Les combattants de l’oubli

En train de travailler sur un livre réunissant plusieurs auteurs, traitant du crime de guerre, il me semblait intéressant d’ouvrir la perspective, purement historique, à des événements de notre temps. Aussi, me suis-je intéressé au conflit en cours au Proche-Orient et à la montée en puissance de l’État islamique. La démarche adoptée est toutefois celle d’un journaliste que je ne suis pas, raison pour laquelle, peut-être, l’interview que j’ai eu la chance de faire d’un combattant kurde n’emprunte-t-elle pas les voies les plus usuelles de la discipline !

Alors que l’Europe n’en finit pas de supputer sur le devenir de son union et de ses relations avec la Grèce, le procureur général d’Égypte, il y a près d’une semaine, était tué dans une attaque à la bombe. Le lendemain, des rebelles extrémistes attaquaient des cibles militaire et policière dans le Sinaï, entraînant une réponse armée quasi immédiate de la part du gouvernement égyptien, lequel allait s’estimer de facto en état de guerre.

Avec maintenant un front méridional dans le Sinaï, et un front septentrional aux limes de la Turquie, pilonné à l’intérieur, à Raqqa, par l’aviation – on aimerait dire alliée – l’État islamique, nommé également ISIS ou Daech, semble être partout, en expansion dans certains territoires, endigué dans d’autres, s’inféodant des seigneuries de haine et de guerre réclamant la Charia comme Boko Haram, lançant des fatwa contre les pyramides de Gizeh, ou provoquant des factions ennemies comme le Hezbollah. Jusqu’aux actions terroristes menées en Europe contre Charlie Hebdo en janvier dernier, et plus récemment dans l’Isère, ou encore en Tunisie, qui s’inscrivent dans ce cadre propagandiste de peur et d’horreur !

Il y a dans cette guerre, dans cette croisade de la pensée unique et de l’obscurantisme crasse, un certain nombre de questions qui ne trouveront sans doute jamais de réponses. Faut-il croire Graeme Wood qui déclare dans son article « What ISIS Really Wants » en mars de cette année, dans le très réputé magazine américain The Atlantic, que The Islamic State is no mere collection of psychopaths… It is a religious group with carefully considered beliefs, among them that it is a key agent of the coming apocalypse. Here’s what that means for its strategy—and for how to stop it  [1]? Une secte millénariste qui entend faire régner sur le monde les doctrines du chef de guerre de la tribu de Quraych…, il y a 1’400 ans. Vraiment ?

Mais, quel est l’origine de l’avènement de ce qu’il faut bien reconnaître comme un pouvoir, fondé sur l’intolérance et le dogme ? Quels sont les rouages de la machinerie finançant ISIS ? Quels sont les relais discrets et policés en Occident de cette leptospirose religieuse ? Quels sont les armes, notamment de destruction massive, à disposition de ceux qui entendent faire du parlement européen de Bruxelles une madrasa, et de Buckingham Palace une mosquée ?

Nous pourrions également nous demander ce que les combattants, qui s’opposent quotidiennement aux djihadistes, pensent de cette invasion barbare. Leur compréhension des faits est-elle si éloignée de la nôtre, n’ont-ils pas une perspective faussée, ou au contraire plus juste, sur les tenants et aboutissants de ce conflit ?

Au moment où j’écris ces lignes, il est 23h sur la ligne de front syrienne et le ciel est clair. Et abrité derrière un muret, un Peshmerga a pris son tour de garde et scrute un paysage ruiné, attentif aux éventuels mouvements, ou au pâle reflet de la lune renvoyé sur une lunette de visée pouvant trahir un djihadiste embusqué. Le silence est lourd, et seuls les démineurs à quelques centaines de mètres derrière la ligne rouge s’affairent encore. Accroupi à côté de son frère d’armes faisant sentinelle, S.K. essuie la sueur et le sable qui maculent son visage en tapotant sur le clavier de son téléphone portable. Dans son enfer, il interrompt son combat pour répondre aux questions que je vais lui poser. Une interview via Facebook, rendue possible grâce à l’intervention de tiers comme H.H. évoluant dans les eaux d’ONG, de reporters de guerre et de militaires de carrière. Les personnes intéressées se reconnaîtront !

S.K. est Kurde et Peshmerga, un guerrieros de 29 ans en lutte contre les forces hostiles à la survie de son peuple, engagé depuis plusieurs mois dans la bataille opposant Kurdes et djihadistes de l’État islamique aux confins de la Syrie, de l’Irak et de la Turquie, dans une zone de front mouvante, minée, soumise aux attaques éclaires, une région parmi les plus dangereuses de la planète à l’heure actuelle.

S.K. accepte donc de se soumettre à mes questions en répondant dans un anglais relativement bon, des réponses que je retranscris à la lettre et à l’erreur prêt par souci d’éthique, et pour lesquelles je propose une traduction française :

 

–          Qui êtes-vous en quelques mots ? Et votre famille ?

–          I am S.K. and I am live in duhok city in kurdistan north Iraq.

–          (Je suis S.K et je vis à Duhak, au Kurdistan, dans le nord de l’Irak)

 

–          Depuis quand êtes-vous engagé dans le combat contre ISIS ?

–          I am not in any of our troops. I personally started when this began in my peoples land.

–          (Je n’appartiens pas à une troupe [régulière]. J’ai commencé à combattre lorsque ISIS est arrivé sur la terre de mon peuple)

 

–          Pensez-vous pouvoir contenir l’avancée d’ISIS dans votre zone ?

–          With correct weapons and continued support from other countries yes. However, our weapons are very old and we do not have heavy weapons like tanks…. believe me if arming the Peshmerga our troops will smash ISIS evrey part in Iraq and Syria.

–          (Avec des armes corrects et un support continu des autres pays, oui. Cependant, nos armes sont vieilles et nous n’avons pas d’armes lourdes comme des tanks. Crois-moi, en armant les Peshmergas, nos troupes écraseront ISIS dans chaque coin d’Irak et de Syrie)

 

–          Les victimes sont-elles nombreuses dans les deux camps ?

–          Yes many Peshmerga were martyred And also civilians…more than 1500 martyred only Peshmerga and YPG i dont know correctly and overt than 10000 injured also.

–          (Oui, de nombreux Peshmergas ont été suppliciés, ainsi que des civils…. Plus de 1'500 uniquement parmi les Peshmergas. Quant aux soldats d’YPG [Unités de protection du peuple : forment la branche armée du Parti de l’Union démocratique. Effectifs estimés entre 35’000 et 65’000 combattants, dont environ 40% de femmes], je ne sais pas exactement et ils pourraient être plus de 10'000 blessés)

 

–          Beaucoup de réfugiés ? Ont-ils de quoi se nourrir?

–          there are so many camps full. They go days without water… they also do not have electricity for most of the day… there are not many doctors or nurses. Now, the economy is bad… some can not afford to go even if there were enough. There is also a great need for medicine. Over than 2 milion refugees live in Kurdistan.

–          (Il y a tellement de camps. Ils n’ont pas d’eau durant des jours, ni d’électricité la grande majorité du temps… Il y a peu de médecins ou d’infirmières. Maintenant, l’économie est mauvaise. Certains ne peuvent plus partir même s’ils en avaient les moyens. Il y a également de gros besoins en médicaments. Il y a plus de deux millions de réfugiés au Kurdistan)

 

–          Y-a-t-il beaucoup d’Occidentaux dans les rangs d’ISIS ? Et dans les rangs de l’YPG et des Peshmerga ?

–          There are over 450 western fighters that joined kurdish forces and we are a proud of that lions. The number of western fighters for isis is still unknown due to sleeper cells and not all report they have joined isis. Many sons of Russia, France, Canada and Britain, Chechnya or Arab countries joined this organization.

There are many isis members hiding in refugee camps, in other countries and among civilians here. They are waiting for their call or time to attack. They can either attack where they are or they may be told to rise and come to iraq / syria/ turkey… also Many military experts from Western countries joined this organization

–          (Plus de 450 combattants occidentaux ont rejoint les forces kurdes, et nous sommes fiers de ces lions. Le nombre de combattants occidentaux qui ont rallié ISIS est toujours inconnu à cause des cellules dormantes qui n’indiquent pas leur appartenance à ISIS. Il y a beaucoup de fils de la Russie, de France, du Canada, d’Angleterre, de Tchétchénie et des pays arabes qui ont rejoint cette organisation.

