Mark Zuckerberg, le nouveau petit père du peuple?

Mark Zuckerberg: la loi du plus fort?
Mark Zuckerberg: la loi du plus fort?

Je ne sais pas si vous avez regardé la magnifique présentation (dites “Keynote” pour faire plus tendance) du célèbre fondateur de Facebook: le sémillant trentenaire Mark Zuckerberg. A la fois homme 3.0 (il a pris congé lors de la naissance de sa fille et posté plein de photos attendrissantes de sa progéniture sur… Facebook, évidemment), humaniste (à la naissance de sa fille, toujours, il a décidé de donner 99% de ses actions à la Fondation qu’il a créée – lui permettant, accessoirement de profiter de quelques déductions fiscales (mais ne soyons pas cyniques…)), patron averti (il a développé en moins de 15 ans une des entreprises les plus performantes de tous les temps, révolutionnant nos interactions sociales du même coup), féministe (il a recruté Sheryl Sandberg, ancienne de chez Google et créatrice du mouvement Lean in, qui ne cesse de lui rendre grâce), Mark et ses t-shirts gris sont devenus le symbole de la réussite et de l’accélération de l’innovation technologique mises au service de l’Humanité.

Ainsi donc, si vous jetez un coup d’oeil sur son “show” (on y décèle quelques relents des efforts incommensurables que lui demande la prise de parole en public) vous aurez le privilège de découvrir la vision sur 10 ans de Mark pour Facebook, mais aussi, pour le Monde. Son leitmotiv? Permettre à n’importe qui de partager n’importe quoi avec tout le monde. Et c’est beau. Parce que sur le papier, Mark va s’évertuer dans les années à venir à connecter les 4 milliards de personnes qui naviguent pour l’instant dans les eaux troubles de l’ignorance, afin de leur permettre d’avoir, eux aussi, accès à la connaissance, à l’information, aux services, surtout.

D’ailleurs, il va non seulement les connecter techniquement, mais aussi leur offrir la possibilité de tester gratuitement des services, dont ceux de première nécessité, liés à la santé, par exemple. Toujours aussi beau. Le tout via des interfaces conçues pour être moins gourmande en données, afin de limiter les coûts pour des internautes au pouvoir d’achat relativement faible. Et bien sûr, il va aussi proposer aux entreprises de tester en version démo la présentation de leurs services et produits sur ces interfaces allégées. Car Mark veut bien offrir l’accès à l’information pour les populations moins bien loties, mais ces 4 milliards de connectés à venir sont surtout 4 milliards de consommateurs potentiels pour ses clients, et 4 milliards de producteurs de contenus supplémentaires pour alimenter ses canaux de distribution.

Non content de connecter les “Cosette du numérique”, Mark veut aussi nous permettre de rester en contact avec nos différents cercles de relation, et de façon plus confidentielle, plus privée. Whatsapp a récemment subi un encryptage de bout en bout pour nous protéger de l’ingérence de l’Etat (Facebook, lui saura avec qui vous avez communiqué, même s’il ne pourra probablement pas savoir sur quoi – le code source n’étant pas publié, nous n’avons que leur parole…), et hier c’était au tour de Messenger de déployer ses deux nouveaux atouts:

1. la possibilité, pour n’importe qui, d’entrer en contact avec une entreprise en direct via Messenger (et d’affiner ses demandes avec le soutien de l’intelligence artificielle)

2. la possibilité d’effectuer un nombre d’opérations (paiement, recherche, partage de documents, etc.) qui ressemblent davantage aux caractéristiques d’un Browser ++ que d’un service de messagerie pure et simple.

Vous serez donc à l’intérieur de Facebook, mais à l’intérieur de Messenger, avec de telles possibilités (et une captation stimulée par les réponses pertinentes des algorithmes) que vous n’aurez plus envie ou besoin de sortir de chez vous… pardon, de chez lui!

Je vous passe la partie sur le Live qui permet à tout le monde de publier directement ses vidéos sur Facebook, en direct (Periscope appartenant à Twitter, il fallait bien faire quelque chose), tout ça pour “fluidifier” l’expérience des gens, c’est à dire nous, et surtout, pour enquiquiner YouTube, propriété de Google. Bienvenue dans le monde intégré de Facebook, et surtout, dans un système fermé pouvant déjà s’appuyer sur 1,5 milliards d’utilisateurs aux réflexes conditionnés par les règles du géant bleu.

