Gondosolar: le développement du solaire ne justifie pas tout!

S’il faut accélérer la transition énergétique bas carbone, la pose de milliers de panneaux solaires sur des alpages isolés se justifie-t-elle?  C’est à cette question que je vais tenter de répondre en prenant l’exemple du projet Gondosolar.

Les promoteurs du projet Gondosolar ont présenté début février les grandes lignes de ce qui devrait devenir le plus grand parc solaire de Suisse. Ces promoteurs sont la société Energie Electrique du Simplon SA (détenue à 81,97% par Alpiq), la commune de Gondo-Zwischbergen et l’initiateur et propriétaire de la parcelle concernée Renato Jordan. Situé entre 2’000 et 2’200 mètres d’altitude sur site de l’Alpjerung, pas très loin du Simplon, ce parc devisé à 42 millions de CHF serait composé de 4’500 éléments solaires bifaciaux disposés verticalement à 1,5 mètre du sol sur une surface de 10 hectares (environ 15 terrains de foot). Il pourrait délivrer une puissance de 18 MW (mégawatt) et produire 23,3 GWh (gigawattheure) par an, soit la consommation moyenne d’environ 5200 ménages.

Avantage d’une centrale en altitude par rapport à une centrale installée en plaine ? Non seulement une centrale alpine bénéficie d’un rayonnement plus intense, mais elle est au-dessus du stratus et bénéfice en plus de la réverbération de la neige. Selon les promoteurs, la part produite en hiver serait nettement plus élevée comparativement à une installation située sur le Plateau suisse : 55% de la production aurait ainsi lieu en hiver, une saison où la Suisse doit importer du courant.

 

Description idyllique

Au niveau environnemental, les promoteurs en font une description idyllique. Ce parc solaire ne poserait aucun problème ni sur le plan paysager ni sur la biodiversité. Il ne serait visible que depuis le côté opposé de la vallée depuis le Seehorn, à une distance de 3,7 km et donc hors de portée de vue depuis une zone habitée. De plus, aucune zone protégée n’est concernée. Les plantes et les insectes devraient même profiter de l’installation des panneaux solaires, ainsi que les oiseaux nicheurs et les reptiles grâce à la création de nouveaux habitats.

Vraiment? Peut-on « coloniser » avec ce type d’infrastructures de nouveaux pans de nos montagnes alors que celles-ci ont déjà payé un lourd tribut environnemental et paysager, avec en particulier la construction des nombreux barrages et domaines skiables qui parsèment les vallées alpines?

En Valais, des personnalités politiques haut-valaisannes de tous bords ont rapidement affirmé leur soutien à Gondosolar. Quant au Grand conseil valaisan, il leur a emboîté le pas le 7 mars dernier en décidant de soutenir une motion prenant pour exemple ce projet-ci et demandant que le Conseil d’Etat évalue les emplacements se prêtant à la construction de grandes installations solaires sur des surfaces libres et procède aux éventuelles modifications législatives afin de promouvoir et d’encourager de telles installations. Seuls les Vert.e.s ont refusé la motion, soulignant notamment les enjeux liés à la biodiversité et au paysage et le fait qu’il y ait déjà suffisamment de surfaces bâties qui peuvent être équipées avec des panneaux solaires.

La question est en effet bien là: est-il vraiment nécessaire d’installer des panneaux solaires sur les alpages pour atteindre nos objectifs énergétiques? La réponse est clairement non, comme l’a notamment montré Arnaud Zufferey dans l’article « Gondosolar : miroir aux alouettes » paru sur son blog le 9 mars dernier et dont je vais reprendre ici une partie de l’argumentaire.

 

Gros potentiel sur les bâtiment sans défigurer les alpages

En Valais, le potentiel de production d’électricité photovoltaïque sur les bâtiments est estimé à un maximum de 4’200 GWh, dont 3’100 GWh en toitures et 1’100 GWh en façades, soit 180 fois la production de Gondosolar ! Produire sur son propre toit est aussi avantageux économiquement pour le propriétaire car le courant consommé est bien meilleur marché qu’en passant par un distributeur comme dans le cas de Gondosolar.

 

En plus des bâtiments, de nombreuses infrastructures peuvent accueillir des installations solaires (autoroutes, parkings, parois anti-bruit, murs et lacs de barrages, gares de départ et d’arrivée d’installations de remontées mécaniques, etc.). Par exemple, la société EnergyPier prévoit d’installer une centrale électrique mixte (soleil + vent) sur 1,6 km d’autoroute à Fully. Cette centrale produirait au total 50 GWh : 30 GWh grâce à de petites « éoliennes » installées de part et d’autres des piliers porteurs de la structure métallique servant de support aux panneaux photovoltaïques dont la production serait de 20 GWh.

La faune et la flore seront aussi fortement impactées avec la pose de 4’500 (!) panneaux solaires verticaux, et donc d’autant de pieux forés dans le sol, la construction d’un téléphérique provisoire et l’enfouissement de la ligne électrique sur des centaines de mètres, voire des kilomètres. Car il faudra bien pouvoir transporter jusqu’au consommateur cette électricité produite loin de tout, ce qui signifie aussi une perte de production qui annule en partie l’avantage de pouvoir produire davantage grâce à l’altitude

2 priorités: économiser l’énergie et développer le solaire sur les infrastructures existantes

Avant d’envisager de coloniser les surfaces vierges d’activités humaines, il faut aussi et en urgence plancher sur les mesures d’économies d’énergie. En Valais la consommation d’électricité liée au chauffage électrique est d’environ 360 GWh. Un remplacement de tous ces chauffages par des pompes à chaleur permettrait de réduire la consommation d’électricité en hiver de 240 GWh, soit 10 fois Gondosolar! Et le potentiel de l’efficacité énergétique ne s’arrête pas là: pour éviter l’utilisation d’énergie inutile on pourrait, entre autres, éteindre l’éclairage public entre minuit et 5h du matin, ou interdire l’éclairage nocturne des vitrines et enseignes commerciales. J’ai d’ailleurs déposé une motion sur ce dernier point lors de la session de décembre 2021.

