Emballages, justifications et communicants

Pas une entreprise d’envergure qui n’aie pas son équipe de communicants! Comme pour les pommes bio, ils (et elles) nous emballent avec leurs discours et leurs justifications. Petites omissions, arguments douteux, tout est permis pour vendre. Y compris de raconter des salades…

La stratégie commerciale ne connaît qu’une logique: celle de vendre toujours plus. Sans respecter aucune éthique, aucune autre valeur que celle qui s’inscrit en noir avec de nombreux zéros au bilan. Cela vaut aussi quand la clientèle devient regardante sur la qualité, la provenance et le mode de production des denrées qu’elle achète. A ce moment-là, les grands distributeurs ne s’en sortent qu’en engageant une flopée de communicants très doués.

C’est le cas de nos deux géants orange du duopôle “Migroop”. Les deux ont senti, puis suivi la tendance avec les produits bio. Avec grand succès. Les deux proposent une gamme de produits estampillés Bio Suisse pour l’un (le bourgeon) et Migros Bio pour l’autre. Chacun produit des lignes de produits bio “maison”: Alnatura pour l’un, Oecoplan, Naturaline pour l’autre.

D’autres tendances ont été récupérées: le très bon marché “générique”, les produits vegan, etc. Récupérer les tendances du moment et proposer des produits qui y répondent, ce n’est rien d’autre que de la segmentation de marché. L’objectif général est d’occuper le terrain et de conserver sa clientèle qui serait tentée d’aller voir ailleurs.

Labels: en veux-tu? en voilà!

Les attentes de la clientèle sont très diverses et souvent s’opposent. Certains ne veulent que du bon marché, sans aucune considération sur la qualité ou la provenance des aliments. D’autres, et ils sont toujours plus nombreux, ont d’autres exigences. Ils veulent des produits de qualité, issu de l’agriculture locale, durable, voire bio. Ils veulent du bon et du bien. Voici venu le temps des labels et des certifications. On les voit fleurir comme les pâquerettes au printemps. Ils sont si nombreux qu’il faut un guide pour savoir ce qu’ils recouvrent (ouf, la FRC en propose un!).

Que ces labels existent, c’est une bonne chose! Mais la démarche des grands distributeurs ne doit tromper personne. Seule la logique du marché et la volonté de vendre toujours plus sont à l’origine de toutes leurs actions. En soi, rien de plus normal pour un commerçant, me direz-vous. Juste! Sauf quand le dit-commerçant commence à surfer sur les valeurs qui sous-tendent les attentes de leurs clients et à en jouer. Sauf quand il mène sa clientèle en bateau. Il y a alors un décalage entre le discours et les faits qui est très mal perçu par le public.

Là où le bât blesse douloureusement, c’est quand l’appât du gain prime sur les considérations éthiques, sociales et/ou environnementales. Des considérations que l’on peut croire partagées par l’enseigne, qui les brandit à tout va dans son marketing. Ce qui fait que sous le même toit, on trouve des fruits et des légumes bio, des produits labellisés “Fair trade” (une garantie que les producteurs et les travailleurs sont correctement payés et traités), “Slow Food” (garantie d’un produit authentique, produit en respectant une longue tradition, avec du goût) ou encore “De la région” (pour promouvoir les produits locaux), ou estampillés “Pro Montagna” (pour permettre le maintien d’une agriculture de montagne). Et sous le même toit, on trouve aussi le pire, comme les fraises espagnoles en janvier (voir plus bas), les poires d’Afrique du Sud, le boeuf d’Amérique du Sud…

En résumé, nos grands distributeurs “mangent à tous les râteliers”, pour autant que cela leur rapporte. Cela ne les choque pas de proposer – à quelques semaines d’intervalle – des asperges du Mexique ou du Pérou importées en avion, et juste après des asperges bio du Valais.

Les fraises du viol

Prenons les fraises, celles qui nous viennent d’Espagne dès le mois de janvier, qui sont grosses et rouges, dures comme du carton et n’ont aucun parfum et aucun goût. C’est l’exemple le plus criant et le plus scandaleux. Je ne critique pas le choix de certains de mes concitoyens et concitoyennes à acheter ces fruits qui n’ont que l’apparence de fraises: après tout, libre à chacun-e de dépenser son argent pour des produits n’ayant aucun intérêt gustatif. C’est ailleurs que mon regard et mon courroux se portent.

Non, ce ne sont pas les clients qui veulent manger des fraises en hiver, aux souhaits desquels les commerçants seraient “obligés” de répondre. Il n’y a jamais eu de pétition en ce sens à ce que je sache! Ces fraises ont été importées dans le seul but de faire du bénéfice, comme pour n’importe quel autre produit.

Dans le cas des fraises, cette attitude est détestable et en complète contradiction avec l’adoption de labels bio, fairtrade et j’en passe. Les conditions de travail et de vie de ces esclaves modernes venus d’Afrique du nord et des pays de l’Est à Huelva pour récolter nos légumes et nos fruits sont connues depuis longtemps, l’émission “A Bon Entendeur” s’en était fait l’écho il y a déjà une quinzaine d’années (émission de 2004, “La honte en barquette“, émission de 2012 “Fraise espagnole: la pas belle de Cadix“).