De nombreux membres d’ISIS sont cachés dans les camps de réfugiés, dans les autres pays et ici, parmi les civils. Ils attendent qu’on les appelle ou le bon moment pour attaquer. Ils peuvent soit passer à l’action à l’endroit où ils se trouvent, soit attendre de parvenir en Irak, en Syrie, en Turquie, etc…. Également de nombreux experts militaires des pays occidentaux ont rejoint cette organisation)

 

–          Des experts militaires occidentaux dans les rangs d’ISIS?

–          Military experts from the Soviet Union and France

–          (Des experts militaires d’Union soviétique et des Français)

 

–          Avez-vous abattu certains de ces experts occidentaux appartenant à ISIS?

–          we killed many People of Western countries near Mosul, German and French and Chechen and Russia. Many sons of the West joined this organization. They are not a normal person. Even the photographer and film director. According to a report are veterans. Mostly from the Soviet Union. So many sons of Westerners ready to commit suicide himself.

–          (Nous avons tué de nombreux Occidentaux vers Mossoul, des Allemands, des Français, des Tchétchènes et des Russes. De nombreux fils de l’Occident ont rejoint cette organisation. Ce ne sont pas des personnes normales. Même les photographes et les reporters. Selon un rapport, ce sont des vétérans. Pour la plupart d’Union soviétique. Il y a tellement de fils de l’Occident qui sont prêt à se suicider)

 

–          Avez-vous capturé des Occidentaux se battant pour ISIS ?

–          Yes, we have many prisoners of the Islamic State of terrorists. i dont know about Westerners prisoners. They never give up blowing himself up. When they attacks on our troops They do not know way how out of this. Any prisoner of terrorists Does not come out, you know their fate

–          (Oui, nous avons beaucoup de prisonniers. Je ne sais pas ce qu’il en est à propos de prisonniers occidentaux. Ils ne renoncent jamais à se faire exploser. Lorsqu’ils attaquent nos troupes, ils ne savent pas comment faire pour s’en tirer. Quant aux prisonniers d’ISIS, ils n’en reviennent pas, vous connaissez leur destin)

 

–          Trouvez-vous des drogues de combat sur les djihadistes? Les Kurdes utilisent-ils également des drogues de combat ?

–          isis has full drug. when they prepare for attacks, they eating drug then they fighting without scares. we killed many isis near mosul and kirkuk the drug already ih the pocked them. Perhaps brainwashed Or drunk and think they are going to heaven.

Kurds are against drugs. If they are on any drugs and the commander finds out they will be removed from the force

–          (ISIS utilise beaucoup de drogues. Lorsqu’ils se préparent à une offensive, ils consomment des drogues et se battent alors en oubliant leur peur. Nous avons tués de nombreux djihadistes vers Mossoul et Kirkuk, avec de la drogue dans leurs poches. Ils ont peut-être subi un lavage de cerveau ou sont sous l’effet de l’alcool et pensent qu’ils vont au paradis.

Les Kurdes sont opposés aux drogues. Si des Peshmergas devaient détenir de la drogue, et que les officiers venaient à le savoir, ils seraient retirés de l’unité)

 

–          Que pensez-vous de la réaction de l’Europe ou des États-Unis face à ISIS ?

–          Actually i dont know what i say about them. They are showing to be cowards.

–          (En fait, je ne sais pas quoi dire. Ils démontrent leur lâcheté)

 

–          Pensez-vous être assez soutenus dans votre combat ? De quoi avez-vous besoin ?

–          only heavy weapons.

–          (Seulement des armes lourdes)

 

–          Il semblerait que les Kurdes aillent capturé des villes à proximité de Kobané et de ses régions périphériques ?

–          Yes right now YPG on border raqqa…. and American advisor here

–          (Oui, YPG est maintenant à proximité de Raqqa…. Et un conseiller américain ici ???)

 

–          Selon vous, qui contrôle et organise ISIS ?

–          actually 75% people here say this is all the game. and nobody understand how to easy control big city… The former dictatorial regime, mostly from the Sunni people. They want to return the Authority. Because terrorism only within the Sunni cities. Former Iraqi army officers running this organization.

–          (En fait, 75% des gens ici disent que c’est le fonds du problème. Et personne ne comprend comment il est si facile de contrôler les grandes villes. Ce serait l’ancien régime dictatorial, composé majoritairement de Sunnites qui veulent le retour de leur autorité. Le terrorisme n’est d’ailleurs actif que dans les villes sunnites. D’anciens officiers de l’armée irakienne dirigent cette organisation.)

 

–          Pensez-vous qu’ISIS possède des armes de destruction massive ?

–          Yes isis using against Peshmerga. i have video. Gas 

i think three times using chemical weapons. in kobane also. The result of this organization appeared strongly because of the failed Iraqi army…also new US weapons. Advanced US weapons Thousands of tanks and armored vehicles, machine guns, rocket-propelled .. When the Iraqi army withdrew from the city This left a huge amount for terrorists. in the ramadi city same scenario. Iraqi army withdrew 80 000 troops from within the intelligence and police forces in the city of Mosul.

u have to get answers about iraqi army why always left weapons to isis.. they fight like cowards always flee in the war. 6000 slodeirs flee against 150 isis in ramady city. 8000 soldeirs flee agaisnt 300 isis in mosul. ISIS could be a secret part of iraki army, may be. And all these people make us a big show.

–          (Oui, ISIS utilise [des armes de ce type] contre les Peshmergas. J’ai une vidéo. C’est du gaz. Je pense que des armes chimiques ont été utilisées à trois reprises. À Kobané également. Les résultats d’ISIS semblent importants puisque l’armée irakienne a échoué. [ISIS a également] de nouvelles armes américaines, des armes américaines modernes, des milliers de tanks et de véhicules blindés, des mitrailleuses, des rockets. Lorsque l’armée irakienne s’est retirée de la ville, les terroristes ont mis la main sur une grande quantité d’armes. À Ramadi, le scénario a été le même. L’armée irakienne s’est retirée de la cité de Mossoul avec 80'000 hommes, [dont notamment] des services de renseignements et de la police.

Tu dois avoir des réponses sur les raisons pour lesquelles l’armée irakienne laisse toujours autant d’armes à ISIS. Ils se battent comme des lâches et fuient systématiquement les combats. 6'000 soldats ont fui devant 150 djihadistes à Ramadi. 8'000 soldats ont fui face à 300 djihadistes à Mossoul. ISIS pourrait être une faction secrète de l’armée irakienne, et tous ces gens nous montent un grand spectacle)

 

–          Pensez-vous que la Turquie pourrait intervenir prochainement en Syrie contre les Kurdes ?

–          Yes i know if turkey try to enter kurdish lands. urkey will be burn. we have 30 million people there

–          (Oui, je sais que si les Turcs essayent de rentrer en territoire kurde, ils seront [brûlés]. Nous avons 30 millions de personnes sur ces territoires)

 

–          Savez-vous que des djihadistes ont attaqué l’armée régulière égyptienne dans le Sinaï et que l’aviation des forces de coalition a bombardé Raqqa il y a trois jours ?

–          Yea im aware. Strikes coalition forces will not affect. Because the Islamic state advanced more.

–          (Oui, j’en ai conscience. Les attaques des forces de la coalition n’auront pas d’effet car ISIS a encore avancé)

 

–          Que pensez-vous des destructions de sites historiques commis par ISIS ?

–          of course we are against that Because destroys civilization. they are not muslim. they are Barbarians.

–          (Bien entendu nous y sommes opposes car cela revient à détruire la civilisation. Ce ne sont pas des Musulmans, ce sont des barbares)

 

–          Et l’Iran ?

–          have revenge on Sunnis It is to create problems between the people and their components.

–          ([L’Iran] a sa revanche sur les Sunnites en créant des problèmes entre les peuples et leurs composants)

 

Divers

–          if u ask the people in iraq they will say we saw Receiving aircraft weapons to terrorists. Certainly all the Arab states in secret. Some people say Israel and American support isis with respect to this states. i dont think so US do that. US help the kurds. and we love USA. We love Western countries. only arab and iraqi government and iran also.

