Les grands projets photovoltaïques alpins pourront-ils produire de l’énergie avant les délais imposés par le parlement, à savoir fin 2025? Il semblerait que leur réalisation soit plus complexe que prévue. Faut-il prolonger ces délais comme le prônait le 2 juin dernier, le rédacteur en chef du Walliser Bote, Armin Bregy dans son éditorial? Au contraire, cela constitue un argument supplémentaire pour les rejeter. Démonstration.
Généreux subventionnement
Aujourd’hui en Suisse, la consommation d’électricité se monte à environ 60 TWh par année. La Suisse en produit globalement autant qu’elle en consomme. En été, elle exporte du courant, mais doit en importer en hiver. La loi Solarexpress a été adoptée pour palier à ce manque de production hivernale. Elle vise à installer des panneaux photovoltaïques en haute altitude, car ils produisent davantage que ceux situés en plaine. L’objectif de cette loi, c’est que 2 TWh, dont environ la moitié en hiver, soient produits par ces grandes installations solaires alpines d’ici à 2030, grâce à un généreux subventionnement de la Confédération pouvant se monter jusqu’à 60% des coûts.
Ces grands projets rallongeront la durée d’attente pour les privés et les PME
Pour répondre à cette question, on peut s’attarder sur la production supplémentaire d’électricité solaire hivernale en 2022. L’année dernière, les nouvelles installations solaires ont produit près de 1 TWh de courant supplémentaire dans notre pays. Dans son rapport « Production d’électricité en hiver grâce au photovoltaïque » de juin 2021, le Conseil fédéral précise qu’environ 27% de l’électricité d’origine photovoltaïque sur les bâtiments est produite pendant le semestre d’hiver. En reprenant ce pourcentage, cela veut dire que près de 0,27 TWh d’électricité solaire nouvelle a été produit en hiver en 2022.
Autrement dit, au rythme de 2022, on constate qu’en 4 ans, soit d’ici fin 2025, 1 TWh supplémentaire d’électricité solaire par an sera produit en hiver grâce aux installations posées sur les bâtiments existants. Ceci avant même que les premiers kilowattheures des grands parcs solaires soient produits. Et cette production sera très certainement plus élevée car la pose d’installations sur les premiers mois de 2023 est en augmentation comparée à l’année dernière qui était déjà une année record.
C’est là un des arguments principaux qui démontre l’inutilité des ces grands projets alpins: la demande est aujourd’hui supérieure à l’offre et la production d’électricité photovoltaïque décolle, en hiver aussi. Pourquoi dès lors allonger la durée d’attente pour les privés ou les PME qui veulent installer des panneaux solaires sur leurs toits au profit de grands groupes et investisseurs qui veulent réaliser de grands parcs en haute altitude?
En résumé, construire de grandes installations photovoltaïques en montagne ne peut se faire qu’au détriment:
des paysages et de la nature, et donc de ce qui fait l’attractivité de notre tourisme
du contribuable qui paie à hauteur de 60% la réalisation de ces grands parcs solaires alpins (alors que le privé ou la PME ne peut pas espérer plus que 30% pour une installation photovoltaïque)
des propriétaires privés et des entreprises qui vont devoir attendre plus longtemps avant de pouvoir se faire livrer des installations photovoltaïques sur leurs toits et façades.
Incohérence du Parlement
Face à ces constats, et aussi incohérent que cela puisse paraître, le Conseil des Etats vient de refuser une proposition émanant du Conseil national de rendre obligatoire la pose des panneaux solaires sur les toits et façades des nouveaux bâtiments ainsi que sur les parkings. Autrement dit, il veut construire de grandes installations photovoltaïques en montagne mais n’en veut pas sur les nouveaux bâtiments!?
Au lieu de renforcer l’énergie solaire sur les infrastructures existantes, le Parlement la freine depuis des années et bricole des solutions dans l’urgence qui aggraveront encore plus la crise climatique et celle de la biodiversité. Pourtant, il existe suffisamment de surfaces adaptées sur les toitures et les façades pour couvrir une grande partie des besoins en électricité de la Suisse grâce à l’énergie solaire. Avec les toits et les façades nous disposons d’un potentiel théorique de 67 TWh annuels. C’est plus que la consommation du pays! Rien qu’en Valais, sur les surfaces de plus de 200m2 (donc sans les maisons individuelles et les petits immeubles), on peut produire de 1 à 1,8 TWh supplémentaire d’électricité solaire, selon une récente étude du canton. Nous devons enfin exploiter ce potentiel!
Les Vert.e.s lancent une initiative populaire
Selon le sondage publié le 31 mai par l’Association des entreprises électriques suisses (AES), installer du solaire sur les bâtiments et les façades est de plus massivement plébiscité par la population : 97% des répondants y sont favorables !
Face à l’impossibilité de trouver une majorité au parlement pour une offensive solaire sur les infrastructures existantes, les Vert·e·s lanceront une initiative: “Une installation solaire sur chaque toit”. On peut soutenir son lancement en promettant une signature ici.
Début mai, le Conseil national s’est prononcé en faveur de l’économie circulaire en adoptant la Loi sur la protection de l’environnement (LPE) révisée. Cette révision contient plusieurs dispositions visant à encourager le développement de l’économie circulaire en Suisse et fait suite à des revendications des Vert·e·s depuis de nombreuses années.
La révision répond à des préoccupations essentielles, telles que la lutte contre les déchets sauvages ou plastiques et le droit à la réparation.
Mais au fait c’est quoi exactement l’économie circulaire ?
Dans notre modèle économique actuel, dit linéaire, nous puisons des matières premières pour les convertir en produits. Une fois vendus et consommés, ces produits finissent à la poubelle. Cette approche entraîne une diminution des ressources, un accroissement de la pollution et des déchets, sans oublier l’impact environnemental qu’elle engendre. L’économie circulaire se présente comme une alternative à ce modèle. Elle vise à réintroduire les matériaux et produits dans la chaîne de production, minimisant ainsi la nécessité de nouvelles matières premières. Les produits maintiennent leur valeur plus longtemps et produisent moins de déchets.
Nouvelles opportunités pour les entreprises
Le concept de l’économie circulaire englobe le cycle de vie complet des matières et des produits : extraction, conception, production, distribution, utilisation prolongée et, enfin, recyclage. Grâce à des stratégies comme le partage, la réutilisation, la réparation et le reconditionnement des produits, leur durée de vie et d’utilisation est prolongée. Pour les secteurs de l’économie suisse centrés sur l’innovation et la qualité, ce modèle offre de nouvelles opportunités comme des services de réparation ou de location, substituant la vente traditionnelle. Dans la plupart des cas, cette approche sert non seulement l’environnement, mais également le budget des consommateurs et la création d’emplois locaux.
