Les catastrophes ferroviaires suisses du XIXème au XXIème siècle

Alors que le 25 avril dernier, un accident ferroviaire à Daillens, dans le canton de Vaud, semait la confusion dans le réseau des chemins de fer helvétiques, entraînant une intervention particulièrement lourde des secours en raison de l’acide sulfurique et du chlore déversés au sol, le Conseil des États clôturait le 4 juin la révision de la loi sur le transport de marchandises sans aborder la question des dangers liés aux convois de produits toxiques[1].

La Suisse n’est pour autant pas à l’abri d’une catastrophe inhérente à un accident de train. Pour rappel, depuis 1871, en plus de 140 ans, il y a eu quelques 61 accidents sur les voies ferroviaires de la Confédération, causant la mort de 341 personnes ainsi que 1'500 blessés, une liste ne prenant pas en compte les malheureux happés par un train au passage d’une gare, ni, d’ailleurs, les bombardements de l’aviation alliée au cours de la Deuxième Guerre mondiale qui, pensant survoler l’Allemagne, détruisirent à seize reprises des installations ferroviaires.

Si ces chiffres démontrent que le train tue largement moins que la voiture, ils indiquent tout de même que les accidents ne sont pas aussi rares que l’on pourrait imaginer.

Le premier s’est produit à Colombier, le 22 mars 1871, une collision au sein de la gare entre un convoi militaire et un train de marchandises. Le choc devait tuer 23 personnes et en blesser 72. Le 14 juin 1891, c’est un pont construit par Gustave Eiffel à Münchenstein qui s’écroule sous le poids d’un train. La tour Eiffel à Paris venait d’être inaugurée deux ans auparavant ! Cet accident, évoqué par la presse française, notamment le Petit Parisien et l’Illustration, allait causer la mort de 73 personnes et blesser 171 autres[2], entamant la réputation de l’ingénieur français qui allait être confronté quelques mois plus tard, en 1893, à un nouveau scandale international, celui de Panama !

Le 29 avril 1917, c’est un train des Chemins de fer rhétiques qui est pris dans une avalanche à Davos. Il allait être dégagé par les pompiers grisons ainsi que par des soldats allemands devant être échangés contre des soldats français au travers des bons offices de la Confédération, et placés à Davos ou se trouvaient déjà un certain nombre de leurs compatriotes blessés sur le front[3]. Dix corps allaient être retirés des décombres.

Le 23 avril 1924, deux trains se collisionnent à Bellinzone, tuant 15 personnes et entraînant un incendie dans les wagons en raison des fuites de gaz de l’installation d’éclairage[4], une tragédie qui fera l’objet d’un film muet conservé à la Cinémathèque nationale suisse[5].

Le 25 septembre 1941, des mines explosent au passage d’un train à Chillon, faisant dérailler le convoi et tuant 7 personnes. La déflagration fut si violente que la voie ferrée et la route cantonale furent éventrées sur trente mètres. Une mine de l’armée suisse, incorporée dans la voie à ce niveau – un « Omi » dans le jargon militaire pour « ouvrage miné » – s’était déclenchée accidentellement. Une tragédie qui n’allait fort heureusement pas se renouveler lors de la catastrophe du Gothard en 2001, puisque l’explosif de cet ouvrage (trotyle), insensible à la chaleur, resta inerte.

Quelques décennies plus tard, dans les années 70, le nombre d’accidents allait s’accroître, effet, sans doute, de l’intensification du trafic ferroviaire. 10 accidents en 9 ans, dont 4 uniquement en 1971 (Herrliberg, Uetikon, tunnel du Simplon, Saint-Triphon), causant le décès de 15 personnes et plus de 80 blessés.

Un phénomène qui allait se reproduire en 2011, puisque cette année-là comptabilisa pas moins de 4 accidents dont aucun ne fut mortel, et en 2013 avec 8 accidents, dont celui de la ligne Palézieux-Payerne qui allait occasionner un mort et 35 blessés… 2015 risque d’être également une année noire avec ses déjà 4 accidents dont celui de Daillens !

Plusieurs accidents graves restent dans les mémoires, notamment celui du 14 septembre 1982, un drame de 39 morts pulvérisés dans leur car de tourisme par un train à Pfäffikon, ou celui du 29 juin 1994 en gare de Lausanne, lorsqu’un train de marchandises d’une longueur de 690 mètres, composé de 50 wagons provenant de Bâle, dérailla sur la voie 3, endommageant des citernes de chlorure de thionyle et d’épichlorhydrine[6]. Ou encore celui du 17 mai 2006 à Thoune-Dürrenast, lorsqu’un train de chantier, dont les freins ne répondaient plus, parcouru 31 kilomètres au cours d’une course folle avant d’entrer en collision avec un second train de chantier, tuant 3 personnes.

Il ne s’agit là que de quelques accidents qui se sont produits en Suisse, et il serait également possible d’évoquer des catastrophes comme celle du 10 juillet 1976 à Seveso en Italie entraînant des blessés, une évacuation de 15'000 personnes, une contamination majeure et la destruction de tous les bâtiments touchés sur près de 110 hectares, ou celle de Bhopal, en décembre 1984 qui tua officiellement 3'828 personnes, et selon les associations de victimes, entre 20'000 et 25'000 personnes.

Il est évident que la densité de l’habitat en Suisse rend ce danger particulièrement complexe à résoudre, et que toutes les mesures envisageables ne pourront jamais annihiler complètement les risques. Mais enfin, alors que les CFF sont sur le point d’entamer de gros projets, comme pour les gares de Lausanne ou de Genève ainsi qu’en Suisse allemande, et que l’accident de Daillens vient nous rappeler que les trains helvétiques peuvent potentiellement occasionner de gros dégâts, il est curieux de constater que les Chambres fédérales ne prennent pas le temps d’étudier plus avant cette problématique !

 

 

 

 


[1] Voir l’article d’Erwan Le Bec dans la TdG : www.tdg.ch/suisse/revision-loi-lecons-daillens/story/17198792.

[2] «Münchenstein» in : Dictionnaire historique de la Suisse (en ligne).

[3] Le 4 avril 1917, suite aux négociations entre belligérants organisées par la Suisse, 104 soldats français captifs depuis plus de dix-huit mois, neurasthéniques ou pères de famille devaient être ainsi internés en Suisse avant d’être rapatriés chez eux, et le 20 avril autant de prisonniers de guerre allemands parvenaient sur le territoire de la Confédération.

[4] Journal de Genève [24 avril 1924]

[5] La catastrophe du chemin de fer de Bellinzone (1924), 36 m., nb muet itFD.

[6] Etude Ecoscan, 1984. 

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.