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Nage en eaux troubles

Chaque amateur de sport le sait bien: le sport est organisé de façon très hiérarchisée. Dans chaque sport, une fédération internationale dispose d’un monopole et gouverne sa discipline dans le monde entier. Ainsi, le football est placé sous l’égide de la FIFA, le volleyball sous celui de la FIVB et le ski est dirigé par la FIS, pour ne citer que quelques exemples connus. La légitimité de ces monopoles est admis car il est opportun qu’un sport soit pratiqué dans le monde entier selon les mêmes règles. Il est aussi juste que les meilleurs sportifs au monde puissent concourir les uns contre les autres sous une même bannière. Il serait par exemple fâcheux qu’il existe plusieurs Coupes du monde de football avec, à la clé, des “champions du monde” différents.

Certes, il existe des exceptions: ainsi, les boxeurs peuvent être champions du monde dans plusieurs organisations distinctes (WBA, WBO, WBC, IBF, etc…). Les ligues privées américaines (NBA, NHL, etc…) consacrent aussi leurs propres champions du monde. Un tel système n’est pas idéal.

Ces dernières années, les organisations officielles voient de plus en plus de sociétés commerciales concurrentes venir marcher sur les plates-bandes, histoire de venir leur grappiller des parts sur un marché très juteux. Plusieurs procès retentissants ont déjà eu lieu, ou sont en cours, et la question est globalement toujours la même: est-il juste que des organisations sportives jouissent d’un tel monopole, sachant que les grands événements sportifs sont sources de profits par millions? Ainsi, en 2017, la Commission Européenne a sanctionné la Fédération internationale de patinage (ISU) en estimant qu’il était contraire aux règles sur la concurrence d’exclure à vie des sportifs participants à des compétitions rivales. Une telle entrave n’était ni justifiée, ni proportionnée. L’UEFA fait toujours face aux velléités d’une organisation concurrente qui souhaite organiser une “Super League” européenne réunissant les plus grand clubs dans une ligue fermée. Le projet n’est pas enterré et il pourrait y avoir des rebondissements.

Dans le monde de la natation, la fédération internationale (“World Aquatics”, précédemment la “FINA”) se bat depuis 2018 contre l’International Swimming League (ISL), laquelle souhaite aussi organiser des manifestations internationales réunissant les meilleurs nageurs. Or, World Aquatics vient de gagner une manche devant un tribunal à San Francisco. Dans son verdict, le juge américain a rejeté les allégations de boycott: il se trouve que l’ISL avait pu organiser des compétitions, sans la bénédiction de World Aquatics, et que les menaces de sanction de la fédération internationale contre des nageurs acceptant de concourir pour une organisation tierce n’avaient pas été établies. Certes, il est bien possible que l’ISL fût confrontée à des difficultés pour organiser des compétitions sans l’aval de World Aquatics, mais le droit de la concurrence n’exige certainement qu’un concurrent en aide un autre:

La Cour reconnaît que le dossier regorge de preuves de la préoccupation de la FINA concernant la concurrence de l’ISL. Mais, et alors ? Les lois sur la concurrence déloyale n’exigent pas qu’un concurrent aide un autre à lui faire concurrence ; au contraire, elles n’interdisent que les restrictions déraisonnables du commerce.

Il est parfois bon de rappeler certaines évidences: ce n’est pas parce qu’il est difficile de faire concurrence à un géant que la concurrence devient déloyale. Autrement dit, les monopoles sont admissibles; ce n’est que l’abus d’une position dominante qui ne l’est pas.

Dans l’Union Européenne, il est reconnu depuis longtemps que le sport n’échappe pas au droit de la concurrence. Néanmoins, l’UE reconnaît dans son “livre blanc sur le sport” que le sport présente certaines spécificités. Ces dernières peuvent être examinées sous deux perspectives:

  • la spécificité des activités sportives et des règles qui s’y appliquent, comme l’organisation de compétitions distinctes pour les hommes et les femmes, la limitation du nombre de participants aux compétitions ou la nécessité d’assurer l’incertitude des résultats et de préserver l’équilibre compétitif entre les clubs participant à une même compétition;
  • la spécificité des structures sportives, notamment l’autonomie et la diversité des organisations sportives, la structure pyramidale des compétitions du sport de loisir au sport de haut niveau, les mécanismes de solidarité structurée entre les différents niveaux et les différents intervenants, l’organisation du sport sur une base nationale et le principe d’une fédération unique par sport.