Bien sûr ce sont les entreprises en premier lieu qui sont amenées à s’adapter et mettre en place des processus de production circulaires. Mais le cadre réglementaire peut donner les bonnes impulsions et encourager les entreprises les plus innovantes et pionnières. A ce titre, le projet adopté par le Conseil national donne au Conseil fédéral différentes possibilités de promouvoir l’économie circulaire. Parmi celles-ci on peut notamment mentionner :
L’interdiction de la mise dans le commerce de produits destinés à un usage unique et de courte durée
La fixation d’exigences concernant la durée de vie, la disponibilité des pièces détachées et la réparabilité des produits
L’introduction d’un indice de réparabilité
La fixation d’exigences concernant l’utilisation de matériaux de construction préservant l’environnement ou la réutilisation d’éléments de construction dans les ouvrages
Lutte contre le littering
De plus le Conseil national a décidé que la taxe d’élimination anticipée s’appliquerait désormais aussi aux entreprises étrangères de vente par correspondance (vente en ligne). Il a également introduit une amende max. de 300 CHF pour les personnes qui abandonnent des déchets dans la rue ou dans la nature (lutte contre le littering).
Cette révision constitue un premier pas important pour passer d’une économie linéaire à une économie circulaire. Espérons que le Conseil d’Etat, qui se penchera prochainement sur le projet adopté, suivra la ligne tracée par le Conseil national.
En ne classant pas une initiative parlementaire des Verts libéraux demandant l’instauration d’une taxe de 50 CHF aux urgences, le Conseil national a montré qu’il a une vision court-termiste et agit contre l’intérêt des patient·e·s et des professionnel·le·s de la santé.
Crises sanitaire et énergétique, pénurie de médecins, burnout du personnel soignant, vieillissement de la population, hausse des primes d’assurance maladie ou encore la surconsommation de soins. Les menaces qui pèsent sur la durabilité de notre système de santé se sont fortement accrues ces dernières années, faisant craindre une dégradation de sa qualité et un renforcement des inégalités sociales de santé. On peut rajouter à ce constat, le bilan énergétique et écologique très lourd de notre système de santé centré sur des soins (ultra)spécialisés: le bilan carbone du système de santé suisse correspondant à environ 1 tonne de CO2 par habitant par année, soit 6.7% des émissions nationales(1). Il y a urgence pour réformer la manière dont nous organisons les soins et garantissons la meilleure santé de la population.
Obnubilé par les coûts de la santé et la hausse impopulaire des primes d’assurance-maladie, le parlement manque cruellement de vision pour notre système de santé et se retrouve dans l’incapacité chronique d’y apporter les réformes nécessaires à sa pérennisation.
Pire, sous l’influence toujours plus grande du lobby des assureurs, il soutient des propositions à rebours du bon sens clinique qui risquent d’affaiblir l’accès aux soins de populations déjà socialement vulnérabilisées. Comme cette décision de septembre 2022 de ne pas classer une initiative parlementaire des Verts libéraux demandant l’instauration d’une taxe aux urgences pour les cas dits « bénins ». Le principe d’une telle taxe est de faire payer un montant, par exemple 50 CHF, à toute personne s’étant rendue aux urgences sans qu’un médecin l’y ait envoyé ou sans qu’une hospitalisation en résulte.
Comment savoir a priori qui aura besoin de soins d’urgence?
Sur le plan médical, l’instauration d’une telle taxe posera un problème majeur d’identification des réels besoins des patient·e·s puisque les critères financiers pourraient se substituer aux critères médicaux pour définir l’accès ou la décision d’aller aux urgences.
En effet, différencier une situation clinique nécessitant une consultation dans un service d’urgences d’une situation pouvant être prise en charge par le·la médecin de premier recours n’est pas aisé. Une étude, publiée en 2013 déjà dans un prestigieux journal de médecine américain, avait analysé plus de 34 000 consultations aux urgences aux États-Unis pour distinguer celles que l’on pouvait considérer, a posteriori, comme non urgentes et relevant de la médecine de premier recours de celles nécessitant une hospitalisation ou des soins urgents(2). Seuls 6,3 % des consultations pouvaient être classées dans la catégorie relevant de la « médecine de premier recours ». De plus, les patient·e·s entrant dans cette catégorie arrivaient aux urgences avec 88,7 % de symptômes similaires à celles et ceux ayant un diagnostic nécessitant une prise en charge urgente(3).
Comment donc définir a priori qui aura besoin ou non de soins urgents? De plus, il se posera la question de savoir qui devra déterminer si une visite est justifiée ou non, au risque d’engendrer un ralentissement des flux et surtout de nuire à la relation médecin-patient·e. La taxe jouera un rôle punitif pour les patient·e·s qui ne seraient pas parvenus à convaincre leur médecin de la légitimité de leur consultation.
Une taxe socialement injuste
L’instauration d’une telle taxe est socialement injuste. On sait que l’utilisation fréquente des services d’urgence est, pour une grande partie des patient·e·s socialement précarisé·e·s, le signe d’un mauvais accès au système de santé ambulatoire et l’absence de médecin généraliste. Cette taxe rendra plus difficile leur accès aux soins et augmentera le risque de consultations tardives aux urgences. Ce qui aura pour conséquence sanitaire supplémentaire une augmentation de la mobilisation de ressources humaines et financières. Il a en effet été démontré qu’une participation aux frais plus élevée pouvait conduire, in fine, à des dépenses de santé plus importantes au niveau du système de santé dans sa globalité(4).
15-20% de la population a déjà renoncé à des soins pour des raisons financières (5,6).
D’ailleurs, la Suisse est déjà équipée de plusieurs instruments financiers incitant à renoncer à des soins tels que la franchise et la quote-part. Il faut ajouter à cela des primes non proportionnelles au revenu des ménages. On sait que 15-20% de la population a déjà renoncé à des soins pour des raisons financières. Une augmentation de ces renoncements aux soins, y compris pour des besoins cliniques qui auraient nécessité une prise en charge rapide, est donc à craindre.
Pourtant, cela n’a pas empêché le Parlement de soutenir jusqu’ici le principe de l’instauration de cette taxe, contre l’avis de l’ensemble des acteurs de la santé, à l’exception des assurances-maladies.
Lutter contre la fréquentation excessive des services d’urgence: des solutions existent
Or, des solutions pragmatiques, efficaces et équitables existent pour lutter contre la fréquentation excessive des services d’urgence. On peut citer notamment le case management pour les patient·e·s avec des besoins socio-sanitaires importants, le renforcement de la coordination avec les médecins de premier recours, ou encore l’ouverture de lignes téléphoniques de triage. Ces mesures nécessitent toutefois une certaine volonté politique des autorités, et non pas un recours à des solutions simplistes et contre-productives.
Il est dès lors à espérer que dans la mise en application de cette initiative, le Parlement et le Conseil fédéral sauront tenir compte de l’avis de l’ensemble des acteurs du système de santé, y compris des patient·e·s, pour limiter au maximum les conséquences délétères potentielles de l’instauration d’une taxe aux urgences. En particulier, ils devront veiller à limiter le fardeau administratif pour les professionnel·le·s de la santé, déjà fortement sous pression depuis de nombreuses années et éviter un accroissement des iniquités de santé entre catégories de la population en assurant l’accès universel à des soins de qualité à toutes et tous.
