Albert Rösti au DETEC: les craintes se confirment

Le nouveau patron du Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a passé mercredi son grand oral devant les principaux acteurs de la branche électrique lors du 14e Congrès suisse de l’électricité à Berne. Lors de son allocution, il a dévoilé les grandes orientations qu’il entend donner dans son département. Et confirmé certaines craintes que sa nomination a amenées auprès des milieux défenseurs de l’environnement. Tour d’horizon en trois points.

 

La protection du paysage et la biodiversité sacrifiées sur l’autel de la production énergétique

Message principal martelé par l’élu UDC : il faut rapidement produire plus d’énergie indigène, en particulier rehausser les barrages existants ou en construire de nouveaux ainsi que réaliser de grandes centrales solaires dans les Alpes. Si accélérer la production d’énergie renouvelable dans le pays est un objectif que tout le monde partage, ce sont les pistes privilégiées qui posent problème. La priorité devrait aller à l’installation de panneaux solaires sur les infrastructures et toits existants ainsi qu’à la sobriété énergétique. Ce dernier point est malheureusement totalement absent dans le radar du nouveau ministre de l’environnement.

Quant à l’affirmation que les intérêts de la production énergétique doivent passer clairement avant ceux du paysage et de la biodiversité, elle montre bien qu’Albert Rösti ne considère pas que la biodiversité en Suisse est en danger. Selon son propre office de l’environnement, la moitié des milieux naturels et un tiers des espèces y sont pourtant menacés. Et qu’il ne comprend pas les interactions entre biodiversité et climat et notamment le rôle important que la biodiversité peut jouer en matière climatique, comme par exemple le captage du CO2 dans les zones humides.

De plus le nouvel élu au Conseil fédéral entend accélérer les procédures concernant les centrales photovoltaïques alpines en évitant que des recours soient déposés par de petites organisations régionales. Autrement dit un nouveau coup de canif dans le droit de recours qui ne respecte pas l’état de droit en voulant abolir la pesée des intérêts entre production d’énergie et protection de la biodiversité.

 

Un message ambigu sur la protection du climat

Le Parlement a adopté en septembre dernier le contre-projet indirect à l’Initiative pour les glaciers. Cette “Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique” ancre l’objectif de la neutralité carbone pour 2050 et met 2 milliards à disposition pour le remplacement des chauffages fossiles et l’assainissement des bâtiments ainsi que 1,2 milliards pour soutenir les innovations dans la décarbonation de l’économie.

Albert Rösti est membre du comité d’initiative qui a lancé le référendum contre cette loi et nous voterons en juin prochain sur ce sujet. Il se veut maintenant rassurant dans son nouvel habit de Conseiller fédéral et reprend à son compte l’objectif du gouvernement d’atteindre la neutralité climatique. Il affirme même que la lutte contre le changement climatique doit être placée tout en haut de l’agenda politique. Très bien. Mais dans quelle mesure Albert Rösti s’engagera-t-il avec conviction contre un référendum qu’il a lui-même lancé ? Dans la même veine, l’ancien président d’auto suisse, l’association des importateurs suisses d’automobiles, va-t-il poursuivre une politique, favorable au climat, de transfert modal des transports individuels motorisés vers les transports publics alors qu’il l’a toujours combattue jusqu’ici ?

 

Le retour du nucléaire

Avec l’acceptation de la Stratégie énergétique 2050, le peuple suisse a clairement approuvé la sortie du nucléaire. Or pour le nouveau conseiller fédéral, ancien lobbyiste du nucléaire, la durée de vie des centrales existantes doit être prolongée au maximum. Dans son discours, il a même évoqué la possibilité d’aider les exploitants des centrales nucléaires afin qu’ils puissent financer les investissements nécessaires à la prolongation de vie de leurs centrales. Cette promesse d’aide au secteur nucléaire marque un clair changement de cap par rapport à Simonetta Sommaruga.

Idem sur la question des nouvelles centrales nucléaires. Là aussi Albert Rösti prend le contrepied du Conseil fédéral en se montrant ouvert à la construction de nouvelles centrales nucléaires. Aucun argument ne plaide pourtant pour la filière nucléaire, à la fois très coûteuse et dangereuse.