Weapons never arrived to us as promised. Many weapons are held up in baghdad. ISIS has iraqi army weapons and US weapons… And Isreal, They are helping Kurds.

As far as US. I do not suspect they are supporting ISIS. If they are.. americans will be angry. Also, why would they support ISIS and help us via Air strikes?

–          (Si tu demandes aux gens en Irak, ils te diront que nous avons vu les terroristes recevoir des armes anti-aériennes, certainement par les États arabes, en secret. Certaines personnes disent qu’Israël et les USA soutiennent ISIS, avec tout mon respect pour ces pays. Je ne pense pas que les USA fassent cela. Les USA aident les Kurdes et nous aimons les USA. Nous aimons l’Occident. Seuls les Arabes, le gouvernement irakien ainsi que l’Iran [créent le problème].

Les armes que l’on nous avait promises ne nous sont jamais parvenues. Beaucoup d’armes ont été retenues à Bagdad. ISIS a mis la main sur les armes de l’armée irakienne et américaine. Quant à Israël, ils aident les Kurdes.

Quant aux USA, je ne les suspecte pas de soutenir ISIS. Si cela était, les Américains seraient en colère. Et aussi, pourquoi supporteraient-ils ISIS tout en nous aidant avec des frappes aériennes ?)

 

–          Quels sont vos espoirs ?

–          Why the media not talking about this war? I hope Western media is talking about the situation of the Kurdish and refugees and support our troops

–          (Pourquoi les medias ne parlent-ils pas de cette guerre. J’espère que les medias occidentaux parleront de la situation des Kurdes et des réfugiés, et supporteront nos troupes)

 

….

 

Engagé physiquement dans les combats, défendant son peuple et informé sans doute partiellement, S.K. nous livre son avis personnel. Il convient dès lors de conserver une certaine retenue quant à l’impartialité de ce témoignage, mais peut-il véritablement en aller différemment de tout témoignage ?

Cela étant, les renseignements qu’il donne résonnent avec une sincérité étonnante et peuvent être recoupés en large partie par d’autres sources. Sous-armés, délaissés par les medias occidentaux, assistant à une marée de réfugiés nécessitant des secours, enregistrant des pertes dans leurs rangs, les Peshmergas sont plongés dans une guerre particulièrement cruelle, chargée de son lot d’ambiguïtés, mêlant fascisme religieux, récupération d’armes américaines, vétérans irakiens et ex-officiers du parti Baas, experts militaires étrangers de tous bords, et Occidentaux pris en otage entre une idéologie fantasmée et un asservissement narcotique. Une forme d’assujettissement qui n’est pas sans rappeler la secte des Assassins active dans ces régions au XIIIème siècle.

Il en ressort surtout que si la composante religieuse de ce conflit en est l’un des axes, les appétits de pouvoir et de revanche en constituent sans doute le moteur le plus puissant.

 


[1] Carool Kersten, “The Caliphate in the Modern Muslim World: Political Ideal or Quranic Metaphor?”, Brais Conference, 13 avril 2015, King’s College London.

 

La Tonlieu de Genève

Au Moyen-âge, les taxes et impôts relevaient d’une complexité extraordinaire tel évêque pouvant lever un droit sur une rue pour certaines activités, et tel baron pour d’autres. L’imposition de passages stratégiques pour l’économie locale, comme un pont par exemple, excitait toutes les convoitises.

Droit de pontonage, dîme, droit d'albergue, fouage, gabelle, champart, mainmorte, taille, octroi, formariage, droit de cornage, cens et tonlieu n’en sont que quelques exemples dont les états modernes se sont inspirés pour établir leur fiscalité en créant impôts de succession, TVA, émoluments divers et variés, taxes multiples et impositions.

La Constitution helvétique de 1848 allait abolir un certain nombre d’entraves pour permettre au pays de se développer et faciliter la vie des Suisses entre les cantons. Elle allait notamment proscrire les péages, un avatar des tonlieus médiévales[1] que les seigneurs locaux de jadis prélevaient aux passages de marchands et de voyageurs.

Mais voilà qu’à présent les « Magnifiques Seigneurs » de Genève laissent entendre la future levée d’une nouvelle tonlieu à l’entrée de leur cité, sous-entendant l’obtention d’une dérogation fédérale pour ce faire. Une singularité qui pourrait faire office de jurisprudence permettant dès lors aux « seigneurs » voisins de faire de même si l’envie leur en prenait.


[1] Bruno Dumézil, Servir l'État barbare dans la Gaule franque. IVe-IXe siècle, Tallandier, 2013

 

Le temps de la guerre est-il arrivé ?

Le temps de la guerre est-il arrivé ? C’est du moins ce que de nombreuses personnes craignent ou espèrent, suivant l’avis de certains medias. L’Occident répondra-t-il aux provocations répétées des criminels islamistes, en vengeant les victimes sacrifiées sur l’autel d’un odieux marketing terroriste ? Nul ne le sait encore, mais il est clair que ces nouveaux barbares continueront cet immonde commerce jusqu’au point de rupture qu’ils recherchent. À moins que…, les rouages qui demeurent dans l’ombre de cette machine à tuer se grippent.

Pour le moment, la bête avance, étendant son pouvoir, inspirant des fous dépourvus de raison d’être, des paumés trouvant plus faciles de tuer en se mettant au service d’une croisade qu’ils estiment légitime, des maudits qui auraient pu tout autant revêtir l’uniforme des Waffen SS il y a 70 ans.

La comparaison est aisée. Il en est une autre qui pourrait être faite : l’inaction de la SDN dans les années 30 face à la montée du régime hitlérien, dont les intentions étaient pourtant évidentes, et l’incapacité des nations contemporaines d’apporter une solution à la crise enflant depuis des mois, si ce n’est des années. Et que dire des réfugiés fuyant les terres occupées par la terreur ? Quelle soit nazie ou islamiste, la menace est la même, et conduit sur les chemins de l’espoir, ou du désespoir, des malheureux par milliers.

Les historiens pourront ergoter durant un temps sur les conséquences de la colonisation ou de la décolonisation, les sociologues sur les fonctionnements tribaux des ethnies du Proche-Orient, et les politologues sur les engrenages stratégiques de mouvances multiples et obscures, ils ne feront là que leur métier en tentant d’expliquer les raisons d’une situation de faits. Mais comment comprendre la passivité, ou du moins l’absence de réactions efficaces, des gouvernements démocratiques face à l’indicible que nul ne peut nier ? Serait-ce que la guerre, que personne ne veut livrer, constitue la seule alternative, le prolongement, à en croire Clausewitz, de la politique par d'autres moyens ? Encore faut-il que politique et diplomatie il y ait ! Machiavel l’écrivait il y a 500 ans déjà « le prince doit faire le bien s’il le peut et entrer dans le mal s’il le faut ». Il semblerait toutefois que nos princes contemporains soient tout autant incapables de l’un comme de l’autre ! 

Les enfants belges de 14-18 réfugiés en Suisse tirés de l’oubli

Le 4 octobre 2014, la plaque commémorative « Mary Widmer-Curtat » était inaugurée à Lausanne au pied de la statue « La Belgique reconnaissante » en présence de M. Daniel Brélaz, syndic de Lausanne, de l’ambassadeur de Belgique à Berne Frank Recker et de la Consule générale de Belgique Danielle Haven.

Il fallait toutefois un livre pour rappeler un pan d’histoire qui, il y a quelques mois encore, était inconnu de la plupart des historiens suisses et belges. L’histoire magnifique et généreuse de la Vaudoise Mary Widmer-Curtat qui avec l’aide de son époux, le docteur Auguste Widmer, allait à titre privé créer, organiser et gérer, dès le début de la Grande Guerre, une action humanitaire sur le territoire helvétique.

Jean-Pierre Wauters, Mary Widmer-Curtat et le Comité suisse de secours aux réfugiés belges pendant la Grande Guerre, éd. Société d’Histoire de la Suisse Romande, 2015. 

