L’euro a 20 ans mais devrait prendre sa retraite

Au début de cette année, beaucoup d’encre a coulé pour marquer le vingtième anniversaire de la naissance des billets de banque et des pièces métalliques en euros. À l’âge de 20 ans, la monnaie unique européenne devrait être mise à la retraite, étant donné qu’elle n’a jamais contribué au bien commun comme aurait dû le faire une vraie monnaie commune.

Tout d’abord, il est nécessaire de distinguer sur le plan conceptuel la monnaie unique d’une monnaie commune, même si la très grande majorité des économistes ne sait pas faire la distinction entre ces deux concepts. L’euro a été conçu comme étant une monnaie unique dans l’espace monétaire de la zone euro, qui en l’état est formée par 19 pays très différents les uns des autres sur le plan économique. Une monnaie unique est, par définition, la seule monnaie que l’on utilise dans un espace monétaire donné. Une monnaie commune, par contre, est utilisée dans un contexte au sein duquel d’autres monnaies existent, comme cela serait le cas si l’euro pouvait être utilisé à côté des monnaies nationales dans la zone euro. Plus précisément, l’euro devrait être utilisé seulement pour effectuer les paiements sur le plan international, entendez entre les nations (chacune desquelles étant représentée par sa propre banque centrale), tandis que les paiements au sein de chacun de ces pays devraient continuer à être effectués avec leur propre monnaie nationale.

Dans un tel cas de figure, chaque pays membre de cette zone monétaire conserverait sa souveraineté monétaire, ce qui revient à pouvoir décider ses propres taux d’intérêt, même si cela ne peut pas se faire sans tenir compte des choix de politique monétaire des pays dont la monnaie joue un rôle de premier plan au niveau mondial (notamment le dollar états-unien).

Avec une monnaie unique, par contre, les pays membres de la zone euro ont transféré leur souveraineté monétaire à la Banque centrale européenne dont les décisions de politique monétaire s’appliquent à l’ensemble des économies nationales de l’Euroland, même si les conséquences de ces décisions sont très souvent différentes d’un pays à l’autre. Dans l’histoire de la zone euro, ces décisions ont été bien plus favorables à l’Allemagne qu’aux autres pays membres de cette zone – une raison parmi d’autres qui montrent que la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale. Déjà le fait que le taux de change de l’euro est visiblement plus faible que celui du Deutsche Mark permet de comprendre que les perdants de la zone euro se trouvent dans sa partie méditerranéenne.

Contrairement à ce qu’il serait légitime de s’attendre, toutefois, l’Allemagne (à ce jour) n’a jamais montré sa reconnaissance pour ce fait. Au contraire, durant la crise de la zone euro, éclatée vers la fin de 2009, elle a toujours stigmatisé les pays méditerranéens (surtout la Grèce), coupables, selon les Allemands, de «vivre au-dessus de leurs moyens».

En réalité, les Allemands devraient montrer leur reconnaissance en acceptant de contribuer à un système de péréquation financière par lequel des ressources fiscales sont transférées aux pays membres en difficulté, afin que la zone euro soit finalement une vraie union monétaire.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

22 réponses à “L’euro a 20 ans mais devrait prendre sa retraite

  1. Les conséquences de niveaux d’inflation très disparates entre les différents membres vont bientôt se manifester de manière cuisante pour certains, surtout les surendettés, qui ne sont pas nécessairement aussi au Sud qu’on l’imagine (Je dirais même qu’ils sont – sans mauvais jeu de mots – surtout à l’Ouest…)

  2. Je me permets d’ajouter quelques remarques d’ordre méthodologique à mon précédent commentaire sur le billet du professeur Rossi dont le titre est «L’économie ne mérite pas un Prix Nobel». A ce propos il n’est pas excessif d’affirmer que le Comité du Prix Nobel privilégie de récompenser de manière prépondérante les travaux d’inspiration néoclassique dont la plupart font la part belle à l’individualisme méthodologique en général et au cadre conceptuel de l’équilibre général walrasien en particulier.

    En témoigne le nombre impressionnant des lauréats dont les travaux s’inscrivent dans le cadre du modèle standard de l’économie. Certes avec souvent des innovations méthodologiques et un recours excessif aux outils mathématiques comme caution scientifique. Par exemple, Robert Lucas a utilisé la technique du signal pour redécouvrir les intuitions de l’Ecole autrichienne: faire le départ entre la hausse générale des prix et le changement des prix relatifs suite à une expansion monétaire initiée par la banque centrale. Ce résultat réduit la politique monétaire à un bruit qui constitue une source de perturbation pour les acteurs économiques optimisateurs ou agissant au mieux de leurs intérêts en toute circonstance.

    De même Arrow et Debreu, deux grands prêtres de l’équilibre général walrasien s’il en est, ont allongé la liste des marchés en introduisant le lieu, le temps et les états de la nature (marchés contingents) associés à la disponibilité des biens, sachant que l’intégration de la monnaie et de l’incertitude laisse à désirer. Ainsi seule l’incertitude venant de la nature ou incertitude exogène est prise en compte; en revanche l’incertitude endogène venant des autres est ignorée, l’incertitude c’est les autres comme chez Jean-Paul Sartre: «l’enfer c’est les autres». A cet égard, les humeurs fantasques des marchés financiers sont là pour nous rappeler sans cesse que le calcul des probabilités est un outil tout à fait approprié pour domestiquer le risque, mais pas pour traiter la dépression récurrente des acteurs financiers dont les croyances sont régies par celles que les uns et les autres se prêtent dans un jeu de miroirs sans fin.

    De même, l’introduction de la monnaie est justifiée dans le cadre du modèle à générations imbriquées avec un horizon infini pour éviter la mise en œuvre du raisonnement de récurrence à rebours aboutissant au rejet du papier-monnaie par la dernière génération. En tout cas, on est obligé d’envisager un processus d’échange de la monnaie contre des biens sans fin, sinon la dernière génération de jeunes ne voulant pas de la monnaie des «vieux» désirant consommer des biens, lesquels n’en voudront pas non plus étant jeunes, et ainsi de suite. Ce mécanisme de rejet de la monnaie par les générations successives est parfaitement illustré par le paradoxe du mille-pattes bien connu en théorie des jeux.

    Autrement dit, quand on fait intervenir la monnaie par sa fonction de réserve de valeur ou de moyen de paiement, on doit s’attendre à ce que la rationalité individuelle débouche sur un équilibre sous-optimal au sens de Pareto. Le seul moyen pour contourner cet écueil est d’introduire soit un processus d’échange infini soit une forme d’imperfection. Paradoxalement celle-ci devient une source importante d’efficience, contrairement à ce que laisse entendre le discours microéconomique traditionnel, lequel suggère des politiques et des réformes économiques néo-libérales avec parfois des outrances comme mettre en œuvre les réformes du marché du travail en période de récession en raison de la faiblesse du pouvoir de négociation des syndicats.

    A présent il convient de rappeler brièvement ce que nous dit le modèle d’Arrow et Debreu et de nous attarder quelque peu sur ses limites, notamment en ce qui concerne la propriété de la stabilité de l’équilibre général.

    En utilisant un nombre impressionnant d’hypothèses, les auteurs en question démontrent l’existence d’un équilibre général en recourant au théorème du point fixe. Si ces hypothèses sont vérifiées, alors il existe un équilibre général et le modèle est cohérent. En clair il existe un système de prix qui apure tous les marchés. Autrement dit, l’égalité entre offre et demande prévaut sur chaque marché. Ce système de prix résulte d’une espèce de boîte noire assimilée à un agent au-dessus de la mêlée ou le commissaire-priseur walrasien. A l’équilibre général, les possibilités de transactions mutuellement avantageuses sont épuisées.

    Remarquons que le modèle reste silencieux sur les considérations d’équité, car une situation où toute la richesse est détenue par une seule personne est considérée comme un optimum de Pareto, dès lors que l’allocation est située sur la courbe des contrats comme on peut le voir à l’aide du diagramme d’Edgeworth dans le cadre d’une économie rudimentaire, mais dont les résultats sont généralisables à une économie complexe du monde réel. Certes les partisans de l’équilibre général suggèrent de corriger les inégalités de revenus et de patrimoine par le truchement d’une fiscalité ou transferts forfaitaires. Or, force est de constater que les impôts forfaitaires pourraient s’avérer notoirement insuffisants pour répondre aux besoins des Etats modernes, notamment si l’on tient compte de la transition énergétique et numérique à laquelle sont confrontées nos sociétés.

    Cependant, pour qu’ils soient vraiment fondés, il faut prouver que les équilibres sont non seulement des états hypothétiques, mais aussi qu’ils peuvent être effectivement atteints. En d’autres mots, il faut démontrer que le système est stable. Mais qui dit stabilité, dit processus: on songe alors à la loi de l’offre et de la demande, souvent qualifiée de tâtonnement: le commissaire-priseur (une instance de coordination fictive) ne se contente pas de proposer des prix, mais il les fait varier, en les augmentant en présence d’un excès de demande et en les diminuant en présence d’un excès d’offre. Mais contrairement à ce que l’on pourrait attendre, le processus ainsi engendré ne converge pas vers l’équilibre: le tâtonnement est instable.

    Ce résultat étonnant découle d’un théorème, établi notamment par Hugo Sonnenschein au milieu des années 1970. En substance, ce théorème nous dit que les demandes nettes (écarts entre offres et demandes) issues de modèles vérifiant les hypothèses de la concurrence parfaite peuvent avoir une forme quelconque. Par conséquent, elles peuvent engendrer les processus les plus divers et la plupart du temps non convergents. Ce résultat sème le doute quant à la stabilité du tâtonnement et plus généralement il met un terme à tout espoir de déduire des lois ou des régularités des relations causales à partir des comportements rationnels de concurrence parfaite.