A ce premier scandale s’est ajouté il y a peu celui du viol subi par les femmes exploitées à récolter les fraises, comme cette enquête de Correctiv (une agence allemande d’investigation à but non lucratif) le révèle. Un calvaire quotidien, une violence insupportable imposée pour quelques euros mensuels de “salaire”, avec la menace d’un renvoi dans le pays d’origne si quelqu’un ose parler. Ce sont les fruits de cette situation insupportable que nous proposent nos supermarchés. C’est à cela que nos importations à bas prix contribuent.

Les hashtags “me too” et “balance ton porc” ne seraient-il bons que pour les stars de cinéma ? Qui se soucie de ces femmes algériennes, marocaines, roumaines qui cueillent ces fraises ? Si Coop, Migros et  autres Lidl et Aldi en proposent dès le mois de janvier, alors importer de telles fraises devient un acte coupable car complice de ces trafiquants d’êtres humains.

“Le bio doit être emballé, c’est une exigence.” Faux!

Revenons aux emballages inutiles, tout le monde peut constater que légumes et des fruits bio des supermarchés sont remplis d’emballages: plastiques, filets, cartons, rien ou presque n’est disponible en vrac sans suremballage.

Les légumes bio sont emballés de plastique, les non bios sont vendus tout nus (Migros)
Situation identique à la Coop: le bio est suremballé de plastique

Si on en croît les communicants bien rôdés, l’emballage serait une exigence du Label Bio Suisse, comme l’écrit Coop dans un article paru sur sa page Facebook intitulé “Le développement durable au quotidien” (!). Comme à plusieurs reprises, ma confiance a été trahie par les grandes enseignes, j’aime aller voir par moi-même. J’ai en effet des doutes, car les petits commerces bio n’emballent pas leur marchandise. Si c’était une exigence de Bio Suisse, alors tout serait emballé partout, dans toutes les sortes de magasin vendant du bio certifié.

Sur le site de www.biosuisse.ch, on trouve facilement le cahier de charge et réglement imposés au commerce. Qu’y lit-t-on ? Il y a justement un chapitre qui traite de séparation et d’emballage. (c’est moi qui souligne)

“Transformation

Les entreprises qui travaillent aussi bien avec des matières premières et des produits Bourgeon qu’avec des produits bio CH, bio UE, de qualité équivalente ou non biologique doivent garantir une séparation suffisante des différentes qualités tout au long de la fabrication.  (…)

Stockage

Les produits biologiques doivent être stockés de manière à exclure tout mélange et toute confusion avec des produits non biologiques. Les produits biologiques et non biologiques ne peuvent être stockés ensemble qu’une fois emballés pour la vente et clairement étiquetés. Les locaux de stockage et les récipients destinés aux produits en vrac doivent être séparés les uns des autres et clairement identifiables. (…)

Transports

Les produits biologiques et non biologiques ne peuvent être transportés ensemble que lorsqu’ils sont emballés de façon adéquate et étiquetés individuellement. Même pendant le transport, l’emballage doit respecter les directives d’emballage du présent Cahier des charges.

Voilà qui est intéressant, non? A aucun moment, Bio Suisse n’exige que les produits portant son bourgeon soient emballés ! Par contre, l’organisme exige que les produits bio et non bio soient suffisamment séparés pendant la transformation, le stockage et le transport, pour éviter qu’on ne les mélange accidentellement. La perspective est tout autre. Il ne reste qu’à la Coop (et à tous les autres) ne s’organiser pour garantir la séparation correcte des produits depuis sa livraison des fournisseurs jusqu’à la vente en rayon. Il s’agit donc d’assurer une transformation, un stockage et un transport dédiés aux seuls produits de l’agriculture bio, et un autre dédié aux seuls produits de l’agriculture chimique.

Et en matière d’emballage, qu’exige donc Bio Suisse?

Emballages

Exigences générales

Les emballages doivent recourir aux systèmes qui, pour une protection optimale des produits, engendrent le moins de nuisances écologiques. Lorsque c’est approprié, il faut prévoir des systèmes réutilisables.

Matériaux d’emballage

Bio Suisse décide quels matériaux d’emballage sont autorisés. Le principe en vigueur est le même que pour les procédés de transformation. Il faut choisir pour chaque produit le type d’emballage le plus écologique possible:

  • les systèmes réutilisables doivent être préférés aussi bien pour la vente au détail que pour la distribution et le commerce de gros;
  • il faut utiliser si possible des matériaux à base de matières premières recyclables ou renouvelables (p. ex. verre, carton, PET recyclable);
  • les emballages superflus (overpackaging) doivent être évités;
  • tous les emballages contenant du chlore (p. ex. PVC) sont interdits;
  • les matériaux métallisés (recouvert d’une couche de métal vaporisé) sont autorisés;
  • les emballages composites métallisés et les feuilles d’aluminium pur ne sont autorisés que dans des cas justifiés.

Les choses sont claires, non ?