Résumons:

  • il y a donc un type seul sur scène, à la tête d’une des plus grosses fortunes mondiales et d’une communauté de 1,5 milliards de personnes, qui nous explique que nous allons tous continuer à travailler gratuitement pour lui,
  • que son seul objectif, c’est de nous permettre d’entrer en relation avec les personnes qui nous sont chères,
  • tout ça dans un environnement dont les règles sont définies par lui et
  • qui condense tout ce dont nous “aurions” besoin (selon lui) pour être heureux…

 “Travail, famille, patrie”, ça vous rappelle quelque chose?

Au passage, il accède à toutes nos données personnelles, fixe les prix d’entrées et les règles aux industries (qu’il se propose même d’uberiser, ni vu, ni connu, grâce à l’intelligence artificielle notamment) et nous soumet des contenus qu’il n’a pas créés selon ce qu’il détermine être pertinent pour nous afin de nous vendre des produits qu’il ne fabrique pas…

Naïvement, devant ce stakhanovisme assumé, je m’attendais à voir la foule se lever et crier “mort à la dictature” ou “nous ne sommes pas des esclaves”… que nenni: le coup de grâce est intervenu lorsque Mark a annoncé la remise d’un Samsung et d’un masque Gear VR à chaque participant et que l’audience s’est mise à applaudir à tout rompre, saluant la générosité sans borne de son bienfaiteur…

Du pain et des jeux, vous avez dit?

Aline Isoz

Aline Isoz officie en tant qu’experte en transformation numérique auprès des entreprises et institutions romandes, et est notamment membre du comité de l'eGov Innovation Center et membre de conseils d'administration et consultatifs.

13 réponses à “Mark Zuckerberg, le nouveau petit père du peuple?

  1. à la fin de l’ironie, on peut trouver de quoi comprendre quelque chose à ce qui se passe

  2. Les conclusions de l’article, me rappellent ces théories du complot aussi lassantes que stériles, auxquelles nous sommes de plus en plus exposés sur… facebook entre autres justement.

    Zuckerberg m’a l’air d’une personne intelligente (pas seulement en affaires, intelligent au sens large du terme). Et une personne intelligente ne se fixe pas comme objectif de vie l’asservissement de son prochain.

    Je pense qu’il a vraiment la volonté (et le capacité) de changer le monde dans lequel nous vivons grâce à son esprit visionnaire. Mais ça bien sûr, les cyniques et autres “conspiranoïaques” ne le comprendront sans doute jamais…

    1. Théorie du complot? Je ne crois pas. Zuckerberg est brillant, évidemment, et là n’est pas la question. Le fait est qu’aujourd’hui, son modèle d’affaires s’appuient notamment sur du travail gratuit fait part d’autres et dans un écosystème qui devient de plus en plus fermé. Bien sûr qu’il va changer le monde. La question que je me permets de poser est: est-ce le monde dont nous voulons?

      1. Je ne vois pas vraiment en quoi nous travaillons gratuitement pour lui. Par travail, j’entends une contrainte, un effort auquel nous devons nous soumettre pour assurer notre survie. Il n’y a pas d’effort fourni sur facebook vu que c’est un outil de détente, et certainement pas de contrainte…

        Que facebook capitalise sur nos loisirs en revendant nos données personnelles (que nous leurs facilitons de notre plein gré et sans contrainte!) à des tiers ne me semble pas immoral… surtout en comparaison avec ce que font certains chefs d’états ou entrepreneurs (voyez plutôt les Panama Papers si vous cherchez de l’immoralité).

        A fortiori en sachant que cet argent est réinvesti dans des projets de dévelloppement de l’humanité comme l’accès à internet aux pays du tiers monde, la conquête d’autres systèmes solaires tel qu’annoncé récemment par Zuckerberg, la réalité virtuelle, et bien d’autres encore…

        Zuckerberg disait dans une interview au sujet du film The Social Network “Some people just can’t understand that other people like building things”. Je crois que cette phrase résume bien la question. Il y a des gens qui aiment créer, et d’autres qui aiment critiquer… Par jalousie,? Pour se prouver quelque chose… Pour aller à contre-courant?… eux seuls le savent!