    Or, comme le but de tout modèle formalisé est d’établir de telles lois et, si possible, de les tester empiriquement, il en résulte que l’approche en équilibre général de la concurrence parfaite mène à une impasse totale, et cela en dépit de sa cohérence interne. Notons que ce résultat a été exploité par les économistes hétérodoxes pour critiquer la théorie standard: le théorème de Sonnenschein montre que l’équilibre général n’est en définitive qu’une construction vide et inutilisable. En effet ce théorème peut être interprété comme un coup d’arrêt au programme de recherche autour de l’équilibre général. La stabilité étant improbable (mais Walras l’avait déjà laissé entendre), l’argument de Samuelson dans «Les fondements de l’analyse économique» retrouve toute sa pertinence: à quoi sert de s’intéresser à l’existence d’un équilibre si celui-ci est instable?

    Confrontée à cet obstacle insurmontable, la microéconomie tente de se rabattre sur des échappatoires plus ou moins satisfaisantes:

    -Ne retenir que des modèles d’équilibre général avec un très petit nombre d’individus et de biens et des fonctions-objectif avec des formes particulières. Cette démarche utilisée dans la recherche des fondements microéconomiques de la macroéconomie n’est pas sans inconvénient dans la mesure où elle fait perdre au modèle d’équilibre général ses qualités de généralité et de souplesse d’adaptation à une diversité de contextes.

    -Se cantonner dans les analyses en équilibre partiel. Cela permet de construire des modèles plus ou moins fouillés mais ceux-ci soulèvent des réserves dans la mesure où il n’est pas possible de tirer des conclusions normatives.

    -Abandonner le cadre de la concurrence parfaite, mais c’est tomber de Charybde en Scylla, car la situation se complique terriblement et les effets du théorème de Sonnenschein s’y faisant d’ailleurs toujours sentir.

    -Introduire un tâtonnement par les quantités en abandonnant l’hypothèse de l’information centralisée incarnée par le commissaire-priseur. A cet égard, l’analyse du déséquilibre développée par Robert Clower et Axel Leijonhufvud dans les années 1960 semble avoir mieux saisi les principales intuitions de l’analyse de Keynes plutôt que l’interprétation de celle-ci par John Hicks. Ce dernier a en effet réduit la contribution théorique de Keynes à un cas particulier du modèle d’équilibre walrasien en y introduisant des restrictions. En tout cas, il n’est pas déraisonnable d’affirmer que le modèle IS-LM donne une vision caricaturale du problème de la coordination des actions individuelles, problème qui est pourtant au cœur de la théorie économique.

  3. M. le professeur Rossi ne dit pas un mot sur le problème des taux de change (sauf pour évoquer succinctement le DM/euro) et, vraisemblablement, des conséquences sur le CHF si l’euro ne devait être qu’un instrument de paiement international, lequel CHF serait devenu plus que jamais monnaie refuge, avec tout ce que cela implique!!

  4. “en acceptant de contribuer à un système de péréquation financière par lequel des ressources fiscales sont transférées aux pays membres en difficulté”

    La cygale et la fourmi… vous avez chiffré le montant que les Allemands devraient transférer? alors que leurs infrastructures interieures, notamment leurs routes, tombent en ruine…

    Plus simple: il faut expulser de la zone euro les mauvais élèves et construire une zone euro avec les economies fortes, de manière à permettre aux autres de dévaluer leur monnaie pour rattraper leurs retards.

    1. Dévaluer n’est pas une solution car:

      – Elle ruine les épargnants qui perdent le fruit de leurs efforts.
      – Elle renchérit les produits qui doivent être importés et ainsi fragilise encore l’industrie de ces pays.
      – Elle augmente les tensions avec les pays voisins.
      – Elle ouvre le pays aux prédateurs qui peuvent s’offrir les actifs de valeur et ainsi ruiner encore plus le pays qui a dévalué.

      Ainsi, je ne pense pas que la possibilité de dévaluer une monnaie aide les pays en difficulté, mais plutôt qu’elle contribue à les ruiner encore plus.

  5. RAYMOND
    10 décembre 2018 à 19 h 18 min
    Une fracture voulue et consommée ?

    L’Europe incite à répéter que la fracture est entre ceux qui ne veulent qu’un grand marché et ceux qui veulent prolonger l’unité commerciale par l’harmonisation sociale et l’ambition politique commune. Présenter ainsi la question, c’est poser en principe que le marché est, doit être, le socle et même la matrice de tout dans l’Union européenne, c’est avaliser la manière de faire qui est justement en crise, celle qui présuppose que le marché unique et l’Europe politique et sociale sont comme deux segments de la même ligne, alors que c’est leur compatibilité qui fait problème : les concepteurs de l’Europe ont toujours visé au-delà du marché à partir du marché, mais ce désir a toujours été déçu, comme le montre le projet constitutionnel lui-même, illustrant l’hiatus entre l’Europe mercantile, l’Europe de la concurrence entre les peuples et l’Europe de la solidarité et des ambitions communes. Depuis la fin des années 1980, et en particulier avec le Traité de Maastricht entré en fonction en 1993 et qui a créé l’Union européenne s’est ainsi affirmé un projet politique : mettre en place des institutions fédérales ou encore supranationales. Or, ces institutions avaient été, et sont toujours, rejetées par les peuples européens à chaque fois que l’on a consenti à leur demander leur avis, comme ce fut le cas avec le projet de Traité Constitutionnel, rejeté par référendum par la France et les Pays-Bas en 2005.

    Les dirigeants européens auraient-ils consciemment construits des institutions incomplètes, dont l’Euro est le meilleur exemple, en espérant que les crises naissant de cette incomplétude amèneraient les peuples à consentir, dans l’urgence, ce à quoi ils s’étaient refusés de manière raisonnée ? La monnaie unique n-a-t-elle pas été vendue par les néolibéraux comme un facteur de paix, mais qui s’est finalement avérée n’être qu’un schisme ? D’ailleurs, le Docteur en Economie Appliquée, membre de l’Académie royale de Belgique et économiste en chef de la banque privée Degroof-Petercam, Bruno Colmant, même s’il se défend d’être keynésien, il reconnaît lui-même le mythe de cette monnaie unique qui devait sceller la paix entre les peuples : « ça n’a aucun sens, une population vieillissante ne fait pas la guerre. Quand on tire la synthèse des choses, on a conçu l’euro comme une monnaie d’épargnants dont on a voulu maintenir le pouvoir d’achat à tout prix, en limitant l’inflation. Alors qu’en fait, il y a quand même une corrélation entre l’inflation et le travail. On a donc préservé la valeur du capital, par une monnaie désinflatée (*) au détriment du travail. Le capital des Allemands a été protégé ­ et en plus, ils n’ont pas de chômage. La variable d’ajustement a été le chômage dans les pays du sud de l’Europe. Les Allemands leur ont imposé une dévaluation interne qui a catapulté le taux de chômage au-dessus de 20 %. La situation s’est améliorée, mais au prix d’une purge sociale effarante ».

    Pourtant, derrière cette zone monétaire et économique Non optimale, néanmoins mercantile, tracée par les tenants d’une alliance contre nature, cette monnaie unique ne se voulait-elle pas le couronnement de la construction européenne ? En réalité, elle cause son déclin en ayant corrodé les fondations économiques et sociales des pays qui l’ont adopté, mis à mal la démocratie et suscite de plus en plus la montée des comportements dits populistes depuis l’orthodoxie budgétaire lancée aveuglément post crise 2007/2008 et, destinée à réduire au plus vite les déficits publics considérables – induis par les errements et le sauvetage de la sphère financière – pour une dette publique des pays de l’UE qui ne représentait que 62% du PIB européen en 2008. Même le déséquilibre de la balance commerciale opéré par le faux miracle économique allemand, suite notamment aux mesures Hartz, ne suffira à juguler une frénésie dirigée contre l’intérêt des peuples. Et comment, dans une zone monétaire et économique non optimale, les technocrates peuvent-ils encore ignorer que les excédents des uns vont de concert avec les déficits des autres.

    https://www.les-crises.fr/wp-content/uploads/2016/11/A-01-Allemagne-Exced-Com.jpg

    (*) Monnaie désinflatée de 25 % depuis le début de 1999 et 32 % si l’on se réfère à l’écu depuis 1995 – comme l’a souligné le professeur G. Lafay, Docteur ès sciences économiques ; diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris.

  6. RAYMOND/MS
    10 décembre 2018 à 10 h 01 min

    « Bien avant la création de l’euro, le canadien Robert Mundell devait énumérer les conditions de succès d’une union monétaire. Ses travaux lui valurent le prix Nobel en 1999, soit précisément l’année du lancement de la monnaie unique. Selon Mundell, une devise partagée par un ensemble géographique n’est viable qu’en cas de mobilité des capitaux et du travail, de flexibilité des salaires et des prix, de cycles économiques similaires et de transferts fiscaux à l’intérieur de cette zone. Autrement dit, l’argent -mais aussi les travailleurs -devraient pouvoir voyager et s’établir dans différentes parties de l’Union. Les prix devraient être à même de baisser si nécessaire et pas seulement d’augmenter. Les membres de cette Union devraient bénéficier en même temps d’une expansion de leur économie ou subir ensemble la contraction. Enfin, une solidarité (idéalement automatique) devrait permettre à certaines régions dans la tourmente de recevoir des soutiens financiers de la part d’un organisme créé à cet effet ou de la part d’un gouvernement fédéral.

