L’outillage des horlogers à l’établi, entre changements et choses immuables

Plein de considération pour leurs outils, les horlogers se déplaçaient avec systématiquement sur un nouveau lieu de travail. Autour de l’établi, ils témoignaient des capacités de leur propriétaire. Aujourd’hui, les responsables d’atelier ne veulent plus d’outils personnels. Pourquoi et comment en est-on arrivé à cette stricte éradication ? Et pourtant certaines layettes restent très personnelles.

 

 L’horloger et ses outils, un long compagnonnage

Dès le début, l’apprenti intègre le rôle des outils. Très vite rendu attentif par leur valeur, il est invité à les soigner, à les nettoyer et à ne pas les laisser en désordre sur l’établi. Pour apprendre à travailler les métaux, l’apprenti va réaliser des outils simples. Comme ceux qu’il a acheté, ils prendront place dans les tiroirs de l’établi. Souvent la personne débutante dans le métier court dans les brocantes pour compléter ses outils. Provenant d’anciens horlogers, rarement avant leur décès, ou alors transmis par héritage, d’autres outils vont remplir la layette de l’homme de métier.

Ainsi au fur et à mesure du temps passé à l’établi, des difficultés surmontées et de celles qui restent, se construit une belle histoire entre les outils et celui qui les manipule. Dès le tiroir ouvert, la main n’hésite pas à saisir les brucelles adaptées, la lime qu’il faut et pourtant le choix ne manque pas.

 

 Petits et gros outils, machines et établis, certains sont au patron et d’autres non

Tous les outils ne sont pas la propriété de celui qui est à l’établi. Les gros outils comme certaines potences, les machines comme celles pour tester l’étanchéité, les chrono-comparateurs, les tours d’horloger ou de mécanicien sont mis à disposition de l’employé. Le poste de travail qui se compose de l’établi, de la chaise et d’une lampe attend le nouvel employé. Et s’il veut un coussin, un repose-pied particulier, charge à lui de l’amener comme d’autres amènent la photo des enfants auprès de l’écran de l’ordinateur. S’asseyant à l’établi, le nouvel arrivant va installer ses outils dans la layette, soigneusement et il va s’assurer que celle-ci puisse fermer à clef. C’est si précieux les outils.

Signe d’un horloger soigneux

A l’arrivée du nouveau, les voisins d’établi vont jeter un coup d’œil rapide sur les outils, sur la façon dont ils sont mis en place dans les tiroirs. Plus que sa tête, c’est son attitude envers son matériel, la netteté de la surface de l’établi qui va aider les collègues à se faire rapidement une opinion sur le nouveau. Des remarques comme : « Je ne sais pas s’il est bon ; mais il a des outils en ordre » sont ainsi une reconnaissance rapide des facultés professionnelles du nouvel arrivant.

Ensuite c’est lorsqu’il utilisera les outils collectifs que tous mesureront ses qualités de soin. Le tour est propre et doit le rester, avec les burins montés de telle manière ; telle machine doit être utilisée selon un strict protocole et telle potence doit être rangée ainsi avec tel tasseau restant monté dessus. Ce sont des règles impitoyables qu’il faut toujours suivre et elles sont parfois complétées par des coutumes locales à respecter ; charge aux collègues d’expliquer le pourquoi du comment.

 

Témoin du passé et ancrage du présent

Cette manière de faire appartient au passé, un passé lointain ou proche, en fonction des travaux à accomplir à l’établi.

Lors de l’assemblage de mouvements simples, dits trois aiguilles, le responsable de l’atelier attend de chacun qu’il utilise les mêmes outils de la même manière. Plus de place pour le tournevis du grand-père, c’est avec celui-ci, le dynamométrique, réglé à tant de Nmm qu’il s’agit de visser les vis de pont. Les documentations techniques, visibles sur une tablette numérique posée près du mouvement, donnent ainsi des consignes précises tant pour la lubrification à appliquer que pour le type d’outils à utiliser et le couple de serrage des vis. C’est la garantie d’une production stable, constante et fiable.

 

Aujourd’hui les 5 S

Aujourd’hui dans l’esprit des 5 S, avec le quatrième qui veut dire standardisation, une fois par semaine dans les ateliers passe le mécanicien pour échanger brucelles et tournevis pour d’autres, identiques, mais en ordre et tous affûtés de la même manière ; un principe s’appliquant partout : à chacun les mêmes outils.

