Des limites de la politique de l’amitié avec un narcissique capricieux

Si 2017 était l’année où le gouvernement japonais pouvait se féliciter d’avoir bien géré le « risque Trump », 2018 s’annonce comme l’année du désenchantement. Dans un billet écrit à l’automne dernier, je me mettais dans les bottes de Shinzo Abe, le Premier Ministre japonais, donnant des conseils à ses homologues européens pour établir une bonne relation avec le capricieux et erratique président américain. Sa recette, pour faire bref : flatter son égo et éviter les critiques. Cette tactique à la limite de l’obséquiosité semblait jusqu’à récemment avoir porté ses fruits en évitant les retombées trop négatives pour l’archipel de la politique de « l’Amérique d’abord ». Malgré les avertissements du Ministère des Affaires Etrangères (plus méfiant des risques posés par la nouvelle administration américaine), la plupart des Japonais approuvaient l’approche choisie par le Premier Ministre.

 

Tentative d’intimidation économique

Ils doivent aujourd’hui déchanter pour deux raisons. D’abord, le Japon est le seul allié des Etats-Unis à ne pas bénéficier d’exemption des taxes à l’importation de l’aluminium et de l’acier récemment annoncés par la Maison Blanche. La raison est simple : M. Trump veut négocier un accord de libre-échange avec le Japon pour accroître l’ouverture du marché nippon aux produits américains et réduire le déficit commercial de son pays par rapport à l’archipel, une obsession de longue date.

L’imposition de taxes vise donc à faire pression sur le Japon pour obtenir des concessions commerciales. La réponse de Tokyo face à cette tentative d’intimidation a été ferme, le gouvernement étant prêt à encaisser le coup des tarifs pour éviter des négociations avec un Maison Blanche déterminée à se comporter comme un fier-à-bras. L’affaire est cependant la preuve de la difficulté à apaiser un président en colère contre le monde entier, quelles que soient les tactiques de séduction employées.

 

Et l’allié modèle alors ?

Plus inquiétant pour Tokyo est la perspective de se voir exclue des récentes activités diplomatiques autour de la Corée du Nord. La Corée du Sud a jusqu’à maintenant mené la manœuvre avec habileté, la Chine a réaffirmé son importance avec la visite surprise de Kim Jong Un à Pékin, et M. Trump se prépare à rencontrer celui qu’il nommait il y a quelques mois « petit homme-fusée ». M. Abe n’a pu être que spectateur de ces développements. En particulier, le fait de ne pas avoir été consulté par Washington avant la décision d’accepter une rencontre avec Kim Jong Un passe mal, d’autant plus que Tokyo s’était comportée en alliée modèle, soutenant la Maison Blanche dans sa campagne de « pression maximale » alors que les autres acteurs régionaux appelaient à plus de retenue.

Beaucoup voient là une preuve de plus du manque de fiabilité de M. Trump. Le Japon craint maintenant que sa sécurité soit sacrifiée dans des éventuelles négociations directes entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Après tout, l’objectif avoué de Washington est d’éliminer la menace nucléaire contre son territoire. Les intérêts de ses alliés sud-coréens et japonais, beaucoup plus vulnérables face à l’arsenal de Pyongyang, sont secondaires.

 

Pour mitiger ce risque, M. Abe continue sur sa lancée : il se rend aujourd’hui à Mar-a-Lago pour une réunion avec M. Trump sur son terrain préféré (à savoir l’un de ses clubs de golf). Le Premier Ministre espère renforcer sa relation avec le Président et recevoir des assurances que les Etats-Unis ne feront pas à la Corée du Nord des concessions pouvant porter atteinte à la sécurité japonaise. Il sera cette fois probablement plus lucide sur la crédibilité de toute promesse faite par son homologue.

 

Diversifier ses options 

Le comportement erratique de M. Trump a dans tous les cas encouragé le Japon a renforcer ses liens avec ses autres partenaires. Le pays a récemment conclu un accord de libre échange avec l’Union Européenne, et a joué un rôle central dans la survie et la signature de l’ambitieux Accord de Partenariat Transpacifique après que les Etats-Unis se sont retirés à la dernière minute – l’une des premières décisions officielles de M. Trump qu’il fait maintenant mine de vouloir ré—examiner.

Le Japon a également redoublé d’efforts dans sa politique de rapprochement avec la Chine et avec la Corée du Sud malgré les difficultés posées par les questions territoriales dans le premier cas et historiques dans le second. Avec Pékin, Tokyo partage un intérêt à maintenir l’ouverture du système de commerce international ; avec Séoul, le sentiment de vulnérabilité face à la Corée du Nord voisine et la détermination à préserver la garantie de sécurité américaine envers la région.

Si la présidence Trump a une conséquence positive pour le Japon, donc, c’est de renforcer le désir du pays à adopter une position plus active et positive sur la scène internationale. Les bénéfices de cette ouverture se feront espérons-le sentir bien après que l’homme au visage orange aura quitté la Maison Blanche.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.