    De nos jours, l’Union européenne ne dispose toujours d’aucun de ces atouts, ce qui en fait une Union peu viable, tout au moins selon les critères de Mundell, contrairement aux Etats-Unis dont la structure permet d’absorber les chocs économiques. Un chômeur de Caroline du Sud est en effet capable de déménager au Texas où il vient de trouver un emploi tandis qu’un Grec irait très difficilement s’établir en Suède, et vice-versa bien-sûr! Hormis la barrière de la langue et de la mentalité, un pays européen sinistré ou subissant un fort ralentissement de son économie ne recevrait en outre nul subside de son administration centrale lui permettant de passer le cap et de combattre victorieusement sa récession. L’union en vigueur aux Etats-Unis ne fonctionne ainsi que par la grâce de la mobilité de ses salariés, d’incessants flux de capitaux inter zones et de mécanismes automatiques institutionnalisés permettant d’amortir les chocs financiers. En fait, non contente de ces déficiences «congénitales», l’Union européenne se révèle même être une machine à produire des bulles –c’est-à-dire des déséquilibres– du fait d’un taux d’intérêt unique partagé par des régions et par des nations qui subissent des cours de change effectifs divergents entre elles.
    L’euro agit donc comme l’étalon or dans le sens où les ajustements et indispensables ré équilibrages –qui ne peuvent se réaliser à travers la soupape de la devise qui s’apprécierait ou qui se dévaluerait– se font exclusivement par la courroie de transmission des prix et des salaires. L’euro n’est à l’évidence pas convertible en métal jaune mais il comprime les économies et produit de la récession. Le règne de l’étalon or se traduit de fait par des ajustements systématiquement à la charge des économies et des devises faibles en épargnant les pays forts. N’est-ce pas l’Europe périphérique qui a ainsi subi et encaissé tous les déséquilibres dans le cadre de la crise européenne actuelle?

    Souvenons-nous à cet effet de l’étalon or qui exerçait en son temps une pression baissière sur certaines monnaies fragiles de nations qui subissaient contraction économique et chômage élevé faute de pouvoir procéder aux indispensables réglages intérieurs. L’euro –comme l’étalon or– aggrave la situation des pays en récession en y insufflant la déflation. N’oublions jamais que c’est le maintien de l’étalon or qui devait empêcher de lutter efficacement –voire de prévenir – la Grande Dépression ! Et rappelons-nous également que ce sont les pays n’en faisant pas partie, ou qui en sont vite sortis à l’époque, qui se sont rétablis en premier ou qui s’en sont tirés avec des dégâts limités. »

  7. Que de souvenirs, en effet!!!

    Le rapport de l’Institut Leibniz de recherche économique (IWH) – rendu public en 2015 – mit en lumière que la crise de la dette grecque aurait permis à l’Allemagne de réaliser des économies budgétaires de l’ordre de 100 milliards d’euros depuis 2010. Les économistes rappellent que les titres de la dette allemande ont constitué une valeur refuge pour les investisseurs étrangers, qui ont pu jouir d’une baisse des taux d’intérêt de ces emprunts. “On en vient à des taux simulés sur les emprunts d’État allemands qui, en moyenne entre 2010 à ce jour (2015), sont 3% plus élevés que ce qu’ils ont été dans la réalité”, estiment ces experts. Implacables, ces derniers enfoncent le clou: “Ces économies dépassent le coût engendré par la crise et ce même si la Grèce ne remboursait pas entièrement sa dette.” Pour rappel: Berlin a consenti un prêt de 90 milliards d’euros à Athènes ces dernières années, soit une plus value de 10 milliards d’euros. “L’Allemagne a donc dans tous les cas profité de la crise grecque”, concluent-ils, estimant que l’économie correspond à plus de 3% du PIB. “Des mauvaises nouvelles en Grèce étaient de bonnes nouvelles en Allemagne et vice versa”, soutiennent ces experts. Quelques critiques ont néanmoins été avancées, notamment celles pointant que la crise a eu pour conséquence une baisse des investissements ou encore des effets négatifs pour les salariés allemands soumis à la déflation salariale compétitive, via les mini-jobs (réformes Hartz).

    Outre cette étude sur les taux d’intérêt, l’Allemagne fut aussi gagnante sur le terrain des privatisations des services et entreprises grecs. Le Fonds de développement des biens de la République hellénique (Taiped) s’est vu confié, en 2011, la responsabilité de ces “libéralisations”, dont la plus importante en 2015 restait la concession de quatorze aéroports régionaux accordée, pour un montant de 1,2 milliard d’euros, à l’entreprise allemande Fraport, qui, associée à une firme grecque, dû débourser une taxe annuelle de 22,9 millions d’euros. Les deux principaux actionnaires de ladite entreprise sont la région de Hesse (plus de 30%) et la ville de Francfort (20%). Les bénéfices risquent de s’avérer juteux puisqu’elle a fait main basse sur les aéroports les plus rentables du pays, parmi lesquels figurent les îles touristiques de Mykonos, Santorin, Corfou…

    Cette Allemagne qui n’honorera jamais l’intégralité de ses dettes de guerre, qui pariera sur le déséquilibre des balances commerciales selon le précepte que les excédents des uns ont pour corollaire les déficits des autres. Cette Allemagne là, fut et restera pour les esprits éclairés comme le fossoyeur de l’Euroland – quelle en tire les conséquences!

    1. Durant son rôle de “général” des technocrates de Bruxelles – et de l’influence que l’Allemagne exerçait auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE) – l’article du Wall Street Journal paru en 2017 restera dans les annales, puisque ce dernier nous informait que la sphère opaque de la BCE comptait en son sein 29% de salariés allemands contre seulement 8% de français. Tout en sachant déjà que le très stratégique Département d’économie et de prospectives, qui conditionne toutes les recommandations de la BCE en termes de politique monétaire, était dans une chaîne de commandement allemande. Cette dernière portant dans le milieu le surnom de “panzer division” et dirigée par le Chef économiste que fût Jürgen Stark, remplacé ensuite par le moitié allemand et moitié belge Peter Praet. Sans compter que la Banque Centrale Européenne, basée dès le début à Francfort, comptait aussi dans son ADN les gènes de la Bundesbank. Il va sans dire qu’il est inutile de préciser qui a fait entendre ses claquements de botte dans les couloirs de cette institution, au plus fort de la crise dans la zone euro.

  8. À l’heure où l’inflation (ai-je dis hyper?) – voire le krach de tous les krachs – est plus que jamais d’actualité, certains économistes allemands, et non des moindres, tentent de refaire l’Histoire. En effet de grands noms se mettent à triturer les faits historiques afin de les ajuster à leurs thèses, ou plutôt à leurs phobies. Ces ordolibéraux proches du fanatisme mettent en garde contre l’hyperinflation qui, selon eux, ne manquera pas de surgir à la faveur des dépenses publiques allemandes auxquelles ils s’opposent avec véhémence dans le cadre de la crise sanitaire. La rigueur budgétaire devrait être le seul horizon de leur pays afin d’éviter, selon leurs avertissements, de répéter les erreurs de Weimar ayant abouti à l’avènement des nazis par la courroie de transmission de l’hyperinflation des années 1922-1923. Des sommités comme l’économiste Hans-Werner Sinn n’hésitent donc pas à établir une relation de cause à effet directe entre l’hyperinflation et Hitler.

    “Dix ans plus tard, ils élurent Adolf Hitler comme Chancelier du Reich”, déclare en effet sans ambages Sinn dans une interview accordée il y a plusieurs mois à la NZZ. Comment ce personnage, influent et très respecté dans son pays, peut-il établir un lien direct entre l’hyperinflation allemande de la République de Weimar ayant suivi la Première guerre mondiale et la montée en puissance de Hitler? Escamotant ainsi d’un coup de baguette magique l’austérité fiscale, budgétaire et la déflation qui – elles – ont réellement et immédiatement précédé l’arrivée en 1933 des nazis au pouvoir. Pour ce faire, Sinn invoque les vieux revenants et alerte que, aujourd’hui comme en 1923, l’argent – “comme le papier” – pourrait ne plus rien valoir. Il est du reste en terrain conquis puisque ces angoisses restent ancrées dans la mémoire collective de ses compatriotes persuadés que le chômage massif du début des années 1930 fut le produit de l’hyperinflation 10 ans plus tôt.

    Sinn, un des économistes les plus réputés de son pays, ne rencontre donc quasiment aucune contestation interne lorsque ses manipulations historiques lui permettent de jeter une passerelle avec la politique actuelle de l’Allemagne qui “vit de la planche à billets”. Pour lui, mais également pour nombre d’autres de ses confrères allemands, il serait donc très urgent de revenir à des budgets publics très stricts, d’adopter des mesures énergiques et déterminées pour contrer l’inflation, afin d’éviter une nouvelle dictature… alors que c’est précisément les réductions phénoménales des dépenses publiques et l’augmentation substantielle des impôts décrétées dès 1930 par le Chancelier Brüning qui propulsèrent les nazis parvenus en janvier 1933 au pouvoir. Il est en effet là, le lien de cause à effet, entre cette rigueur qui aggrava dramatiquement la situation des ménages à bas revenus et qui furent une proie de choix pour des nazis qui n’hésitèrent évidemment pas à exploiter ce mécontentement populaire. Sinn et ses acolytes perdent toute crédibilité dès lors que l’on consulte les résultats électoraux du parti de Hitler, qui récolta 2% en 1928, mais 38% en 1932…

    L’hyper orthodoxie allemande fait donc fi de l’histoire économique de son pays car ce n’est bien sûr pas l’hyperinflation du début des années 1920 qui fut le terreau des nazis 10 ans plus tard, mais bien la pauvreté voire la misère suite à la calamité déflationniste savamment orchestrée par l’austérité du gouvernement Brüning en place de 1930 à 1932. En fait, vue d’Allemagne, l’économie est quasiment une émanation de la philosophie, voire de la théologie. Selon cette doctrine, il est donc tout naturel d’invoquer les mânes de Weimar pour en appeler à imposer – aujourd’hui en 2021 – l’austérité, quitte à commettre des fautes historiques qui peuvent être lourdes de conséquences.