La santé ne doit pas être un fardeau financier
Finalement, au-delà de cette taxe, il est grand temps que le Parlement se saisisse véritablement de la question des soins et de la santé en Suisse et qu’il y apporte des réformes pour garantir à la population suisse un système de santé durable et équitable. Ceci doit passer par un fort renforcement de la prévention et promotion de la santé – notamment dans les domaines de lutte contre les maladies métaboliques, cardiovasculaires, oncologiques, psychiatriques et les dépendances – et une vision de la santé globale et intersectorielle. Des mesures visant à améliorer la coordination interdisciplinaire et interprofessionnelle dans le suivi et la prise en charge ambulatoire des patient·e·s, en particulier avec maladies chroniques, ainsi qu’à réduire les actes de soins inutiles en généralisant des démarches telles que Smarter Medicine (www.smartermedicine.ch), semblent indispensables. Enfin, une réforme du financement du système de santé permettrait d’assurer son accessibilité à toutes et tous, et ainsi éviter que la santé ne soit un fardeau financier trop important pour les ménages à faible et moyen revenu.
Sources:
[1] Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) (2022) Pour des services de santé suisses durables dans les limites planétaires. Swiss Academies Communications 17 (4). [2] Raven MC, Lowe RA, Maselli J, Hsia RY. Comparison of Presenting Complaint vs Discharge Diagnosis for Identifying “Nonemergency” Emergency Department Visits. JAMA 2013;309:1145-53. [3] Ibidem [4] Chandra A, Gruber J, McKnight R. Patient Cost-Sharing and Hospitalization Offsets in the Elderly. Am Econ Rev 2010;100:193-213. [4] Wolff H, Gaspoz JM, Guessous I. Health Care Renunciation for Economic Reasons in Switzerland. Swiss Med Wkly 2011;141:w13165. DOI : 10.4414/smw.2011.13165 [6] Guessous I, Theler JM, Izart CD, et al. Forgoing Dental Care for Economic Reasons in Switzerland: A Six-Year Cross-Sectional Population-Based Study. BMC Oral Health 2014;14:121.
Avec l’évolution du climat, l’avenir des stations de montagne est mise au défi, et dépend de leur capacité à imaginer dès aujourd’hui une offre où le ski occupera une place moins importante.
La question de l’avenir du ski se posera progressivement partout. Comment pouvons-nous envisager un avenir où il perd l’importance cardinale qu’il a connue au cours des dernières décennies? Bien sûr la situation varie d’une station à l’autre et il est difficile de généraliser. Le Valais est également concerné, bien que certains estiment encore que le canton ne sera pas confronté à cette question avant plusieurs décennies en raison de ses domaines skiables les plus élevés des Alpes.
L’annulation des coupes du monde de ski à Zermatt en octobre dernier ainsi que celle de samedi dernier à Crans-Montana, pour cause de manque de neige et de températures trop élevées ne sont que la pointe de l’iceberg: le climat se réchauffe, la neige naturelle se raréfie et rend plus difficile la poursuite d’une économie basée sur l’or blanc. Alors que faire?
L’enneigement artificiel comme principale mesure d’adaptation au réchauffement climatique
Jusqu’à présent, la principale réponse au changement climatique a été l’utilisation de l’enneigement artificiel. 53% des pistes en Suisse en sont aujourd’hui équipées (chiffres des Remontées mécaniques suisses) mais un peu moins en Valais (40% selon une enquête du Walliser Bote parue le 6 février dernier). La proportion d’équipement varie considérablement d’un domaine skiable à l’autre, certains en ayant peu ou pas du tout, tandis que d’autres ont une couverture supérieure à 80% (comme les 4 Vallées et Zermatt). Et c’est toujours la réponse qui continue à être privilégiée: toujours selon le même article, les entreprises valaisannes entendent investir plus de 50 millions dans les canons à neige ces cinq prochaines années. L’objectif est de pouvoir assurer au moins 100 jours d’exploitation du domaine skiable, seuil considéré comme nécessaire pour pouvoir faire tourner économiquement un domaine skiable.
Cette stratégie commence cependant à montrer ses limites. Températures trop élevées pour produire de la neige artificielle, concurrence avec d’autres usages pour l’accès à la ressource en eau (eau potable, agriculture, hydro-électricité, biodiversité), consommation électrique problématique dans le contexte énergétique actuel. Sans parler des coûts de la neige artificielle qui renchérissent fortement le prix du forfait journalier: l’installation de canons à neige pour un kilomètre de piste coûte environ un million de francs. Ni de l’impact sur le paysage et la nature. Ne serait-il pas temps de penser autrement l’avenir du ski et de nos stations?
Les skieurs professionnels se mobilisent face à la raréfaction de la neige
L’association Protect Our Winters (POW) a récemment publié une lettre, signée par 142 skieurs de différentes disciplines (ski alpin, freestyle, freeride), dont les stars Mikaela Shiffrin et Aleksander Aamodt Kilde. Le document a été remis de façon symbolique à la Fédération internationale de ski (FIS) à Courchevel, quelques heures après la descente hommes des Championnats du monde de ski alpin. Elle alerte sur la raréfaction de la neige et l’impossibilité de produire de la neige artificielle sur certains sites de compétitions habituels. L’association et les athlètes demandent à la FIS d’aménager son calendrier, afin de diminuer l’empreinte carbone en limitant les déplacements intercontinentaux, et de retarder le début des compétitions afin d’éviter les annulations d’épreuves pour cause de manque de neige.
Ce « malaise » grandissant exprimé par de plus en plus d’athlètes se comprend aisément: après tout, si la FIS et plus largement toute l’économie du ski ne parviennent pas à diminuer drastiquement leur empreinte carbone, c’est la possibilité même de pouvoir encore pratiquer cette activité dans quelques années et décennies qui s’éloigne.
Franck Piccard, un médaillé olympique qui invite à inventer une nouvelle image de la montagne
Chez nos voisins français, de nombreuses voix commencent à se faire entendre pour remettre en cause la dominance du ski. Dans un article publié récemment par Reporterre, Franck Piccard, champion olympique de ski en 1988, pourtant propriétaire de 6 magasins de sport en Savoie, plaide pour un ralentissement des activités en montagne et une remise en question du “tout-ski”. Il estime que l’existant est déjà suffisant. Sans pour autant remettre en question la pratique du ski actuelle lorsque les conditions sont bonnes, grignoter de l’espace pour construire de nouvelles remontées mécaniques ou des nouveaux logements, creuser de nouvelles retenues collinaires pour alimenter en eau les canons à neige sont des exemples de « maladaptation » en regard du dérèglement climatique qui affecte déjà de manière très concrète les stations.
“Le modèle de stations qui ne cessent de s’agrandir, dans l’espoir d’attirer davantage de gens, est à bout de souffle.”
