Industrie du tabac: la Suisse gravement complice d’un business mortel!

La complaisance du monde politique suisse à l’égard de l’industrie du tabac est scandaleuse et inquiétante. Concernant les restrictions de la publicité pour le tabac, notre pays pointe à l’avant-dernier rang du classement 2019 du « Tobacco control Scale » en Europe. Cette échelle mesure depuis 2006 les politiques de prévention anti-tabac des pays européens

 

Un business mortel dont nous sommes complices

La cigarette tue chaque année prématurément 9500 personnes en Suisse, soit plus d’un décès sur 7.[1] Et un fumeur sur deux. Ce fardeau sanitaire global du tabac est colossal. À lui seul, il est responsable de 1 cancer sur 3, dont principalement ceux du poumon, de la gorge, de la bouche, des lèvres, du pancréas, des reins, de la vessie, et de l’utérus.[2] Le tabac cause aussi de graves pathologies cardio-vasculaires tels que l’infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux. Et 90% des personnes souffrant de broncho-pneumonie chronique obstructive (BPCO), une maladie terrible ayant un impact majeur sur la qualité de vie, sont des fumeurs ou d’anciens fumeurs.[3] Ainsi, un fumeur régulier sur deux mourra des conséquences de son tabagisme.[4] Drôle d’industrie que celle qui tue la moitié de ses consommateurs.trices…

57% des fumeurs ont commencé alors qu’ils étaient mineurs. Les cigarettiers le savent, les autorités politiques aussi. Pourtant, nous laissons faire.

La cigarette a été développée par une industrie particulièrement sans scrupule qui au cours de son histoire n’a pas hésité à mentir à plusieurs reprises lors d’importants procès (tant sur la nocivité de la cigarette que sur l’addictivité de la nicotine) pour éviter de devoir rendre des comptes et pouvoir étendre son business mortel.

De plus, la publicité et la promotion des produits du tabac sont au cœur de la démarche marketing des cigarettiers et elles ciblent avant tous les jeunes. En effet, la nicotine contenue dans la cigarette est une aubaine pour l’industrie du tabac. Plus addictogène que la cocaïne, elle garantit la fidélité du client sans nécessité de carte cumulus ou de cadeaux annuels. Ainsi, l’essentiel du business model des cigarettiers est simple : trouver des nouveaux clients. En toute logique, les jeunes sont leur cible favorite. Et le constat est sans appel : 57% des fumeurs ont commencé alors qu’ils étaient mineurs.[5] Les cigarettiers le savent, les autorités politiques aussi. Pourtant, nous laissons faire.

La complaisance, ou même complicité, du monde politique suisse à l’égard de l’industrie du tabac a pour conséquence une mauvaise protection de notre jeunesse. 31.6% des jeunes de 15 à 25 ans fument quotidiennement ou occasionnellement dans notre pays.[6] Ce pourcentage élevé n’est malheureusement pas surprenant quand on sait que la Suisse est le seul pays d’Europe à ne pas avoir ratifié la convention cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. L’influence importante du lobby de la cigarette est la seule explication à cette passivité extrême des autorités helvétiques en matière de prévention antitabac.

 

Un cendrier pour illustrer la Suisse

Source: Tobacco Control

Les récents épisodes (2019) du financement du vernissage de l’ambassade suisse à Moscou[7] et celui prévu pour le pavillon suisse à l’expo universel de Dubaï[8] ont même mené à ce que la Suisse fasse la une de la revue scientifique « Tobacco Control » dans son numéro de septembre 2019. En effet, la couverture représentait une carte de l’Europe avec au centre une Suisse en forme de cendrier. L’éditorial de ce numéro était d’ailleurs sans appel, fustigeant la politique suisse en matière de prévention anti-tabac et l’influence malsaine de l’industrie du tabac sur le monde politique suisse.[9] Cette proximité douteuse entre industrie du tabac et monde politique et diplomatique suisse dure depuis trop longtemps et nous nous devons de faire passer l’intérêt public de la santé de notre jeunesse avant celui de quelques entreprises privées.

