Curling, dopage et aspirine

Dans la foulée des nombreuses affaires russes qui ont secoué le Comité International Olympique (CIO) avant l’ouverture des Jeux Olympiques, on a beaucoup parlé de ce cas de dopage du curleur russe Krushelnitsky, positif au meldonium. Cela lui a coûté, ainsi qu’à son épouse et coéquipière, sa médaille de bronze.

La délégation russe n’avait certainement pas besoin d’une telle publicité dans le contexte actuel. Ce cas de dopage donne du grain à moudre à ceux qui reprochent au CIO d’avoir accepté d’inviter des athlètes russes aux Jeux Olympiques, après le scandale de Sotchi où, selon le fameux “rapport McLaren”, un programme sophistiqué de dopage avait été mis en place par l’Etat russe en vue de faire une razzia sur les médailles.

Du haut de ses 74 ans, le Suisse Gian-Franco Kasper, président de la Fédération Internationale de Ski et membre du CIO, en a vu d’autres. Son âge lui offre aussi le privilège de s’exprimer sans détours. Ainsi, lorsqu’il indique, lors d’un entretien à l’AFP, que le meldonium, “c’est l’aspirine chez nous”, il est difficile de lui donner tort. Alors que les médias montent en épingle cette nouvelle affaire, il est bon que quelqu’un remette les choses en perspectives.

Pour rappel, le meldonium est un médicament, commercialisé en Russie et dans les pays baltes, destiné à traiter préventivement l’infarctus du myocarde. Auprès des sportifs des pays de l’Est, il existait une certaine tradition à prendre du meldonium en vue de protéger son cœur des efforts surhumains que les sportifs de haut niveau s’infligent. Durant des décennies, ce médicament a été pris par de très nombreux sportifs en toute impunité.

Toutefois, depuis le 1er janvier 2016, ce médicament figure sur la liste des produits interdits publiée par l’Agence mondiale antidopage. L’inclusion de ce médicament avait créé une confusion sans précédent puisque de très nombreux russes avaient été testés positifs à cette substance lors du premier trimestre 2016. C’était avant de s’apercevoir qu’il pouvait laisser des traces dans le corps durant plusieurs mois. Mis à part quelques cas isolés, dont Maria Sharapova (voir un précédent article ici), les athlètes positifs au meldonium ont en définitive tous été blanchis car il était souvent impossible d’établir que ce médicament avait été pris après son inclusion sur la liste des produits dopants.

La polémique liée au meldomium est d’autant plus vive que certains doutent que sa prise constitue véritablement du dopage. A commencer par son inventeur, le Prof Kalvins, pour lequel il ne s’agit pas d’un produit dopant car il ne permet pas d’améliorer les performances. Pour lui, “le meldonium est un protecteur du coeur en cas d’ischémie, il permet de s’entraîner avec une charge moyenne probablement de manière plus durable et plus sûre pour la santé des athlètes” (lire son interview ici). L’avis de ce professeur démontre bien toutes les difficultés qu’il y a à placer une limite à partir de laquelle il faut parler de dopage. L’exemple du curleur russe va dans le sens des propos de l’inventeur du médicament incriminé car il faut bien se l’avouer: on a de la peine à imaginer un curleur se doper.

Quoiqu’il en soit, il est vrai de dire, comme le souligne M. Kasper, que ce médicament était pris comme de l’aspirine, soit comme une substance tout à fait anodine.

Une chose est sûre: le curleur en question a fait preuve d’une négligence incompréhensible en prenant du meldonium car – effet dopant ou pas – tous les sportifs doivent savoir en faisant preuve d’un minimum d’attention qu’il figure sur la liste des produits interdits.

Les règles sont ce qu’elles sont et il est logique que le couple russe perde sa médaille à la suite d’un cas positif, même par négligence. Ma

is le cas interpelle néanmoins: la logique qui sous-tend une disqualification est que le résultat n’a pas été acquis honnêtement; la performance a été améliorée par une substance dopante. Or, tel ne semble pas le cas en l’espèce. Cette affaire illustre parfaitement qu’il faut toujours se montrer extrêmement prudent lorsqu’on parle de dopage et qu’il faut se garder de tout amalgame.

Il y a en effet un monde entre un sprinter gonflé à bloc aux stéroïdes et un curleur qui prend un médicament… comme il prendrait de l’aspirine!

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.