Les enfants belges de 14-18 réfugiés en Suisse tirés de l’oubli

Le 4 octobre 2014, la plaque commémorative « Mary Widmer-Curtat » était inaugurée à Lausanne au pied de la statue « La Belgique reconnaissante » en présence de M. Daniel Brélaz, syndic de Lausanne, de l’ambassadeur de Belgique à Berne Frank Recker et de la Consule générale de Belgique Danielle Haven.

Il fallait toutefois un livre pour rappeler un pan d’histoire qui, il y a quelques mois encore, était inconnu de la plupart des historiens suisses et belges. L’histoire magnifique et généreuse de la Vaudoise Mary Widmer-Curtat qui avec l’aide de son époux, le docteur Auguste Widmer, allait à titre privé créer, organiser et gérer, dès le début de la Grande Guerre, une action humanitaire sur le territoire helvétique.

Jean-Pierre Wauters, Mary Widmer-Curtat et le Comité suisse de secours aux réfugiés belges pendant la Grande Guerre, éd. Société d’Histoire de la Suisse Romande, 2015. 

Ce livre, nous le devons au professeur et médecin Jean-Pierre Wauters, président de la Société Royale Union Belge-Lausanne, association issue justement de la dynamique que Mary Widmer-Curtat avait permis d’engendrer en 1914. Jean-Pierre Wauters a su explorer avec passion l’écheveau des correspondances et d’archives variées pour tirer de l’oubli celle qui avait pu mettre à l’abri en Suisse plus de 9'000 enfants belges, victimes de la guerre. Une découverte qui rappelle cette autre révélation récente à propos du demi-million de réfugiés français fuyant à travers la Suisse les zones de conflit, pour gagner le Chablais savoyard (Françoise Breuillaud-Sottas, Évian et le drame de la grande guerre, éd. Silvana, 2014) !

Témoignage de la dimension humanitaire dont la Suisse a su faire preuve au cours de la Première Guerre mondiale ainsi que du courage du peuple belge soumis au joug des armées prussiennes, cette histoire évoque également une autre Suisse, celle des cliniques privées d’avant-guerre et de leur clientèle choisie. Auguste Widmer avait en effet fondé la clinique Valmont en 1905 à Glion, fréquentée par les bourgeoisies et aristocrates européens. Parmi ces derniers, la reine Élisabeth de Belgique venue incognito en mai 1913 sous le nom d’emprunt de Comtesse de Réthy.

La relation qui allait s’établir entre Mary Widmer-Curtat, fille d’agriculteurs vaudois, son mari, fils de cafetiers, et le couple royale devait rapidement se transformer en amitié, le docteur Widmer allant jusqu’à accompagner en 1915 la Reine sur la ligne de front, visite abrégée par le Roi Albert qui, inquiet pour la sécurité de son épouse, avait « fait dire à la Reine qu’il est temps de rentrer ».

Ces liens allaient évidemment influer sur l’aventure humaine exemplaire initiée par Mary Widmer-Curtat. A l’issue du conflit, lorsque les enfants réfugiés dans des familles suisses purent rentrer chez eux, dans un pays largement détruit, la Reine Élisabeth allait donner « un gage de gratitude en envoyant, signé de sa main, un diplôme-souvenir de la part des mères belges aux 900 foyers suisses qui eurent sous leur toit pendant la guerre un enfant belge exilé ».

Un livre démontrant la justesse de la maxime de Sénèque que Jean-Pierre Wauters a placé en début d’ouvrage et dont nous devrions nous souvenir plus souvent de nos jours « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ». 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.