Voilà pourquoi de plus en plus de consommateurs et de consommatrices boudent les grandes enseignes: ils ont l’impression d’être pris, au mieux, pour des pigeons, au pire, pour des imbéciles incultes.

Petits conseils de management aux enseignes qui veulent survivre

C’est mon pari: la vente en vrac va débarquer en masse dans les grandes surfaces, c’est certain. Elles y voient pour le moment sans doute une nouvelle segmentation du marché, une tendance écolo-bobo à suivre, donc du profit à faire.

Il y certainement une autre vision des choses à développer, plus encline à garantir le succès à long terme. Car je l’affirme: le refus de l’emballage est loin d’être une mode. C’est une nécessité, comme l’a compris la Commission européenne qui veut interdire le plastique à usage unique (cotons-tiges, couverts en plastique, pailles, etc.) et donc aussi les emballages inutiles.

La solution est simple et elle se résume en cinq points :

  1. Choisir son camp, sa ligne, sa vision, sa politique. Cesser de vouloir courir après tous les lièvres et toutes les tendances, juste pour faire du chiffre. Si on adopte des labels, on fait en sorte d’éviter les collisions d’éthique et de valeurs.
  2. Faire confiance aux consommateurs. Ceux qui vont faussement étiqueter un produit bio avec un prix de produit non bio ne sont pas la majorité. Si vraiment on craint les abus, alors on peut organiser la vente des produits différemment et, par exemple, éloigner physiquement les rayons bio des rayons non bio.
  3. Adopter un discours sincère et vrai, conforme à la vérité et… remettre au pas toute l’équipe des communicants! En d’autres termes, ne plus prendre les consommateurs pour des imbéciles,
  4. Prendre le virage zéro emballage et offrir un maximum de produits tout nus (et des balances qui permettent de faire la tare!), ou alors emballés sans plastique mais dans des matériaux biodégradables (dans le compost familial) ou recyclables. Réintroduire les consignes et/ou le remplissage en magasin.
  5. Adopter un modèle d’affaires compatible avec l’économie circulaire : rien ne se perd, rien de se jette, rien de se brûle; tout se réutilise ou se transforme (et pas qu’une seule fois). Rien n’est produit sans avoir pensé dès le départ à la fin de vie du produit (éco-conception).

Alors, Migroop et Alidl, Manölg et toutes les autres, vous vous y mettez quand ? Il en va de votre crédibilité et in fine, de votre survie économique…

Valérie Sandoz

Valérie est engagée sur la réduction des déchets à titre privé depuis des années. Elle est l'auteur de plusieurs guides, donne des conférences, des cours et anime des ateliers. Géographe et ethnologue de formation, elle interroge notre façon de consommer et partage ses découvertes. Adepte du «fait maison» (conserves alimentaires, lacto-fermentation, cosmétiques, produits de nettoyage, etc.), Valérie anime un blog personnel consacré à la cuisine sans gluten, à la réduction des déchets et du gaspillage et à un mode de vie simple et joyeux.

6 réponses à “Emballages, justifications et communicants

  1. Les emballages étiquetés avec la date de conditionnement c’est très bien. En effet, je fais mes courses un fois par semaine et je choisis les fruits et légumes plus frais pour être sûr qu’ils ne pourriront pas avant la fin de la semaine.

    1. Cher Jean-Luc,
      Si vous faites vos courses au marché, ou chez les petits détaillants indépendants avec vos propres boîtes et sacs, vous n’avez pas besoin de date de conditionnement. Car tout est très frais et il y a un roulement suffisant, quotidien. Je fais aussi mes courses de fruits-légumes, de fromages, de viande, de poisson… une fois par semaine directement chez le producteur ou dans les commerces de village. L’astuce est de prendre juste ce qu’il me faut pour une semaine. Du coup, c’est extrêmement rare que quelque chose finisse au compost (parfois une veille rave ou des carottes oubliées terminent leur vie dans une soupe, ça oui!).
      En retournant parfois au supermarché, quand je vois la tête des pauvre salades, je suis refroidie: elles ne font pas du tout envie. Cueillies il y a plus d’une semaine, elles ne tiennent pas plus de 2 jours dans mon frigo. Date d’emballage indiqué ou pas. Quand ce n’est pas frais, c’est souvent vite jeté aussi. C’est donc du gaspillage, que l’on peut éviter en choisissant mieux ses fournisseurs…

  2. Excellent texte très juste !
    Perso, je préfère le marché, c’est sympa, vivant et tellement agréable de retrouver chaque semaine des maraîchers, boucher (à Morges y’en a un à … tomber par la qualité de ses produits faits maison et ses conseils à suivre ! ), fleuristes, pêcheur, etc… et en plus on achète exactement ce qu’il nous faut sans gaspillage !!!

  3. Plasticienne engagée, j’ai réalisé une série de dessins intitulée « Pouvoir d’achat ». Absurdité et cynisme des mots utilisés pour l’étiquetage des barquettes de viandes. Cette série de dessins aux crayons de couleur reprend mot pour mot les étiquettes des communicants de l’agroalimentaire. Non seulement les emballages sont polluants mais en plus ils sont … stupides !

    > A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/dessein.html

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