    Ceci étant précisé, eh bien oui, les économistes hétérodoxes – à l’instar notamment de notre hôte, le professeur Sergio Rossi – auront prêché en vain durant plus d’une décennie pour éviter d’en arriver à ce qui s’annonce!!! Mais la pensée dominante (mainstream), quelle fut de matrice néo-libérale ou ordo-libérale, aura encore une fois de plus imposé son extrémisme.

    https://www.blick.ch/fr/incoming/la-chronique-de-myret-zaki-krach-ou-hyperinflation-echapperons-nous-a-lun-ou-lautre-id17196199.html

    1. Tiens donc, en consultant mon hémérothèque, je viens de retrouver mon cours accéléré et daté que j’adressais à l’époque aux “nuls”, c-à-d à l’homo politicus de l’économie (ir) réelle. La trappe à liquidité…Quèsaco? La Banque Centrale devient incapable de stimuler l’économie par voie monétaire, le taux d’intérêt étant tellement bas, que même en augmentant l’offre de monnaie, les individus préfèrent détenir du liquide plutôt que d’acheter des obligations. Cette hausse de l’offre de monnaie n’a donc aucune influence sur le taux d’intérêt. Eh oui, cette situation a été théorisée, entre autre, par l’économiste hétérodoxe J-M Keynes pour démontrer qu’en période de crise, étant donné l’impossiblité de relancer l’économie par voie monétaire, le gouvernement doit alors directement intervenir sur la demande agrégée (AD), en augmentant les dépenses publiques (AD = C + I + G + X – M).

      Ce b.a.-ba est-il si difficile à saisir pour un.e politicien.ne? Apparemment…Oui!

  9. Le titre du billet du professeur Rossi résume parfaitement les difficultés que masque la monnaie unique européenne, alors que ses promoteurs l’ont présentée comme la pierre philosophale. Celle-ci est censée en effet accomplir plusieurs miracles: prolonger la vie humaine, guérir les maladies et transformer les métaux vils en métaux précieux. A l’instar de cette hypothétique substance alchimique, on attendait de la monnaie unique qu’elle réalise une pluralité d’objectifs avec la vision hautement optimiste selon laquelle les bénéfices finiront toujours par l’emporter sur les coûts pour tout pays participant à une union monétaire, même si celle-ci ne remplit pas les conditions d’une zone monétaire optimale au sens de Robert Mundell (article de 1961).

    En clair, une multitude d’objectifs ont été assignés à l’euro, quand bien même le mandat de la Banque centrale européenne (BCE) a été défini de manière claire mais très étroite, à savoir assurer la stabilité des prix en toutes circonstances, et en particulier s’opposer aux tentatives de monétisation des déficits budgétaires de la part des Etats membres. Autrement dit, bannir le recours au revenu du seigneuriage (inflation), qui était monnaie courante, notamment dans les pays du Sud de l’Europe, en raison sans doute d’un système fiscal inefficient: c’est plus facile de financer un déficit budgétaire par la création monétaire plutôt que par le recours à la taxation, dès lors que le coût marginal de la hausse des revenus de l’Etat par le biais de l’impôt excède celui d’un surcroît d’inflation.

    A présent il convient de présenter les objectifs que la zone euro est censée réaliser et de discuter les problèmes qu’elle soulève même si certains politiciens tentent de nous faire croire que la pandémie a paradoxalement réenchanté le rêve européen avec la mise en place d’un plan de relance européen de 750 milliards d’euros et la possibilité de mutualiser désormais les dettes publiques des pays membres de l’UE; alors que de fortes réticences et résistances subsistent vis-à-vis de tout basculement vers le fédéralisme (en l’occurrence l’union politique) et que le vice de construction de la zone euro, qui est à l’origine des crises existentielles répétées de celle-ci, n’a pas disparu, loin s’en faut, mais pire il a magnifié ses défauts au fil du temps. En tout cas la mise en place des fonds structurels qui est censée engendrer la convergence des économies dissemblables au départ, et donc harmoniser les niveaux de vie à l’échelle de l’UE, n’a pas empêché leur divergence. Ce qui suscite de vraies interrogations sur les fondements de la monnaie unique.

    Il va sans dire que l’incompatibilité d’un pouvoir monétaire unique et d’une pluralité de politiques budgétaires autonomes porte potentiellement les germes d’une instabilité intrinsèque, en raison des chocs symétriques ou asymétriques. En outre, la divergence des économies a été fortement sous-estimée, car une union monétaire induit des spécialisations enrichissantes et des spécialisations appauvrissantes (industrie automobile pour l’Allemagne et tourisme pour la Grèce). A ce propos il importe de remarquer que la théorie de la zone monétaire optimale ignore cet aspect en mettant un accent particulier sur la flexibilité des salaires et la mobilité des facteurs de production (Travail et Capital).

    1) Réaliser la paix entre les nations européennes à travers le développement du doux commerce cher à Montesquieu. Une intégration économique très poussée constituerait un rempart contre l’éventualité d’un conflit militaire et apporterait la stabilité monétaire et la prospérité aux participants à l’union monétaire. Si l’objectif de l’UE est de créer les conditions d’une paix durable, il semble exister une autre alternative, car la monnaie est une condition nécessaire mais pas suffisante, eu égard qu’un projet d’une telle envergure est forcément multidimensionnelle.

    Si l’on avait voulu développer une citoyenneté européenne, il aurait fallu s’y prendre différemment: favoriser bien davantage l’apprentissage des langues européennes, augmenter les échanges scolaires et universitaires, favoriser les mariages mixtes, favoriser la mobilité des personnes en respectant les normes sociales partout: un SMIC européen, même sécurité sociale et mêmes systèmes de retraites, autrement dit, rompre avec la logique actuelle du dumping salarial, social et fiscal qui est nuisible au développement d’une citoyenneté européenne. De ce point de vue l’euro a tué l’Europe sociale et a fait le bonheur des marchands avec l’émergence de la pauvreté et des inégalités de revenu et de patrimoine, malgré l’existence des politiques économiques fort redistributives comme c’est le cas en France. En tout cas acheter des vins français, des costumes italiens ou des voitures allemandes ne favorise nullement le sentiment d’appartenir à une communauté de destin partagée.

    2) Mettre un terme aux attaques spéculatives récurrentes et humiliantes contre certaines monnaies comme le franc français, la lire italienne ou la peseta espagnole; ces trois devises constituaient le maillon faible du Systéme Monétaire Européen (SME) avec des bandes de fluctuation fixées dont la renégociation donnait souvent lieu à d’âpres discussions qui se terminaient la plupart du temps au petit matin. Mais force est de constater que les attaques spéculatives n’ont pas totalement disparu avec le passage à la monnaie unique, sauf qu’elles n’ont plus désormais pour cible le taux de change entre le mark allemand et la lire italienne par exemple, mais les dettes souveraines avec le fameux spread au travers duquel les marchés financiers opèrent le tri sans état d’âme entre les bonnes dettes et les mauvaises dettes publiques.

    Certes, la BCE vole au secours du pays dont la dette est attaquée, mais en imposant à ce dernier des contreparties draconiennes revêtant souvent la forme d’ajustements douloureux pour la population et qu’on appelle par euphémisme réformes structurelles. Celles-ci ont leurs gagnants et leurs perdants et ne semblent pas satisfaire toujours au critère parétien, selon lequel une réforme est souhaitable si le passage d’un état A à l’état B améliore le sort d’au moins un seul individu sans détériorer celui des autres; surtout quand les mécanismes de compensation pour les perdants ne sont pas suffisants ou purement et simplement ignorés.

    3) Le passage à une Union monétaire avec une monnaie unique et le maintien de l’autonomie de la politique budgétaire pour chaque Etat semblaient être la seule solution pour partager le pouvoir monétaire avec la puissante Bundesbank, réputée avoir une forte aversion pour l’inflation, sans doute à cause du traumatisme de l’épisode de l’hyperinflation qui a mis les Nazis au pouvoir en janvier 1933. Sachant que les autres banques centrales membres du SME ont perdu de facto leur autonomie en matière de fixation des taux d’intérêt. Ce qui n’est, à vrai dire, pas une surprise dans le cadre d’un régime de changes fixes.

    Par ailleurs, notons que l’idée d’une monnaie commune au plan mondial pour mettre un terme au désordre monétaire a été proposée par Keynes (le bancor). Ce dernier appelait de tous ses vœux la création d’une monnaie supranationale émise par une banque centrale mondiale afin de répondre aux besoins de liquidité des pays en déficit. C’est le seul moyen, semble-t-il, pour assurer la bonne gestion d’un système monétaire international. En tout cas il fallait abandonner coûte que coûte la «relique barbare» qu’est le système d’étalon-or. Mais comme nous le savons, son projet a été torpillé par les Américains, pour lesquels la monnaie mondiale était de facto le dollar.

    L’idée a survécu grâce à l’économiste belge Robert Triffin et professeur à Yale. Ce dernier a réussi à convaincre les Européens que seule la création d’une monnaie supranationale est susceptible de mettre fin à la tyrannie du marché des changes. Mais à notre avis Robert Triffin ne semble pas avoir prévu les attaques spéculatives contre les dettes souveraines dans le cadre d’une zone monétaire avec une décentralisation de la politique macroéconomique (un pouvoir monétaire unique face à une pluralité de pouvoirs budgétaires autonomes).

    4) Il est évident qu’une monnaie unique comporte d’importants bénéfices: elle élimine des coûts de transaction (on apprécie en tant que touriste de ne pas subir le racket des banques via la commission sur la conversion des monnaies). L’euro réduit aussi l’incertitude des prix, ce qui améliore sans doute l’efficience du mécanisme des prix dans les décisions d’allocation des ressources. Il pourrait en résulter une amélioration du bien-être collectif, bien qu’il soit impossible de quantifier cet effet. Pour avoir une évaluation exhaustive sur les bénéfices de la zone euro, on peut se reporter à l’ouvrage de l’économiste et professeur belge Paul De Grauwe: “Economie de l’intégration monétaire”.

