Parfois, il faut dire stop !

Il m’est eu arrivé, adolescent blessé par un chagrin d’amour, d’écrire sous le coup de la déception et de la mélancolie. Un peu plus tard, jeune politicien engagé dans des causes définies abusivement comme “perdues d’avance”, de prendre la plume guidé par l’euphorie d’un score meilleur que prévu, d’un résultat inespéré. Aujourd’hui, pour la première fois, mes doigts tapent sur le clavier guidés par la colère et l’incompréhension.

L’article publié sur cette même plateforme de blog par un pourtant éminent professeur et politicien retraité a de quoi susciter en moi une consternation mêlée à un courroux qu’il m’est difficile de canaliser.

En très résumé, cette personne explique dans un article que l’effondrement du pont Morandi à Gênes n’était pas le fruit du hasard, d’une fatalité ou de l’incompétence de celles et ceux qui devaient se charger de sa surveillance et de son entretien, mais de spécificités culturelles des peuples méditerranéens, qui ne maîtriseraient pas selon l’auteur les subtilités des technologies nécessaires à l’érection d’un tel ouvrage. Je cite : “Or, la construction d’un pont suppose la réalisation correcte d’une foule d’opérations, y compris les plus élémentaires comme le respect maniaque de la mise en œuvre du béton. Si un manœuvre triche, à terme ce peut être la catastrophe. L’impossibilité d’une plomberie en Méditerranée signifie que ces peuples utilisent des techniques inventées ailleurs qu’ils n’ont pas maîtrisées.”

Car non content de ressortir la vieille panoplie des peuples” plus ou moins vertueux et portés à l’accomplissement d’une destinée manifeste ou non, notre auteur se lance dans une diatribe surréaliste sur la qualité des robinets dans les pays méditerranéens. Plongeant sans doute dans ses souvenirs de vacances des années 1950, il explique qu’en Europe du Sud il est difficile d’avoir accès à des robinets, et les quelques uns que l’on trouve (on aimerait bien savoir où il est allé en vacances cela dit…) sont de mauvaise qualité, rouillés et incapables de fournir une eau à la bonne température pour le derme  de l’auteur de cette prose dadaïste. Ce serait là la preuve qu’il est impossible pour les ressortissant-e-s de ces nations de fournir un quelconque ouvrage d’art de qualité.

“Votre eau tiède est trop chaude ? Il faut pas vous étonner si un pont s’écrase sur votre tête” semble-t-il vouloir nous dire en substance…

Or voilà, avec tout le respect que j’ai pour la liberté d’expression, les opinions bien tranchées, la provocation et tout le tralala, je pense qu’il ne faut quand même pas déconner.

Qu’un ancien conseiller national, professeur honoraire d’une des universités les plus prestigieuses de la planète puisse produire un discours si absurde et dangereux dans son argumentation, cela m’interpelle et m’inquiète.

Dans un XXIème siècle qui se veut à tort ou à raison celui du progrès, de la tolérance et de la déconstruction de schémas qui ont trop longtemps façonné nos rapports entre genres, ethnies ou  classes sociales, de tels propos ne sont juste plus acceptables.

J’espère donc que l’auteur de ces lignes malheureuses aura le courage et l’intelligence de faire son mea culpa, et de revenir sur une argumentation qui manque de respect aux victimes de l’accident comme aux secouristes, aux techniciens, aux soignant-e-s et plus généralement à plusieurs dizaines de millions de personnes qui n’ont d’autre faute que celle d’habiter dans un pays considéré comme peu habile en matière de plomberie…

Alberto Mocchi

Alberto Mocchi est député vert au Grand Conseil vaudois et Syndic de la commune de Daillens, dans le Gros de Vaud. À travers son blog, il souhaite participer au débat sur les inévitables évolutions de notre société à l'heure de l'urgence écologique.

15 réponses à “Parfois, il faut dire stop !

  1. Très juste! J’ai également été sidéré par la légèreté de l’article dont vous parlez. En cours de lecture j’ai regardé une deuxième fois au début car je me suis dit que je n’avais pas bien lu qui était l’auteur… malheureusement j’avais pourtant bien lu.

  2. Les politiciens se chamaillent sur l’usage de la “vieille panoplie des peuples”. Moi, ça ne me dérange pas, je suis trop âgée pour donner au mot peuple une connotation raciste.
    J’ai simplement écrit à “l’éminent professeur”, vu qu’il cite le CERN, que la Directrice des robinets du CERN est une femme italienne formée en Italie…
    En tout cas il est en train de battre le record des commentaires !

