Confiance aveugle ? Il faut doser, compter sur ses ressources personnelles et entreprendre au bon moment

Qui sait combien il est difficile pour moi de faire confiance. à la vie après avoir failli y passer. À un ami après avoir été trahie. À la politique après avoir expérimenté un système défaillant. Comment est-ce encore possible de vivre avec sérénité et espoir ?

Puis-je croire à la bonne évolution du monde alors que les catastrophes s’alignent les unes après les autres ? Puis-je prier pour vivre une relation sans manquement et en toute honnêteté, qu’elle soit amoureuse ou amicale ? Enfin, peut-on faire confiance à tout le monde ? Certainement pas. Mensonge et trahison sont souvent liés à des “événements”, des actions entreprises soi-même ou à des paramètres extérieurs qu’on ne contrôle pas et qu’on préfère cacher. Que me réserve la vie ? Elle est remplie d’incertitudes, “bonnes” et “mauvaises”. Chacun fera sa propre interprétation du bien et du mal, de ce qui est juste pour lui (ce qui ne l’est pas nécessairement pour une autre personne, plus exigeante – ou moins – dans sa définition).

C’est mal parti. Comment faire pour coexister en « tandem » ? Il peut s’agir de son partenaire de vie, d’affaires, d’un groupe ou encore de faire de la bicyclette à deux. On garde une part de contrôle dans bon nombre de situations malgré le fait que chacun porte sa part de responsabilité. A vélo, il y a le pilote et l’autre personne est souvent aveugle ou malvoyante. Comment en suis-je arrivée là ?

L’entraîneur national de para-cyclisme était devant la première fois que j’ai essayé. En plus, nous prévoyons de rouler sur la piste du vélodrome. 250 mètres. Virages serrés. C’est raide. La vitesse est bien plus élevée que sur mon tricycle de route. En plus de la légitimé de sa fonction, je savais qu’il avait l’expérience requise pour me mettre à l’aise. Il tenait à ma progression, à m’intégrer à l’équipe et je l’avais déjà rencontré lors des Jeux Paralympiques de Rio de 2016, que j’ai disputé en équitation. L’accumulation des éléments positifs m’a donné confiance : tous les feux étaient aux verts. Premier essai satisfaisant. L’expérience était marquée par ces facteurs qui ont influencé notre performance, en plus d’une bonne dose de motivation des deux côtés. Le rôle du matériel ? Je n’y ai même pas pensé puisque tout était bien. M’en soucier ne m’aurait pas aidé ; je ne m’y connais pas.

Lors d’un autre entraînement, tout était organisé pour que je puisse rouler avec une pilote féminine, prénommée Anne-Karelle. Frayeur. Dès le début. Aucune résistance dans les jambes. Je pédalais dans le vide. Je me sentais constamment en perte d’équilibre.  J’avais peur de tomber. Et je ne connaissais pas cette personne. Je voulais arrêter, m’étant promise de ne rien faire contre ma volonté. La sécurité n’est-elle pas la condition primordiale (y compris le fait de se sentir en sécurité) ? nous ne nous connaissions pas avant. C’était peut-être ça la première chose à faire, non ? Le stage durait quatre jours. Nous avions le temps de discuter, de préparer le tandem ensemble et d’ajuster la mécanique pour que je me sente bien. Un petit réglage a suffi. C’est mieux de communiquer sur les difficultés, surtout si, par chance, on peut avoir les solutions sous la main.  Nous avons progressé jusqu’à simuler une course de 3000m et de 1000m, à l’entraînement. Nous avons atteint une vitesse au-delà des 40km/h. Elle me communiquait « garde la ligne », « plus » ou « moins ». Ainsi, je savais ce que je devais faire pour qu’elle se sente bien et améliorer la qualité de notre duo.

Saison sur route. En solo sur mon tricycle. Victoires. Double championne d’Europe. Vainqueur de la Coupe du monde 2022. J’ai confiance en moi. Peut-être un peu trop. Cela m’a coûté un coup de chaleur. Un sacré frein. Si la confiance devait être une aventure, elle ressemblerait à un parcours de montagnes russes. Parfois, la barre est haute. D’autres fois, elle est plus basse. Mais jamais tout en bas. C’est pour ça qu’il est nécessaire de se rappeler les dernières expériences positives. J’ai développé la capacité à être plus flexible, sans doute grâce la concordance de l’ensemble des paramètres qui m’a permis de réaliser la meilleure saison de ma carrière. En tandem ou sur mon tricycle, je dois compter sur des ressources humaines essentielles (entraîneur, mécanicien, physio, etc). Il y a aussi l’équipement, la nutrition qui doit être testée avant une course… pour se sentir bien ! Voyez-vous, la confiance est partout.