Ce livre, nous le devons au professeur et médecin Jean-Pierre Wauters, président de la Société Royale Union Belge-Lausanne, association issue justement de la dynamique que Mary Widmer-Curtat avait permis d’engendrer en 1914. Jean-Pierre Wauters a su explorer avec passion l’écheveau des correspondances et d’archives variées pour tirer de l’oubli celle qui avait pu mettre à l’abri en Suisse plus de 9'000 enfants belges, victimes de la guerre. Une découverte qui rappelle cette autre révélation récente à propos du demi-million de réfugiés français fuyant à travers la Suisse les zones de conflit, pour gagner le Chablais savoyard (Françoise Breuillaud-Sottas, Évian et le drame de la grande guerre, éd. Silvana, 2014) !

Témoignage de la dimension humanitaire dont la Suisse a su faire preuve au cours de la Première Guerre mondiale ainsi que du courage du peuple belge soumis au joug des armées prussiennes, cette histoire évoque également une autre Suisse, celle des cliniques privées d’avant-guerre et de leur clientèle choisie. Auguste Widmer avait en effet fondé la clinique Valmont en 1905 à Glion, fréquentée par les bourgeoisies et aristocrates européens. Parmi ces derniers, la reine Élisabeth de Belgique venue incognito en mai 1913 sous le nom d’emprunt de Comtesse de Réthy.

La relation qui allait s’établir entre Mary Widmer-Curtat, fille d’agriculteurs vaudois, son mari, fils de cafetiers, et le couple royale devait rapidement se transformer en amitié, le docteur Widmer allant jusqu’à accompagner en 1915 la Reine sur la ligne de front, visite abrégée par le Roi Albert qui, inquiet pour la sécurité de son épouse, avait « fait dire à la Reine qu’il est temps de rentrer ».

Ces liens allaient évidemment influer sur l’aventure humaine exemplaire initiée par Mary Widmer-Curtat. A l’issue du conflit, lorsque les enfants réfugiés dans des familles suisses purent rentrer chez eux, dans un pays largement détruit, la Reine Élisabeth allait donner « un gage de gratitude en envoyant, signé de sa main, un diplôme-souvenir de la part des mères belges aux 900 foyers suisses qui eurent sous leur toit pendant la guerre un enfant belge exilé ».

Un livre démontrant la justesse de la maxime de Sénèque que Jean-Pierre Wauters a placé en début d’ouvrage et dont nous devrions nous souvenir plus souvent de nos jours « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ». 

Les catastrophes ferroviaires suisses du XIXème au XXIème siècle

Alors que le 25 avril dernier, un accident ferroviaire à Daillens, dans le canton de Vaud, semait la confusion dans le réseau des chemins de fer helvétiques, entraînant une intervention particulièrement lourde des secours en raison de l’acide sulfurique et du chlore déversés au sol, le Conseil des États clôturait le 4 juin la révision de la loi sur le transport de marchandises sans aborder la question des dangers liés aux convois de produits toxiques[1].

La Suisse n’est pour autant pas à l’abri d’une catastrophe inhérente à un accident de train. Pour rappel, depuis 1871, en plus de 140 ans, il y a eu quelques 61 accidents sur les voies ferroviaires de la Confédération, causant la mort de 341 personnes ainsi que 1'500 blessés, une liste ne prenant pas en compte les malheureux happés par un train au passage d’une gare, ni, d’ailleurs, les bombardements de l’aviation alliée au cours de la Deuxième Guerre mondiale qui, pensant survoler l’Allemagne, détruisirent à seize reprises des installations ferroviaires.

Si ces chiffres démontrent que le train tue largement moins que la voiture, ils indiquent tout de même que les accidents ne sont pas aussi rares que l’on pourrait imaginer.

Le premier s’est produit à Colombier, le 22 mars 1871, une collision au sein de la gare entre un convoi militaire et un train de marchandises. Le choc devait tuer 23 personnes et en blesser 72. Le 14 juin 1891, c’est un pont construit par Gustave Eiffel à Münchenstein qui s’écroule sous le poids d’un train. La tour Eiffel à Paris venait d’être inaugurée deux ans auparavant ! Cet accident, évoqué par la presse française, notamment le Petit Parisien et l’Illustration, allait causer la mort de 73 personnes et blesser 171 autres[2], entamant la réputation de l’ingénieur français qui allait être confronté quelques mois plus tard, en 1893, à un nouveau scandale international, celui de Panama !

Le 29 avril 1917, c’est un train des Chemins de fer rhétiques qui est pris dans une avalanche à Davos. Il allait être dégagé par les pompiers grisons ainsi que par des soldats allemands devant être échangés contre des soldats français au travers des bons offices de la Confédération, et placés à Davos ou se trouvaient déjà un certain nombre de leurs compatriotes blessés sur le front[3]. Dix corps allaient être retirés des décombres.

Le 23 avril 1924, deux trains se collisionnent à Bellinzone, tuant 15 personnes et entraînant un incendie dans les wagons en raison des fuites de gaz de l’installation d’éclairage[4], une tragédie qui fera l’objet d’un film muet conservé à la Cinémathèque nationale suisse[5].

Le 25 septembre 1941, des mines explosent au passage d’un train à Chillon, faisant dérailler le convoi et tuant 7 personnes. La déflagration fut si violente que la voie ferrée et la route cantonale furent éventrées sur trente mètres. Une mine de l’armée suisse, incorporée dans la voie à ce niveau – un « Omi » dans le jargon militaire pour « ouvrage miné » – s’était déclenchée accidentellement. Une tragédie qui n’allait fort heureusement pas se renouveler lors de la catastrophe du Gothard en 2001, puisque l’explosif de cet ouvrage (trotyle), insensible à la chaleur, resta inerte.

Quelques décennies plus tard, dans les années 70, le nombre d’accidents allait s’accroître, effet, sans doute, de l’intensification du trafic ferroviaire. 10 accidents en 9 ans, dont 4 uniquement en 1971 (Herrliberg, Uetikon, tunnel du Simplon, Saint-Triphon), causant le décès de 15 personnes et plus de 80 blessés.

Un phénomène qui allait se reproduire en 2011, puisque cette année-là comptabilisa pas moins de 4 accidents dont aucun ne fut mortel, et en 2013 avec 8 accidents, dont celui de la ligne Palézieux-Payerne qui allait occasionner un mort et 35 blessés… 2015 risque d’être également une année noire avec ses déjà 4 accidents dont celui de Daillens !

Plusieurs accidents graves restent dans les mémoires, notamment celui du 14 septembre 1982, un drame de 39 morts pulvérisés dans leur car de tourisme par un train à Pfäffikon, ou celui du 29 juin 1994 en gare de Lausanne, lorsqu’un train de marchandises d’une longueur de 690 mètres, composé de 50 wagons provenant de Bâle, dérailla sur la voie 3, endommageant des citernes de chlorure de thionyle et d’épichlorhydrine[6]. Ou encore celui du 17 mai 2006 à Thoune-Dürrenast, lorsqu’un train de chantier, dont les freins ne répondaient plus, parcouru 31 kilomètres au cours d’une course folle avant d’entrer en collision avec un second train de chantier, tuant 3 personnes.

Il ne s’agit là que de quelques accidents qui se sont produits en Suisse, et il serait également possible d’évoquer des catastrophes comme celle du 10 juillet 1976 à Seveso en Italie entraînant des blessés, une évacuation de 15'000 personnes, une contamination majeure et la destruction de tous les bâtiments touchés sur près de 110 hectares, ou celle de Bhopal, en décembre 1984 qui tua officiellement 3'828 personnes, et selon les associations de victimes, entre 20'000 et 25'000 personnes.

Il est évident que la densité de l’habitat en Suisse rend ce danger particulièrement complexe à résoudre, et que toutes les mesures envisageables ne pourront jamais annihiler complètement les risques. Mais enfin, alors que les CFF sont sur le point d’entamer de gros projets, comme pour les gares de Lausanne ou de Genève ainsi qu’en Suisse allemande, et que l’accident de Daillens vient nous rappeler que les trains helvétiques peuvent potentiellement occasionner de gros dégâts, il est curieux de constater que les Chambres fédérales ne prennent pas le temps d’étudier plus avant cette problématique !

 

 

 

 


[1] Voir l’article d’Erwan Le Bec dans la TdG : www.tdg.ch/suisse/revision-loi-lecons-daillens/story/17198792.

[2] «Münchenstein» in : Dictionnaire historique de la Suisse (en ligne).

