Élargir nos routes pour fluidifier le trafic ?

Il a été question ces dernières semaines de projets de développement des autoroutes, avec notamment la volonté affichée du Conseil Fédéral d’élargir à 6 voies une partie du réseau. À prime abord l’idée semble séduisante et plutôt logique pour un but recherché de résorber quelque peu les bouchons désormais chroniques sur nos grands axes de transport routier. Mais une augmentation de la capacité est-elle synonyme d’augmentation de la fluidité sur le long terme ? Et surtout, doit-on investir des milliards de francs à l’aube de révolutions technologiques et sociétales qui risquent fort de changer durablement notre rapport à la mobilité ?

Il convient tout d’abord de casser le mythe selon lequel pour réduire le trafic il suffit de donner plus de place aux voitures : De très nombreuses études et exemples piochés de par le monde montrent en effet qu’augmenter la capacité routière ne fait à terme qu’augmenter le nombre de voitures en circulation, et donc le trafic. Quelques mois ou années plus tard, on se retrouve donc avec tout autant, si ce n’est plus de bouchons. Cet état de fait a été modélisé par un mathématicien allemand qui lui a donné son nom : « Le paradoxe de Braess ». L’exemple le plus parlant est sans doute celui de la « Katy Freeway », plus grande autoroute du Monde, servant de contournement à la ville texane de Huston. Afin de venir à bout des bouchons, les autorités ont décidé d’agrandir cette autoroute, la portant à 26 (oui, vous lisez bien, 26) voies. Inaugurée en 2008, elle est aujourd’hui totalement saturée, avec des embouteillages plus longs qu’auparavant.

Pourquoi donc ? Tout simplement car en construisant de nouvelles routes on incite les gens à prendre leur voiture, à délaisser les transports en commun et à s’installer toujours plus loin de leur lieu de travail. C’est donc un peu l’histoire du serpent qui se mord la queue…

La seule manière de venir à bout durablement de la surcharge de trafic sur nos routes, c’est de réduire le nombre de voitures en circulation en  proposant des alternatives aux automobilistes : améliorer les transports en commun et les garder à des prix abordables, développer le télétravail et les horaires cadencés, ou encore densifier de manière intelligenteles centres urbains pour permettre à qui le souhaite d’habiter plus près de son lieu de travail.

Il ne s’agit pas de bannir les voitures ou de faire de l’ “anti bagnoles” primaire, mais juste de constater que nous sommes arrivés aux limites d’un système qui depuis les années 1960 voit la place consacrée aux transports individuels motorisés croitre constamment.

L’urgence climatique et la nécessaire dé-carbonisation de nos modes de vie en découlant, tout comme le développement des voitures intelligentes et la révolution qu’elles risquent fort d’amener dans la manière dont nous concevons nos déplacements doivent être pris en considération dans le façonnement de notre politique des transports.

Si dans les années 1960 les décideurs politiques avaient analysé la situation de manière purement comptable, il y a fort à parier qu’on n’aurait pas construit d’autoroutes. Il y avait un peu plus de 500’000 véhicules de tourisme immatriculés en Suisse en 1960, pas de quoi investir des milliards dans de grands axes de transports à 2 ou 3 voies. Ces politiciens ont cependant été visionnaires, et ont compris que ce mode de transport allait se développer très fortement. Ils ont donc pris le pari de cette “révolution de la mobilité” qui a pris son essor dans les décennies qui ont suivi.

Tout porte à croire que nous sommes aujourd’hui à l’aube d’une révolution similaire, qui va voir la voiture céder une partie de sa place à d’autres formes de mobilité, voire à une diminution des besoins de déplacements pendulaires. Ne pas en tenir compte et continuer à appliquer l’équation selon laquelle “plus de routes = moins de bouchons” serait une erreur. Il est temps de se montrer une fois encore visionnaires et d’adapter nos infrastructures à la mobilité de demain plutôt que de vouloir à tout prix la caser dans un modèle dépassé.

Les pendulaires de 2050 nous en remercieront !

 

Alberto Mocchi

Alberto Mocchi est député vert au Grand Conseil vaudois et Syndic de la commune de Daillens, dans le Gros de Vaud. À travers son blog, il souhaite participer au débat sur les inévitables évolutions de notre société à l'heure de l'urgence écologique.

4 réponses à “Élargir nos routes pour fluidifier le trafic ?

  1. Cher Monsieur, votre courrier est pertinent.
    Mais de grâce.
    En écrivant “Pourquoi donc ? Tout simplement car ….”, vous commettez une faute qui se répand ces temps: c’est à la mode, mais fautif, un peu comme l’élargissement des autoroutes. “Car” n’est pas synonyme de “parce que”, et n’a pas la même fonction. Il est conjonction de coordiantion, alors que “parce que” est conjonction de subordination, La tournure correcte aurait été : “Pourquoi donc ? Tout simplement parce que ….”
    Vous trouverez des explications de spécialistes sur ce site. http://www.cnrtl.fr/definition/parce%20que
    Avec mes compliments,
    Weibel

    1. Merci pour ce rappel bienvenu d’une règle de grammaire que j’avoue oublier parfois… 🙂

  2. L’homo sapiens a génétiquement soif de mobilité. Bloquer ses cheminements preférés à titre éducatif est sinistre. Ce n’est pas être homo resonsabilis. Faciliter la mobilité est source de bonheurs depuis tous les temps, la bloquer par des artifices est indigne. Hausmann avec son grand boulevard n’a pas fait de mal que je sache. De l’air s’il vous plait.

  3. Au vu des nombreux prototypes actuellement en teste, il est envisageable que la mobilité électrique se propage non seulement sur les routes, mais aussi dans les airs, du moins d’abord sur les trajets typiquement parcourus par les voitures individuelles. Des drones/ULMs/voitures-volantes électriques pourraient donc bien apparaître dans les années ou décennies qui viennent changeant complètement la problématique des transports au niveau du sol. Attendons donc quelques années pour y voir plus clair dans ces développements technologiques avant de se lancer dans des investissements lourds à long terme tels que les autoroutes et tunnels.

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