Ces spécificités, qui sont légitimes, doivent être prises en compte dans le droit communautaire.

En conclusion, chacun est libre d’organiser de grands événements sportifs à la lumière du principe de la libre concurrence. Les fédérations internationales au bénéfice d’un monopole ne peuvent pas s’y opposer en mettant des entraves illégitimes. En somme, que cela soit en sport ou en droit (de la concurrence), les principes fondamentaux sont les mêmes: que le meilleur gagne… et que les tricheurs soient sanctionnés!

These de Me Stéphane Manaï

Kylian Mbappé et son image de marque

Il se passe toujours quelque chose avec Kylian Mbappé. Sur et en dehors des terrains. Après un été mouvementé et alimenté par les rumeurs habituelles de transfert, on le croyait désormais confortablement installé comme figure de proue du PSG qui avait annoncé avoir prolongé son joueur vedette jusqu’en 2025. Sauf que depuis le début de la saison, Mbappé faut beaucoup parler de lui en dehors du terrain.

Contrairement à ce qui avait été initialement dévoilé, il s’avère que le contrat de Mbappé avec le club parisien est en fait un contrat de deux ans, avec une année supplémentaire en option. Ce qui signifie très concrètement qu’il y a toutes les chances pour que le footballeur le mieux payé au monde fasse ses valises l’été prochain déjà, sous peine de priver son club d’une jolie indemnité de transfert. Son statut au sein du PSG reste donc finalement assez précaire.

Depuis le début de la saison, il y a d’abord eu le “penalty gate“, épisode lors duquel Neymar a voulu lui montrer qu’il tirait mieux les penalties; il y a désormais l’histoire du hashtag “pivot gang“, Mbappé faisant savoir son mécontent quant à son positionnement en pivot à la pointe de l’attaque parisienne. Visiblement insatisfait de son sort et n’ayant pas une relation des plus harmonieuse avec Neymar, Mbappé ne fait guère d’efforts pour cacher sa frustration, ce qui permet aux rumeurs de revenir en force. Son transfert à Liverpool ou à Madrid au prochain mercato d’hiver est déjà annoncé.

L’attaquant français n’est pas en reste avec l’équipe de France puisqu’il avait menacé il y a quelques semaines de boycotter ses obligations auprès des sponsors nationaux, avant qu’un accord ne soit trouvé à la dernière minute. Le bras de fer entre la Fédération Française de Football (FFF) et son attaquant  de pointe mérite quelques explications et mises en perspective. En bref, lorsqu’un joueur français est sélectionné, il doit préalablement signer une convention prévoyant notamment qu’il accepte de participer à des opérations commerciales des sponsors de l’équipe de France. Le hic est que les sponsors de Mbappé ne sont pas ceux de l’équipe de France et que cela créé des tensions.

Désireux de vouloir garder le contrôle de son image, Mbappé souhaiterait ne pas être associé à certains sponsors avec lesquels il ne partagerait pas les valeurs, comme Coca-Cola. La fédération française a fini par entendre ces revendications puisqu’elle s’est engagée à revoir les obligations imposées aux joueurs après la prochaine coupe du monde au Qatar.

Juridiquement, on pourrait penser que choses sont claires: Mbappé a signé un contrat prévoyant des obligations vis-à-vis de l’équipe de France; il n’a donc qu’à s’y tenir, ce d’autant plus qu’il percevrait une prime de 25’000 euros par match pour prêter son image de marque aux sponsors des Bleus. C’est le principe de la fidélité contractuelle: les contrats sont faits pour être respectés – “pacta sunt servanda”. Du reste, aucun joueur n’a jamais rechigné à remplir ses obligations commerciales, en contre-partie de son statut de sélectionné en équipe nationale. Mbappé se voit-il donc plus grand que l’équipe de France? Ne devrait-il pas comprendre que son immense notoriété est aussi due à la vitrine que lui offre son équipe nationale, notamment lors des Coupes du Monde ou des Championnats d’Europe?

En y regardant de plus près, il faut admettre que la position du joueur présente des aspects légitimes. Tout d’abord, le contrat avec la FFF n’est pas librement consenti: le sélectionné n’a à vrai dire pas voix au chapitre s’il veut jouer en équipe nationale. On ne peut donc pas faire le procès du joueur en lui reprochant de faire volte-face par rapport à des obligations contractuelles qui lui ont en fait été imposées.