C’est à ce mécanicien qu’incombera la charge de construire ou d’adapter des posages, des tasseaux en suivant les plans du bureau technique. On est loin de l’horloger qui venait sur le tour 70 pour retoucher, un peu, le porte-pièce qui ne pinçait pas vraiment assez.

Des machines et des outils modernes

Les machines ont aussi évolué et leur manipulation ne s’improvise pas. Les appareils à tester ceci et cela sont devenus compliqués, ils requièrent des compétences particulières. Ce sont donc à des personnes formées que va échoir ce travail. Il y a maintenant dans les ateliers horlogers, à chaque poste, des personnes spécialement orientées vers une tâche bien particulière.

 

Clin d’œil

Et pourtant, souvent sur l’établi, reste un outil différent. Pas forcément une relique, c’est peut-être le premier tournevis réalisé par l’apprenti, ou alors la pince du grand-père, en tout cas elle n’est pas ici pour servir, mais comme les photos des enfants, peut-être pour se rappeler d’un temps révolu.

 

Alors c’est fini ?

Non pas encore et pas demain car les horlogers en complications, ceux qui gèrent l’assemblage d’un mouvement du début à la fin, ceux qui œuvrent sur des mécanismes comme les répétitions minutes, les tourbillons et toute cette sorte de choses ont toujours leurs outils personnels. Ce n’est pas une survivance mais une nécessité face à la grande diversité des tâches qu’ils doivent assumer. Et là reste toujours l’appréciation voire l’admiration des voisins pour celui qui a plein d’outils et les utilise au mieux.

 

Benoit Conrath

Horloger chez Vauchez Manufacture Fleurier

http://www.vauchermanufacture.ch

Vaucher Manufacture Fleurier

Vaucher Manufacture Fleurier (VMF) est une manufacture de mouvements mécaniques, de kits horlogers et montres haut de gamme. Elle a pour clients et partenaires des grands noms de l’horlogerie suisse. Pour eux, elle réalise des calibres offrant différents niveaux de personnalisation, ou développe des mécanismes exclusifs de haute horlogerie à partir d’une feuille blanche.

3 réponses à “L’outillage des horlogers à l’établi, entre changements et choses immuables

  1. Horloger “rabilleur” et plus tard professeur, j’appartiens à cette génération, entrée dans le métier en 1965 après une solide formation, qui possédait ses propres outils (tournevis, brucelles, limes aiguilles, tour à pivoter, potence à chasser les pierres et bouchons…) y compris son tour double lunette et sa machine à nettoyer les montres. A la retraite depuis longtemps, j’ai conservé tout ces outils vestige d’un passé plein de bons souvenirs. Merci pour cette article qui me les rappelle.

  2. Merci pour cette visite dans l’univers des mécaniciens horlogers. En lisant votre texte, j’ai songé aux fabricants de carrosseries automobiles artisanales et restaurateurs d’oldtimers, ils emploient des machines et des outils tels que la roue anglaise, les marteaux de formage et le tas, et parfois un marteau de planage à balanciers mécaniques ou piston pneumatique identique aux machines des années quarante aux USA, elles se fabriquent encore pour les passionnés. Je songe ainsi aussi aux belles « Morgan », les seules voitures anglaises de série encore fabriquées en bonne partie manuellement, avec châssis en bois et carrosserie en tôle d’aluminium (machines Eckold made in Switzerland), un design resté inchangé depuis septante ans ! Pour ne pas donner l’impression de m’être trop éloigné du sujet du blog, je mentionne les horloges Hublot que l’on peut trouver au tableau de bord des Morgan…
    Pour les amoureux des outils et du beau travail :
    https://www.youtube.com/watch?v=p4c9i250pc4

  3. J’ai passé ma formation horlogère au Locle il y a quelques années déjà. La première partie du cours était consacrée à la micromécanique, ce qui voulait dire fabrication d’outillage. Pendant tout ce temps on touchait pas les montres du tout. Je peux affirmer sans souci de me tromper que les fondements de mes compétences comme horloger rhabilleur se trouvent vraiment dans cette souche de micromécanique. D’ailleurs, le plaisir qu’on éprouve une fois l’outil achevé ne s’arrête pas là, on le retrouve chaque fois qu’on l’utilise dans la pratique quotidienne, et que l’on parvient au résultat voulu. Peut-être comme formation c’est une chose qui ne se fait presque plus, mais son efficacité reste à toute épreuve.

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