 

Les premières prises de parole officielles d’Albert Rösti comme chef du DETEC ne sont guère rassurantes. Pour les Vert.e.s et toutes les personnes préoccupées par les défis environnementaux, il s’agira de se montrer particulièrement vigilants ces prochains mois pour scruter les positions d’Albert Rösti et voir sa capacité à véritablement respecter la collégialité plutôt que défendre les points de vue de l’UDC.

 

 

Christophe Clivaz

Christophe Clivaz est le premier conseiller national vert valaisan. Il a été auparavant député (2013-2016) et conseiller municipal à Sion (2009-2019). Politologue de formation (Dr. en administration publique), il s'est spécialisé dans l'étude du tourisme alpin. Il est professeur associé à mi-temps à l'Institut de géographie et durabilité de l'Université de Lausanne, sur le site de Sion.

14 réponses à “Albert Rösti au DETEC: les craintes se confirment

  1. “Aucun argument ne plaide pourtant pour la filière nucléaire, à la fois très coûteuse et dangereuse.”

    Pourtant ce n’est pas ce que montrent les différentes études des instances de référence, à la fois au niveau des coûts (AIE, OFEN / PSI, UE), au niveau du danger réel / risque (analyse de risque OFSP, chiffres de décès compilés par OurWorldInData). Vous devriez vraiment faire un travail objectif de veille scientifique sur le sujet tellement on nous rabache sans cesse ces poncifs faux (au niveau des coûts, on utilise toujours cette source bidon de Lazard, en conflit d’intérêt, avec des hypothèses risibles et des chiffres aberrants). Cela vous serait insupportable qu’autant de fake news frappent vos domaines de prédilection, il est regrettable de les propager dans l’énergie.

    Quant à l’environnement sujet qui est à mon sens le plus important (et pour vous aussi), le nucléaire est non seulement l’énergie la plus bas carbone (à égalité avec éolien et hydro) mais aussi la moins impactante sur la biodiversité (avec le PV en toiture). Les études de référence sur le sujet (UNECE, JRC) qui étudient l’ensemble des impacts (consommation de ressources, d’espaces, pollutions diverses…) classent le nucléaire au même niveau que les énergies renouvelables et rappellent que ce sont les fossiles le problème – même avec de la capture carbone.

    En tant que sympathisant écolo, j’ai de plus en plus de mal à supporter cette schizophrénie à appeler le peuple à écouter les scientifiques sur les questions de climat et de biodiversité tout en désinformant et tournant nous-même le dos aux faits lorsque cela ne nous plaît pas. Cela risque de nous revenir en pleine figure comme un boomerang quand on sera toujours en train de consommer du fossile et que les prix de l’énergie feront monter les extrêmes en menaçant notre cohésion sociale.

    Pendant ce temps-là, on construit une centrale gaz-mazout en Argovie…

  2. Et si on laissait le nouveau conseiller fédéral commencer son mandat avant de le critiquer systématiquement dans les médias et par la gauche ?

  3. “Avec l’acceptation de la Stratégie énergétique 2050, le peuple suisse a clairement approuvé la sortie du nucléaire.”

    Il a approuvé car un peu bêtement, il a cru des gens comme vous qui ont expliqué que ça allait bien se passer, que les autres pays allaient combler notre manque et que nos besoins en électricité allaient diminuer.

    5 ans plus tard et après avoir fêté la fermeture de 1/5 des réacteurs nucléaires du pays, on a annoncé aux suisses: des hausses de 30% à 150% du kWh, on leur a dit de se préparer à des coupures d’électricité (du jamais vu en 50 ans), que des entreprises allaient fermer et que le pire était probablement à venir.

    Albert Rösti n’est pas rassurant car il doit réparer tous les délires que vous avez assené à la population ces 20 dernières années. Ce travail est colossal et il est loin d’être terminé car les gens ne comprennent pas dans quelle panade nous sommes! C’est vos idées qui nous ont mené là où nous sommes… et nous ne sommes pas prêts d’en sortir!

    Pas merci.