[3] Le 4 avril 1917, suite aux négociations entre belligérants organisées par la Suisse, 104 soldats français captifs depuis plus de dix-huit mois, neurasthéniques ou pères de famille devaient être ainsi internés en Suisse avant d’être rapatriés chez eux, et le 20 avril autant de prisonniers de guerre allemands parvenaient sur le territoire de la Confédération.

[4] Journal de Genève [24 avril 1924]

[5] La catastrophe du chemin de fer de Bellinzone (1924), 36 m., nb muet itFD.

[6] Etude Ecoscan, 1984. 

 

Les catastrophes ferroviaires suisses du XIXème au XXIème siècle

Alors que le 25 avril dernier, un accident ferroviaire à Daillens, dans le canton de Vaud, semait la confusion dans le réseau des chemins de fer helvétiques, entraînant une intervention particulièrement lourde des secours en raison de l’acide sulfurique et du chlore déversés au sol, le Conseil des États clôturait le 4 juin la révision de la loi sur le transport de marchandises sans aborder la question des dangers liés aux convois de produits toxiques[1].

La Suisse n’est pour autant pas à l’abri d’une catastrophe inhérente à un accident de train. Pour rappel, depuis 1871, en plus de 140 ans, il y a eu quelques 61 accidents sur les voies ferroviaires de la Confédération, causant la mort de 341 personnes ainsi que 1'500 blessés, une liste ne prenant pas en compte les malheureux happés par un train au passage d’une gare, ni, d’ailleurs, les bombardements de l’aviation alliée au cours de la Deuxième Guerre mondiale qui, pensant survoler l’Allemagne, détruisirent à seize reprises des installations ferroviaires.

Si ces chiffres démontrent que le train tue largement moins que la voiture, ils indiquent tout de même que les accidents ne sont pas aussi rares que l’on pourrait imaginer.

Le premier s’est produit à Colombier, le 22 mars 1871, une collision au sein de la gare entre un convoi militaire et un train de marchandises. Le choc devait tuer 23 personnes et en blesser 72. Le 14 juin 1891, c’est un pont construit par Gustave Eiffel à Münchenstein qui s’écroule sous le poids d’un train. La tour Eiffel à Paris venait d’être inaugurée deux ans auparavant ! Cet accident, évoqué par la presse française, notamment le Petit Parisien et l’Illustration, allait causer la mort de 73 personnes et blesser 171 autres[2], entamant la réputation de l’ingénieur français qui allait être confronté quelques mois plus tard, en 1893, à un nouveau scandale international, celui de Panama !

Le 29 avril 1917, c’est un train des Chemins de fer rhétiques qui est pris dans une avalanche à Davos. Il allait être dégagé par les pompiers grisons ainsi que par des soldats allemands devant être échangés contre des soldats français au travers des bons offices de la Confédération, et placés à Davos ou se trouvaient déjà un certain nombre de leurs compatriotes blessés sur le front[3]. Dix corps allaient être retirés des décombres.

Le 23 avril 1924, deux trains se collisionnent à Bellinzone, tuant 15 personnes et entraînant un incendie dans les wagons en raison des fuites de gaz de l’installation d’éclairage[4], une tragédie qui fera l’objet d’un film muet conservé à la Cinémathèque nationale suisse[5].

Le 25 septembre 1941, des mines explosent au passage d’un train à Chillon, faisant dérailler le convoi et tuant 7 personnes. La déflagration fut si violente que la voie ferrée et la route cantonale furent éventrées sur trente mètres. Une mine de l’armée suisse, incorporée dans la voie à ce niveau – un « Omi » dans le jargon militaire pour « ouvrage miné » – s’était déclenchée accidentellement. Une tragédie qui n’allait fort heureusement pas se renouveler lors de la catastrophe du Gothard en 2001, puisque l’explosif de cet ouvrage (trotyle), insensible à la chaleur, resta inerte.

Quelques décennies plus tard, dans les années 70, le nombre d’accidents allait s’accroître, effet, sans doute, de l’intensification du trafic ferroviaire. 10 accidents en 9 ans, dont 4 uniquement en 1971 (Herrliberg, Uetikon, tunnel du Simplon, Saint-Triphon), causant le décès de 15 personnes et plus de 80 blessés.

Un phénomène qui allait se reproduire en 2011, puisque cette année-là comptabilisa pas moins de 4 accidents dont aucun ne fut mortel, et en 2013 avec 8 accidents, dont celui de la ligne Palézieux-Payerne qui allait occasionner un mort et 35 blessés… 2015 risque d’être également une année noire avec ses déjà 4 accidents dont celui de Daillens !

Plusieurs accidents graves restent dans les mémoires, notamment celui du 14 septembre 1982, un drame de 39 morts pulvérisés dans leur car de tourisme par un train à Pfäffikon, ou celui du 29 juin 1994 en gare de Lausanne, lorsqu’un train de marchandises d’une longueur de 690 mètres, composé de 50 wagons provenant de Bâle, dérailla sur la voie 3, endommageant des citernes de chlorure de thionyle et d’épichlorhydrine[6]. Ou encore celui du 17 mai 2006 à Thoune-Dürrenast, lorsqu’un train de chantier, dont les freins ne répondaient plus, parcouru 31 kilomètres au cours d’une course folle avant d’entrer en collision avec un second train de chantier, tuant 3 personnes.

Il ne s’agit là que de quelques accidents qui se sont produits en Suisse, et il serait également possible d’évoquer des catastrophes comme celle du 10 juillet 1976 à Seveso en Italie entraînant des blessés, une évacuation de 15'000 personnes, une contamination majeure et la destruction de tous les bâtiments touchés sur près de 110 hectares, ou celle de Bhopal, en décembre 1984 qui tua officiellement 3'828 personnes, et selon les associations de victimes, entre 20'000 et 25'000 personnes.

Il est évident que la densité de l’habitat en Suisse rend ce danger particulièrement complexe à résoudre, et que toutes les mesures envisageables ne pourront jamais annihiler complètement les risques. Mais enfin, alors que les CFF sont sur le point d’entamer de gros projets, comme pour les gares de Lausanne ou de Genève ainsi qu’en Suisse allemande, et que l’accident de Daillens vient nous rappeler que les trains helvétiques peuvent potentiellement occasionner de gros dégâts, il est curieux de constater que les Chambres fédérales ne prennent pas le temps d’étudier plus avant cette problématique !

 

 

 

 


[1] Voir l’article d’Erwan Le Bec dans la TdG : www.tdg.ch/suisse/revision-loi-lecons-daillens/story/17198792.

[2] «Münchenstein» in : Dictionnaire historique de la Suisse (en ligne).

[3] Le 4 avril 1917, suite aux négociations entre belligérants organisées par la Suisse, 104 soldats français captifs depuis plus de dix-huit mois, neurasthéniques ou pères de famille devaient être ainsi internés en Suisse avant d’être rapatriés chez eux, et le 20 avril autant de prisonniers de guerre allemands parvenaient sur le territoire de la Confédération.

[4] Journal de Genève [24 avril 1924]

[5] La catastrophe du chemin de fer de Bellinzone (1924), 36 m., nb muet itFD.

[6] Etude Ecoscan, 1984. 

 

Les catastrophes ferroviaires suisses du XIXème au XXIème siècle

Alors que le 25 avril dernier, un accident ferroviaire à Daillens, dans le canton de Vaud, semait la confusion dans le réseau des chemins de fer helvétiques, entraînant une intervention particulièrement lourde des secours en raison de l’acide sulfurique et du chlore déversés au sol, le Conseil des États clôturait le 4 juin la révision de la loi sur le transport de marchandises sans aborder la question des dangers liés aux convois de produits toxiques[1].

La Suisse n’est pour autant pas à l’abri d’une catastrophe inhérente à un accident de train. Pour rappel, depuis 1871, en plus de 140 ans, il y a eu quelques 61 accidents sur les voies ferroviaires de la Confédération, causant la mort de 341 personnes ainsi que 1'500 blessés, une liste ne prenant pas en compte les malheureux happés par un train au passage d’une gare, ni, d’ailleurs, les bombardements de l’aviation alliée au cours de la Deuxième Guerre mondiale qui, pensant survoler l’Allemagne, détruisirent à seize reprises des installations ferroviaires.

Si ces chiffres démontrent que le train tue largement moins que la voiture, ils indiquent tout de même que les accidents ne sont pas aussi rares que l’on pourrait imaginer.