Franck Piccard, champion olympique de ski en 1988
Dans ce contexte un des plus gros défis est de changer l’image de la montagne, souvent associée exclusivement à la pratique du ski alpin.
Ce défi, la station de Métabief dans le Jura français a décidé de le relever. Face à l’évolution attendue des températures, vu la faible altitude de son domaine skiable et le fait qu’il faille une trentaine d’années pour amortir les investissements dans les installations, les autorités ont pris la décision d’engager la transition de son modèle de « station de ski » vers une « station de montagne »: sortie progressive du ski alpin, envisagée à l’horizon 2035-2040, et mise en place d’autres activités sur toutes les saisons.
Montée du “ski-bashing”
La question de l’impact du ski commence à faire monter un phénomène appelé “ski-bashing“. Ce terme est utilisé pour décrire la critique de l’industrie du ski, notamment en ce qui concerne son impact environnemental et social. Les critiques peuvent porter sur l’empreinte carbone des stations de ski, les déchets laissés par les skieurs et les remontées mécaniques, la pollution sonore et lumineuse, la perte de terres agricoles et la dégradation de l’environnement naturel, ainsi que les problèmes liés à la surconsommation, le tourisme de masse et l’injustice sociale.
Cette tendance, même marginale, risque de porter préjudice à l’image du ski. Car c’est moins le ski alpin en soi qui est remis en cause que la poursuite des moyens engagés pour en permettre la pratique, quelles que soient les conditions météorologiques, plutôt que d’investir ces moyens dans d’autres activités. Dans un contexte de crises énergétique, climatique et de la biodiversité, ces images de bandes blanches de neige artificielle au milieu des pâturages ne peuvent qu’alimenter un sentiment de jusqu’auboutisme et d’incapacité à imaginer pour la montagne un autre avenir que le ski.
Revoir la place du ski dans l’économie touristique : une lente prise de conscience
Depuis longtemps, j’alerte sur les conséquences du changement climatique pour la pratique du ski et le tourisme en général. Avec un succès assez mitigé jusqu’ici il faut bien l’avouer. En décembre 2017, j’étais invité au Journal de Canal 9, la TV locale valaisanne, pour parler tourisme et climat. J’ai à cette occasion reçu un « cadeau » de la part de Christophe Darbellay, Conseiller d’Etat en charge du tourisme: une pelle à neige! Il est vrai qu’il venait de neiger abondamment mais le message implicite était clair: il n’y a pas de problème en Valais, nos domaines skiables sont à haute altitude et on pourra continuer de faire du ski chez nous.
Quelques années plus tard, les fronts commencent à bouger. Dans un article paru le 27 décembre 2022, le directeur du Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB), Thomas Egger, affirme que les stations de sports d’hiver situées à moins de 1600 mètres d’altitude devraient dire adieu au ski alpin pour se tourner vers d’autres activités touristiques. Il mentionne le lancement du projet Interreg « Beyond Snow », auquel le SAB participe (tout comme Métabief), avec pour objectif de trouver de nouvelles possibilités de développement pour les régions où la neige se fait rare.
Tout récemment, dans un entretien accordé au Nouvelliste publié le 23 février, le président de Lens David Bagnoud soulignait:
“Cet hiver et les précédents nous montrent que chaque franc investi dans les remontées mécaniques doit être analysé. Le modèle du ski cinq mois par année n’est plus correct. On le voit avec les courses annulées en octobre ou en novembre. La saison d’hiver se resserre et seuls les dirigeants aveugles disent que le monde ne change pas.”
David Bagnoud, président de Lens
La nécessité de diversifier l’offre touristique et le rôle des pouvoirs publics
Diminuer la dépendance au ski alpin signifie diversifier l’offre, en hiver comme lors des autres saisons. Pour y parvenir, les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer en donnant les bonnes impulsions. En Suisse, de nombreuses sociétés de remontées mécaniques ne pourraient pas survivre sans le soutien des communes, du canton ou de la Confédération, comme l’a montré un récent reportage de la RTS en prenant l’exemple du Valais. On considère ce secteur économique comme indispensable et on continue d’y investir des millions chaque année, y compris parfois dans les stations de moyenne altitude, ou celles exposées plein-sud. Il s’agit donc dans un premier temps de réorienter ces flux d’argent public et d’engager davantage de moyens financiers pour soutenir la diversification des activités et moins dans la poursuite de la pratique du ski.
De l’innovation sociale plutôt que des infrastructures
Pour accompagner cette transition vers la diversification, il faudrait que l’Etat développe aussi de nouveaux soutiens qui ne soient plus seulement axés sur le financement des infrastructures ou sur la mise en réseau des prestataires touristiques. Je pense en particulier que les pouvoirs publics devraient davantage investir dans le savoir-faire nécessaire à la mise en place d’une nouvelle gouvernance qu’impliquent une vision et des projets touristiques « 4 saisons ». Dans ce sens, l’Etat devrait financer des postes de responsables de projet, sur une période relativement longue (3 ans au moins), qui seraient chargés d’organiser, dans les destinations, des processus participatifs avec les habitants, les prestataires touristiques et les résidents secondaires. Le développement touristique s’est beaucoup basé jusqu’ici sur la construction d’infrastructures: la transition touristique demande aujourd’hui que davantage de moyens soient consacrés à l’innovation sociale et aux compétences humaines, au « software » plutôt qu’au « hardware ».
Le nouveau patron du Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a passé mercredi son grand oral devant les principaux acteurs de la branche électrique lors du 14e Congrès suisse de l’électricité à Berne. Lors de son allocution, il a dévoilé les grandes orientations qu’il entend donner dans son département. Et confirmé certaines craintes que sa nomination a amenées auprès des milieux défenseurs de l’environnement. Tour d’horizon en trois points.
La protection du paysage et la biodiversité sacrifiées sur l’autel de la production énergétique
Message principal martelé par l’élu UDC : il faut rapidement produire plus d’énergie indigène, en particulier rehausser les barrages existants ou en construire de nouveaux ainsi que réaliser de grandes centrales solaires dans les Alpes. Si accélérer la production d’énergie renouvelable dans le pays est un objectif que tout le monde partage, ce sont les pistes privilégiées qui posent problème. La priorité devrait aller à l’installation de panneaux solaires sur les infrastructures et toits existants ainsi qu’à la sobriété énergétique. Ce dernier point est malheureusement totalement absent dans le radar du nouveau ministre de l’environnement.
Quant à l’affirmation que les intérêts de la production énergétique doivent passer clairement avant ceux du paysage et de la biodiversité, elle montre bien qu’Albert Rösti ne considère pas que la biodiversité en Suisse est en danger. Selon son propre office de l’environnement, la moitié des milieux naturels et un tiers des espèces y sont pourtant menacés. Et qu’il ne comprend pas les interactions entre biodiversité et climat et notamment le rôle important que la biodiversité peut jouer en matière climatique, comme par exemple le captage du CO2 dans les zones humides.