    1. Un peu d’honnêteté vous permettrait de reconnaître que la fermeture de Mühleberg n’est pour rien dans l’augmentation des tarifs libres de l’électricité en Suisse et en Europe. Par contre, la libéralisation du marché, refusée par le peuple mais introduite quand même… Car personne n’a manqué d’électricité cet hiver et le prix de vente est découplé du prix de production. Déjà que l’opposition au nucléaire était forte lorsque l’on produisait pour la consommation nationale… Mais maintenant que le marché s’est globalisé de manière à pouvoir exporter pour le plus grand profit des spéculateurs, comment convaincre la population de prendre des risques que même les assureurs refusent?

  4. C’est la croissance de la population qui pose problème. 1-2 millions d’habitants en plus, c’est une forte consommation d’énergie en plus. Et bien sûr, c’est un impact important sur la biodiversité.
    Avant toute mesure, c’est là qu’il faut regarder. Une stagnation de la population serait d’une aide inestimable. Or chez les Vert.e.es, c’est le silence, et c’est l’UDC qui profite de ce thème, non pour des raisons liés à l’écologie, mais à l’immigration.
    Faites des recherches sur les conséquences d’un million d’habitants en plus.
    J’entends bien des gens vivant dans une maison ou villa, parler de densification. Je ne supporte plus cette hypocrisie alors que la majorité des gens vit dans un monde locatif de béton, et ont l’idée de quitter ce béton si ils le peuvent.

    Les objectifs ne seront jamais atteint si on court derrière l’augmentation de la population. En tous les cas, ça ne pourra que favoriser le nucléaire et l’abondance de panneaux solaires.

  5. Le temps des dirigeants raisonnables est passé. L’intérêt général est compte plus. On ne fait que défendre les idées extrémistes de chaque parti.
    La politique va droit dans le mur et la démocratie suisse aussi.

    Le nombre d’habitants de notre pays ne joue aucun rôle dans la gestion des affaires du pays. Ce d’autant que les pauvres contribuent au bien être d’une petite minorité au pouvoir dans tous les partis.

  6. Motus apporte les arguments décisifs et avec lesquels je suis en plein accord. Les vert.e.s sont trop enfermé.e.s dans une idéologie qui consiste tantôt à mettre des enfants au monde pour qu’il devienne vert tantôt à rêver d’un monde vert pour y faire naître des enfants. Tautologie dont il est difficile de s’échapper à moins de se taire. Jamais les mots d’ordre n’ont dessiné de futur plausible… mais allez le leur expliquer! La question qu’il faudrait se poser encore, même si elle a déjà été soulevée, c’est celle de la répartition des départements au Conseil Fédéral. À part deux postes, tous les autres me semblent avoir été trop “rapidement” attribués, dont celui de Monsieur Rösti.

  7. Le problème des économies d’énergie pour l’essentiel ces prochaines décennies repose 1) sur l’isolation des bâtiments, 2) Fenetres à double ou triple vitrage, 3) Pompes à chaleur. Pour produire de l’électricité, selon le département spécialisé de l’EPFL, il est recommandé de couvrir l’ensemble des toits suisses avec des panneaux PV. Pour le reste (hydroélectrique, biomasse, éoliens, fossiles, hydrogène) il faudra adapter l’usage en fonction des besoins actualisés. Il est probable que les fameux barons vont privilégier ce qui leur convient le mieux !