Le premier s’est produit à Colombier, le 22 mars 1871, une collision au sein de la gare entre un convoi militaire et un train de marchandises. Le choc devait tuer 23 personnes et en blesser 72. Le 14 juin 1891, c’est un pont construit par Gustave Eiffel à Münchenstein qui s’écroule sous le poids d’un train. La tour Eiffel à Paris venait d’être inaugurée deux ans auparavant ! Cet accident, évoqué par la presse française, notamment le Petit Parisien et l’Illustration, allait causer la mort de 73 personnes et blesser 171 autres[2], entamant la réputation de l’ingénieur français qui allait être confronté quelques mois plus tard, en 1893, à un nouveau scandale international, celui de Panama !

Le 29 avril 1917, c’est un train des Chemins de fer rhétiques qui est pris dans une avalanche à Davos. Il allait être dégagé par les pompiers grisons ainsi que par des soldats allemands devant être échangés contre des soldats français au travers des bons offices de la Confédération, et placés à Davos ou se trouvaient déjà un certain nombre de leurs compatriotes blessés sur le front[3]. Dix corps allaient être retirés des décombres.

Le 23 avril 1924, deux trains se collisionnent à Bellinzone, tuant 15 personnes et entraînant un incendie dans les wagons en raison des fuites de gaz de l’installation d’éclairage[4], une tragédie qui fera l’objet d’un film muet conservé à la Cinémathèque nationale suisse[5].

Le 25 septembre 1941, des mines explosent au passage d’un train à Chillon, faisant dérailler le convoi et tuant 7 personnes. La déflagration fut si violente que la voie ferrée et la route cantonale furent éventrées sur trente mètres. Une mine de l’armée suisse, incorporée dans la voie à ce niveau – un « Omi » dans le jargon militaire pour « ouvrage miné » – s’était déclenchée accidentellement. Une tragédie qui n’allait fort heureusement pas se renouveler lors de la catastrophe du Gothard en 2001, puisque l’explosif de cet ouvrage (trotyle), insensible à la chaleur, resta inerte.

Quelques décennies plus tard, dans les années 70, le nombre d’accidents allait s’accroître, effet, sans doute, de l’intensification du trafic ferroviaire. 10 accidents en 9 ans, dont 4 uniquement en 1971 (Herrliberg, Uetikon, tunnel du Simplon, Saint-Triphon), causant le décès de 15 personnes et plus de 80 blessés.

Un phénomène qui allait se reproduire en 2011, puisque cette année-là comptabilisa pas moins de 4 accidents dont aucun ne fut mortel, et en 2013 avec 8 accidents, dont celui de la ligne Palézieux-Payerne qui allait occasionner un mort et 35 blessés… 2015 risque d’être également une année noire avec ses déjà 4 accidents dont celui de Daillens !

Plusieurs accidents graves restent dans les mémoires, notamment celui du 14 septembre 1982, un drame de 39 morts pulvérisés dans leur car de tourisme par un train à Pfäffikon, ou celui du 29 juin 1994 en gare de Lausanne, lorsqu’un train de marchandises d’une longueur de 690 mètres, composé de 50 wagons provenant de Bâle, dérailla sur la voie 3, endommageant des citernes de chlorure de thionyle et d’épichlorhydrine[6]. Ou encore celui du 17 mai 2006 à Thoune-Dürrenast, lorsqu’un train de chantier, dont les freins ne répondaient plus, parcouru 31 kilomètres au cours d’une course folle avant d’entrer en collision avec un second train de chantier, tuant 3 personnes.

Il ne s’agit là que de quelques accidents qui se sont produits en Suisse, et il serait également possible d’évoquer des catastrophes comme celle du 10 juillet 1976 à Seveso en Italie entraînant des blessés, une évacuation de 15'000 personnes, une contamination majeure et la destruction de tous les bâtiments touchés sur près de 110 hectares, ou celle de Bhopal, en décembre 1984 qui tua officiellement 3'828 personnes, et selon les associations de victimes, entre 20'000 et 25'000 personnes.

Il est évident que la densité de l’habitat en Suisse rend ce danger particulièrement complexe à résoudre, et que toutes les mesures envisageables ne pourront jamais annihiler complètement les risques. Mais enfin, alors que les CFF sont sur le point d’entamer de gros projets, comme pour les gares de Lausanne ou de Genève ainsi qu’en Suisse allemande, et que l’accident de Daillens vient nous rappeler que les trains helvétiques peuvent potentiellement occasionner de gros dégâts, il est curieux de constater que les Chambres fédérales ne prennent pas le temps d’étudier plus avant cette problématique !

 

 

 

 


[1] Voir l’article d’Erwan Le Bec dans la TdG : www.tdg.ch/suisse/revision-loi-lecons-daillens/story/17198792.

[2] «Münchenstein» in : Dictionnaire historique de la Suisse (en ligne).

[3] Le 4 avril 1917, suite aux négociations entre belligérants organisées par la Suisse, 104 soldats français captifs depuis plus de dix-huit mois, neurasthéniques ou pères de famille devaient être ainsi internés en Suisse avant d’être rapatriés chez eux, et le 20 avril autant de prisonniers de guerre allemands parvenaient sur le territoire de la Confédération.

[4] Journal de Genève [24 avril 1924]

[5] La catastrophe du chemin de fer de Bellinzone (1924), 36 m., nb muet itFD.

[6] Etude Ecoscan, 1984. 

 

Les catastrophes ferroviaires suisses du XIXème au XXIème siècle

Alors que le 25 avril dernier, un accident ferroviaire à Daillens, dans le canton de Vaud, semait la confusion dans le réseau des chemins de fer helvétiques, entraînant une intervention particulièrement lourde des secours en raison de l’acide sulfurique et du chlore déversés au sol, le Conseil des États clôturait le 4 juin la révision de la loi sur le transport de marchandises sans aborder la question des dangers liés aux convois de produits toxiques[1].

La Suisse n’est pour autant pas à l’abri d’une catastrophe inhérente à un accident de train. Pour rappel, depuis 1871, en plus de 140 ans, il y a eu quelques 61 accidents sur les voies ferroviaires de la Confédération, causant la mort de 341 personnes ainsi que 1'500 blessés, une liste ne prenant pas en compte les malheureux happés par un train au passage d’une gare, ni, d’ailleurs, les bombardements de l’aviation alliée au cours de la Deuxième Guerre mondiale qui, pensant survoler l’Allemagne, détruisirent à seize reprises des installations ferroviaires.

Si ces chiffres démontrent que le train tue largement moins que la voiture, ils indiquent tout de même que les accidents ne sont pas aussi rares que l’on pourrait imaginer.

Le premier s’est produit à Colombier, le 22 mars 1871, une collision au sein de la gare entre un convoi militaire et un train de marchandises. Le choc devait tuer 23 personnes et en blesser 72. Le 14 juin 1891, c’est un pont construit par Gustave Eiffel à Münchenstein qui s’écroule sous le poids d’un train. La tour Eiffel à Paris venait d’être inaugurée deux ans auparavant ! Cet accident, évoqué par la presse française, notamment le Petit Parisien et l’Illustration, allait causer la mort de 73 personnes et blesser 171 autres[2], entamant la réputation de l’ingénieur français qui allait être confronté quelques mois plus tard, en 1893, à un nouveau scandale international, celui de Panama !

Le 29 avril 1917, c’est un train des Chemins de fer rhétiques qui est pris dans une avalanche à Davos. Il allait être dégagé par les pompiers grisons ainsi que par des soldats allemands devant être échangés contre des soldats français au travers des bons offices de la Confédération, et placés à Davos ou se trouvaient déjà un certain nombre de leurs compatriotes blessés sur le front[3]. Dix corps allaient être retirés des décombres.

Le 23 avril 1924, deux trains se collisionnent à Bellinzone, tuant 15 personnes et entraînant un incendie dans les wagons en raison des fuites de gaz de l’installation d’éclairage[4], une tragédie qui fera l’objet d’un film muet conservé à la Cinémathèque nationale suisse[5].