    1. Ce n’est pas l’expression “peuple” qui me gêne ici, quand bien même il élude les grandes différences culturelles entre pays méditerranéens. Ce qui me choque, c’est le fait que ce Monsieur insinue que les pays du Sud de l’Europe sont peuplés de personnes trop arriérées pour comprendre et maîtriser des technologies complexes. Cela s’appelle ni plus ni moins que du racisme…

      1. Je partage avec vous l’indignation par rapport aux insinuations de l’éminent professeur, par contre je vois d’autres interprétations que les sempiternelles “fasciste, raciste, machiste, homophobe…”, termes tellement abusés qu’ils ne passent plus.
        Cela, en effet, peut s’appeler aussi ignorance (ce qui n’est pas le cas du professeur qui a du étudier les classiques grecs et latins dans leur langue), mais peut aussi s’appeler… stupidité, la bonne vieille sottise, bien repartie dans toutes les couches sociales et dans tous les peuples.
        Les gens de ma génération ont cru que l’instruction est synonyme de culture et d’intelligence.
        Que nenni ! Il faut se résigner et accepter que on est pas tous pareils. Et ceux qui en utilisant les petites formules susmentionnées veulent forger l’Homme parfait de l’Avenir, primo ils sont les plus intolérants, secondo ils rêvent d’une société qui serait ennuyeuse à en mourir et encore plus hypocrite.

  3. Mon commentaire, qui était destiné à tempérer les vagues émotives des commentateurs de l’article de Jacques Neirynck s’adresse particulièrement à vous, politicien qui use du bras de fer pour tenter d’instaurer votre vision verte du monde au travers de vos solides certitudes qui ne risquent pas de s’écrouler. A moins que la tempête de chagrin et de colère que vous ne parvenez à canaliser ait raison du chêne qui se dresse devant la trop grande souplesse du roseau. A défaut de tenir un discours rationnel vous dénoncez en pointant le doigt, avec des propos tels que « faut quand même pas déconner », ce qui à mon avis est du niveau des commentaires qui innondent bien régulièrement les petits journeaux d’actualité divertissante. Quant à votre manoeuvre de fanfare rendant honneur aux secouristes, soignants, et « dizaines de millions » de personnes, vos instruments à vent sonnent bien faux… Voici donc mon analyse de départ où vous parviendrez à vous situer sans peine :
    Il est courant qu’en politique on invoque le racisme ou la discrimination, à tort ou à raison, lors des confrontations d’opinions donnant lieu à des rapports de force. Et dans le domaine scientifique ?.. Eh bien je ne pensais pas qu’un exposé rationnel sur la conception des ponts puisse générer pareilles réactions dans les commentaires ! Dans le domaine de la santé je peux mieux le comprendre, parce que cela touche aux sensibilités personnelles plus directement. Il y a maintenant d’anciennes hypothèses en recherche médicale qu’il est très malvenu de formuler publiquement. Et je ne pense pas exagérer en disant que notre juridiction actuelle s’ouvre à des plaintes qui entravent la « liberté d’expression scientifique ». Citer certains passages des ouvrages de Freud sur le développement de la sexualité humaine et ses orientations parallèles constitue une incitation à la discrimination, bien que celui-ci n’ait jamais parlé de « maladie » mais de comportements sexuels hors-norme, sans connotation aucune avec la notion « d’hygiène morale » de l’époque. Je trouve grave que l’on cherche de plus en plus à déplacer le débat scientifique sur un terrain semé d’obstacles jouant le rôle de balises, comme si le but d’un travail de recherche devait viser à un résultat jugé convenable, en rapport de considérations qui n’ont rien de scientifique. Ce sont d’autres « ponts » qui vont s’écrouler si l’on ne veut pas prendre conscience de ce phénomène qui va en croissant…

    1. Sauf que là on ne parle pas de théories scientifiques, ni de propos tenus au début du XXème siècle.
      Vous m’excuserez, mais partir du fait que dans les pays méditerranéens les robinets seraient prétendument défectueux ( j’ai vécu deux ans en Espagne et vais plusieurs fois par année en Italie sans avoir jamais vu autre chose que des robinets en parfait état, avec de l’eau coulant à flots…) pour en déduire que ces “peuples” (il y a autant de différence culturelle entre un Espagnol et un chypriote qu’entre un finlandais et un français, mais passons là aussi) seraient arriérés et donc incapables de maîtriser une technologie complexe comme celle du béton armé… Ces propos sont dignes de Tintin au Congo, et je les trouve inacceptables… Il ne s’agit pas d’un travail ou de propos scientifiques, mais tout au plus du café du commerce…