De plus le nouvel élu au Conseil fédéral entend accélérer les procédures concernant les centrales photovoltaïques alpines en évitant que des recours soient déposés par de petites organisations régionales. Autrement dit un nouveau coup de canif dans le droit de recours qui ne respecte pas l’état de droit en voulant abolir la pesée des intérêts entre production d’énergie et protection de la biodiversité.
Un message ambigu sur la protection du climat
Le Parlement a adopté en septembre dernier le contre-projet indirect à l’Initiative pour les glaciers. Cette “Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique” ancre l’objectif de la neutralité carbone pour 2050 et met 2 milliards à disposition pour le remplacement des chauffages fossiles et l’assainissement des bâtiments ainsi que 1,2 milliards pour soutenir les innovations dans la décarbonation de l’économie.
Albert Rösti est membre du comité d’initiative qui a lancé le référendum contre cette loi et nous voterons en juin prochain sur ce sujet. Il se veut maintenant rassurant dans son nouvel habit de Conseiller fédéral et reprend à son compte l’objectif du gouvernement d’atteindre la neutralité climatique. Il affirme même que la lutte contre le changement climatique doit être placée tout en haut de l’agenda politique. Très bien. Mais dans quelle mesure Albert Rösti s’engagera-t-il avec conviction contre un référendum qu’il a lui-même lancé ? Dans la même veine, l’ancien président d’auto suisse, l’association des importateurs suisses d’automobiles, va-t-il poursuivre une politique, favorable au climat, de transfert modal des transports individuels motorisés vers les transports publics alors qu’il l’a toujours combattue jusqu’ici ?
Le retour du nucléaire
Avec l’acceptation de la Stratégie énergétique 2050, le peuple suisse a clairement approuvé la sortie du nucléaire. Or pour le nouveau conseiller fédéral, ancien lobbyiste du nucléaire, la durée de vie des centrales existantes doit être prolongée au maximum. Dans son discours, il a même évoqué la possibilité d’aider les exploitants des centrales nucléaires afin qu’ils puissent financer les investissements nécessaires à la prolongation de vie de leurs centrales. Cette promesse d’aide au secteur nucléaire marque un clair changement de cap par rapport à Simonetta Sommaruga.
Idem sur la question des nouvelles centrales nucléaires. Là aussi Albert Rösti prend le contrepied du Conseil fédéral en se montrant ouvert à la construction de nouvelles centrales nucléaires. Aucun argument ne plaide pourtant pour la filière nucléaire, à la fois très coûteuse et dangereuse.
Les premières prises de parole officielles d’Albert Rösti comme chef du DETEC ne sont guère rassurantes. Pour les Vert.e.s et toutes les personnes préoccupées par les défis environnementaux, il s’agira de se montrer particulièrement vigilants ces prochains mois pour scruter les positions d’Albert Rösti et voir sa capacité à véritablement respecter la collégialité plutôt que défendre les points de vue de l’UDC.
Dans un contexte multi-crises, l’année 2023 s’annonce difficile. Et si c’était l’occasion de changer de cap et de passer à une économie post-croissance?
Changer les indicateurs pour mesurer la réussite économique
Réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, contexte géopolitique incertain, problème d’approvisionnement énergétique, hausse des prix de l’énergie, retour de l’inflation, manque de main-d’œuvre dans certains secteurs, à première vue, l’année 2023 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices.
Face à ces crises qui s’accumulent, le moment est venu de s’interroger sur les limites de la croissance économique et sur le « sens de la vie ». Le succès d’un pays et le bonheur d’une société peuvent-ils être mesurés uniquement à l’aune de la croissance continue du produit intérieur brut (PIB) ou devrions-nous fixer d’autres critères pour mesurer la réussite? La croissance nous est présentée comme un indicateur de progrès et de bien-être, et donc de bonheur, et constitue depuis des décennies l’objectif affirmé et indépassable des politiques de développement économique des sociétés modernes. Et aussi comme LA solution à toutes les difficultés sociales et environnementales: il faudrait plus de croissance afin d’amener la richesse qui permettra de résoudre les problèmes de pauvreté, de climat ou de biodiversité.
Le PIB s’est ancré comme mesure universelle du bonheur malgré ses limites aujourd’hui reconnues.
Depuis le milieu du 20ème siècle, l’indicateur utilisé pour évaluer le succès d’un pays est le Produit Intérieur Brut (PIB). Cet indicateur économique mesure la valeur totale de la « production de richesse » effectuée par les agents économiques (ménages, entreprises, administrations publiques) résidant à l’intérieur d’un pays ou d’une région. Le PIB s’est ancré comme mesure universelle du bonheur malgré ses limites aujourd’hui reconnues.
Le PIB ne tient en particulier pas compte des effets néfastes comme la pollution de l’air, la destruction de la biodiversité ou le bruit. Ni des prestations non marchandes comme le travail domestique et le travail bénévole. Nous sommes toutes et tous influencés par ce type d’indicateurs qui nous sont servis chaque jour comme étalon du bien-être. Ainsi, lorsque nous apprenons que le PIB stagne ou diminue, nous pensons automatiquement que nous allons vers des temps difficiles. Le PIB est donc plus qu’un indicateur “technique”, c’est aussi un puissant colonisateur de nos imaginaires.
D’autres indicateurs ont vu le jour pour mettre le doigt sur des dimensions non prises en compte par le PIB. Par exemple l’empreinte écologique: elle montre qu’en 2022 l’humanité a vécu à crédit depuis le 28 juillet, jour du dépassement, soit le jour où elle a dépensé son quota annuel de ressources naturelles disponibles. En 1970 c’était le 23 décembre et année après année, la date est de plus en plus précoce.
Façonner un avenir avec moins de biens et plus de liens
En Suisse, l’année dernière, ce jour du dépassement a eu lieu le 13 mai. En 2016, c’était déjà le 18 avril. Autrement dit, la Suisse s’améliore et c’est réjouissant. Mais malgré ce progrès, si tous les habitants du monde consommaient comme nous, il nous faudrait près de 3 planètes pour fournir les ressources dont nous avons besoin pour assurer notre train de vie. Nous vivons donc à crédit au détriment des générations futures et des autres régions du monde, comme le reconnaît clairement la Confédération sur la page du site de l’Office fédéral de la statistique consacrée à l’empreinte écologique.
L’avenir n’est-il pas de favoriser une sobriété heureuse avec moins de biens et plus de liens?
Que faire ? Le progrès technologique et l’action politique peuvent apporter certaines solutions, j’en suis convaincu. Mais ce ne sera pas suffisant. N’est-il pas temps, individuellement et collectivement, de changer nos modes de vie en privilégiant davantage les relations solidaires avec nos proches ainsi que le respect de la nature et des écosystèmes? Et accorder moins d’importance à l’accumulation sans fin de biens matériels comme “l’exige” notre société de consommation basée sur la croissance? L’avenir n’est-il pas de favoriser une sobriété heureuse avec moins de biens et plus de liens en entamant, dans nos pays riches, un processus de décroissance économique ?
