir mis dignement au monde deux enfants, m’ont raconté des aînées. Il a fallu beaucoup de temps pour que la mention de mai 68 dans la Déclaration des droits de l’Homme devienne un peu plus concrète dans le quotidien des vaudoises et des vaudois. Aujourd’hui, la contraception est encore et toujours un lieu d’inégalité. D’abord parce qu’à cette heure, ni la pilule, ni les préservatifs ne sont remboursés par les caisses maladies, alors que toute la société bénéficie de la régulation des naissances. Le parlement en discute régulièrement, à l’occasion notamment d’un projet de motion relayé par les médias à fin décembre : affaire à suivre.

L’égalité a mal à la pilule, dont plusieurs femmes relèvent l’effet de castration chimique. Ce médicament reste le souci d’un seul des deux partenaires hétérosexuels, sauf exception : il y a parfois des hommes qui proposent à leur partenaire de partager les frais contraceptifs, mais c’est rare. Il est d’usage que la femme « se débrouille » avec cette marque de sa condition, priée de ne jamais l’oublier, et d’éviter tout accident fâcheux. Et si la contraception pouvait devenir partagée, alternée, négociée entre les partenaires ? Les universités d’Edinburgh et de Manchester viennent de lancer un appel à couples prêts à tester un gel inhibant la production de sperme. C’est une vraie révolution en marche, si cela fonctionne.

Les hommes y ont certainement intérêt : les tests de paternité ne permettent plus aujourd’hui la marge de manœuvre d’antan. Et si tout médicament peut avoir des effets inconnus et à vérifier, il est simplement grand temps de partager la responsabilité contraceptive, des implications financières aux implications physiques. En écrivant ce blog, il me semble que la génération qui découvre l’âge adulte en ce moment sera vite prête à une gestion alternée de la contraception. Tout autant que les générations précédentes y auraient été réfractaires. C’est du moins mon vœu en hommage aux pionnières qui ont permis l’advenue du 1erfévrier 1959.

Claire Clivaz

Claire Clivaz est théologienne, Head of DH+ à l'Institut Suisse de Bioinformatique (Lausanne), où elle mène ses recherches à la croisée du Nouveau Testament et des Humanités Digitales.

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