Source: https://olika.ch/index.php?art=gondosolar

Alors oui il faut vraiment accélérer le développement du solaire, en complément de l’efficacité et de la sobriété, afin de mettre en œuvre la transition énergétique. Mais pourquoi donc poser des milliers de panneaux solaires sur des alpages isolés alors qu’il y a largement assez de surfaces bâties et d’infrastructures déjà existantes et proches des consommateurs pour ce faire ?

L’enjeu est de concrétiser ce potentiel : l’adoption par le parlement le 1er octobre 2021 de l’initiative parlementaire de mon collègue Bastien Girod « Promouvoir les énergies renouvelables de manière uniforme. Accorder une rétribution unique également pour le biogaz, la petite hydraulique, l’éolien et la géothermie » permet de booster le solaire (même si le solaire ne figure pas dans le titre de l’initiative !) et les autres énergies renouvelables en prévoyant des rétributions uniques à l’investissement élevées (jusqu’à 60% pour le solaire). Donnant suite à cette décision, le Conseil fédéral vient le 30 mars dernier d’ouvrir la procédure de consultation sur la révision de plusieurs ordonnances dans le domaine de l’énergie. Ces ordonnances devraient entrer en vigueur au début de l’année prochaine, assurant le financement nécessaire à un développement rapide de la capacité photovoltaïque du pays.

Mais par pitié, ne couvrons pas nos alpages encore préservés par des milliers de panneaux solaires!

 

Christophe Clivaz

Christophe Clivaz est le premier conseiller national vert valaisan. Il a été auparavant député (2013-2016) et conseiller municipal à Sion (2009-2019). Politologue de formation (Dr. en administration publique), il s'est spécialisé dans l'étude du tourisme alpin. Il est professeur associé à mi-temps à l'Institut de géographie et durabilité de l'Université de Lausanne, sur le site de Sion.

8 réponses à “Gondosolar: le développement du solaire ne justifie pas tout!

  1. Très intéressant, mais sait-on de quel ordre de grandeur est la perte dû au transport de l’énergie par câble? Merci pour votre “éclairage”.

    1. En Suisse, selon la « Statistique suisse de l’électricité », on retient 7%. Ce qui fait tout de même 4,3 TWh par an, par rapport à une consommation brute annuelle de 61 TWh.

      Cela dit, la mise en oeuvre de modules PV bifaciaux verticaux est bien connue. Elle a été expérimentée le long de l’autoroute du soleil (tracé nord-sud !) en Italie. Son principal défaut est de ne quasiment rien produire à midi en plein été, mais, sur un paturage enneigé à midi en hiver, c’est le contraire, l’albédo élevé de la neige aidant.

  2. A quoi bon voter Vert? vous n’êtes même plus pour l’énergie solaire…

    Votre parti a eu tort pour la démilitarisation de l’Europe, pour les désinvestissements dans le nucléaire, pour des théories scolaires qui ont baissé le niveau de nos enfants.

    Demain, je vais voter.
    Je voterai tout, sauf Vert !

    1. “vous n’êtes même plus pour l’énergie solaire”: j’imagine que vous n’avez pas lu le papier, c’est une des deux priorités énergétiques que je mets en avant!

      1. “Seuls les Vert.e.s ont refusé la motion, soulignant notamment les enjeux liés à la biodiversité et au paysage et le fait qu’il y ait déjà suffisamment de surfaces bâties qui peuvent être équipées avec des panneaux solaires.”

        Nous allons vers des coupures d’électricité, du rationnement, etc…

        Soit vous êtes pour l’énergie solaire, soit vous êtes contre. Vous ne pouvez pas demander aux pauvres de voir leurs espaces de vie se recouvrir de panneaux solaires/éoliennes, mais vous plaindre que ces panneaux enlaidissent vos promenades du dimanche ! Soit nous sommes à 3 ans de l’effondrement climatique, soit … en fait, il n’y a pas de “soit”. Le déréglement climatique impose des solutions drastiques. Sauf dans votre papier.

        1. Les infrastructures existantes où on peut poser du solaire sont suffisantes, alors pourquoi équiper de panneaux des alpages isolés? Et ce n’est pas une question de promenade du dimanche: développer le renouvelable au détriment de la biodiversité ne fera qu’aggraver la crise écologique, comme le souligne l’Académie suisse des sciences dans une prise de position que vous trouverez ici: https://scnat.ch/fr/uuid/i/52e32f13-7c80-53a1-b26f-f9d745fd3958-Prot%C3%A9ger_conjointement_le_climat_et_la_biodiversit%C3%A9

          1. Je confirme notre divergence.

            Vous trouverez toujours 1001 raisons pour ne pas agir, la première étant qu’il faut agir là (infrastructures existentes) mais pas ici.

            Nous n’en sommes plus là.
            Quand les chars russes sont en Europe, on ne demande pas une étude pour définir quel biotope disparaît sous leurs chenilles; on agit.

            Et en attendant, votre papier appelle à bloquer ceux qui agissent, car on pourrait mieux agir. Et en attendant, ceux qui agissent sont bloqués et ceux qui savent mieux n’agissent pas…

            Fin.

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