Chacun trouvera ses propres réponses à ces questions. Mais une chose est sûre, l’amour et l’amitié sont des sentiments qui eux, doivent incontestablement croître! Je vous souhaite une très belle année 2023.
P.S.: si ce sujet croissance/décroissance économique vous intéresse, je vous recommande vivement la lecture du livre de l’économiste Timothée Parrique, Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance, Seuil, 2022.
Le déclenchement de l’invasion russe en Ukraine a contraint de nombreuses personnes à quitter leur pays, mettant sous pression les systèmes d’asile suisse et européen. Selon les statistiques du Secrétariat d’État aux migrations (SEM), à la fin du mois d’octobre, près de la moitié des personnes se trouvant dans le processus d’asile en Suisse étaient des ressortissant·e·s ukrainien·ne·s, soit environ 60’000 personnes[1].
Alors qu’un statut de protection particulier a été activé pour la première fois pour les personnes fuyant l’Ukraine – le statut de protection S – et que de nombreuses mesures ont été mises en place pour s’adapter à l’urgence de la situation, il semble intéressant de questionner certains faits illustrant une politique d’asile à deux vitesses.
Inégalité de traitement
Le 9 novembre, le Conseil fédéral décidait de prolonger le statut de protection S dont bénéficient les personnes en provenance d’Ukraine jusqu’au 4 mars 2024 – sauf changement radical de la situation en Ukraine. Le Conseil fédéral demandait aussi aux cantons de prolonger d’un an la validité des permis S arrivant à expiration, ces derniers étant renouvelables d’année en année.
Les mesures de soutien de la Confédération en faveur des bénéficiaires d’un permis S seraient également prolongées. De telles mesures ont notamment pour objectif d’encourager l’apprentissage de la langue et ainsi de faciliter l’accès à l’emploi et à la vie sociale.
Deux jours plus tard un peu plus au sud, le 11 novembre, les 230 personnes secourues en mer du 22 au 26 octobre par l’ONG SOS Méditerranée ont enfin pu débarquer dans le port de Toulon. Près de trois semaines d’attente pour ces migrants qui ont mis leur vie en péril. 4 d’entre eux avaient besoin de soins médicaux d’urgence. On les a évacué par hélicoptère seulement le 10 novembre.
L’Ocean Viking, navire de sauvetage en mer affrété par SOS Méditerranée, a ainsi subi le plus long blocage de l’histoire de l’ONG. Comme l’exprimait Caroline Abu Sa’Da, Directrice Générale de SOS Méditerranée Suisse dans un communiqué : « Débarquer près de 3 semaines après les sauvetages, si loin de la zone d’opération en Méditerranée centrale est le résultat d’un échec dramatique de la part de l’ensemble des États européens, qui ont bafoué le droit maritime d’une manière inédite »[2].
Les inégalités de traitement entre les requérant·e·s d’asile en provenance d’Ukraine et celles et ceux qui ont fui d’autres pays sont intolérables d’un point de vue éthique.
Mises en parallèle, ces deux informations posent des questions éthiques relatives à la politique migratoire suisse et européenne.
Solidarité à saluer
D’une part, la solidarité exprimée à l’égard des réfugié·e·s ukrainien·ne·s est à saluer. La Suisse, à l’instar de l’UE, a mené une importante politique d’accueil et d’intégration pour les personnes fuyant l’Ukraine. L’ouverture de lieux d’hébergements supplémentaires, des cours de langues spécifiquement dédiés aux personnes ukrainiennes, l’activation d’un permis de séjour particulier – permettant notamment de contourner les procédures d’asile classiques et d’intégrer plus rapidement le marché du travail – sont autant d’exemples des mesures prises rapidement par les autorités politiques de notre pays pour venir en aide aux réfugié·e·s ukrainien·ne·s. À ces mesures s’ajoute un véritable élan de solidarité témoigné par de nombreuses personnes privées, en particulier un nombre important de familles d’accueil.
S’il est difficile de trouver des terrains d’entente entre les différents États, il demeure indispensable de ne pas occulter la réalité brutale que vivent certain·e·s migrant·e·s.
D’autre part, on peut constater la difficulté des pays européens et de la Suisse à trouver des solutions humainement acceptables quand il s’agit de la migration issue du Moyen-Orient ou d’Afrique, Le règlement Dublin crée des tensions entre les pays: les États situés aux frontières de l’UE et dans lesquels les migrant·e·s sont contraint·e·s de déposer leur demande d’asile s’estimant notamment lésés par la répartition des requérant·e·s au sein de l’UE.
25’000 morts en Méditerranée
L’apogée de cet échec politique a été atteint cet automne, lorsque différents États ont refusé à l’Ocean Viking l’accès à un port sûr, contraignant les personnes rescapées à rester à bord du navire durant des semaines, et ce dans une totale incertitude quant à un possible débarquement. Si les processus politiques conduisant à une révision du règlement Dublin sont longs et s’il est difficile de trouver des terrains d’entente entre les différents États, il demeure indispensable de ne pas occulter la réalité brutale que vivent certain·e·s migrant·e·s. L’absence de consensus politique relative au règlement Dublin ne justifie nullement la mort de plus de 25’000 personnes en Méditerranée depuis 2014[3].
L’indifférence à l’égard des migrant·e·s risquant une traversée de la Méditerranée au péril de leur vie, de même que les inégalités de traitement entre les requérant·e·s d’asile en provenance d’Ukraine et celles et ceux qui ont fui d’autres pays sont intolérables d’un point de vue éthique. Toute personne requérante d’asile a droit au respect de sa dignité et il serait souhaitable que les politiques d’asile européenne et suisse garantissent un traitement équitable à tout·e requérant·e d’asile. La gestion des réfugié·e·s ukrainien·ne·s est certes complexe, mais elle a le mérite de démontrer qu’une volonté politique associée à un soutien populaire peut conduire à une gestion humaine des personnes issues de la migration.
Les réfugiés d’aujourd’hui seront les travailleurs de demain
À l’avenir, la Suisse et l’Union européenne seront sans doute appelées à relever d’autres défis migratoires, tels que ceux induits par les personnes quittant leur pays pour des raisons climatiques. Gardons à l’esprit qu’il est possible d’agir de façon solidaire et qu’il est essentiel de s’engager sur le plan politique pour une meilleure coopération interétatique afin d’éviter que d’autres drames ne transforment la Méditerranée en cimetière de migrant·e·s. Et que les personnes qui se réfugient aujourd’hui en Suisse pourraient bien être celles qui demain s’occuperont de nous dans les EMS et les hôpitaux ou seront en cuisine et au service dans nos restaurants. A condition de leur laisser la possibilité de se former et de travailler…
Sujet hautement émotionnel, remettre en cause la politique agricole et en particulier notre attachement à la viande suscite des réactions parfois violentes. Pourtant, selon un récent rapport, réduire le nombre d’animaux de rente et la consommation de viande sont les plus sûrs moyens pour que l’agriculture suisse atteigne ses objectifs de diminution de ses émissions polluantes.