      1. Merci d’avoir répondu à mon long commentaire, même si je ne me suis pas montré très agréable. Mon sentiment final est que d’une part vous donnez votre opinion en vive opposition avec les théories de M. Neirynck, et qu’en même temps vous prenez le rôle de médiateur en dénonçant son “manque de respect”. D’accord, les robinets sont peut-être mieux entrentenus en 2018 que dans les années 50 ! Et bien d’autres préjugés demeurent sur l’image que l’on peut se faire des italiens, des anglais, des français… et des Suisses à l’étranger. Maintenant je ne pense pas que M. Neirynck considère nos voisins comme des “arriérés en technologies complexes”. L’ingénieur qui conçoit n’est pas entrepreneur de chantier, ni investisseur, ni politicien, et peut se sentir souvent frustré de n’avoir plus la maîtrise des étapes successives après la réalisation de ses plans. Je souhaiterais vous donner un exemple à titre de modèle : L’aviation russe. Durant longtemps, chacun dans le monde occidental voulait bien croire que les ingénieurs russes se contentaient de “copier” les avions civils, militaires, et hélcoptères conçus aux USA, sur ordre du gouvernement… Et qu’ils n’y parvenaient pas car les Tupolev avaient un taux d’accidents élevé. Loins d’être “arriérés”, les ingénieurs russes (exemple Sikorsky) ont au contraire contribué au développement rapide de la technique américaine qui disposait de forts moyens de mise en oeuvre, d’une bonne organisation, et de travailleurs en bonne santé… qui ne devaient pas faire la file pour réussir à acheter un saucisson, ou se remonter le moral avec de la Vodka. Trouvez-vous déplacé cette dernière image ? Peu respectueuse ? Digne de Tinitin chez les Soviets ?.. Oui cela peut outrer ou faire rire, mais sur le fond ?.. Culture, santé, niveau de sécurité financière, corruption, autant d’éléments qui n’ont pas de solution scientifique mais qui peuvent expliquer une situation telle qu’un avion qui se crashe ou un pont qui s’écroule… Les éléments que je cite, et il y en a d’autres, interagissent ensemble dans un tout, culture comprise. Alors pour conclure, les propos que vous attribuez au Café du commerce sont peut-être formulés assez maladroitement, avec un humour malvenu, mais sur le fond je pense qu’ils ont leur place dans la recherche d’une explication où l’on prend en compte tous les facteurs, scientifiques et autres qui ont leur poids…

  4. “Moi, ça ne me dérange pas, je suis trop âgée pour donner au mot peuple une connotation raciste” — Vito Bruno.

    Tiens, la première remarque intelligente dans cette page.

  5. Ce que vous dites, Alberto, me semble frappé au coin du bon sens. Mais on pourrait souhaiter que Le Temps mette ici même les propos de Jacques Neirynck, pour qu’il soit plus facile de se forger son opinion.

  6. Evidemment que cet article était raciste. Je suis juste étonné qu’il n’ait pas parlé des magutes, c’était dans l’esprit mais peut-être qu’il ne connaît pas çe mot. Mais comme ça maintenant on pourra aussi se payer la tête des Belges.

    1. Pour la petite histoire étymologique, “magut” est un terme qui en dialecte lombard signifie “maçon”, ou “manœuvre”.
      L’immigration au XIXème siècle en Suisse Romande de nombreux ressortissants de ces régions, actifs dans la bâtiment, n’est sans doute pas pour rien dans l’appropriation de ce terme par le parler romand.

      1. Vous êtes à l’aise pour jeter de l’huile sur le feu, et je pense que finalement vous êtes plus soucieux de votre popularité que des ponts qui s’effondrent. Vous vous êtes ainsi jeté sur l’occasion d’intervenir à point nommé pour souffler sur les braises du blog de l’article incriminé, en ouvrant la porte aux petits hooligans dans votre stade. Et de prendre encore le temps d’apporter des précisions sur l’origine du terme “magut”, afin d’instruire l’un un de vos futurs supporters agité qui vient vous serrer la main. C’est ainsi que Je vous remercie cependant de vous montrer à découvert dans tous vos états, accompagné de vos soutiens de tribune, afin de mieux comprendre l’état d’esprit du parti que vous représentez…. avant les prochaines votations.

        1. Autant je comprends tout à fait que vous ne soyez pas d’accord avec le texte publié, que vous le trouviez agaçant etc., autant là j’avoue trouver votre remarque un peu gratuite…
          L’info rapportée me semblait intéressante, et j’ai voulu la partager, c’est tout…
          J’ai bien compris que vous ne me portez pas spécialement dans votre coeur, mais il y a sans doutes d’autres raisons plus valables que ma réponse à ce commentaire 😉

  7. Dans vos réponses vous montrez la force tranquille de la limpide rivière qui glisse et contourne harmonieusement les obstacles. Et dans votre article « guidé par les émotions » selon vos propres termes, vous vous montrez sous un autre jour pour exprimer votre révolte attisée par la souffrance. Jusque-là je compatis et comprends que le soutien d’un intervenant qui en rajoute une couche à sa manière vous incite à vous détendre en prenant une « pose littérature ». Pour reprendre des forces avant de vous rallier au prochain lynchage ?.. Je n’ai pas de petit masque jaune fair-play et flegmatique à accoler pour faire aussi bien que vous dans les apparences. Bonne soirée !

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