 

 

Source: https://www.tobaccocontrolscale.org/

Concrètement, comment se traduit cette influence du lobby de l’industrie du tabac sur le monde politique suisse ?

La réponse est peut-être à chercher dans la comparaison avec nos voisins européens. Ainsi, la Suisse pointe au 35ème rang sur 36 du classement 2019 du « Tobacco control Scale » en Europe. Cette échelle mesure depuis 2006 les politiques de prévention anti-tabac des pays européens. Ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que la Suisse était encore au 21ème rang en 2016. Pire, et comme mentionné plus haut, notre pays est dernier de classe concernant les restrictions de la publicité pour le tabac!

 

L’interdiction de la publicité auprès des mineurs est une des mesures les plus efficaces

 

Pourtant, la lutte antitabac existe maintenant depuis des décennies et nous savons parfaitement quels sont les outils de prévention efficaces. Selon l’OMS, il y en a 4 essentiellement[10] :

  1. Augmenter le prix du paquet de cigarette ;
  2. Sensibiliser et informer la population (paquet neutre, message choc, etc.) ;
  3. Soutenir les programmes d’aides au sevrage ;
  4. Interdire la publicité pour le tabac.

Selon l’OMS qui se base sur de nombreuses données scientifiques, une interdiction de la publicité qui atteint les mineurs a ainsi pour impact de réduire clairement la consommation à long terme.

L’interdiction concernant les produits du tabac de toute forme de publicité qui atteint les enfants et les jeunes est en vigueur dans la plupart des pays européens et dans 182 pays dans le monde. Mais pas en Suisse!

Dans ce cadre, l’initiative « Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac » comble une lacune importante de la politique sanitaire suisse. Cette initiative propose en effet d’inscrire dans la Constitution une interdiction concernant les produits du tabac de toute forme de publicité qui atteint les enfants et les jeunes. Cette interdiction est d’ailleurs en vigueur dans la plupart des pays européens et permettrait à la Suisse de respecter, sur ce point, la Convention cadre de l’OMS en matière de prévention contre le tabac, convention ratifiée par 182 pays (représentant plus de 90% de la population mondiale), mais pas par la Suisse (!).

Quant au contre-projet adopté par le Parlement, ce n’est qu’un exercice alibi : la publicité dans les médias gratuits, les festivals ou les réseaux sociaux, soit partout où l’on peut particulièrement bien atteindre les jeunes, resterait autorisée. Le contre-projet montre surtout qu’au Parlement les intérêts de l’industrie du tabac pèsent davantage que le bien-être et la santé des enfants et des jeunes.

Qu’en 2022 des politiciennes et politiciens osent encore tenir le discours du libre choix et de la liberté économique dans un contexte de dépendance à une substance psycho-active relève d’un aveuglement idéologique, d’une ignorance coupable ou d’une soumission aux intérêts privés du lobby du tabac.

5 milliards par année. C’est le montant des coûts socio-sanitaires du tabac en Suisse.  Ils sont répartis entre frais médicaux (3 milliards) et baisse de productivité (2 milliards).[11] Ces coûts dépassent donc largement l’impôt sur la cigarette qui a rapporté 2.08 milliards de francs en 2018.[12] Une diminution du nombre de fumeurs, objectif final de cette interdiction de la publicité auprès des enfants et des jeunes, sera donc bénéfique aussi pour les caisses publiques.

Contrairement à la rhétorique des opposants à l’initiative, fumer ne se limite pas à une question de libre choix. La publicité et la promotion des produits du tabac, ciblant tout particulièrement la jeunesse, influencent le consommateur jeune et l’incite à commencer à fumer. L’addictivité de la nicotine fait le reste pour que la dépendance s’installe rapidement. Qu’en 2022 des politiciennes et politiciens osent encore tenir le discours du libre choix et de la liberté économique dans un contexte de dépendance à une substance psycho-active relève d’un aveuglement idéologique, d’une ignorance coupable ou d’une soumission aux intérêts privés du lobby du tabac.

D’ailleurs, plus de 60% des fumeurs souhaiteraient arrêter la cigarette.[13] Mais face une substance aussi addictive, le défi est majeur. En légiférant sur la publicité et en soutenant cette initiative, on limite les tentations.