Création d’une assemblée citoyenne
Afin d’impliquer la population dans les réflexions sur ces défis, différentes organisations dont la Fondation Biovision, le Sustainable Development Solution Network (SDSN) et Agriculture du Futur ont décidé de créer une assemblée citoyenne, avec le soutien de trois offices fédéraux.
L’objectif de cet assemblée officiellement lancée en juin dernier est clair. Il s’agit de répondre à la question suivante : « À quoi doit ressembler une politique alimentaire pour la Suisse qui, d’ici 2030, mette à la disposition de tous des aliments sains, durables, respectueux des animaux et produits de manière équitable ? ».
Quels pourraient être les avantages potentiels de ce type de démarche de démocratie participative?
La situation semble aujourd’hui bloquée au niveau parlementaire pour faire évoluer de manière plus durable la politique agricole et plus généralement la politique alimentaire de la Suisse. Pourtant les défis sont nombreux, entre production de denrées alimentaires, préservation de la biodiversité et du climat et juste rémunération des agriculteurs.trices.
La composition de l’assemblée citoyenne se distingue de celles de nos parlements. En effet, 85 participant·e·s ont été tiré·e·s au sort en fonction de critères garantissant une représentativité des sexes, des âges, des niveaux d’éducation, des opinions politiques ou encore des lieux de vie. Ce type de sélection permet de garantir une diversité au sein de l’assemblée qui se rapproche de celle présente dans la population. Contrairement au Parlement fédéral qui demeure un organe socialement très sélectif se composant essentiellement d’universitaires, d’entrepreneurs·euses, de professions libérales ou de politicien·ne·s professionnel·le·s.
Lobbyisme citoyen et participatif
De cette manière, des groupes de population ne faisant d’ordinaire pas partie des décideurs politiques sont amenés à réfléchir sur des thématiques précises et à formuler des recommandations à l’intention des élu·e·s. Pour les accompagner, des professionnels chargés de modérer les débats et un panel d’expert·e·s.
Si le processus est nouveau à l’échelle suisse, de telles assemblées citoyennes ont déjà vu le jour dans d’autres pays. En France voisine par exemple, une Convention Citoyenne pour le climat – rassemblant 150 personnes tirées au sort et représentant la diversité de la société françaises – avait été créée par Emmanuel Macron à l’automne 2019, avec pour objectif de proposer des mesures pour réduire d’au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 dans une logique de justice sociale. En juin 2020, 149 propositions avaient été formulées par la Convention Citoyenne. Cela ne suffit toutefois pas à en faire un exercice réussi, la dernière étape étant la reprise de ses mesures par les milieux politiques.
Il est à cet effet frappant de constater que seules 10 % des mesures proposées par la Convention Citoyennes ont été reprises sans modification par le gouvernement français!
Le système politique suisse étant assez différent du système français, on peut espérer que le Conseil fédéral et le Parlement seront prêts à étudier plus en profondeur les recommandations que l’assemblée citoyenne pour une politique alimentaire rendra publiques en février 2023. Le secteur agricole devra lui aussi participer à l’effort collectif et diminuer son empreinte environnementale, la réduction d’au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de l’agriculture à l’horizon 2050 étant un objectif fixé par la Confédération, même si cet objectif est inférieur à celui imposé à d’autres domaines.
Aujourd’hui les fronts sont bloqués entre tenants de l’agriculture conventionnelle et ceux qui souhaitent une agriculture décarbonée et sans pesticides. Espérons que l’Assemblée citoyenne parviendra à réconcilier (un peu) ces deux fronts.
L’initiative contre l’élevage intensif serait, selon les opposants, une nouvelle lutte acharnée contre le secteur agricole, et elle porterait atteinte à la souveraineté alimentaire suisse. C’est loin d’être le cas. Elle a le mérite de répondre à de nombreux enjeux, tant au niveau éthique, environnemental, économique que de la santé humaine.
Le texte de l’initiative veut inscrire dans la Constitution helvétique la protection de la dignité des animaux de rente et l’interdiction de l’élevage intensif. Il prévoit que, d’ici 25 ans, les exigences de bien-être du bétail et de la volaille atteignent au moins les critères du cahier des charges 2018 du label Bio Suisse.
Et oui, derrière le steak, le filet-mignon, la cuisse, il y a un bœuf, un porc ou un poulet. Des animaux que notre Code civil ne considère pas comme des choses mais comme des êtres qui ont une dignité. Et nous devons améliorer la manière dont nous en élevons une partie.
L’élevage intensif nuit à l’environnement et au climat
En Suisse, le bétail est responsable d’environ 10% des émissions de gaz à effet de serre indigènes. Comment? En rotant, pétant ou déféquant, le bétail rejette du méthane dans l’atmosphère, un gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2. La production de viande a également un impact considérable sur les émissions d’azote et de phosphore. Ces apports excessifs viennent principalement du fait que notre cheptel, dans la filière porcine et de la volaille principalement, n’est pas dimensionné en fonction de notre base fourragère et dépend de l’importation de 1,4 million de tonnes de fourrages étrangers chaque année. L’équilibre est rompu. Le lisier sursature nos sols et nos eaux en azote et en phosphore. (A lire également: Pollution à l’azote: l’autre fardeau de l’élevage.) Cet excès porte donc préjudice à la fois à la qualité des eaux, du sol, de l’air, au bilan des gaz à effet de serre, aux fonctions sylvicoles ainsi qu’à la biodiversité.
Une énorme part de fourrage est importé
Dans notre pays le cheptel d’animaux de rente ne cesse d’augmenter alors même que le nombre d’exploitations agricoles ne cesse lui de diminuer. Les élevages industriels de poulet se multiplient (27% de plus entre 2009 et 2019). Pour nourrir ces bêtes, il faut beaucoup de fourrage. Si deux tiers des terres arables en Suisse sont cultivées pour nourrir les animaux de rente, on importe également énormément de fourrage, parfois d’outre-mer. Si les chèvres ou les moutons sont nourries à 94% et les bovins à 86% par des fourrages indigènes, cette part tombe à 48% pour les porcs et même à 26% pour la volaille. Les poulets suisses sont ainsi quasiment des produits «hors sol» dont la nourriture est produite en grande partie sur des terres agricoles étrangères.
Une feuille A4 par poulet
Dans une exploitation de production animale intensive, les besoins fondamentaux des animaux ne sont pas respectés. De grands groupes d’animaux n’ont pas d’accès régulier à l’extérieur, ni de suivi vétérinaire approprié. Ils sont de plus concentrés sur la plus petite surface possible. C’est particulièrement le cas pour l’élevage des porcs (jusqu’à 10 cochons sur une place de parking) et de la volaille (une feuille A4 par poulet).