Mais il y a plus: le droit à l’image fait partie des droits de la personnalité. Cela signifie que chaque personne a le droit au respect de son image et que toute atteinte peut faire l’objet d’une action en justice pour obtenir la cessation de l’atteinte, la réparation du tort moral ou encore la remise du gain. Formellement, il n’y a pas d’atteinte dans le cas d’espèce puisqu’il y a consentement du joueur du fait du contrat le liant avec la fédération. Or, il n’y a plus de place à l’illicéité en cas de consentement. Mais peut-on encore parler de consentement lorsque le joueur n’a pas le choix, sauf à décliner une sélection en équipe nationale? De plus, ne doit-on pas admettre que le pseudo-consentement à la base du contrat doit pouvoir être révoqué, notamment s’il existe de justes motifs, sachant que des droits de la personnalité sont en jeu?

Comme souvent en droit, le terrain est mouvant et il existe des arguments tant du côté du joueur, qui doit pouvoir conserver la maîtrise de son image dans une certaine mesure, que du côté de la fédération nationale qui est elle aussi titulaire de certaines prérogatives. Jusqu’à présent, la question ne s’était jamais véritablement posée car l’équipe est normalement plus grande que le joueur. Mais dans le monde du football actuel, le fait est que certains joueurs deviennent si puissants que ce sont eux qui en viennent à dicter les règles du jeu. Ce déséquilibre ouvre du reste la porte à des débats intéressants: la star d’un club de football doit-elle vraiment être considérée comme un employé, bénéficiant de la protection sociale du droit du travail? Ne doit-elle finalement pas être considérée comme un associé en affaires? Il fait peu de doutes que toutes ces questions occuperont un jour les tribunaux dans la mesure où il faut admettre que les grandes stars du football ne sont pas des employés comme les autres.

Au fait, on en viendrait presque à oublier l’essentiel: Mbappé cartonne en ce début de saison avec 12 buts marqués en 13 matchs pour le PSG, dont 4 buts en 4 rencontres de Champions League. Comme quoi, même s’il met beaucoup d’énergie à garder le contrôle sur son image de marque, Mbappé sait encore marquer.

Les médailles et leurs revers

C’est une cérémonie quelque peu inhabituelle qui s’est tenue il y a quelques jours au Musée Olympique à Ouchy puisque les membres du relais 4 x 100 m masculin de Trinité-et-Tobago ont chacun reçu une médaille d’or… gagnée lors des Jeux Olympiques de Pékin en 2008! Difficile de concevoir qu’il ait fallu 14 ans pour réattribuer des médailles; une telle attente s’explique par le long délai durant lequel des échantillons peuvent être réanalysés à des fins anti-dopage et la durée des procédures juridiques.

2008, c’était la grande époque du sprint où Usain Bolt était au sommet de son art. Rappelez-vous: il atomise le record du monde du 100 m avec un temps de 9’69”, tout en écartant les bras en signe de victoire 20 mètres avant la ligne d’arrivée (voir la vidéo ici), et récidive lors du 200 m en courant en 19’30”. Il s’offre même une troisième médaille d’or à l’occasion du relais 4 x 100 m en signant un troisième record du monde. Hélas, en mai 2016, son coéquipier Nesta Carter est testé positif à un stimulant interdit et se voit sanctionner par le CIO le 13 janvier 2017, avec pour conséquence le retrait de la médaille d’or à l’ensemble des membres du relais jamaïcain, au profit de l’équipe de Trinité-et-Tobago. S’ensuivent une procédure d’appel devant le Tribunal arbitral du sport, l’adoption de nouvelles règles du CIO sur la réallocation des médailles et nous voici enfin arrivés à une cérémonie pour remettre l’or olympique à l’équipe initialement classée deuxième, 14 ans après la course.

A priori, il semble aisé de réattribuer des médailles après une disqualification, puisque chaque concurrent classé après l’athlète disqualifié devrait logiquement grimper au classement. Mais, la réalité est bien différente puisque chaque organisation sportive est soucieuse de ne pas récompenser un athlète potentiellement aussi sulfureux que celui qui a été disqualifié. L’exemple le plus connu est la décision des organisateurs du Tour de France qui ont choisi de ne pas proclamer de nouveaux vainqueurs, une fois Lance Armstrong dépossédés de ses 7 victoires consécutives au classement général entre 1999 et 2005. Il est vrai qu’il aurait été pour le moins audacieux de consacrer Jan Ulrich pour les éditions 2000, 2001 et 2003, connaissant ses casseroles.

