Un mode de vie créateur de valeurs

Le mouvement “Zero Waste” ou “Zéro Déchet” qui vise à réduire puis à éliminer les déchets a le vent en poupe. Il est pourtant la cible de critiques: le “Zero Waste” serait une préoccupation de Bobos gâtés des villes qui, après avoir tout eu, sont en quête de sens. Et pourtant, les efforts des uns et des autres contre le gaspillage des ressources (dans les emballages, dans le portionnement des denrées et produits) sont payants. Adopter un mode de vie “Zéro Déchet” créé des valeurs. Reste à s’entendre sur ce qui signifie la notion de “valeur”…

Depuis quelques années, de célèbres blogueuses ont mis la question du gaspillage et des déchets à l’ordre du jour: la Française émigrée en Californie Bea Johnson, auteure du bestseller “Zero Waste Home” (www.zerowastehome.com) et serial-conférencière, la New-Yorkaise Lauren Singer (www.trashisfortossers.com), l’activiste Rob Greenfield qui a trimballé sur lui  tous ses déchets produits durant 30 jours (http://robgreenfield.tv/category/trashme), ou bien plus près de chez nous les Français Jérémie Pinchon ou Bénédicte Moret (www.famillezerodechet.com) se sont fait connaître sur le mode “je ne produis plus de déchets”. Ces pionniers ont convaincu des milliers de gens à changer de mode de vie.

Sur la toile et les réseaux sociaux, on ne compte plus les blogs et des pages traitant des déchets et de toutes les alternatives pour les éviter. Il s’en crée chaque jour. En Suisse, à la suite d’une émission “A Bon Entendeur” sur le sujet en 2014 et d’une première conférence donnée par Bea Johnson sur les rives du Léman, trois jeunes femmes décident de créer l’association “Zero Waste Switzerland”. C’était en 2015, c’était hier. Dans la foulée, boostées par le documentaire “Demain” (www.demain-lefilm.com) vu par plus d’un million de spectateurs, des initiatives locales de toutes sortes voient le jour. On assiste, entre autres exemples, à la création de dizaines d’épiceries dans tout le pays qui vendent leurs produits au poids et sans emballages.

Peut-on se permettre de réduire ce mouvement à des lubies d’extrémistes écologistes, à de douces utopies, à des rêves de nostalgiques du temps des cavernes qui refusent tout progrès? A ces “mises en boîte” confortables – parce qu’elles inhibent toute réflexion, il est pourtant facile de démontrer que le thème est intéressant à plus d’un titre.

Le mode de consommation qui a caractérisé les Trente Glorieuses (1950-1980) d’après guerre est en voie d’essoufflement. Remplir son caddie sans compter, sans regarder la provenance des aliments ni leur composition, ni la façon dont ils sont emballés, n’a plus la cote. Les Échos en France rapportaient en début d’année que les ventes de produits de grande consommation ne progressent plus en volume, alors que les prix ont baissé de 1,2 % en 2016 dans les supers et les hypers. Les consommateurs veulent des produits de qualité, de proximité et sont de moins en moins sensibles au marketing traditionnel basé sur le seul prix. Nous sommes entrés dans l’ère des consomm’acteurs.

Création de valeurs économiques

Pour moi, la mouvance du Zéro Déchet est d’abord un formidable moteur économique qui n’en est qu’à ses débuts. Les initiatives privées fleurissent. Chacun se sent pousser des ailes. Allez donc faire un tour dans l’une de ces échoppes qui vend “en vrac”: vous serez étonnés de la foison de produits artisanaux à vendre. Produits d’hygiène, sacs à vrac, produits ménagers et bien entendu préparations alimentaires sont proposés sur le mode “fait maison”. Outre les artisans, de petites entreprises ciblées sur des produits nouveaux voient le jour. Certaines grandissent et engagent du personnel.

Que dire du retour des consommateurs dans les commerces indépendants traditionnels ? Boucheries, boulangeries, poissonneries, drogueries et autres épiceries ne s’en plaindront pas. Il n’est plus du tout exotique de voir les clients tendre leur propre boîte par dessus le comptoir pour se faire servir et ainsi éviter un emballage dont la durée de vie n’est que de quelques minutes. Les commerçants sont encouragés à faire connaître leur soutien au mode de vie sans emballage: ils peuvent afficher un visuel fourni gratuitement par l’association Zero Waste Switzerland.

La semaine passée, l’Office fédéral de la statistique annonçait que le nombre d’exploitations agricoles en Suisse qui pratiquent la vente directe était en forte augmentation (+ 60% en 6 ans selon ). Les plateformes d’achat de paniers de produits locaux ont le sourire. Proximité, circuit court, connaissance des producteurs et de leurs méthodes de culture ou d’élevage… voilà ce que recherchent les consommateurs d’aujourd’hui.

L’ère du “tout plastique” qui finit à la poubelle (dans les usines d’incinération chez nous, et aussi dans les océans de toute la planète) est fortement remise en question. Les entreprises qui vendent des bocaux de conserve en verre affichent une progression encourageante après avoir souffert d’une image négative assez ringarde durant des années. C’est le retour de la confiture à Papa et de la terrine à Maman, préparés et conservés par appertisation dans un bocal à étrier métallique (Le Parfait, marque française), ou à clips (Weck, marque allemande). Il est vrai que la mode du Do It Yourself (je-le-fais-moi-même) a pris de l’ampleur. Le bocal est devenu tendance. Il s’affiche en déco et sur la table des grands chefs… On assiste au retour remarqué de la consigne: sur les bouteilles en verre, bien sûr, mais aussi sur de nouveaux emballages lavables et réutilisables dans les échoppes de nourriture à l’emporter (www.recircle.ch), sur les gobelets de boissons dans les festivals et les rencontres sportives, etc. Utiliser une seule fois et jeter? C’est devenu ringard !