    Cependant, notons que cette présentation laisse de côté les coûts associés à l’Union monétaire, alors que tout ralliement à une telle union devrait se faire sur la base de la comparaison des coûts et des bénéfices. Ainsi, si la Suisse a fait le choix de rester à l’écart de la zone euro, sans doute estime-t-elle qu’elle encourrait le risque de devenir une vache à lait, si elle y adhérait; sans parler de l’incompatibilité de son système de démocratie directe avec l’UE. Sachant que celle-ci dans son schéma actuel impose une vision uniformisante et technocratique, laquelle a vidé les démocraties nationales de leur substance, car les préférences exprimées par les citoyens lors d’une consultation électorale ne sont pas prises en compte, dès lors qu’elles ne sont pas en harmonie avec la philosophie ultra-libérale de la Commission de Bruxelles. Autrement dit, les dogmes budgétaires et monétaires semblent être plus précieux pour préserver la pérennité d’une construction monétaire qu’on peut qualifier, en exagérant à peine, de bancale que les choix des citoyens. Dans un prochain commentaire, je tenterai de montrer pourquoi le fédéralisme n’est pas la panacée et de m’attarder sur l’hétérogénéité et la divergence engendrées par la zone euro, en m’excusant auprès des lecteurs d’être long et pas toujours clair dans mon explication.

  10. Il est utile de rappeler qu’avant la mise en place de l’euro deux visions théoriques antinomiques s’affrontaient en ce qui concerne la convergence des situations économiques dissemblables au départ. La question qui était au coeur des débats sur la construction de la zone euro peut être formulée ainsi: une union monétaire possède-t-elle des forces endogènes susceptibles de produire de l’homogénéité entre des pays inégaux en termes de structures économiques et de modèles sociaux, et donc la convergence des niveaux de vie à long terme?

    Plus précisément la question centrale était de savoir si les différences structurelles et institutionnelles entre pays sont vraiment déterminantes, et que par conséquent elles constituaient un frein à l’adhésion à une union monétaire. Ce qui signifie en creux que seuls les pays ayant des structures économiques similaires sont aptes à participer à l’union monétaire. Tandis que les autres ne remplissant pas cette condition, devraient faire des efforts supplémentaires avant de rejoindre l’Union monétaire pour que les gains qu’ils espèrent engranger compensent au-delà les coûts associés à la perte du taux de change et de la politique monétaire.

    Avec la centralisation de la politique monétaire et en présence des chocs asymétriques, les ajustements devraient s’opérer via les prix, les salaires, la flexibilité à outrance du marché du travail et d’autres réformes structurelles souvent accompagnées du sang, du labeur, des larmes et de la sueur. C’est la seule alternative, semble-t-il, pour contrebalancer la perte de la fonction de stabilisation de la politique monétaire dont la gestion devrait être confiée à une banque centrale ultra-conservatrice à l’instar de la Bundesbank ou de la Banque Nationale Suisse (BNS).

    Par ailleurs, l’analyse classique développée initialement par Robert Mundell montre que les chocs de demande sont probables et fréquents dans les pays désirant bâtir une union monétaire. A ce propos, la littérature économique développée à la suite de l’article (1961) de cet économiste canadien apporte deux réponses différentes au traitement des chocs auxquels sont exposés les pays participant à une zone monétaire optimale ou non-optimale. Sachant que de tels chocs peuvent être de nature symétrique ou asymétrique. Cette distinction entre les deux types de choc a reçu un traitement soigneux tant au plan théorique qu’empirique, car elle est lourde de conséquences en termes de coûts et de gains pour un pays désirant rejoindre une union monétaire.

    En gros, il existe deux thèses en présence qu’il convient d’exposer dans les grandes lignes: la première thèse a été développée par la Commission Européenne (CE), la seconde par Paul Krugman. Notons en passant que le point de vue de ce dernier nous semble pertinent et prémonitoire, et par conséquent il est en phase avec l’évolution ultérieure de la zone euro; alors que la Commission Européenne ainsi que d’autres économistes l’ont critiqué pour manque de preuves empiriques avant la création de l’euro.

    Au commencement il y avait effectivement la vision libérale et optimiste de la Commission Européenne. Celle-ci se singularisait par la minimisation du nombre des occurrences de chocs spécifiques, et partant elle relativisait les coûts d’ajustements induits par la perte des instruments de la politique monétaire comme le taux de change, les taux d’intérêt ou la monétisation de la dette publique, quand un pays adhère à l’union monétaire. Ainsi, selon la Commission Européenne, les chocs différenciés de demande seraient moins fréquents dans une union monétaire. Il est à cela plusieurs raisons qu’on peut résumer comme suit:

    Le commerce entre les pays européens industrialisés est pour une large part de type intra-industriel. En outre, ce commerce est basé sur les économies d’échelle et des imperfections de la compétitivité (différenciation des produits). En conséquence, l’échange commercial va porter sur des produits équivalents, par exemple la France et l’Allemagne s’achètent et se vendent mutuellement des voitures. Dans un tel cas de figure il existe une forte probabilité qu’un choc négatif de demande de voitures par exemple affecte les deux pays de manière similaire.

    A cela il faut ajouter le fait que la suppression des barrières commerciales, exigée par le marché commun, va renforcer cette tendance en faveur des chocs symétriques. C’est pourquoi nous devrions, selon la CE, nous attendre à ce que les chocs symétriques soient plus fréquents que les chocs asymétriques. Avec le recul de 20 ans consécutif à la création de la zone euro, force est de constater que les faits ne corroborent pas cette prédiction de la Commission Européenne.

    De surcroît la CE a développé une argumentation qui montre une corrélation négative entre la divergence et l’intégration commerciale. Autrement dit, un degré d’intégration économique s’accompagne d’une baisse du nombre de chocs asymétriques de telle sorte que le PIB et l’emploi ont tendance à converger dans les pays concernés. Cette affirmation est trop belle pour être vraie. En tout cas, elle n’est pas en accord avec les enseignements qu’on peut tirer de l’expérience de la zone euro. Car celle-ci a déclenché la divergence des niveaux de vie entre les pays membres de l’Euroland. Sans parler de la fracture entre le Nord et le Sud de l’Europe.
    C’est pourquoi il ne semble pas excessif d’affirmer que la zone euro a accouché d’une situation économique à l’italienne, avec un Nord industrialisé et riche et un Mezzogiorno agricole et pauvre. Malgré les tentatives d’industrialisation (voir la Caisse du Midi ou Cassa del Mezzogiorno par exemple), le Midi de l’Italie est sans doute condamné à exploiter ses avantages comparatifs dans le tourisme par exemple ou la sous-traitance industrielle, ce qui contribuerait inévitablement à accentuer sa spécialisation, et donc à renforcer les inégalités régionales en matière de revenus, d’emplois, d’infrastructures et sans doute de système de santé.

    Sauf que l’Italie, à la différence de la Commission Européenne, dispose d’un budget centralisé conséquent pour mettre en œuvre une politique de redistribution destinée à rendre les ajustements macroéconomiques moins douloureux pour la population. En revanche, la CE est dotée d’un budget «fédéral» de taille squelettique, mais aussi elle est menottée par l’idéologie ultra-conservatrice (Pacte de stabilité) qui lui interdit de faire jouer la solidarité entre les pays membres, en dehors des circonstances exceptionnelles, comme lors de la crise sanitaire.

    En résumé, la zone euro s’est subrepticement muée en une nouvelle prison dorée avec une pensée unique, laquelle inspire la mise en œuvre des politiques d’austérité de manière inappropriée dans les contextes de crise. Ainsi le gouverneur de la BCE Jean-Claude Trichet a procédé, lors de la crise financière de 2008, à la hausse des taux d’intérêt, de peur que la jeune institution perde sa crédibilité auprès des marchés financiers, alors que la Banque centrale européenne aurait dû faire preuve de créativité et d’inventivité pour faire jouer sa fonction de stabilisation face aux chocs. Heureusement Mario Draghi a corrigé cette vision absurde. En tant qu’ancien étudiant de Franco Modigliani, il n’a pas oublié que l’on ne peut se passer d’une politique de stabilisation d’inspiration keynésienne, sachant que les fluctuations et les chocs font partie de l’ADN d’une économie de marché.

    Par ailleurs la zone euro a induit un sentiment de schizophrénie chez un grand nombre de citoyens européens. Ceux-ci souffraient des politiques menées au sein de la zone, mais la plupart d’entre eux restent très attachés à l’euro. En tout cas, aucun pays membre de la zone euro n’ose franchir le Rubicon en emboîtant le pas à la Grande-Bretagne, en rappelant que celle-ci ne participait pas à l’Euroland. Sans doute à cause du fait que leur dette publique et leurs avoirs sont libellés dans la monnaie unique.

    En tout état de cause, la convergence des économies si dissemblables au départ, promise par la Commission Européenne, n’est pas au rendez-vous. L’euro a en effet reproduit les travers de l’étalon-or, alors qu’il était conçu dans le but d’éviter les effets pervers de la guerre des monnaies en Europe. C’est probablement à cause ou grâce à cela que la rivalité économique a aiguisé les rivalités nationales et a rouvert les vieilles plaies qu’on croyait cicatrisées.

    Dans un prochain commentaire, je présenterai le point de vue de Paul Krugman à propos de la zone euro.