Le CIO aussi a été régulièrement placé devant un choix cornélien au moment de réallouer des médailles. L’exemple le plus retentissant est le sort finalement réservé à l’épreuve du 100 m féminin lors des Jeux Olympiques de Sydney en 2000. Marion Jones avait glané l’or avant de se faire rattraper par la patrouille. La grecque Aikaterini Thanou, deuxième, aurait donc dû empocher l’or, sauf que… Sauf que cette athlète s’est retrouvée au cœur d’un autre scandale lors des Jeux d’Athènes en 2004 en évitant un contrôle anti-dopage à la suite d’un prétendu “accident de moto”, en compagnie de son acolyte Kostas Kenteris, lui-même spécialiste du 200 m. Hors de question de lui allouer l’or rétroactivement dans de telles circonstances! Le CIO a alors fait bénéficier les autres finalistes du 100 m d’une meilleure place au classement, à l’exception de la sprinteuse grecque qui a donc conservé l’argent, avec pour conséquence que le classement officiel affiche désormais deux médaillées d’argent, avec deux temps différents. Il fallait y penser.

La multiplication des cas de dopage révélés après des réanalyses a aussi poussé le CIO à se doter de règles formelles, plutôt que de décider en équité comme pour le cas Thanou. Lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, tout le monde se félicitait que ces jeux avaient été très propres, sans le moindre scandale de dopage. Sauf que 10 ans plus tard, pas moins de 39 athlètes ont été dépossédés de leurs médailles après avoir été convaincus de dopage sur la base de nouvelles analyses. En haltérophilie, sur les 45 médailles attribuées initialement, 18 ont été retirées postérieurement! Ainsi, presque tous les podiums ont été modifiés après coup. Sachant qu’un tel sport est empêtré dans des affaires récurrentes de dopage, il est délicat de redistribuer des médailles, sachant que le risque que l’heureux bénéficiaire soit aussi dopé que l’athlète disqualifié est bien présent.

Désormais, depuis 2018, avant de prendre la décision de réattribuer une médaille, les mesures suivantes doivent être prises par le CIO :

  1. Épuisement de toutes les voies de recours légales.
  2. Lorsque de tels échantillons sont disponibles, au moins un échantillon de tout athlète réattribué doit être réanalysé et confirmé négatif. Si aucun échantillon n’est disponible pour être réanalysé, le bénéfice du doute est accordé à l’athlète.
  3. Les athlètes doivent retourner leurs médailles originales pour obtenir leurs nouvelles médailles.
  4. Il ne devrait pas y avoir de limite inférieure à la position d’arrivée originale d’un athlète qui pourrait être considéré pour une réattribution de médaille olympique.
  5. Toutes les décisions finales seront prises par la commission exécutive du CIO, les fédérations internationales étant responsables du résultat final et du classement des compétitions olympiques conformément à la Charte olympique.

En application stricte de ces nouvelles règles, Thanou aurait donc empoché l’or en 2000 puisqu’elle n’avait alors pas été testée positive.

Si les médailles sont réallouées, le sportif gagnant un nouveau métal a ensuite le choix entre six options pour la cérémonie de remise de sa médaille:

  1. Les prochains Jeux olympiques (pour les réaffectations à partir de PyeongChang 2018)
  2. Les Jeux Olympiques de la Jeunesse
  3. Le siège du CIO ou le musée olympique
  4. Lors d’une manifestation du Comité National Olympique
  5. Lors d’une manifestation ou d’une fonction de la Fédération Internationale
  6. Lors d’une cérémonie privée

Jamais rien ne remplacera les émotions dont a été privé l’athlète lors de la cérémonie officielle d’après course, surtout si c’est l’or qui est en jeu; mais il faut se féliciter que le CIO ait mis au point une cérémonie de consolation qui permet de célébrer aussi bien que possible l’exploit à récompenser, plutôt que de se contenter d’un envoi d’une médaille par courrier postal.