Le 25 septembre 1941, des mines explosent au passage d’un train à Chillon, faisant dérailler le convoi et tuant 7 personnes. La déflagration fut si violente que la voie ferrée et la route cantonale furent éventrées sur trente mètres. Une mine de l’armée suisse, incorporée dans la voie à ce niveau – un « Omi » dans le jargon militaire pour « ouvrage miné » – s’était déclenchée accidentellement. Une tragédie qui n’allait fort heureusement pas se renouveler lors de la catastrophe du Gothard en 2001, puisque l’explosif de cet ouvrage (trotyle), insensible à la chaleur, resta inerte.

Quelques décennies plus tard, dans les années 70, le nombre d’accidents allait s’accroître, effet, sans doute, de l’intensification du trafic ferroviaire. 10 accidents en 9 ans, dont 4 uniquement en 1971 (Herrliberg, Uetikon, tunnel du Simplon, Saint-Triphon), causant le décès de 15 personnes et plus de 80 blessés.

Un phénomène qui allait se reproduire en 2011, puisque cette année-là comptabilisa pas moins de 4 accidents dont aucun ne fut mortel, et en 2013 avec 8 accidents, dont celui de la ligne Palézieux-Payerne qui allait occasionner un mort et 35 blessés… 2015 risque d’être également une année noire avec ses déjà 4 accidents dont celui de Daillens !

Plusieurs accidents graves restent dans les mémoires, notamment celui du 14 septembre 1982, un drame de 39 morts pulvérisés dans leur car de tourisme par un train à Pfäffikon, ou celui du 29 juin 1994 en gare de Lausanne, lorsqu’un train de marchandises d’une longueur de 690 mètres, composé de 50 wagons provenant de Bâle, dérailla sur la voie 3, endommageant des citernes de chlorure de thionyle et d’épichlorhydrine[6]. Ou encore celui du 17 mai 2006 à Thoune-Dürrenast, lorsqu’un train de chantier, dont les freins ne répondaient plus, parcouru 31 kilomètres au cours d’une course folle avant d’entrer en collision avec un second train de chantier, tuant 3 personnes.

Il ne s’agit là que de quelques accidents qui se sont produits en Suisse, et il serait également possible d’évoquer des catastrophes comme celle du 10 juillet 1976 à Seveso en Italie entraînant des blessés, une évacuation de 15'000 personnes, une contamination majeure et la destruction de tous les bâtiments touchés sur près de 110 hectares, ou celle de Bhopal, en décembre 1984 qui tua officiellement 3'828 personnes, et selon les associations de victimes, entre 20'000 et 25'000 personnes.

Il est évident que la densité de l’habitat en Suisse rend ce danger particulièrement complexe à résoudre, et que toutes les mesures envisageables ne pourront jamais annihiler complètement les risques. Mais enfin, alors que les CFF sont sur le point d’entamer de gros projets, comme pour les gares de Lausanne ou de Genève ainsi qu’en Suisse allemande, et que l’accident de Daillens vient nous rappeler que les trains helvétiques peuvent potentiellement occasionner de gros dégâts, il est curieux de constater que les Chambres fédérales ne prennent pas le temps d’étudier plus avant cette problématique !

 

 

 

 


[1] Voir l’article d’Erwan Le Bec dans la TdG : www.tdg.ch/suisse/revision-loi-lecons-daillens/story/17198792.

[2] «Münchenstein» in : Dictionnaire historique de la Suisse (en ligne).

[3] Le 4 avril 1917, suite aux négociations entre belligérants organisées par la Suisse, 104 soldats français captifs depuis plus de dix-huit mois, neurasthéniques ou pères de famille devaient être ainsi internés en Suisse avant d’être rapatriés chez eux, et le 20 avril autant de prisonniers de guerre allemands parvenaient sur le territoire de la Confédération.

[4] Journal de Genève [24 avril 1924]

[5] La catastrophe du chemin de fer de Bellinzone (1924), 36 m., nb muet itFD.

[6] Etude Ecoscan, 1984. 

 

Les catastrophes ferroviaires suisses du XIXème au XXIème siècle

Alors que le 25 avril dernier, un accident ferroviaire à Daillens, dans le canton de Vaud, semait la confusion dans le réseau des chemins de fer helvétiques, entraînant une intervention particulièrement lourde des secours en raison de l’acide sulfurique et du chlore déversés au sol, le Conseil des États clôturait le 4 juin la révision de la loi sur le transport de marchandises sans aborder la question des dangers liés aux convois de produits toxiques[1].

La Suisse n’est pour autant pas à l’abri d’une catastrophe inhérente à un accident de train. Pour rappel, depuis 1871, en plus de 140 ans, il y a eu quelques 61 accidents sur les voies ferroviaires de la Confédération, causant la mort de 341 personnes ainsi que 1'500 blessés, une liste ne prenant pas en compte les malheureux happés par un train au passage d’une gare, ni, d’ailleurs, les bombardements de l’aviation alliée au cours de la Deuxième Guerre mondiale qui, pensant survoler l’Allemagne, détruisirent à seize reprises des installations ferroviaires.

Si ces chiffres démontrent que le train tue largement moins que la voiture, ils indiquent tout de même que les accidents ne sont pas aussi rares que l’on pourrait imaginer.

Le premier s’est produit à Colombier, le 22 mars 1871, une collision au sein de la gare entre un convoi militaire et un train de marchandises. Le choc devait tuer 23 personnes et en blesser 72. Le 14 juin 1891, c’est un pont construit par Gustave Eiffel à Münchenstein qui s’écroule sous le poids d’un train. La tour Eiffel à Paris venait d’être inaugurée deux ans auparavant ! Cet accident, évoqué par la presse française, notamment le Petit Parisien et l’Illustration, allait causer la mort de 73 personnes et blesser 171 autres[2], entamant la réputation de l’ingénieur français qui allait être confronté quelques mois plus tard, en 1893, à un nouveau scandale international, celui de Panama !

Le 29 avril 1917, c’est un train des Chemins de fer rhétiques qui est pris dans une avalanche à Davos. Il allait être dégagé par les pompiers grisons ainsi que par des soldats allemands devant être échangés contre des soldats français au travers des bons offices de la Confédération, et placés à Davos ou se trouvaient déjà un certain nombre de leurs compatriotes blessés sur le front[3]. Dix corps allaient être retirés des décombres.

Le 23 avril 1924, deux trains se collisionnent à Bellinzone, tuant 15 personnes et entraînant un incendie dans les wagons en raison des fuites de gaz de l’installation d’éclairage[4], une tragédie qui fera l’objet d’un film muet conservé à la Cinémathèque nationale suisse[5].

Le 25 septembre 1941, des mines explosent au passage d’un train à Chillon, faisant dérailler le convoi et tuant 7 personnes. La déflagration fut si violente que la voie ferrée et la route cantonale furent éventrées sur trente mètres. Une mine de l’armée suisse, incorporée dans la voie à ce niveau – un « Omi » dans le jargon militaire pour « ouvrage miné » – s’était déclenchée accidentellement. Une tragédie qui n’allait fort heureusement pas se renouveler lors de la catastrophe du Gothard en 2001, puisque l’explosif de cet ouvrage (trotyle), insensible à la chaleur, resta inerte.

Quelques décennies plus tard, dans les années 70, le nombre d’accidents allait s’accroître, effet, sans doute, de l’intensification du trafic ferroviaire. 10 accidents en 9 ans, dont 4 uniquement en 1971 (Herrliberg, Uetikon, tunnel du Simplon, Saint-Triphon), causant le décès de 15 personnes et plus de 80 blessés.

Un phénomène qui allait se reproduire en 2011, puisque cette année-là comptabilisa pas moins de 4 accidents dont aucun ne fut mortel, et en 2013 avec 8 accidents, dont celui de la ligne Palézieux-Payerne qui allait occasionner un mort et 35 blessés… 2015 risque d’être également une année noire avec ses déjà 4 accidents dont celui de Daillens !

Plusieurs accidents graves restent dans les mémoires, notamment celui du 14 septembre 1982, un drame de 39 morts pulvérisés dans leur car de tourisme par un train à Pfäffikon, ou celui du 29 juin 1994 en gare de Lausanne, lorsqu’un train de marchandises d’une longueur de 690 mètres, composé de 50 wagons provenant de Bâle, dérailla sur la voie 3, endommageant des citernes de chlorure de thionyle et d’épichlorhydrine[6]. Ou encore celui du 17 mai 2006 à Thoune-Dürrenast, lorsqu’un train de chantier, dont les freins ne répondaient plus, parcouru 31 kilomètres au cours d’une course folle avant d’entrer en collision avec un second train de chantier, tuant 3 personnes.