    1. En effet, NOEL, l’économiste hétérodoxe Paul Krugman (Geography and Trade, 1991) nous a déjà montré que l’Union Economique et Monétaire (UEM) creuserait les différences compte tenu des effets d’agglomération et de spécialisation. Et cela s’est avéré vrai, particulièrement après la crise financière de 2008. L’UEM a permis la réduction des coûts de transport, ce qui a abouti à la spécialisation en des pôles régionaux de compétitivité afin de bénéficier d’économies d’échelle. Il en résulte un accroissement des déséquilibres des balances commerciales dans la zone (excédents des pays du nord contre déficits des pays du sud) et on a précisément assisté à cette divergence réelle – lors de la crise des dettes souveraines – plutôt qu’à une convergence réelle. D’ailleurs, l’Allemagne a savamment joué cet effet de manche avec son mirage économique; un phénomène qui détruit le mythe de la locomotive économique de l’UE.

      Comme l’instrument du taux de change n’était de facto plus utilisable avec l’adoption de la monnaie unique, il aurait fallu des mécanismes de transferts budgétaires puissants pour lutter contre la récurrence de ces chocs asymétriques, et cela se confirme encore aujourd’hui. Désormais, chacun devrait communément l’admettre, l’instrument monétaire a joué en faveur de l’économie allemande et de ses exportations, à des années lumières d’un fédéralisme monétaire.

      A cela s’ajoutent bien entendu les stratégies non-coopératives de dumping fiscal et social qu’on peut voir au coeur de l’Union Européenne depuis plusieurs années. Ces stratégies devaient (et doivent) permettre de réduire le poids de la fiscalité et la surface de la protection sociale pour contourner l’impossibilité de dévaluer afin de stimuler la compétitivité-prix. Par exemple, l’Irlande après 2008 a fait du dumping fiscal afin d’attirer les entreprises et de regagner en compétitivité. La France également avec sa stratégie axée sur les multinationales (“paradis fiscal”). Ainsi on peut dire que les égoïsmes des nations au coeur de l’Union Européenne et que la spécialisation géographique affaiblissent la zone monétaire européenne, selon Paul Krugman. De plus, nous pouvons affirmer que le critère “de base” de Mundell, à savoir la libre circulation des facteurs de production et notamment la libre circulation du facteur travail, est en réalité un mirage, tout simplement car l’Europe est peut-être une belle construction politique mais que de nombreuses cultures et langues différentes cohabitent au quotidien. Le facteur travail ne peut donc pas réellement circuler librement, comme aux États-Unis.

      Ainsi, si l’UEM réunit certains critères d’optimalité comme le degré d’ouverture et l’intensité des échanges commerciaux entre ses pays membres, elle ne remplit pas totalement celui de la mobilité des facteurs (en particulier du facteur travail) et ne dispose pas d’un budget suffisamment important pour exercer les compensations nécessaires en cas de crise. Et le recul historique nous montre que la période qui précédait l’euro, au sein du Système Monétaire Européen (1979-1999) affiche de meilleurs résultats en matière de croissance économique. Le bouclier de la zone euro n’a pas été suffisamment solide pour protéger ses membres de la brutalité des crises de 2008 à 2022 (subprime; dettes souveraines; sanitaire).

      Merci pour vos développements.

      Bien à vous

  11. Bonjour Raymond,

    Un grand merci pour cette analyse des faiblesses de la zone euro. En effet celle-ci s’est transformée au fil du temps en une machine infernale générant l’hétérogénéité des structures, des inégalités en matière de niveaux de vie, et bien sûr une croissance économique atone avec de forts taux de chômage des jeunes, notamment dans les pays du Sud. Mais à vrai dire, ce scénario n’est pas une surprise, car il a été prévu par Paul Krugman dont nous sommes nombreux dans ce blog à apprécier les analyses, lesquelles sont souvent confortées par les données de l’observation.

    En fin observateur et connaisseur du fédéralisme de son propre pays, Krugman était sans doute le premier auteur à développer une analyse alternative à celle de la Commission Européenne. En gros, celle-ci soutenait de manière erronée que la création de la monnaie unique suffisait à faire converger les économies différentes au départ, en attribuant à tort l’hétérogénéité à des mouvements des taux de change. Alors que Krugman nous a prévenu: une zone monétaire optimale ex-ante a de fortes chances de se révéler très différente de celle qu’on observe ex-post, dans la mesure où l’union monétaire pousse les pays à exploiter leurs avantages comparatifs, ce qui pourrait déboucher sur des spécialisations différentes des pays et peut-être à leur faire regretter l’abandon de leur taux de change, compte tenu des chocs asymétriques, à moins bien sûr de recourir à la dévaluation interne (baisse des salaires) ou la dévaluation fiscale préconisée par Keynes dans le cadre de l’étalon-or (par exemple restaurer la compétitivité des produits domestiques via la baisse des cotisations sociales sur les entreprises exportatrices).

    A cet égard, la trajectoire de développement que peut suivre chaque pays consécutivement à son adhésion à l’union monétaire rappelle étrangement la théorie mathématique du chaos: une petite cause a de grands effets ou de manière équivalente la sensibilité aux conditions initiales peut être responsable de la divergence des trajectoires économiques. Autrement dit, l’histoire et la géographie jouent un rôle aussi important que les institutions comme le système bancaire, le système éducatif, les différences sur le marché du travail ou le modèle social.

    Ainsi, on voit mal la Grèce par exemple se spécialiser dans l’industrie automobile et l’Allemagne dans le tourisme. C’est dire que les pays ne peuvent échapper à leurs dotations naturelles ou aux acquis accumulés de leur expérience. Cependant, ce déterminisme n’est pas une fatalité, car un pays peut très bien changer son destin économique en faisant monter son industrie en gamme, élever la qualité de son système de formation ou en misant sur l’innovation pour construire un modèle de croissance qualitative sans limite. C’est ce que l’Italie de Mario Draghi est en train de faire actuellement avec l’épargne des Hollandais et des Allemands via les émissions obligataires de la Commission Européenne. Remarquons en passant que sans cette astuce le plan de relance européen de 750 milliards d’euros n’aurait jamais vu le jour. Car force est de constater que les conservateurs des pays frugaux (Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Finlande) sont allergiques à toute forme de solidarité au sein de la zone euro, même quand celle-ci pourrait avoir des effets bénéfiques sur leur propre bien-être: l’augmentation des salaires des travailleurs des pays du Sud est bonne pour les biens, pour les emplois et les dividendes des actionnaires allemands par exemple. En effet l’excédent commercial de l’Allemagne est la contrepartie des déficits commerciaux des pays latins au sein de la zone euro.

    Enfin, last but not least, il est important de remarquer que la mobilité des capitaux a pris fin au sein de la zone euro depuis l’éclatement de la crise des dettes souveraines. Aujourd’hui l’épargne européenne profite davantage aux non-Européens, en particulier aux Américains. Or, la mobilité des capitaux fait partie des rares critères de Mundell que remplissait la zone euro. C’est pourquoi nous pouvons raisonnablement affirmer que l’union monétaire européenne est tout sauf une zone monétaire optimale. Désormais l’épargne n’étant plus allouée de manière efficace, nous devrions nous attendre à ce que les coûts macroéconomiques de l’union monétaire augmentent considérablement avec une menace sur la viabilité de l’euro. Notons aussi que la zone monétaire optimale ne semble pas être la panacée, dans la mesure où elle n’élimine pas non plus les inégalités régionales et de revenus, et ce malgré un fédéralisme fiscal très poussé comme c’est le cas aux Etats-Unis.

    Il est également à craindre que l’autorité monétaire (BCE) et les autorités budgétaires décentralisées retrouvent leur péché mignon dans le monde d’après-Covid pour continuer à se regarder en chiens de faïence. Ce scénario est d’autant probable que les conservateurs des pays frugaux commencent à donner de la voix pour que la zone euro rétablisse sans tarder les règles budgétaires de Maastricht et que la BCE réduise la taille de son bilan.

  12. Dieu sait qu’en tant qu’hétérodoxe, mes pensées économiques sont diamétralement à l’opposé de l’École de Chicago et de son fondateur, l’économiste et monétariste, Milton Friedman. Pourtant, un an avant le lancement de l’euro, Friedman déclarait dans une interview à Radio Australia qu’il “ne voyait pas la zone monétaire survivre plus de dix ans”. Alors que le projet suscitait beaucoup d’enthousiasme dans les milieux d’affaires et financiers, il soulignait pour sa part que le Marché Commun ne constitue pas une zone comparable à l’Australie ou aux États-Unis, où les individus parlent la même langue, sont mobiles dans l’espace, où les prix et les salaires sont relativement flexibles et où un gouvernement central a la capacité d’orchestrer des transferts entre les régions. Quelques années plus tard, peu avant son décès, il demeurait encore très pessimiste : “L’euro va être une grande source de problèmes, non pas une source d’aide. L’euro n’a pas de précédent. Autant que je sache, il n’y a jamais eu d’union monétaire, lançant une monnaie fiduciaire, composée d’États indépendants” (interview au New Perspectives Quarterly Magazine, 2005). Voilà donc un point qui nous sied!

    Ceci étant dit, tout porte à croire que l’Euroland des technocrates reste mal barré – que ce “radeau de la Méduse” essaimera encore ses victimes – surtout après le choix porté sur “une rock star à la tête d’une des plus puissantes banques centrales de la planète. Les leaders européens ont ainsi décrété qu’ils n’avaient pas besoin d’un banquier central pour diriger une banque centrale”.

    “Notre monde n’a donc pas évolué depuis Karl Polanyi (1886-1964) qui décrivait l’inéluctable coloration politique du métier de banquier central”.

    https://michelsanti.fr/bce/banquier-central-extinction-de-lespece

  13. Le second point de vue a été défendu par Krugman. Initialement je devais exposer la thèse de cet auteur comme une explication alternative à celle de la Commission Européenne. Mais comme Raymond l’a présentée de manière limpide dans son commentaire, je me contente ici d’y ajouter quelques remarques afin d’éviter que mon commentaire soit redondant.

