Les survivances horlogères

Durant sa longue histoire, l’horlogerie a évolué. Les progrès techniques et les attentes des porteurs de montres ont fait changer les mouvements. Pourtant la montre mécanique présente toujours des survivances dans sa terminologie, dans certains dispositifs et dans plusieurs de ses finitions. Est-ce encore utile ? Sommes-nous prisonniers d’habitudes surannées? Et si ces survivances contribuaient à la beauté de l’horlogerie actuelle ?

Définition des survivances

La mesure mécanique du temps a été inventée à la fin du moyen-âge. Même si l’horlogerie n’a pas cessé d’évoluer depuis, beaucoup de termes, de techniques, d’opérations de finition et de procédures sont des survivances. Ces survivances sont parfois totalement désuètes, parfois elles sont un juste maintien d’un bon travail et souvent elles sont passées de nécessaires à décoratives. Loin de les instituer dans un vague folklore horloger, essayons de les restituer dans leur utilité d’autrefois.

Vocabulaire

Chaque métier possède un vocabulaire propre, aidant à décrire rapidement les opérations, nommant les outils et les pièces. Souvent en recherchant l’origine des mots horlogers, le dictionnaire qualifie de vieilli des termes comme layette, tacon, queue d’aronde, quantième, entre autres. Pourtant chacun de ces vieux mots possède un sens horloger actuel et ne pas les utiliser obligerait à de pénibles périphrases et autoriserait des approximations douteuses.

Légales

Un bel exemple, c’est la plus-value toujours attribuée aux pierres dans les mouvements horlogers. Leur installation autour des pivots du rouage a permis de gagner en fiabilité comme d’atténuer l’usure autour des points de pivotement. Ce progrès technique s’est vu généralisé à tous les mouvements, mais aujourd’hui, certaines administrations exigent toujours la mention du nombre des rubis sur la surface des ponts.

Dimensionnelles

Le diamètre d’encageage des mécanismes s’exprime encore en lignes et en fractions de ligne. Maintien d’un système hérité des temps lointains d’avant le mètre, cette mesure est aujourd’hui malmenée pour s’arrondir une fois un peu plus haut, une fois un peu plus bas ; le tout pour correspondre avec ses fractions aux strictes dimensions actuelles mesurées au millième de millimètre.

Affichage et forme

Conçus dans l’hémisphère nord, nos appareils horaires affichent le temps selon le sens de rotation de l’ombre du style du cadran solaire. C’est assez simple à restituer avec des rouages et un cadran rond. Mis à part certains mouvements dits « de forme », les montres continuent à se référer à ce cercle. Même les montres connectées, souvent rondes, proposent toujours un affichage avec des aiguilles évoluant sur un cadran circulaire. Et le sens des aiguilles d’une montre sert maintenant de repère pour exprimer l’un des deux sens de rotation. Si l’horlogerie avait été inventée dans un pays austral, nos montres tourneraient à l’envers, comme sans doute les vis et beaucoup d’autres choses.

Porter

Les montres ont commencé à être portées au poignet au début du siècle dernier. Alors très fragile, leur mécanisme supportait mal les chocs et les secousses. Placée à droite du cadran, à 3h, la couronne invitait à mettre la montre bracelet au poignet gauche, plus au calme car la majorité des personnes sont droitières. Les progrès techniques ont fait des montres des machines robustes mais l’habitude est restée de les construire pour le bras gauche.

Positions de contrôle

Bien avant les microphones qui écoutent le bruit de l’échappement, les montres étaient contrôlées immobiles selon les positions qu’elles pouvaient prendre dans les poches ou sur les meubles lorsqu’elles quittaient les personnes. Totalement arbitraire, cette procédure de contrôle, héritage direct des montres de poche, est aujourd’hui inadéquate pour une montre bracelet très mobile qui occupera bien peu ces six positions statiques définies dans l’espace.

Techniques

Au cœur du mouvement, les survivances sont légions : tout d’abord le repassage des surfaces comme le perlage, les côtes de Genève, le grenage, les étirages et les anglages avaient le rôle d’effacer, de lisser et d’unifier les surfaces mal-finies par les procédés de fabrication du passé.

Le dorage des composants cuivrés, comme le polissage des têtes de vis et autres aciers, évitait ou freinait l’oxydation facilitée par la non-étanchéité des boîtes des montres. Les aiguilles et les vis étaient souvent bleuies par oxydation superficielle pour limiter la rouille, crainte majeure des horlogers.

Les pierres d’horlogerie, les fameux rubis, étaient rouges. Pour les montres très soignées, ils étaient sertis dans des bagues, maintenues en place par des vis. Ces chatons, amovibles, facilitaient l’ajustement des ébats de hauteur du rouage.

