Depuis le 1er janvier, le plastique a usage unique est interdit à la vente en France. Des distributeurs savent déjà comment contourner la loi. Il faut dire que les enjeux sont énormes. Pour s’en rendre compte, faisons un petit tour en Italie et en Russie.
Il est de ces hasards de lecture qui parfois me donnent le frisson.
Dans mon journal du jour, voilà deux articles qui attirent mon attention. Surtout, ils se télescopent avec des photos que j’ai vues passer sur le site de Zero Waste France.
Reprenons dans l’ordre… Le premier article fait état de l’implication de la Suisse dans la gabegie de l’élimination des déchets en Italie, un marché lucratif – le plus lucratif au monde, semble-t-il, qui a été investi par la mafia. On apprend que, selon l’Institut supérieur de recherche et de protection de l’environnement (ISPRA) italien, “la Suisse en exporte quelque 70 000 tonnes par an (…).” Le problème est que l’élimination de nos déchets ne se fait pas du tout selon nos standards suisses. Les mélanges entre types de déchets se feraient allègrement, de sorte que beaucoup de (nos) rebus toxiques finissent dans la nature, près de chez nous ou un peu plus loin. Bien sûr, nos autorités sont persuadées que cette exportation est tip-top en ordre, que les formulaires idoines sont toujours scrupuleusement remplis et correspondent à la réalité…
S’il fallait encore un argument pour (vous?) convaincre qu’il est urgent de ne pas produire de déchets, en voilà un de taille! Même si on trie, même si on a dix poubelles différentes à la maison pour bien faire, nos déchets vont en partie alimenter les activités de la mafia! Rien que ça!
Le second article, toujours dans le même numéro de mon quotidien, m’apprend qu’une déferlante de plastique va arriver en provenance du grand Nord, plus précisément de Russie, qui exploite les ressources de gaz en Arctique. Qui dit industrie extractive de gaz dit aussi production de plastique, en raison des hydrocarbures (méthanol) présents utilisés par l’industrie pétrochimique. Ce procédé de transformation MTO (méthanol to olefins) semble dater d’il y a une douzaine d’années seulement, selon Les Echos, qui publiait un schéma parlant sur le procédé.
Le lien étroit entre industrie du gaz et celle du plastique a déjà été mis en évidence aux Etats-Unis, qui exploitent à fond le gaz de schistes. Ainsi, “(…) l’envahissement actuel du monde par le plastique ne résulte pas tant d’une augmentation de la demande que d’une industrie pétrolière à la recherche de débouchés pour ses hydrocarbures.” dénonçait déjà l’Observatoire des multinationales en 2018.
Donc si je résume, d’un côté de nombreux grands pays se lancent à coup de milliards dans l’exploitation de gaz dans des zones de plus en plus reculées, au mépris des risques qu’ils font encourir à l’environnement, bien plus fragile en zone arctique. Ils font des pieds et des mains – et surtout des ponts d’or – pour attirer l’industrie pétrochimique sur place qui va produire du plastique. Ce plastique, très bon marché, va inonder nos économies, si ce n’est pas déjà le cas.
De l’autre, quelques timides interdictions de plastique à usage unique, comme en France. Toujours rien chez nous, même pas les misérables sacs plastique vendus 5 centimes en supermarché. Que font alors les distributeurs d’outre-Jura ? Ils s’ingénient à contourner la loi en apposant la mention “100% réutilisable” sur de la vaisselle et des couverts qui se jettent normalement après un seul usage. Comme par magie. C’est Zero Waste France qui dénonce la manoeuvre et lance la campagne avec le hashtag #onlaissepaspasser. Le groupe Carrefour mis en cause par des photos de leurs produits semble faire marche arrière, mais ce n’est pas le seul à avoir trouvé l’astuce.
A votre avis, qui va gagner dans cette guerre du polyéthylène et du polypropylène? Il est vrai que ces millions de tonnes produites ne seront pas toutes converties en couteaux et en gobelets. Elles vont servir dans la construction et dans beaucoup d’autres domaines.
Donc même si nous boycottons tous ces plastiques inutiles au quotidien (parce que facilement remplaçables par du réutilisable à l’infini), ce n’est pas demain que le plastique va cesser de nous envahir. Et pourtant, c’est avec notre porte-monnaie qu’on vote et qu’on influence l’assortiment des magasins, on le sait bien! C’est donc toujours aussi urgent d’éviter d’acheter ce genre d’articles, même s’ils sont très bon marché. Histoire de ne pas alimenter la mafia, vous voyez…?
A un niveau global par contre, par où et comment saisir le problème ? Quand des milliards sont investis dans de ces industries par d’immenses groupes privés ainsi que par des gouvernements, il y a aussi des moyens incommensurables pour “trouver les débouchés”. Et par conséquent pour influencer les décisions politiques et soutenir celles qui seront favorables à ce secteur économique d’arrière-garde (parce que basé sur des ressources non renouvelables).
Notre parlement est déjà bien investi par l’industrie du gaz et du pétrole. Selon Lobbywatch, pas moins de 31 organisations, dont Socar et Gazprom dont il est question dans l’article sur la Russie, ont tissé des liens directs et indirects avec 7 élus PLR, 4 UDC, 3 PS, 2 PDC et 1 PBD.
Le frisson est plutôt glaçant ce soir.