Il ne s’agit là que de quelques accidents qui se sont produits en Suisse, et il serait également possible d’évoquer des catastrophes comme celle du 10 juillet 1976 à Seveso en Italie entraînant des blessés, une évacuation de 15'000 personnes, une contamination majeure et la destruction de tous les bâtiments touchés sur près de 110 hectares, ou celle de Bhopal, en décembre 1984 qui tua officiellement 3'828 personnes, et selon les associations de victimes, entre 20'000 et 25'000 personnes.

Il est évident que la densité de l’habitat en Suisse rend ce danger particulièrement complexe à résoudre, et que toutes les mesures envisageables ne pourront jamais annihiler complètement les risques. Mais enfin, alors que les CFF sont sur le point d’entamer de gros projets, comme pour les gares de Lausanne ou de Genève ainsi qu’en Suisse allemande, et que l’accident de Daillens vient nous rappeler que les trains helvétiques peuvent potentiellement occasionner de gros dégâts, il est curieux de constater que les Chambres fédérales ne prennent pas le temps d’étudier plus avant cette problématique !

 

 

 

 


[1] Voir l’article d’Erwan Le Bec dans la TdG : www.tdg.ch/suisse/revision-loi-lecons-daillens/story/17198792.

[2] «Münchenstein» in : Dictionnaire historique de la Suisse (en ligne).

[3] Le 4 avril 1917, suite aux négociations entre belligérants organisées par la Suisse, 104 soldats français captifs depuis plus de dix-huit mois, neurasthéniques ou pères de famille devaient être ainsi internés en Suisse avant d’être rapatriés chez eux, et le 20 avril autant de prisonniers de guerre allemands parvenaient sur le territoire de la Confédération.

[4] Journal de Genève [24 avril 1924]

[5] La catastrophe du chemin de fer de Bellinzone (1924), 36 m., nb muet itFD.

[6] Etude Ecoscan, 1984. 

 

Les guerres propres existent-elles ?

En des temps plus anciens, lorsque Dieu et démons se mêlaient encore du quotidien de l’humanité et que la vie et la mort des hommes se résumaient à l’évanescence d’un songe éveillé, des temps souvent jugés cruels et barbares par nos regards modernes, la guerre, si elle était parfois omniprésente en Europe, était également codifiée. Une régulation frustre diront les analystes juridiques de notre XXIème siècle considérant la Pax Dei interdisant aux seigneurs de brandir l’épée certains jours de la semaine et certaines semaines de l’année, comme un archaïsme appartenant à un cadre religieux et non à un ordonnancement de lois, voire à une pratique coutumière.

Certes !

Du moins, ces pratiques étaient-elles souvent respectées sous peine d’une sanction particulièrement pénible, l’excommunication. La guerre, aussi horrible et inhumaine ait-elle été était ainsi en partie canalisée, quand bien même la motivation première de l’église était moins humaniste que celle des idéologues du XIXème siècle, défenseurs d’une morale civilisatrice. De même, lorsque la révolution technologique, qui aurait pu être une révolution sociale, que représentait l’arbalète fut frappée d’interdit par le pape, le monde médiéval respecta largement la volonté du Saint-Père. Celui-ci, et plus largement l’ensemble des noblesses européennes redoutaient cette nouvelle arme capable de transpercer les armures les plus résistantes, faisant de l’humble paysan un potentiel Natural Born Killer de chevalier.

Il est vrai que l’arbalète n’était pas aussi répandue que le AK-47, et sans doute bien plus chère, mais enfin, la décision prise à Rome fut entendue dans les campagnes les plus reculées, depuis la Gallicie jusqu’à la Poméranie, depuis les hautes terres d’Ecosse jusque dans le delta du Danube, et ce sans Facebook ni YouTube !

Il n’est évidemment pas question de faire de l’angélisme au travers d’une perception d'un passé romantique car enfin le Moyen-âge connut également des monstres ayant fait reculer les limites de l’imagination en matière de cruauté. Les empalés de Sibiu par le voïvode valaque Vlad Tepes ou les victimes exsangues de Gilles de Rais nous le rappellent. Les épopées chevaleresques se résumèrent souvent à des razzias sur des villages, laissant la gueusaille les yeux crevés, les mains tranchées, les genoux brisés, et des filles dans des états qu’il n’est guère utile de préciser. L’idée, souvent mise en pratique, était alors d’affaiblir l’ennemi en générant plus de blessés que de morts. Pour ces derniers une messe suffisait alors que les mutilés grevaient une économie locale fragile, facilement déstabilisée. Quant aux liquidations de population, elles ne furent pas l’apanage du XXème siècle. Le supplice des Cathares de Montségur  en 1244 et des Huguenots en 1572 en témoignent à travers les siècles. La Saint-Barthélemy comme certains autres massacres précédents, on pensera aux Chrétiens du Colisée ou aux légions de Varus, fut toutefois ressentie comme une abomination extraordinaire générant dans le temps un écho de dégout. Un festin de l’horreur causé par des ambivalences religieuses et des principes de croyances mais aussi par l’importance de l’acte, importance en termes de victimes, civiles, et de démonstration de cruauté. Et si ce massacre est resté dans les mémoires, la raison doit en être attribuée non seulement à son importance mais également à son caractère d’exception. Car si la haine entre protestants et catholiques fut une réalité des siècles durant, il n’y eut guère au cours de la grande rivalité religieuse européenne d’autres massacres – le siège de la Rochelle de 1628 mis à part peut-être – aussi intense et inhumain que celui du mois d’août 1572.

Aussi, les grands pogroms du siècle dernier apparaissent, au travers de leur systématique et de leur durée, comme des actes d’une nature plus particulière encore que les bains de sang précédents. Des exterminations en lien avec des guerres, sans toutefois relever obligatoirement d’opérations militaires, des holocaustes loin des conflits classiques des siècles antérieurs qui ne voyaient généralement que des soldats de métier s’affronter, et des conséquences limitées sur les populations en regard de l’organisation méthodique des assassinats prémédités par les régimes fascistes. Encore qu’évoquer uniquement les gouvernements totalitaires reviendrait à en laisser dans l’ombre certains autres, comme les États-Unis dont les armées ont porté haut et fort le modèle de civilisation occidentale et dont les faits d’armes ont mené à l’anéantissement parfois absolu de certaines cultures amérindiennes, jusqu’à la mémoire même de leur existence que seules quelques lignes dans des rapports militaires ou dans des carnets d’explorateurs attestent.

Ces grands génocides en lien avec les guerres mondiales, allaient intervenir après l’élaboration et l’institutionnalisation des lois de la guerre de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, un retour en arrière paradoxal par rapport à cette volonté bourgeoise et patricienne de civiliser ce qui semblait pouvoir être dulcifié, d’humaniser ce ça originel et bestial que représentait la guerre. Comme si l’évolution de la conscience participait d’un phénomène d’expansion dans l’ensemble des champs de références de l’homme, du pacifisme déclaré de Ludwig Quidde ou d’Alfred Hermann Fried, jusqu’à l’élaboration ignominieuse de la solution finale par le Troisième Reich, de la frappe chirurgicale et politiquement correcte des forces armées occidentales contemporaines jusqu’à la médiatisation de l’épouvante, instrumentalisée par l’État islamique.

Parallèlement à cette volonté de codification de la guerre, celle-ci, depuis le XIXème siècle, allait s’industrialiser et oublier sur le terrain des opérations les travaux des champs et la prière du dimanche, même si les hommes s’en rappelèrent longtemps, préférant la nouvelle réalité du rendement mécanique des usines de production de munitions et les statistiques et graphiques énumérant les consommations et les morts versés dans les comptes pertes et profits des États.

Existe-t-il une guerre propre ? L’histoire nous démontre que celle-ci est au mieux un mythe, une invention récente, un simulacre permettant aux vainqueurs d’atténuer leurs propres exactions et de réduire la portée génocidaire d’un Hiroshima ou d’un Katyn, en magnifiant la légitimité de leur empire au travers de la mise en lumière et de la condamnation des abominations commises par le vaincu.