Au temps révolu de la raquette et du pince-lame du spiral, le ressort col de cygne permettait d’ajuster soigneusement la longueur active du spiral pour un réglage fin de la montre.

Aujourd’hui, bien qu’elles aient souvent perdu leur rôle initial, ces techniques continuent d’être pratiquées. La terminaison des surfaces est devenue décorative, elle invite la lumière à jouer au cœur du mouvement mécanique. Eminemment nocif, le dorage au mercure a laissé place à différents traitements de surface, toujours pour éviter l’oxydation, même si les boîtes protègent bien mieux de l’eau. Comme l’étirage des aciers, le poli des têtes de vis, des tigerons contribue aux contrastes de lumières ; cet apanage des mouvements bien terminés.

Les pierres d’horlogerie, devenues synthétiques, sont toujours rouges et plusieurs ponts continuent de porter fièrement des chatons en or bordés de vis polies bleuies. Quant à la raquetterie col-de-cygne, si belle sur la planche du coq, elle sert maintenant à positionner finement le piton.

Finalité de ces survivances

Alors quelle finalité pour ces procédures, ces manières de faire, ces habitudes et ce vocabulaire venus d’un passé parfois bien lointain ?

Loin d’un folklore horloger, prisonnier de traditions séculaires et figé par l’accoutumance, la grande majorité de ces survivances ont été ré-habitées. Devenues inutiles ou inadaptées, elles continuent autrement à baliser le chemin des horlogers. Fournissant des clefs de lecture venues d’autrefois, elles trouvent une nouvelle fonction, celle de contribuer à la qualité esthétique et technique des montres de belle horlogerie.

Ce ne sont pas des traditions dépassées, mais des survivances devenues références pour beaucoup. Elles contribuent à rendre amoureux des jolies choses, elles permettent, aujourd’hui, de construire, de proposer des belles montres.

Benoit Conrath

Horloger chez Vaucher Manufacture Fleurier

 

http://www.vauchermanufacture.ch

 

Vaucher Manufacture Fleurier

Vaucher Manufacture Fleurier (VMF) est une manufacture de mouvements mécaniques, de kits horlogers et montres haut de gamme. Elle a pour clients et partenaires des grands noms de l’horlogerie suisse. Pour eux, elle réalise des calibres offrant différents niveaux de personnalisation, ou développe des mécanismes exclusifs de haute horlogerie à partir d’une feuille blanche.

5 réponses à “Les survivances horlogères

  1. Mais tout cela fait aussi partie du charme de cette industrie. Le client est attaché à ces traditions, à ce vocabulaire désuet: calibre, lanternage, rhabillage, pare-chocs, établisseur, manufacture, bienfacture (un mot que je n’ai trouvé dans aucun dictionnaire), spiral, trotteuse, foudroyante, heure sautante, salterello, gaudron, lépine, réserve de marche, guillocher, duco… Toutes ces expressions compréhensibles seulement des initiés créent un sentiment d’appartenance à une société secrète. Il faut surtout les conserver.

    1. Monsieur Amateur,
      Ce que vous dites est très vrai, utiliser un vocabulaire précis et clair pour les initiés permet d’appartenir à un groupe, mais ce n’est pas une société secrète, bien au contraire. Chacun peut s’initier au vocabulaire et aux techniques de l’horlogerie haut de gamme, c’est passionnant. La compétence pratique est plus difficile à acquérir, elle est réservée à ceux qui ont deux mains habiles et une très bonne coordination des sens, mais quelle plaisir de toucher une pièce bien finie !
      Je fais partie de ceux qui aiment les belles choses qui ont une âme donnée par les hommes qui les ont faites.

      1. Quand je parle de société secrète, c’est une manière de parler bien entendu. Il y a un certain langage réserve aux initiés. C’est pareil pour certains sports comme l’équitation que je connais. Il y a un vocabulaire spécial. Les pratiquants et amateurs connaissent ces termes et se différencient ainsi des profanes.

    2. Merci d’avoir relevé encore d’autres mots. Il n’en manque pas. Ceux hérités du monde agricole des horlogers-paysans appliqués aux mouvements des pendules neuchâteloises sont éloquents. Quant à ceux utilisés autour de l’échappement c’est un monde de poésie amoureuse qui peut s’ouvrir ; mais parfois grivois voire obscènes il vaut mieux en rester à leur application horlogère, stricto sensu.
      Benoît Conrath

  2. Cher M. Conrath,
    J’ai eu un immense plaisir à lire votre article !
    L’horlogerie est empreinte d’une longue tradition dont ce vocabulaire précis fait partie intégrante. Des mots techniques, souvent imagés, parfois poétiques, qui parlent si clairement à ceux qui les ont pratiqués.
    Merci pour cette agréable lecture qui me rappelle à quel point l’horloger exerce un beau métier.

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