C’est à ce prix là que vous mangez des barres chocolatées en Europe

Qui n’a jamais perçu un rictus d’effroi se dessiner sur son visage en voyant des images des forêts tropicales indonésiennes rasées pour faire place à des plantations de palmiers à huile, ou encore les conditions dans lesquelles travaillent les esclaves modernes dans les plantations de fruits ou légumes d’Almerilla ?

C’est à ce prix là que vous mangez des fraises en hiver ou des barres chocolatées en Europe” aurait sans doute écrit Voltaire s’il avait pu assister à tout cela. Cette phrase ne serait plus sortie de la bouche d’un esclave d’une plantation du Surinam, mais de celle d’un petit paysan de Bornéo spolié de ses terres ou d’un immigré clandestin travaillant dans les serres andalouses pour un salaire de misère.

Cela se passe certes ailleurs, loin de nos yeux mais avec notre consentement tacite et involontaire, puisque le fruit de cette injustice et de cette souffrance se retrouve trop souvent dans nos caddies et dans nos assiettes.

En consommatrices et consommateurs éclairés, nous pouvons bien entendu effectuer des choix, nous informer sur la provenance de ce que nous achetons, privilégier des filières d’approvisionnement courtes et bien identifiées. Mais bien souvent nous n’avons pas le choix, soit parce que le temps nous manque, soit parce que les informations nécessaires à des choix judicieux sont trop difficiles, voire impossibles à obtenir. Un fabricant de barres chocolatées n’écrira ainsi pas sur l’emballage de son produit “contient de l’huile de palme responsable de la mort d’une famille d’orangs-outans”, et on ne trouve pas sur les barquettes de fraises qui inondent les supermarchés au mois de février l’inscription “ramassées par un ouvrier agricole payé 3 euros par jour”.

L’initiative “Pour des aliments équitables“, sur laquelle nous allons voter le 23 septembre prochain, vise à ramener un peu de clarté et de vertu dans nos assiettes, en favorisant les aliments issus d’une agriculture locale et de saison, et en fixant des règles en matière de qualité et de durabilité pour les aliments importés.

Il s’agit donc d’un coup de pouce bienvenu pour les paysans suisses, qui se voient libérés d’une concurrence injuste et déloyale  ( ce n’est pas pour rien si les associations faîtières d’agriculteurs en Suisse Romande soutiennent le texte, à l’image de Prometerre ), mais aussi pour les consommatrices et consommateurs, pour l’environnement et pour celles et ceux qui produisent les aliments que nous importons.

à l’heure où la lutte contre le réchauffement climatique, la bientraitance animale ou encore le commerce équitable sont des sujets amplement débattus et soutenus par des pans croissants de la population,  cette initiative semble aller de soi.

Peut-on vraiment être contre l’idée de voir la qualité de ce que nous mangeons s’améliorer, tout en protégeant l’environnement, en soutenant l’agriculture locale et en évitant souffrance et destruction ailleurs dans le monde ?

Apparemment oui, puisque Economiesuisse et un comité de partis bourgeois ont lancé une campagne contre l’initiative, argumentant que celle-ci va provoquer un renchérissement de la nourriture et un appauvrissement du choix à notre disposition.

Je n’ai bien entendu rien contre le débat d’idées dans les campagnes de votations, bien au contraire. Il est sain que les opinions se confrontent, que les arguments soient avancés de part et d’autre et que la population puisse ainsi voter en connaissance de cause, ayant pu soupeser les divers avis qui lui ont été présentés. Mais pour cela, il faut un minimum d’honnêteté intellectuelle, que d’aucuns semblent avoir rangé tout au fond d’un placard, avec la ferme intention de ne plus s’en servir avant un bon moment.

Depuis quelques années on assiste ainsi à un crescendo d’arguments fallacieux et simplistes, d’autant plus efficaces qu’ils sont criés très fort à coups de millions dépensés en affiches, annonces et publicités sur les réseaux sociaux. Economiesuisse s’est ainsi fait une spécialité d’annoncer la destruction de la Suisse et de sa prospérité en cas de oui à toute initiative visant à réguler un tant soit peu le système économique libéral dans lequel nous vivons. On se rappellera ainsi de la vidéo prédisant des exodes de population suite à l’effroyable crise économique qu’aurait engendré l’initiative Minder ( le pays est d’ailleurs en grave récession depuis son acceptation en 2013…), les affiches présentant des gratte-ciel dans la campagne au bord du lac Léman en cas de OUI à la LAT , ou encore les douches froides et la disparition du café engendrés par l’initiative “Pour une économie verte”.

Le cynisme est cette fois poussé un cran plus loin, puisque pour défendre les intérêts très particuliers de certains distributeurs ou importateurs, on s’assied sur les droits fondamentaux d’un nombre incalculable d’individus. Outre le fait que l’argument du renchérissement est très discutable, et que le soutien à des produits locaux et de qualité devrait au contraire rendre ces derniers plus accessibles pour tous, il n’est pas soutenable éthiquement et moralement. La liberté du consommateur de disposer d’un très vaste choix à bas prix s’arrête en effet là où commence la liberté du paysan suisse de vivre décemment de son travail, celle de l’ouvrier agricole d’être payé convenablement pour le travail fourni, ou celle de l’animal d’élevage d’être traité dignement.

L’initiative “Pour des aliments équitables” vise ainsi à ramener un peu de bon sens et de justice là où a prévalu trop longtemps la loi du plus fort, au détriment de l’environnement et du bien-être des producteurs comme des consommateurs.

Espérons donc que la campagne puisse aller outre les arguments caricaturaux et mensongers criés à tue tête, et permette de nous poser la question des répercussions de notre alimentation sur celles et ceux qui en sont à la base.

Alberto Mocchi

Alberto Mocchi est député vert au Grand Conseil vaudois et Syndic de la commune de Daillens, dans le Gros de Vaud. À travers son blog, il souhaite participer au débat sur les inévitables évolutions de notre société à l'heure de l'urgence écologique.