La question est simple : souhaitons-nous mieux protéger notre jeunesse contre un danger sanitaire majeur ou préférons-nous poursuivre cette publicité mortifère ? C’est à chacun.e d’entre nous d’en décider en son âme et conscience.

Protégeons nos enfants et nos jeunes contre les méfaits du tabac.  Stopper la publicité auprès de la jeunesse est une des meilleures façons de réduire cette importante cause de mortalité.

 

[1] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/determinants/tabac.html

[2] https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/tabac/articles/quelles-sont-les-consequences-du-tabagisme-sur-la-sante

[3] https://www.stop-tabac.ch/fr/risques-et-maladies/les-maladies-consecutives-au-tabagisme/bpco).

[4] https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/tabac/articles/quelles-sont-les-consequences-du-tabagisme-sur-la-sante

[5] https://enfantssanstabac.ch/arguments-2/

[6] https://enfantssanstabac.ch/arguments-2/

[7] https://www.letemps.ch/suisse/un-oligarque-russe-sponsor-lambassade-suisse-moscou

[8] https://www.letemps.ch/economie/philip-morris-sponsor-pavillon-suisse-dubai-tolle

[9] https://tobaccocontrol.bmj.com/content/28/5

[10] https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/tobacco

[11] https://www.suchtmonitoring.ch/fr/1/8.html

[12] https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/politische-auftraege-und-aktionsplaene/politische-auftraege-zur-tabakpraevention/tabakpolitik-schweiz/tabaksteuer.html

[13] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/determinants/tabac.html

Christophe Clivaz

Christophe Clivaz est le premier conseiller national vert valaisan. Il a été auparavant député (2013-2016) et conseiller municipal à Sion (2009-2019). Politologue de formation (Dr. en administration publique), il s'est spécialisé dans l'étude du tourisme alpin. Il est professeur associé à mi-temps à l'Institut de géographie et durabilité de l'Université de Lausanne, sur le site de Sion.

11 réponses à “Industrie du tabac: la Suisse gravement complice d’un business mortel!

  1. Tout à fait d’accord, bravo. Bel exercice d’honnêteté intellectuelle, merci pour ces vérités.

  2. Je ne suis pas opposé à l’interdiction, mais concernant l’influence de la pub, je n’y crois pas. Ce fut le cas à une époque où fumer des cigarettes c’était une façon de vivre à l’ “américaine”, avec comme influence des acteurs américains. La cigarette avait remplacé le cigare. En Suisse, cette époque est révolu. Nous sommes à un autre stade : L’alcool, et le tabac, sert pour certain ados comme référentiel au monde d’adulte puisqu’enfant on le leur interdisait. Il faut s’attaquer à ce référentiel à un âge où l’ado veut faire le paon.
    Ainsi quid du cannabis ? Pas de pub, et la consommation augmente.
    Je souhaiterais connaître une étude qui regarderait le lien entre l’ado qui veut devenir adulte et sa consommation, comparé à l’ados qui n’est pas pressé d’être adulte.

    La suppression des pubs serviront peu face à l’ado qui veut marquer son côté adulte et jeter les référents à l’enfant.
    Bref, il serait plus efficace pour aider l’ado, de détruire la fausse image que fumer ou boire fait “disparaitre” l’enfant pour faire “apparaitre” celui de l’adulte. Mais comment faire ?

    J’ajoute que la proportion de fumeurs en Suisse est par exemple moins élevé qu’en France qui est un pays strict. Interdire la pub, c’est bien pour la bonne conscience, mais pour lutter contre un fait de société, c’est inefficace.

    1. Mais concernant l’influence de la pub je n’y crois pas !
      Vous en parlez à un cheval de bois il se met à ruer grave car une contreintuition portée à un tel degré d’incandescance est hors de son entendement.

      Bienheureuses les équipes de marketing qui dépensent sans compter pour des cacahouètes !