    Selon Krugman, l’analyse de Mundell reste pertinente. Cependant, l’explication développée par la Commission Européenne néglige un aspect important: une zone monétaire optimale ex-ante a de fortes chances de ne pas ressembler à une zone monétaire optimale ex-post. La raison en est que l’intégration commerciale motivée par les économies d’échelle conduirait aussi à une concentration régionale des activités industrielles.

    Ainsi, l’élimination des entraves commerciales pourrait avoir deux types de conséquences sur le choix d’implantation géographique des entreprises. L’une se traduirait par le rapprochement du lieu de la production des marchés des consommateurs et l’autre tendrait à concentrer au maximum la production afin de baisser le coût par unité produite, et donc de conquérir des parts de marché en répondant aux goûts des consommateurs par des produits différenciés, lesquels semblent avoir une préférence marquée pour la variété de l’offre: les préférences des consommateurs français pour les voitures allemandes sont en partie responsables du déficit commercial abyssal de la France au sein de l’UE. Celui-ci est de l’ordre de 85 milliards d’euros pour 2021, un chiffre qui donne le tournis.

    En exploitant leurs avantages comparatifs, les pays tendent à se spécialiser et donc à avoir un tissu industriel moins diversifié. Autrement dit, une union monétaire pousse les pays membres à mettre leurs œufs dans le même panier, et par voie de conséquence à accroître leur vulnérabilité aux chocs idiosyncratiques. C’est pourquoi l’intégration commerciale pourrait conduire à une plus grande concentration régionale des activités industrielles. Il n’est donc pas impossible que l’Europe puisse connaître des concentrations régionales similaires à celles qu’on observe aux Etats-Unis, non seulement dans l’industrie automobile par exemple, mais aussi dans les autres secteurs de l’économie. Dans ces conditions les chocs affectant un seul secteur touchent aussi un seul pays, et donc ils sont asymétriques. Il va sans dire qu’une telle situation, qui est loin d’être une vue de l’esprit, nécessite le recours aux variations du taux de change comme instrument de politique de stabilisation.

    Or, l’outil du taux de change pourrait cruellement faire défaut en cas de ralliement du pays à l’union monétaire, et ce d’autant plus que la zone euro fait jouer de manière très insuffisante les mécanismes des stabilisateurs automatiques (transferts budgétaires comme indemnités de chômage), en raison notamment de l’absence d’un budget fédéral aussi important que celui des Etats-Unis.

    Pour toutes ces raisons, comme le souligne Krugman, il existe une corrélation positive entre l’intégration commerciale et la divergence des structures économiques des pays participant à une union monétaire. Autrement dit, l’intégration économique entraîne une spécialisation poussée des pays, allant de conserve avec une grande probabilité de chocs spécifiques. Mais, en vérité, Krugman s’appuie sur une vieille idée qu’on trouve dans la littérature économique (voir par exemple P. Kenen: «The Theory Optimum Currency Areas», 1969) et selon laquelle les pays disposant d’une structure industrielle peu diversifiée s’exposent indubitablement à des chocs asymétriques. Ce qui rend vraisemblablement leur intégration à une union monétaire moins désirable.

    A ce propos il est important de noter que les petites économies très intégrées au reste du monde, comme la Suède, le Danemark ou la Suisse, sont aussi très spécialisées, et pourtant elles préfèrent garder leur propre monnaie plutôt que de participer à une union monétaire. Un tel paradoxe pourrait nous éclairer sur le choix de la Suisse de rester à l’écart de la zone euro, en dépit de sa forte intégration commerciale à l’UE.

    Ainsi on est enclin à penser que le recours au taux de change pourrait minimiser l’impact d’un choc de demande négatif sur l’industrie horlogère par exemple, comme ce fut le cas lors de la crise des années 1970, due en partie au choc pétrolier. Celui-ci a en effet réduit le niveau de vie des consommateurs et donc leur demande pour les montres suisses.

    Bien évidemment la crise existentielle de l’industrie horlogère suisse des années 1970 et 1980 ne saurait se réduire à un facteur monétaire, en l’occurrence la force du franc suisse. Mais elle avait d’autres sources structurelles qui ont été bien analysées par le chercheur et spécialiste de l’industrie horlogère Pierre-Yves Donzé: un manque de rationalisation des systèmes de production, une concurrence progressive des montres à quartz, une fragmentation du secteur avec la volonté affichée des acteurs de couvrir tous les segments du marché.

    La seconde remarque que je souhaite faire ici concerne le marché du travail. Ce qui est frappant c’est que la construction de la zone euro suggère la nécessité d’une homogénéisation des comportements des syndicats, voire la disparition du pluralisme syndical, ainsi qu’une harmonisation des modèles sociaux européens vers le bas, comme en attestent actuellement la forte proportion des salaires minimaux faibles en vigueur au sein de l’UE, le dumping salarial et social, la tendance à la décentralisation des négociations salariales et à la flexibilisation des marchés du travail.

    Ainsi l’analyse de la Commission Européenne part du constat que les différences de fonctionnement des marchés du travail sont notoires et que de telles disparités sont dues aux politiques divergentes menées par les pays européens. D’où la nécessité de changer radicalement le comportement des syndicats de telle sorte que ces différences s’atténuent au fil du temps. La politique monétaire étant centralisée cesse de générer des chocs asymétriques. En revanche la politique budgétaire (impôts, taxes et dépenses publiques) relevant de la compétence de chaque Etat pourrait constituer une source notable de chocs asymétriques.

    Dans chaque pays le syndicat cherche à maximiser le bien-être de ses membres en fonction du salaire réel (pouvoir d’achat) et du niveau d’emploi sous la contrainte de la demande de travail à l’échelle de l’économie. En l’absence de l’union monétaire, les syndicats tiennent compte de la réaction des autorités budgétaires à leur action. Si les syndicats négocient un salaire élevé pour les insiders et négligent les intérêts des outsiders, par exemple les chômeurs, le niveau de l’emploi sera faible par rapport à celui souhaité par les autorités budgétaires.

    La réaction naturelle de celles-ci consisterait en une politique budgétaire expansionniste visant à réduire le chômage, par exemple en créant des emplois dans le secteur public pour compenser, via la stimulation de la demande globale, le déficit des emplois dans le secteur privé dû à une hausse du salaire réel. Dans la mesure où les syndicats prennent en compte cette réaction potentielle à leur décision concernant des salaires, cela modifiera la contrainte à laquelle ils sont confrontés: une hausse des salaires réels contracte la demande de travail des entreprises et donc elle réduit le niveau de l’emploi. Le gouvernement n’a pas d’autres choix que d’intensifier les créations d’emplois pour atténuer l’effet d’une hausse des salaires sur l’emploi. Ainsi la politique budgétaire restant entre les mains des gouvernements nationaux pourrait être une source de chocs asymétriques, même si la politique monétaire est centralisée. Mais en réalité les politiques budgétaires ont été corsetées par le traité de stabilité budgétaire.

    Une union monétaire s’est traduite de fait par la disparition de ces libertés laissées aux gouvernements en matière d’ajustement. De plus, selon la Commission Européenne, dans l’idéal l’union monétaire devrait provoquer une uniformisation des comportements des syndicats des pays membres. Car la politique monétaire étant centralisée, les syndicats feront face à la même fonction de réaction de la BCE. Par conséquent les demandes de travail deviendront similaires de telles sortes que les choix des différents syndicats convergeront vers les mêmes niveaux de salaire et d’emploi.

    Cependant, la création de l’euro n’a pas mis fin aux différences institutionnelles sur le marché du travail: les taux de salaire et d’emploi restent différents, les négociations salariales continuent à dépendre des degrés de centralisation en vigueur dans chaque pays et le pluralisme syndical n’a pas disparu, à Dieu ne plaise! En revanche, l’euro a impliqué une forte flexibilité des marchés du travail et une concurrence accrue entre les salariés européens via la mobilité du travail, certes relativement faible, mais surtout via les délocalisations des activités industrielles dans les pays de l’Est de l’Europe. Ceux-ci sont devenus les ateliers à bas coûts de l’industrie allemande. C’est ce qui explique sans doute une partie de l’excédent commercial colossal réalisé par l’Allemagne au sein de l’UE.

    Initialement la zone euro a été conçue comme un premier pas vers l’union politique. Or, force est de constater qu’elle a déclenché des forces de divergence et d’hétérogénéité De ce point de vue elle a conforté le scénario prédit par Paul Krugman: deux pays semblables au départ, quant à leurs structures économiques, formant une union monétaire peuvent voir leurs trajectoires économiques diverger: la divergence entre l’Allemagne et la France en est la parfaite illustration.

    1. Bonjour NOEL,

      Je suis sincérement désolé si je vous ai quelque peu coupé l’herbe sous le pied, telle n’était pas mon intention. En tous les cas, un grand Merci pour cette contribution bien à propos.

      Si vous me le permettez, pour les “plus jeunes lecteurs”, je délivre ce billet quant à l’implication de l’homo-politicus sur cette période: Nous étions en 2014!!! “La deuxième guerre civile” par feu l’économiste Bernard Maris (Mort assassiné – par des terroristes – le 7 janvier 2015 à Paris dans les locaux du journal Charlie Hebdo).

      “En 1992, François Mitterrand a ouvert une deuxième guerre de 30 ans en croyant par la monnaie unique arrimer l’Allemagne à l’Europe. L’Allemagne réalise sans le vouloir par l’économie ce qu’un chancelier fou avait déjà réalisé par la guerre : elle détruit à petit feu l’économie française. Certes, elle n’est pas responsable de cette situation, au contraire ; elle n’est jamais intervenue dans la politique intérieure de la France, elle a tendu la main aux Français du temps de Balladur pour réaliser un début d’unité fiscale et budgétaire (qui lui fut refusée). C’est François Mitterrand qui a deux reprises a voulu arrimer la politique monétaire de la France à celle de l’Allemagne, détruisant une industrie qui n’allait pas bien fort : en 1983 d’abord, avec le tournant de la rigueur et la politique du “franc fort”, en 1989 ensuite, en paniquant après la réunification Allemande, et en avalisant celle-ci au prix d’une monnaie unique et d’un fonctionnement de la BCE calqué sur celui de la Bundesbank.

