«Croire que l’on peut renoncer à la libre circulation des personnes sans que cela n’ait aucun impact sur nos relations avec l’UE n’est pas réaliste»

Il pleut des cordes en ce lundi après-midi sur le bâtiment imposant de la Bernerhof à côté du Palais fédéral. A l’intérieur, dans son bureau du troisième étage, Jacques de Watteville, Secrétaire d’Etat et négociateur en chef auprès de l’Union européenne, nous attend. Malgré son emploi du temps surchargé, il a accepté d’accorder une heure à une petite délégation du Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes) afin de réaliser une interview pour le journal de l’organisation. Entouré de trois de ses collaborateurs, M. de Watteville paraît détendu, et ce malgré les soucis qui pèsent actuellement sur ses épaules de diplomate et les nombreux déplacements à l’étranger – il était tout juste de retour de Washington.

La première des questions qu’on lui pose est incontournable: pourquoi diable les médias ont-ils toujours parlé de lui comme d'un «super-négociateur», est-il une sorte de superhéros? «Je ne sais pas d’où me vient l’étiquette de super-négociateur, pas de moi en tout cas. Nous travaillons en équipe sur la base des instructions du Conseil fédéral et je suis surtout là pour renforcer la coordination entre les différentes instances compétentes et faciliter le dialogue avec l’UE». La question de son rôle résolue, nous entrons dans le vif du sujet: l’après-9 février 2014 et l'avenir des relations entre la Suisse et l’UE. «Le Conseil fédéral avait averti des conséquences d’un «oui» à l’initiative». Et de rajouter que «l’immigration européenne en Suisse est importante et a des répercutions que l’on ne peut nier [ce qui] crée un malaise dans certaines régions dont il faut prendre acte et auquel il faut remédier. Cependant, croire que l’on peut renoncer à la libre circulation des personnes sans que cela n’ait aucun impact sur nos relations avec l’UE n’est simplement pas réaliste».

Très vite, la conversation bifurque sur la double annonce faite le 4 mars dernier par le Conseil fédéral de sa volonté de signer le protocole d'extension de la libre circulation des personnes à la Croatie et de mettre en place une clause de sauvegarde unilatérale si aucun accord ne devait être trouvé avec l’UE. Un pas en avant et deux en arrière? «Ce sont tous des pas en avant, mais pas tous sur les mêmes rails, répond le Secrétaire d'Etat. La Constitution impose, sur la base de la volonté populaire, que nous ayons une solution en place d’ici à février 2017. Pour ce faire, le dernier moment pour présenter un projet de loi au Parlement était mars 2016. A cette date, et en l’absence d’une solution négociée avec l’Union, il ne restait pas d’autre choix que de présenter une solution non négociée, à savoir une solution unilatérale». Ainsi, ce ne serait donc pas par choix que cette clause a été présentée et une solution en accord avec l’UE resterait privilégiée: «Nous avons fait tout un travail d’explication au niveau européen, en soulignant que la priorité pour la Suisse est d’arriver à trouver une solution agréée par les deux parties».

Enfin, le dernier gros volet que nous abordons concerne les questions institutionnelles. En effet, avant la votation du 9 février 2014, les négociations allaient bon train pour mettre en place un accord-cadre, à savoir des «mécanismes devant permettre aux accords d’accès au marché de mieux fonctionner et donc à terme de renforcer la voie bilatérale». Où en sont les travaux? «Trois quarts du travail est fait. Il ne reste que deux aspects importants encore ouverts: le règlement des différends et les conséquences d’un différend persistant». Une broutille? Pas sûr, car tout dépend de «la volonté politique des parties».

Conscient d’avoir brossé un portrait plutôt sombre des relations entre la Suisse et l’UE, Jacques de Watteville tient à nuancer: «Il est vrai que les problèmes sont réels, que la situation est complexe, mais il est aussi vrai qu’il y a un réel intérêt du côté de l’UE d’améliorer le cadre de ses relations avec la Suisse. Notre pays est un partenaire important sur le plan commercial et économique. Il y a plus de 300'000 frontaliers qui viennent tous les jours en Suisse, le commerce entre la Suisse et l’UE dépasse 1 milliard de francs par jour ouvrable. Cela se traduit par une ouverture au dialogue des deux côtés et une disponibilité à chercher ensemble des solutions qui soient réalistes». Car n'oublions pas que les chiffres évoqués par le Secrétaire d'Etat représentent aussi (surtout?) un intérêt pour la Suisse dont l'UE est le principal partenaire économique.

C’est sur ces réflexions que nous prenons congé, songeurs. Les défis paraissent nombreux, mais à aucun moment M. de Watteville ne semble se départir d’un optimisme indéfectible. Un gros point noir pourrait cependant venir ternir cet enthousiasme: un Brexit le 23 juin prochain qui verrait tout espoir d'aboutir à une solution concertée avec l'UE avant le délai de février 2017 anéanti…

L’intégralité de l’interview est à retrouver dans la nouvelle édition du magazine du Nomes « europa.ch »

Caroline Iberg

Caroline Iberg a travaillé entre 2013 et 2017 au Nouveau mouvement européen Suisse (Nomes). Elle est désormais chargée de communication à Strasbourg.