  3. La publicité ne fait pas tout…
    Mon exemple: j’ai commencé à fumer à 11 ans, oui, oui… Pourquoi? Parce que ma mère, très anti-tabac, nous faisait la morale, à ma soeur et à moi, comme quoi il ne faut surtout pas fumer, ça risque d’arrêter la croissance!
    Oui, mais moi, même petite, j’ai toujours été grande, j’ai toujours eu une tête de plus que mes copains/copines de même âge. Et je continuait à grandir, à grandir, à grandir! Alors je me suis dit: extra, je vais fumer, ça va stopper ma croissance!
    Bon, ça n’a pas marché, je mesure 1m80…
    Voilà, j’ai commencé à fumer grâce/à cause de la prévention contre le tabagisme…
    (je n’achetais pas de cigarettes à l’époque, je les volais ici et là, sans aucune discrimination quant aux marques, donc vraiment, la pub, pour moi, n’avait pas la moindre importance)

  4. La cigarette est effectivement « une saleté », informer sur ses effets destructeurs est nécessaire, mais l’on se garde bien dans le monde de la prévention de faire l’analyse objective de ce qui en constitue l’attrait. Apposer sur le paquet l’image de dents détruites, de poumons ravagés, et autres dégâts que personne ne voudrait subir n’a pas grande portée : on nous montre ce qu’on sait déjà, les plus jeunes le savent aussi, leur professeur de sciences naturelles leur en parle. Faut-il alors être complètement idiot pour commencer ou continuer à se faire du tort pour rien ? La publicité qui invite au plaisir de fumer n’a pas le pouvoir absolu sur nos choix; en dehors des rêves qu’elle insuffle, comme pour les autres produits commerciaux, la cigarette procure des sensations de bien-être, mais ses effets secondaires dépassent de loin le bénéfice, et de plus ils se révèlent petit à petit et peuvent aboutir au pire. Ne pas parler de ce bien-être qui n’a rien de subjectif, c’est faire une omission ne permettant justement pas d’ouvrir entièrement les yeux sur sa situation de fumeur déjà accoutumé, ou de non-fumeur qui se sent tenté. La prévention contre le tabac passe à côté de ce qu’elle vise par manque d’honnêteté intellectuelle, son combat me semble assez ridicule, ou alors elle s’adresse à des imbéciles : ceux que l’on doit protéger parce qu’ils ne savent vraiment rien. Autrement dit, ce n’est pas en considérant a priori les gens irresponsables que l’on parviendra à progresser contre le fléau. Toutes proportions gardées, je souhaiterais citer Olivenstein qui cherchait des pistes pour tenter d’aider les toxicomanes : « Il n’y a pas de drogué heureux… » Mais aussi : « Imaginez ce plaisir total… » Il n’invitait évidemment pas à se droguer en évoquant le plaisir, mais à comprendre véritablement de quoi est fait le bourbier. D’un côté, concernant la cigarette, nous avons une publicité qui recourt à des moyens primitifs (mais pas nuls d’effets) pour inciter à fumer, et de l’autre une prévention qui tente également d’avoir une prise sur l’imaginaire. S’éloigner ainsi de la réalité, par facilité, est sacrément faible…

    1. J’avoue ne pas avoir beaucoup le temps de suivre la politique en France. Bien loin de l’idéologie nauséabonde du Ku Klux Klan, les Vert.e.s suisses se battent énormément pour l’égalité et pour les droits humains, quels que soient le genre, la couleur, la provenance ou le statut socio-professionnels des personnes. Et près de deux-tiers des élu.e.s vert.e.s au parlement fédéral sont des femmes.

  5. Des séries ou films (eg Netflix mais pas seulement) semblent avoir dangereusement augmenté la présence de cigarettes ou de l’alcool. Que faites vous pour contrer cette publicité détournée?

    1. Bonjour. Merci pour votre message. C’est un phénomène dont je n’ai pas connaissance. Avez-vous des liens internet ou des rapports qui confirment cette publicité détournée? Histoire que je puisse creuser le sujet pour une éventuelle intervention. Merci.

  6. Ce qui me scandalise, c’est que les chocolats et chewing gum en format paquet de cigarettes soient encore vendus à nos enfants. Cela démontre l’énorme et globale hypocrisie.

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