La culture japonaise du don-contre-don

Si la fin de l’année est en Occident un grand moment d’échanges de cadeaux, tel n’est pas le cas au Japon, où Noël n’a aucune signification particulière (parmi les étranges récentes « traditions inventées » associées à ce jour : manger du poulet frit et organiser des rendez-vous amoureux). Le reste de l’année, en revanche, les Japonais passent leur temps à s’offrir mutuellement des cadeaux, si bien que le don-contre-don occupe une part importante des échanges économiques dans l’archipel.

 

L’échange de dons est une partie essentielle des liens sociaux dans n’importe quelle culture. Tout Européen sait qu’il ne faut pas arriver les mains vides lors d’une invitation chez des amis et se creuse la tête pour trouver des idées de cadeaux originaux pour l’anniversaire de ses proches. Cet aspect est cependant particulièrement développé au Japon. Je l’observe très directement chez ma compagne, qui prépare un petit cadeau – biscuits, papier à lettre, bougie – chaque fois qu’elle voit un ou une amie, ne serait-ce que pour un café, et en reçoit toujours en retour. Ces échanges ne concernent d’ailleurs pas seulement les biens de consommation courante. Il est d’usage courant d’envoyer régulièrement à des proches résidant ailleurs dans l’archipel des denrées alimentaires locales. Nous recevons d’ailleurs fréquemment des fruits ou des légumes d’amis qui en ont à leur tour reçu en grande quantité de leur famille. En échange, tout gâteau ou plat spécial que nous préparons sera en partie distribué.

 

Qu’est-ce qui explique tant de partage ? Comme je le disais plus haut, l’échange de cadeaux est un rituel commun à toutes les cultures. La culture nippone met cependant un accent particulier sur ce genre de rituels servant à entretenir les relations sociales. Cela vaut pour les proches comme pour les collègues et relations professionnelles, que l’on doit également maintenir avec des petites attentions et gestes de gratitude pour service rendus (une pratique qui ouvre d’ailleurs la porte à la corruption dans les relations entre monde des affaires et monde politique). L’offre fréquente de cadeaux fait ainsi partie d’une tradition profondément ancrée sur l’archipel de maintien actif et assidu des liens familiaux, amicaux et professionnels.

 

Une partie importante de l’économie japonaise est dédiée à servir cette culture des dons mutuels. Partout dans l’archipel, les gares ferroviaires sont entourées de magasins offrant des spécialités locales que les visiteurs peuvent rapporter à leurs proches. Dans les métropoles, les grands magasins contiennent au moins un voir deux étages consacrés aux échoppes de thé, biscuits et confiseries en tous genres, proposés dans des emballages de toute beauté. Même les fruits font office de cadeaux de choix et on trouve au Japon des « salons de fruits », où ceux-ci sont considérés comme des objets de luxe, coûteux mais savoureux et parfaitement présentés.

Si la consommation est au centre de l’économie japonaise comme de celle des autres pays développés, donc, une partie importante de cette consommation est ici destinée à autrui. Les « dépenses sociales » (kōsaihi) forment d’ailleurs un élément non négligeable du budget des ménages. La culture japonaise d’échange de cadeaux et donc le symbole, plus généralement, d’une conviction partagée que les relations sociales doivent être entretenues par des « investissements » constants. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles les tensions sociales restent ici moins aigues que dans beaucoup de pays occidentaux.

Antoine Roth

Antoine Roth est professeur assistant à l'Université du Tohoku à Sendai, au Japon. Genevois d'origine, il a obtenu un Master en Etudes Asiatiques à l’Université George Washington, et un Doctorat en Politique Internationale à l'Université de Tokyo. Il a également effectué un stage de six mois à l'Ambassade de Suisse au Japon. Il se passionne pour les questions sociales et politiques qui touchent le Japon et l’Asie de l’Est en général.

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