Risques pour la santé
L’élevage intensif nuit à notre santé. Non seulement par l’apport excessif d’azote et de phosphore comme mentionné plus haut, mais aussi par les risques de propagation de maladies virales. Par ailleurs, les effets négatifs d’une trop grande consommation de viande sur la santé humaine sont aujourd’hui bien documentés. Chaque suisse mange en moyenne 51kg de viande (sans compter la viande achetée à l’étranger).
La production suisse pas pénalisée
Cet objectif d’interdire l’élevage intensif va-t-il contraindre nombre d’exploitations à la faillite comme le proclament les opposants? Dans les faits, plus de 90% des exploitations ne sont pas concernées par l’initiative car elles ont aujourd’hui déjà des modes d’élevage respectueux des animaux. Pour les autres – cela concerne essentiellement des élevages de volaille ou de porcs – un délai de mise en œuvre de 25 ans est prévu par l’initiative. De quoi avoir largement le temps de s’adapter à la nouvelle législation ou d’amortir d’éventuels investissements.
Contrairement à ce que proclament les opposants, la production suisse serait même avantagée par rapport à la production étrangère. Ces critères de bien-être animal proposés par le texte devront aussi être appliqués aux importations d’animaux et de produits d’origine animale. Aujourd’hui, nous importons en quantité des produits d’origines animales qui ne respectent pas les règles suisses et qui font une concurrence déloyale à nos propres produits. La Suisse pourra-t-elle imposer ces règles aux importations tout en respectant les accords de l’OMC? Les avis des juristes divergent. Mais c’est une bonne occasion de remettre en cause le libre-commerce dans le secteur agricole.
Dans la production animale industrielle, les principaux bénéficiaires sont aujourd’hui les fabricants et négociants de fourrage ainsi que la grande distribution.
Conscient de la nécessité de mieux tenir compte du bien-être animal tout en préservant les différents intérêts, le Conseil fédéral avait proposé un contre-projet direct, soutenu notamment par la majorité des cantons ainsi que par la Société des Vétérinaires Suisses. Il estimait en effet que des progrès doivent être réalisés en termes d’hébergement et de soins respectueux des animaux, d’accès à l’extérieur et d’abattage des animaux.
Malheureusement la majorité du parlement a refusé tout contre-projet. C’est donc maintenant au peuple de montrer, en disant oui à l’initiative, qu’il souhaite que la publicité montrant des poulets ou des porcs heureux gambadant à l’extérieur corresponde à la réalité. Et qu’il soutient les éleveurs car dans la production animale industrielle les principaux bénéficiaires sont aujourd’hui les fabricants et négociants de fourrage ainsi que la grande distribution.
Depuis maintenant plusieurs années, les tribunaux helvétiques, comme ceux d’autres États, doivent traiter des «affaires climatiques». Ceci amène à réfléchir sur les conflits de compétence entre le pouvoir judiciaire et le monde politique.
Qu’il s’agisse d’actions en justice contre des États pour inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique, de plaintes contre des entreprises pour atteintes à l’environnement ou encore d’actes de désobéissance civile pour le climat, les «affaires climatiques» se sont multipliées dans les tribunaux du monde entier. La Suisse a aussi connu quelques affaires retentissantes, parmi lesquelles la partie de tennis dans les locaux d’une succursale de la banque Crédit Suisse et le recours des Ainées pour la protection du climat, toutes deux actuellement en cours de traitement par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Que faire lorsque les États ne respectent pas leurs engagements?
Les États se sont engagés à prendre des mesures fortes en matière de lutte contre le réchauffement climatique, par le biais notamment de traités internationaux tel que l’Accord de Paris. Que peuvent faire les citoyen·ne·s lorsque les États ne respectent pas ces engagements?
Sur le plan juridique, en l’absence de juridiction internationale à même de sanctionner l’inaction des États, les citoyen·ne·s n’ont d’autre choix que d’actionner les tribunaux nationaux.
Au nombre des instruments classiques de mobilisation telles que les manifestations, les actions de désobéissance civile ou les pétitions s’ajoutent donc les actions en justice. Si le phénomène n’est pas nouveau, il a pris une ampleur considérable, forçant les tribunaux à prendre des positions parfois novatrices, à l’image de la Cour suprême des Pays-Bas qui en 2019 condamna l’État néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans la célèbre affaire Urgenda.
Comme l’ont démontré différents procès, les tribunaux peuvent s’engager sur la voie de la justice climatique tout en respectant les cadres législatifs existants et en ne portant pas atteinte à la séparation des pouvoirs. Pour ce faire, deux éléments particulièrement importants ressortent des contentieux climatiques ayant marqué le monde juridique.
En premier lieu, les juges peuvent s’appuyer sur les travaux scientifiques et entendre des expert·e·s. Si les connaissances scientifiques en matière de climat et d’environnement influencent les modifications législatives, elles peuvent aussi peser sur les décisions juridiques, notamment lorsqu’il s’agit d’analyser le caractère imminent d’une atteinte ou le risque qu’une atteinte se produise à l’avenir.
Droit à un environnement sûr, propre, sain et durable
En second lieu, les contentieux climatiques ont accentué le phénomène de «verdissement» des droits fondamentaux, à savoir l’intégration de considérations écologiques dans l’interprétation des droits humains. Le 8 octobre 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a même franchi un pas de plus en adoptant une résolution visant à reconnaître un droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. Le respect des droits humains implique donc une préservation de l’environnement. Dans l’affaire Urgenda, la Cour suprême des Pays-Bas avait par exemple estimé que les droits fondamentaux à la vie et à la protection de la vie privée et familiale n’étaient plus garantis si les Pays-Bas ne réduisaient pas leurs émissions de gaz à effet de serre. En veillant au respect des droits fondamentaux, les juges ne font qu’exercer une de leurs missions essentielles dans un État de droit.
Les affaires climatiques replacent donc les tribunaux dans une position active, au cœur des enjeux sociétaux. Une position critiquée par certain·e·s juristes ou politiques.
Les tribunaux doivent-ils se contenter de réciter la loi ? Ou ont-ils le devoir d’appliquer la loi en y apportant une certaine interprétation?
Quelle que soit sa vision du rôle des juges – qui varie selon différentes théories du droit – l’on peut admettre qu’il leur est difficile pour de rendre une décision absolument objective. Les juges restent des êtres humains, et leurs décisions ne sauraient s’affranchir d’une certaine forme de jugements de valeurs, nécessaires pour passer de la loi, générale et abstraite, au cas, singulier et concret.
Responsabilité d’agir
Au vu de l’urgence climatique, les juges ne peuvent se contenter d’observer passivement une crise planétaire qui les dépasserait. Leur rôle n’est-il pas au contraire d’occuper une place dans le contentieux climatique ? Osons même reconnaître au pouvoir judiciaire une certaine responsabilité d’agir. Les enjeux environnementaux sont trop importants pour qu’un des trois pouvoirs garantissant l’équilibre de notre démocratie s’en désintéresse.