    1. Un paradoxe à ne pas négliger :
      Avec 200 km2 de modules photovoltaïques (PV) en Suisse, on aurait une puissance installée de près de 40 GW pour produire environ 35 TWh par an sous nos latitudes. Mais le chiffre de cette puissance est énorme en regard de la demande électrique effective du pays qui est actuellement de 7 GW en moyenne, oscillant entre 5 et 11 GW. Ce minimum, qui n’est donc jamais zéro, doit être assuré coûte que coûte, c’est le ruban incompressible. Demain, disons en 2050, avec 10 millions d’habitants et une électrification des transports et des chauffages, la consommation d’électricité croîtra de 50% et passera des 61 TWh actuels à bien 85 à 90 TWh par an. Cela correspondra dès lors à une demande en puissance moyenne de 9 à 10 GW, oscillant entre 6 à 7 et 14 à 15 GW tout au plus, et cela à condition de renforcer encore le réseau national. Comment pourrait-on gérer en plein été une puissance PV de plusieurs dizaines de GW déboulant soudainement sur le réseau ? Combien d’installations de stockage (p.ex., Nant de Drance avec 0,9 GW), ou de stockage de dihydrogène (p.ex., 600’000 tonnes ou 16 millions de m3 de H2 sous 700 bars pour stocker 2 TWh) ? Il faudrait stocker en été l’équivalent de 20 TWh sous forme de H2 pour en récupérer les 10 TWh nécessaires en hiver (la lacune à combler), sachant que le rendement de la chaîne totale, électricité — gaz — électricité, est de 45%. La faiblesse du PV est à la fois de tomber à zéro la nuit et les jours sans soleil, mais aussi d’arriver à des puissances extrêmes ingérables en plein été. Il nous faudra absolument des installations de productions pilotables, et non pas aléatoires, assurant en continu le ruban de 6 à 7 GW. Rappelons que le ruban actuel de 5 GW est couvert par 2 GW de centrales hydrauliques au fil de l’eau et 3 GW de centrales nucléaires. À mon avis, il faudra demain remplacer celles-ci par au moins 4 GW de nouvelles centrales. N’oublions pas que le PV a un facteur de charge de 0,1 et le nucléaire de 0,9, d’où ces 40 GW nécessités par le PV en face de ces seulement 4 GW pour produire la même quantité d’électricité, là de façon discontinue et aléatoire et ici de façon gérable et continue.

  8. Une correction avec un complément sur le futur stockage de l’électricité par le dihydrogène, H2 :
    Bien lire “600’000 tonnes ou 16 millions de m3 de dihydrogène, H2, sous 700 bars pour stocker 20 TWh” (et non pas 2 TWh !). De fait, le H2 doit être soit liquéfié, soit comprimé fortement (de 200 à 700 bars) pour être stocké de l’été sur l’hiver. Environ 10% de l’énergie disponible doit être réservée pour cela. De plus, le processus d’électrolyse n’est pas exactement l’inverse du processus de combustion du H2, ce qui fait qu’il faut fournir plus d’énergie que l’équivalent de la chaleur de combustion, industriellement près de 50 kWh/kg au lieu des 33,3 kWh/kg du pouvoir calorifique inférieur, PCI, du H2. On espère pouvoir arriver demain à diminuer ces irréversibilités et ne devoir utiliser que 42 kWh/kg. En tenant compte de ces deux compléments, avec 20 TWh à disposition en été on pourrait produire et stocker “seulement” 420’000 tonnes ou 11 millions de m3 de dihydrogène. Ce volume représente tout de même celui de l’excavation du tunnel de base du Saint-Gothard !

  9. “Le réchauffement climatique est un discours du clan rose-vert qui veut faire le buzz, une arnaque écolo-socialiste contre la classe moyenne” a dit Albert Rösti en été 2019 quand il était encore président de l’UDC (LT, 01.07.19) .

    Et pourtant, en toute connaissance de cause, en décembre 2022, parmi les 246 représentants du peuple et des cantons, 131 ont décidé, en toute connaissance de cause, que cet homme qui a défendu des intérêts écocidaires, ceux du lobby pétrolier Swissoil et d’auto-suisse, deux faîtières des énergies fossiles – co-dirigerait le pays.

    1. C’est ce qui s’appelle la démocratie; accepter que des gens qui ne pensent pas comme nous puissent être représentés et s’exprimer.

      1 voix sur 7 au CF, vous allez vous en remettre…

  10. Le réchauffement climatique est extrêmement préoccupant… nous pouvons commencer à compter les jours. Il est douteux que nous parvenions à garder le contrôle pour éviter le pire. Mais franchement: mesurez-vous bien à quel point nous sommes dépendant du pétrole? Ne vous rendez-vous pas compte à quel point il est ridicule de vouloir résoudre cette question par des interdictions? La seule voie est de casser les lobbies pour mettre en place des solutions alternatives… Mais le chemin jusqu’à avoir des solutions alternatives viables est encore long. Que faire pour une agriculture décarbonée qui puisse nourrir la planète? Comment imposer un transport maritime sans pétrole? C’est toute une société à réinventer. Il faut de solides arguments pour convaincre, les interdictions et les “‘y aura qu’à” ne servent qu’à entamer votre crédit. Permettez-moi de précher pour une approche concrète et pragmatique.

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