Park Hothell

Djokovic – un homme libre

Nous traversons décidément une époque singulière et le feuilleton Djokovic restera à jamais une parfaite illustration d’un système qui marche sur la tête.

Quelques instants avant son départ en Australie, Djokovic s’affichait fièrement sur instagram en expliquant au monde entier qu’il avait obtenu une exemption médicale lui permettant d’entrer en Australie dans l’espoir de décrocher un 21ème tournoi du Grand Chelem. Un joli pied de nez à ses détracteurs. Quelques heures plus tard, le voici détenu dans un hôtel minable après s’être vu révoquer son visa. No one is above the law.

Alors que l’espoir de voir le Djoker fouler les terrains semblait presque nul, voici qu’un juge annule la décision du Ministère de l’Immigration et ordonne sa libération immédiate. Mais le feuilleton n’est peut-être pas encore terminé car le représentant de l’Etat fédéral a clairement fait savoir au juge que si sa décision serait respectée, le ministre de l’immigration examinerait en revanche “l’opportunité d’exercer un pouvoir personnel d’annulation”. Un nouveau coup de théâtre est donc possible, ce qui ajouterait encore de la cacophonie à une situation d’ores et déjà grotesque.

L’ordre du juge de libérer Djokovic (à lire ici) est basé sur un motif purement formel: la décision des services de l’immigration révoquant le visa n’était pas valable car elle a été rendue avant la fin du délai imparti à Djokovic pour déposer ses observations. En effet, la décision avait été prise à 7h42 du matin alors que le joueur avait jusqu’à 8h30 pour faire valoir ses droits. Voici un bel exemple de la justice anglo-saxonne qui est beaucoup moins hésitante que notre justice continentale à annuler des décisions pour des questions de pure forme, alors que des intérêts prépondérants sont pourtant en jeu.

Le juge a donc botté en touche et trouvé un moyen de ne pas se prononcer sur le fond de l’affaire, ce qui est pour le moins frustrant. Comme le rappelait Djokovic dans sa déposition écrite (disponible ici), il avait obtenu des organisateurs de l’Australian Open une exemption médicale, validée par des experts médicaux de l’Etat de Victoria. L’attestation délivrée par le tournoi précisait aussi que l’exemption octroyée était en ligne avec les recommandations fédérales. Difficile donc de jeter la pierre au joueur et de l’accuser d’avoir fait preuve de légèreté au moment d’embarquer pour l’Australie.

Sur le fond, l’argument des services de l’immigration pour révoquer le visa était simple: Djokovic n’est pas vacciné. Un point c’est tout. Et le fait d’avoir contracté le virus récemment n’est pas un motif suffisant pour échapper au vaccin. Les autorités fédérales australiennes plaident que les personnes non-vaccinées présentent un risque accru de contracter le COVID et de le propager. Elles soutiennent aussi que toute personne guérie est éligible au vaccin. Ainsi, peu importe que Djokovic ait présenté un test PCR positif en date du 16 décembre 2021. Sachant qu’il était guéri à partir du 22 décembre 2021, date d’un test PCR négatif, il aurait très bien pu se faire vacciner dès cette date. Mais si c’était si simple, pourquoi diable l’avoir invité à participer au tournoi?

Il est quand même curieux que les recommandations australiennes ne fassent pas une distinction entre les personnes non-vaccinées, selon qu’elles soient guéries ou non. A en croire notre task-force nationale, “les personnes guéries du COVID-19 ou vaccinées ont bien moins de risque d’être infectées par le SARS-Cov-2 et de le transmettre”. Ayant attrapé le COVID il y a moins d’un mois, Djokovic a aussi peu de chance de tomber malade et de transmettre le virus qu’une personne vaccinée. Exiger dans de telles circonstances un vaccin ne fait aucun sens.

Au delà de toute argutie juridique, il semble aller de soi qu’un vaccin sert à éviter une maladie et qu’il ne doit donc pas être administré à la sortie d’une guérison.

ll apparaît donc que l’exemption octroyée par l’Etat de Victoria était justifiée, à tout le moins sous l’angle médical, et que cette navrante histoire aurait dû être évitée en refusant d’appliquer à la lettre des recommandations mal-ficelées obligeant en fait une personne fraîchement guérie à se faire vacciner alors qu’aucune raison ne le commande.