Remise, c’est peut-être pour ça qu’il m’a fallu gravir le Salève. Pour regagner confiance en mon corps, en mes capacités…J’ai repris le tandem avec une association au Vélodrome de Genève – Taupenivo – qui s’occupe de personnes malvoyantes et aveugles. Bien qu’elle soit conçue pour le sport amateur, j’y ai trouvé mon compte, surtout un pilote – Fred – avec les compétences requises. En plus, je pouvais à présent m’adapter ; chacun ayant son style de conduite et chaque vélo étant différent.

Le président des “4 Jours de Genève”, Loïc Hugentobler, qui me soutient, m’a proposé d’y faire un événement pour mes sponsors. Une course avant le repas. Un test sur 3km avec “ma” pilote Anne-Karelle. Bien que nous ne pouvions nous entraîner ensemble plus d’une fois avant, nous nous sentions prêtes. Elle a témoigné de ma progression, ayant amélioré ma stabilité et la technique de pédalage. Nous étions suffisamment confiantes pour réaliser une bonne course. Tout se ressent, nos pédales étant reliées. La difficulté était que la piste de Genève est plus courte. Plus raide. J’en avais l’habitude. Elle l’avait essayé en “solo”. Lors de notre course, en tandem, c’était différent. Ça bougeait dans tous les sens ! Je poussais fort, étant assise à l’arrière. Je devais rester la plus alignée, la plus gainée possible pour ne pas trembler. Pas de place pour la peur. La course était maintenant. 4 minutes. 4 minutes dans le dur. Il fallait « se faire mal » pour être performant sur cette distance. En compétition, rien ne peut me perturber, concentrée, focalisée sur ce que je dois faire à l’instant « T ». J’étais dans ma bulle. Une bonne expérience de plus dans la boîte ! Lors des entraînements suivants, nous avons roulé à 45km/h derrière la moto, cumulé les exercices techniques, les sprints… Tant que la confiance est là, qu’elle se travaille et qu’elle se développe… Tout est possible !

 

Les éléments influençant la notion de confiance, évoqués dans cet article :

– la sécurité

– la communication

– la légitimité

– les expérience personnelles

– l’accumulation des expériences positives

– ce dernier point peut compenser un autre, inconnu

– Se concentrer sur ce qu’on maîtrise

 

Celine van Till

Celine van Till défie l’impossible. Du dressage équestre au cyclisme sur route, en passant par le 100 mètres sprint, valide et handisport, elle court d’un extrême à l’autre. L’ennui n’existe pas. Les surprises attendent. Les limites sont remises en question. Elle gagne la Coupe du Monde 2022 et est aussi auteure et conférencière.

2 réponses à “Confiance aveugle ? Il faut doser, compter sur ses ressources personnelles et entreprendre au bon moment

  1. Salut Céline,

    Tu es une sacrée fille. FEMME.

    J’entends souvent des personnes lors de l’achat d’un croissant dans une boulangerie ou dans un bistro voir même à la télévision souhaiter “BON COURAGE” au lieu d’utiliser la phrase normale de BONNE JOURNÉE” ou “BONNE SOIRÉE”.

    Tu ne peux pas imaginer comme cela m’énerve que cet adjectif soit utilisé comme cela à toutes les sauces.

    En général, lorsqu’il m’est adressé, je réponds toujours “pourquoi bon courage ?”
    Les personnes sont souvent interloqués que je pose cette question.
    J’explique alors que le mot COURAGE est réservé à ceux qui souffrent, sont dans le malheur ou vont accomplir une tache dangereuse. Ou bien à qui nous venons de lui annoncer qu’il est gravement malade ou lors d’un décès. Ou lors d’un exploit important Oui il ou elle est courageux/e.
    En général…ces personnes réalisent qu’en effet, ils utilisent l’adjectif COURAGE à mauvais escient et que cela est devenu une très mauvaise habitude de langage comme le “du Coup” ou le “y a pas de souci”.

    En résumé, TOI Céline, oui tu as du COURAGE. Beaucoup de COURAGE.

    Et je dis BRAVO !

    Meilleurs voeux.

    Je t’embrasse.

    Christian Python

    1. Cher Christian,
      Merci. Merci pour cette explication. Cela me touche beaucoup. C’est vrai que des termes peuvent être utilisé à mauvais esient. Je pense que l’utilisation déplacée de celui-ci peut même être blessant. Y compris pour moi quand on parle de mon handicap. En vrai, sans lui, je n’aurai pas osé imaginer la vie que j’aurai eue. Plus banale, sans doute. Pour affronter mes autres missions avec des limitations upplémentaires dû à mon handicap, là oui, j’accepte volontiers ton compliment, que je ressens comme un signe de reconnaissance.
      Happy 2023 et au plaisir!

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