Au niveau des services aussi, le mouvement anti-gaspillage est à l’origine de nouvelles activités économiques. On peut acheter des conseils pour mieux trier ses affaires et éliminer de son chez-soi gadgets et possessions inutiles. Les ateliers où l’on apprend à fabriquer du gel WC ou de la lessive à partir de deux ou trois ingrédients simples sont toujours pleins. Il faut aussi mentionner les nouvelles filières de traitement des déchets. Les communes, à qui revient la difficile tâche de s’occuper des rebus de la société de consommation, n’en peuvent plus. Des cours et des formations complètes sont proposés aux responsables (Cosedec, dans le canton de Vaud).

Voilà pour les chiffres et les valeurs économiques. En soi, c’est déjà pas mal. Mais ce que promet le mouvement Zéro Déchet va bien au delà des chiffres.

Promesse de bonheur

Le mouvement promet le bonheur, tout simplement. Vous souriez ? L’acte de consommation est réfléchi, pesé, soupesé. Il s’effectue désormais de manière raisonnée et raisonnable. La crise économique est aussi passée par là: le pouvoir d’achat des familles se réduit d’année en année, les gains de la productivité se répartissent de manière toujours plus inégale. Vivre selon un mode de vie Zéro Déchet promet de réaliser des économies à long terme. Les quelques trois cents familles embarquées par les autorités de la ville de Roubaix dans un joyeux coaching ne diront pas le contraire ! Grâce au Zéro Déchet, ces familles ont retrouvé du pouvoir d’achat et évacué le stress des fins de mois difficiles. Il en va de même pour les dizaines de personnes qui ont suivi les ateliers Zéro Déchet de l’association Zero Waste Switzerland (www.zerowasteswitzerland.ch).

Mais surtout, l’acte de consommer a retrouvé sa juste place. Il n’est plus autant prédominant et envahissant. L’importation du “Black Friday”, ce “vendredi noir” de soldes massifs à l’américaine, a de la peine à décoller chez nous. A peine connu, un contre-mouvement est déjà né chez nos voisins français, celui du “Green Friday”. Sur les réseaux sociaux, les appels au boycott et à rester chez soi ont été légion cette année. Acheter se fait désormais parcimonieusement, et avec plaisir, dans le cadre d’une relation client-commerçant retrouvée.

C’est une évidence, la surconsommation en supermarché anonyme n’a pas tenu ses promesses de bonheur. Remplir ses armoires d’objets et son réfrigérateur de denrées ne nourrit pas les âmes. Pour paraphraser Aristote, le consommateur est d’abord un animal social, avide de relationnel. Pour l’avoir oublié et réduit à son seul porte-monnaie, la grande distribution s’en mord aujourd’hui sans doute les doigts.

Mais ne nous leurrons pas: la grande distribution va bientôt surfer sur la vague de la vente en vrac. Comme elle l’a fait avec les aliments bio. Elle a déjà commencé à petite échelle et il est certain que les choses s’organisent déjà en grand. Mais que nos géants orange soient avertis: désormais, ils ont à faire à des consommateurs attentifs à la sincérité de leurs actions. S’il y a le moindre soupçon d’une tentative de récupération dans le seul but d’engranger plus de bénéfices, la clientèle ne suivra pas. Un exemple ? Vendre des sacs à vrac synthétiques et faits en Chine et qui ne durent pas longtemps à l’usage, comme l’a fait l’un des acteurs du duopole orange, est un faux pas qui n’a pas échappé aux adeptes du Zéro Déchet. Le second grand distributeur propose depuis peu des sacs en cellulose faits en Turquie, c’est déjà mieux. S’il y a une réelle volonté de réduire l’empreinte environnementale, alors elle est à saluer car elle a des chances d’aboutir.

Si nous consommons moins, par choix et parfois par obligation, nous voulons avant tout consommer mieux. Et avoir plus de temps pour vivre et faire autre chose de notre temps, devenu denrée précieuse. N’oublions pas que la démarche du Zéro Déchet commence par une profonde réflexion, une remise en question de ses habitudes. C’est la méthode dite des 5 R développée par Bea Johnson, dont le premier signifie “Refuser”. Comme ce verbe traîne avec lui une connotation négative, l’association Zero Waste Switzerland a préféré le remplacer par le verbe “Réfléchir”.

En matière de grammaire et en guise de conclusion, le mode de vie Zéro Déchet permet de faire passer le verbe “être” bien avant le verbe “avoir”. Et ça fait un bien fou ! Essayez !

Valérie Sandoz

Valérie est engagée sur la réduction des déchets à titre privé depuis des années. Elle est l'auteur de plusieurs guides, donne des conférences, des cours et anime des ateliers. Géographe et ethnologue de formation, elle interroge notre façon de consommer et partage ses découvertes. Adepte du «fait maison» (conserves alimentaires, lacto-fermentation, cosmétiques, produits de nettoyage, etc.), Valérie anime un blog personnel consacré à la cuisine sans gluten, à la réduction des déchets et du gaspillage et à un mode de vie simple et joyeux.

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