En définitive, placer une personne en détention en vue d’une expulsion alors qu’elle ne présente pas plus de risque qu’une personne vaccinée d’attraper le virus et de le propager dénote à mon sens un manque total de discernement. On traite un individu comme s’il était susceptible de causer un problème de santé publique alors que tel n’est manifestement pas le cas. Ceci est d’autant plus vrai que Djokovic est soumis au protocole sanitaire strict réservé aux participants à l’Australian Open et qu’il peut donc difficilement être à l’origine d’un foyer de contagion incontrôlable. Franchement, cette période de crise nous fait vivre des situations que l’on aurait jamais pensé connaître; il faudrait quand même réfléchir à deux fois avant de priver quelqu’un de sa liberté.

Vu le climat ambiant, je précise que cette tribune ne vise qu’à apporter un éclairage très subjectif sur un imbroglio juridique défrayant à juste titre la chronique. Je ne suis fan ni des Djokovic, ni des anti-vaccins, ni des complotistes en tout genre. Par contre, du fait de ma profession, je suis sensible aux dérapages que produisent parfois des textes législatifs ou des décisions juridiques manquant de cohérence.

Les chiffres du dopage

Intéressante lecture que le rapport de l’Agence mondiale antidopage (AMA) sur les violations commise en 2019. On y apprend qu’après analyse de 278’047 échantillons prélevés dans le monde entier, un peu plus de 1’500 athlètes ont été sanctionnés à ce jour, soit un ratio inférieur à 1 %. Pas de surprise sur les sports les plus gangrénés par le dopage puisque le bodybuilding, l’athlétisme et le cyclisme se retrouvent sur le podium.

S’agissant des nations les plus touchées, la Russie arrive en première position du classement des cancres avec 167 cas, juste devant l’Italie (157 cas) et l’Inde (152 cas). Les statistiques montrent aussi que les hommes commettent un peu plus de trois quart des violations (77 %), ce qui mériterait une analyse plus fine. Les mâles seraient-ils plus tricheurs?

Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes. Car si l’athlétisme et le cyclisme sont en apparence très touchés par le dopage, il faut faire le constat que ce sont aussi les sports pratiquant le plus de tests avec le football. En rapportant le nombre de cas au nombre de tests, ces deux sports s’en sortent en réalité mieux que la moyenne! Si l’on tient compte des cas positifs par rapport au nombre de contrôles effectués, ce sont le bodybuilding (plus 20 % d’échantillons positifs!), le powerlifting et l’haltérophilie qui se distinguent dans la fourberie.

Les statistiques de l’AMA indiquent que presque tous les sports effectuent des contrôles antidopage, même des sports mineurs ou non signataires du Code mondial antidopage. Qui d’entre vous a-t-il déjà entendu parler du “Bandy”, du “Korfball” ou du “bateau dragon”?

On apprend aussi avec un certain effroi qu’aucun sport n’est épargné par le dopage. Ainsi le jeu de dames a connu un cas de dopage, tout comme le minigolf!

Et la Suisse dans tout cela? Cinq violations des règles antidopage en 2019: deux en football, deux en cyclisme et une en tennis.

Voilà assez de chiffres pour finir l’année 2021. Ne me reste plus qu’à vous dire, à l’année prochaine! D’ici là, portez vous bien.

Zverev au pilori avant d’être banni?

Les démêlés entre Sasha Zverev et son ancienne petite amie font régulièrement les gros titres, surtout depuis le reportage publié par Slate le 25 août dernier (à lire ici). Les épisodes de violence domestique qui se seraient produits en marge de plusieurs tournois en automne 2019, font frémir et entraîneraient certainement une condamnation si elles devaient être avérées dans le cadre d’une enquête pénale. Prise à partie et fustigée pour son inaction, l’association des joueurs de tennis professionnels (ATP) a finalement réagi en publiant un communiqué de presse le 4 octobre 2021 informant qu’une enquête était désormais ouverte contre le joueur allemand. L’ATP va ainsi devoir se muer en procureur et enquêter sur la vie privée de Zverev. L’ATP risque bien de se griller les doigts en tentant d’éteindre l’incendie alimenté par les réseaux sociaux et en voulant s’aventurer dans un rôle qui n’est fondamentalement pas le sien. (suite…)

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JO de Tokyo – nouvelle alerte