        1. Nous n’avons pas la même vision du travail, c’est là que le bât blesse. A mes yeux, on peut parler de travail, dès lors que nous produisons une action qui apporte une valeur ajoutée à une communauté ou une institution. Raison pour laquelle il y a du travail “bénévole” volontaire (le bénévolat, le fait de s’occuper des enfants, de s’investir dans un projet gratuitement) et du travail “bénévole” involontaire. Facebook ne capitalise pas sur nos “loisirs”, mais tout comme Google, sur le travail fourni par nous, consommateurs ou développeurs, pour vendre ses produits à des entreprises. Sans même entrer dans des considérations comme la fiscalité (Facebook est un roi du montage pour échapper à la taxation dans les pays où il est actif), je vous invite à creuser la notion de digital labor (https://fr.wikipedia.org/wiki/Travail_num%C3%A9rique). Au cas où, je tiens à rappeler que c’est bien l’accès à Internet que Zuckerberg développe, pas celui à l’eau potable (sûrement plus vital), mais surtout, via cet accès, une vraie stratégie visant les entreprises qui souhaitent s’adresser à ces nouveaux marchés.
          A priori, on peut “construire des choses”, mais on peut aussi s’interroger sur le genre de choses que l’on a décidé de construire…

  3. Facebook permet à nombres de personnes d’exister.
    Le père Zuckerberg l’a bien compris et va évidemment en profiter étant donné qu’aucune alternative à Facebook n’existe réellement.

    En tout cas, merci Aline de nous ouvrir les yeux.

    MrTranquille

  4. Soit, je conçois qu’on puisse étendre la notion de travail au bénévolat, ou même au “bénévolat involontaire” que vous mentionnez dans le cas de facebook. Après tout ce n’est qu’une question de terminologie.
    Ce que je trouve regrettable de votre article, c’est que vous dénoncez une sorte “d’esclavage involontaire” des usagers de facebook qui soit disant “travailleraient” gratuitement, mais sans vraiment proposer d’alternatives. Que feriez-vous concrètement à la place de Zuckerberg ? Proposeriez-vous aux usagers de facebook de gagner quelques centimes pour chaque photo qu’ils publient sur le site, pour ainsi redistribuer l’argent des recettes publicitaires du groupe?

    1. Vous n’allez sans doute pas aimer, mais au vu de l’ampleur prise par le digital labor, je suis pour la réflexion sur une taxe sur les transactions liées à nos données, avec, effectivement, une redistribution des bénéfices générés. Surtout que, comme pour le self-scanning, notre travail “volontaire” participe de diminuer les besoins en effectif, donc en emploi, donc augmente les jobs précaires. Ce n’est pas à Zuckerberg de le faire, mais bien aux Etats de réglementer, y compris fiscalement, afin que le travail de tous ne profite pas à une minorité et d’éviter la chute d’un système qui arrange y compris les entreprises.

      1. Donc si je comprends bien votre raisonnement, les Etats devraient taxer les entreprises comme facebook sous forme de pourcentage pour chaque transaction effectuée au travers d’annonces publicitaires (et donc grâce à notre “travail involontaire”), et cet argent reviendrait directement à l’acheteur?
        Mais alors comment facebook feraient-ils pour établir qu’une entreprise à effectivement réalisé une vente grâce à une annonce publiée sur leur site (sans parler de la difficulté pour facebook de connaître le montant de la vente)? Il faudrait une transparence entre facebook et les annonceurs qui, à mon sens, ne peut pas être mise en place de façon très réaliste.
        A moins bien sûr que ce soient les entreprises qui transmettent l’information des ventes réalisées grâce à facebook directement aux Etats. Mais cela ne fonctionnerait que pour les ventes 100% online, pour les ventes suivant le modèle ROPO (Research Online Purchase Offline) la traçabilité est trop difficile à établir de façon fiable…

        Force est de reconnaître que, pour les transactions de e-commerce 100% online, votre idée tient tout de même la route.

        1. Au-delà des ventes réalisées, il s’agit de donner une valeur aux données collectées. Et elles en ont une, Facebook, mais d’autres acteurs spécialisés et même certaines collectivités publiques ont bien trouvé le modèle d’affaires pour les convertir en cash. Et c’est bien sur les transactions liées à la vente de nos données (http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/on-en-parle/6813759-donnez-moi-mes-donnees-.html) que j’envisage une sorte de taxe Tobin, qui ne sera probablement jamais, tout comme son homologue, envisagée par les institutions.

  5. Bonjour,
    Très intéressant article merci. On peut toujours se poser la question sur le mode de fonctionnement des fondations créées par les milliardaires des réseau sociaux …

Les commentaires sont clos.