A l’approche des Jeux Olympiques qui débuteront dans très exactement 50 jours à Tokyo, le Comité International Olympique doit faire face à une nouvelle polémique. Après avoir dû repenser toute l’organisation et subir des mesures sanitaires inconciliables avec la grande célébration du sport que les Olympiades sont censées être, tout en devant faire face à l’hostilité du peuple hôte – 80 % des japonais sont contre les jeux, voici que le CIO s’attire désormais les foudres des athlètes. Sauf que cette fois, le CIO a tendu lui-même le bâton pour se faire battre. (suite…)

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Megan Rapinoe : auto-goal sur terrain judiciaire

Le 24 mars marquait le “Equal Pay Day” – jour de l’égalité salariale – aux Etats-Unis. L’occasion pour le nouveau Président Joe Biden de recevoir des personnalités à la Maison blanche pour s’exprimer sur le sujet, dont Megan Rapinoe, superstar du football féminin et ardente défenderesse de nombreuses organisations LGBT.

Megan Rapinoe a profité de cette tribune pour tenir des propos extrêmement forts:

Malgré les victoires, j’ai été dévalorisée, on m’a manqué de respect et on m’a écartée parce que je suis une femme. Et on m’a dit que je ne méritais pas plus mais moins, parce que je suis une femme.

Elle a aussi profité de son passage à Washington pour témoigner devant une chambre du Congrès en déclarant notamment:

L’équipe nationale féminine a remporté quatre Coupes du monde et quatre médailles d’or olympiques au nom de notre pays. Nous avons rempli des stades, battu des records d’audience et vendu des maillots jusqu’à la rupture de stock. Pourtant, malgré tout cela, nous sommes toujours moins bien payées que les hommes – pour chaque trophée, chaque victoire, chaque match nul, chaque fois que nous jouons. (le témoignage peut être lu ici dans son intégralité)

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Sun Yang ou l’histoire d’un casse-tête chinois

C’est un drôle de cadeau de Noël qu’ont adressé les juges fédéraux au Tribunal arbitral du sport (TAS) le 23 décembre dernier. La sentence rendue dans la célèbre affaire Sun Yang a été annulée, ce qui est déjà suffisamment rare pour être signalé. Ce qui est plus rare encore, c’est qu’elle a été annulée pour une apparence de prévention d’un arbitre. C’est un véritable séisme dans le milieu.

L’affaire Sun Yang aurait pu servir de vitrine pour le TAS car tous les ingrédients étaient réunis. Sun Yang: un athlète de premier rang; triple champion olympique; véritable icône en Chine. Des enjeux faramineux: l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) qui réclamait une sanction de huit ans – le nageur étant récidiviste – alors que la fédération internationale de natation (FINA) l’avait précédemment blanchi. Cerise sur le gâteau, Sun Yang avait requis des débats publics, comme l’y autorise la Convention Européenne des Droits de l’Homme, alors que les affaires disciplinaires sont le plus souvent traitées à huis clos. (suite…)

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Caster Semenya – battue mais pas encore vaincue

Dans un arrêt du 25 août 2020, le Tribunal fédéral a définitivement débouté Caster Semenya dans son combat contre les règles sur l’hyperandrogénie, l’empêchant ainsi de continuer à courir dans la discipline du 800m féminin. La bataille se poursuivra devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour les lecteurs ayant raté le début de la saga, il faut rappeler que la fédération internationale d’athlétisme, désormais appelée “World Athletics” histoire de tourner la page après plusieurs scandales, avait adopté en 2018 un nouveau règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel), après une première tentative avortée (voir mon article du 27 avril 2018 ici). Très concrètement, ces nouvelles règles obligeaient Caster Semenya à se soumettre à un traitement médical de façon à faire baisser son taux de testostérone ou à courir avec les hommes dans la discipline du 800 m. Face à une telle alternative, Caster Semenya a combattu l’application du nouveau règlement devant le Tribunal arbitral du Sport, qui lui a donné tort. L’affaire a ensuite été portée devant le Tribunal fédéral qui avait créé la surprise en suspendant l’application des règles dans une décision urgente, avant de se raviser après avoir entendu les parties (voir mes articles des 26 juillet et 31 juillet 2019). Une année après ces décisions provisoires et à l’issue d’un examen minutieux des arguments de l’athlète, les juges fédéraux ont sans surprise confirmé que cette dernière doit se plier aux nouvelles règles. (suite…)

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