      Plus de vingt ans de guerre économique ont passé (2009) et l’industrie Allemande (1) a laminé les industries italienne et surtout française. Aujourd’hui (2014) la guerre est terminée et gagnée. La part des exportations de l’Allemagne en zone euro représente 10% du total. Le reste est hors zone euro, aux Etats-Unis et en Asie. L’Allemagne n’a plus besoin de la zone euro. Au contraire : la zone euro commence à lui coûter cher, à travers les plans de soutien à la Grèce, au Portugal, et à l’Espagne, à tel point qu’elle songe elle aussi à quitter l’euro. Il est bien évident que ni la Grèce, ni le Portugal, ni l’Espagne, ni même la France et l’Italie ne pourront jamais rembourser leur dette avec une croissance atone et une industrie dévastée. La zone euro éclatera donc à la prochaine grave crise de spéculation contre l’un des cinq pays précités (…) On a le choix : sortir de l’euro ou mourir à petit feu. Sinon, le dilemme pour les pays de la zone euro est assez simple : sortir de façon coordonnée et en douceur, ou attendre le tsunami financier. Une sortie coopérative et en douceur aurait le mérite de préserver un peu de construction européenne, un tsunami sera l’équivalent du Traité de Versailles, les perdants étant cette fois les pays du Sud. Et au-delà des pays du Sud, toute l’Europe. La sortie douce et coordonnée est assez simple, et a été déjà envisagée par nombre d’économistes. Il s’agit tout simplement de revenir à une monnaie commune, servant de référentiel aux différentes monnaies nationales. Cette monnaie commune, définie par un “panier de monnaies” nationales, atténue les spéculations contre les monnaies nationales. C’est un retour au SME (Système monétaire européen) ? Oui. Des marges de fluctuations autour de la monnaie commune. Une stabilisation de la spéculation par des limitations des mouvements de capitaux, stabilisation qui pourrait être accrue par une taxe type Tobin sur ces mêmes mouvements de capitaux. Mais le SME a échoué direz vous… Oui, parce que le SME ne s’était pas donné de lutter contre la spéculation, et n’avait pas adopté une “Chambre de compensation” comme la souhaitait Keynes dans son projet pour Bretton Woods abandonné au profit du projet américain (…)

      (1) Pour compléter cette tribune datée de feu Bernard Maris, il est de bon ton à rappeler que les réformes sinistres initiées le 16 août 2002 en Allemagne – en accord avec les syndicats – où un groupe d’experts dirigés par le directeur des ressources humaines de Volkswagen, Peter Hartz, présentait au chancelier allemand Gerhard Schröder ses propositions relatives aux réformes du marché du travail. Dix ans plus tard (2012), la société allemande se retrouve profondément transformée par ces réformes. En effet, une étude de l’OCDE, publiée à fin 2012, conclut à un accroissement spectaculaire de l’inégalité des revenus en Allemagne et, ce, davantage que dans n’importe quel autre pays membre de cette organisation. Ayant très finement manœuvré, la commission Hartz a réussi à créer dans son pays un marché du travail subsidiaire – ou parallèle – dominé par des salaires bas et non soumis aux droits sociaux. De fait, ces réformes privent les chômeurs allemands de tous leurs droits aux allocations chômage. Ils sont dès lors réduits à l’état de mendiants sociaux! Ainsi, ce n’est qu’après une année entière de chômage que le travailleur est en droit de demander une misérable allocation mensuelle de 347 euros par mois, à la seule condition toutefois d’avoir préalablement épuisé son épargne et à la condition expresse que son conjoint soit incapable de subvenir à ses besoins. Pourquoi ne pas évoquer également l’obligation lui étant imposée d’accepter n’importe quel emploi, indépendamment de ses qualifications et de ses revenus antérieurs ? Une étude réalisée par l’Association à l’aide sociale paritaire allemande dévoile effectivement que le trois-quarts des personnes touchées par ces lois reste à jamais tributaires de Hartz. Sachant que, par ailleurs, la simple menace de tomber dans Hartz contraint les chômeurs à accepter des emplois à salaire bas, à temps partiel, dénués de toute sécurité, de droits à la retraite et autres allocations. Le dogme allemand du travailleur “low cost” était donc né de ces réformes.

      L’euro avait ainsi, sur cette axe franco allemand (et dans la lignée de la modification des statuts de la Banque de France en 1973, à une époque présidée par un ancien banquier) offert à l’ordolibéralisme allemand son statut de “Chine de l’Europe”. Et aux marchés financiers: le droit de vie et de mort sur les peuples.

      Bien à vous

      1. RAYMOND
        16 septembre 2021 à 14 h 38 min

        Alors que la Suisse reste la patrie de la “Croix-Rouge” (1866) et la France celle des “droits de l’Homme” (1789); son rôle fut également crucial dans l’instauration de la “pensée dominante”, à vocation néolibérale, en Europe. C’est en effet la France, en 1973, qui devait franchir une étape historique sur le chemin de la libéralisation financière internationale en modifiant les statuts de la Banque de France, le 3 janvier, notamment par l’article 25, indiquant que “le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France”. Mettant ainsi définitivement les États à la merci du système bancaire, puisque leur Trésorerie n’était de facto plus en droit d’emprunter auprès de sa banque centrale.

        Tournant crucial en Europe qui ne devait rien au hasard à une époque où elle était présidée par un ancien banquier, Georges Pompidou. Une époque où les décisions politiques, sous Richard Nixon aux États-unis, en 1971, allaient dérouler le tapis rouge à la financiarisation de nos économies avant d’offrir le “Saint-Graal” à la haute finance au cours des années 1980. Un temps qui permettra notamment l’emprise des dogmes monétaristes sur les institutions nationales en France, le “big bang” financier en Angleterre, et offrira à la Suisse, dotée d’un “secret bancaire pourtant louable à ses tous débuts”, les moyens pour faire turbiner une industrie financière spécialisée dans “le blanchiment de fraude fiscale” à l’échelle planétaire.

        La transfiguration de la finance dans les années 80, de même que l’emprise des monétarismes et leurs dogmes (entre-autres cette si “bienveillante efficience”) sur nos institutions ont eu des impacts sévères dans le domaine de la santé publique et des assurances sociales.

        Rappelons-nous que tout commence en 1983, en France, avec le tournant de la “rigueur” (selon la logique que les déficits des uns ont comme pendant les excédents des autres et/ou qu’en creusant une dette dorénavant laissée à la spéculation des marchés financiers, cette faute finira un jour par se rappeler à vous) pris par le gouvernement socialiste (ai-je dit un double paradoxe?). Un haut-fonctionnaire, Jean de Kervasdoué, met en place un “programme de médicalisation des systèmes d’information”. L’objectif est de quantifier et de standardiser l’activité et les ressources des établissements de santé (ai-je dit en quête d’efficience?). Officiellement, il s’agit de diminuer les inégalités entre les hôpitaux. Il s’agit aussi de mieux contrôler les dépenses. Le ministère de la Santé développe progressivement un système d’information qui classe les séjours à l’hôpital en grandes catégories et permet d’en établir le coût moyen (ai-je dit que les dogmes monétaristes sont à l’ouvrage?). “Au début des années 2000, le ministère est en mesure de connaître la “production” de chaque hôpital ainsi que son coût”…

        Ceci nous rappelle-t-il rien, en Suisse et sur le fond également, au plan des services de santé publique et des assurances sociales?

        …Alain Juppé est alors Premier ministre du premier mandat de Chirac. Il édicte par ordonnance, sans vote des parlementaires, l’”Objectif national des dépenses d’assurance maladie” (Ondam). Il s’agit d’un plafond de dépenses de santé à ne pas dépasser, quels que soient les besoins de la population. Chaque année, ce plafond est défini dans la loi de financement de la Sécurité sociale. “Les objectifs clairement avoués par les pouvoirs publics étaient de réduire de 100 000 lits le parc hospitalier français, soit près du tiers de sa capacité”, a expliqué l’Institut de recherche et documentation en économie de la Santé.

        En Suisse, n’y voit-on toujours aucune similitude avec les réformes en santé publique entreprises dès le courant des années 2000, comptant une déliquescence des conditions de travail, de moyens matériels (lits…) et personnels?

        En France, ces ordonnances aboutissent rapidement à la fermeture des plus petits établissements. Plus de 60 000 places d’hospitalisation à temps complet (définies en nombre de lits) disparaissent entre 2003 et 2016, dont près de la moitié en médecine et chirurgie. Les gouvernements se succèdent, mais ce plafond des dépenses devient de plus en plus coercitif. Pourtant la population augmente, ainsi que la part des plus âgés donc des plus fragiles, et que le recours aux urgences s’intensifie.

        En Suisse, lors de sa politique du frein à l’endettement public, alors même que la dette publique helvétique est (et reste) enviable au regard du monde, ça ne nous rappelle toujours rien?

        2020 – Pandémie mondiale vs Les spectres de la pensée dominante comme autant d’effets secondaires.

        2021 – La discipline de la “science comportementale” – après avoir été dévoyée par l’idéologie “mainstream” – fut d’abord instrumentalisée pour les intérêts de la finance (FC), puis pour les intérêts de la sphère marchande (EC) et enfin pour servir de “guidance” à la politique (ai-je dit d’intérêts au sens de la Public Choice Theory?) comme nous le constatons actuellement avec la “politique du nudge”. Un modèle de politique qui semble se démocratiser de manière fulgurante. Alors jusqu’où va-t-on pousser le stoïcisme dans l’acceptation de l’inacceptable? Peut-être devrions-nous aussi revoir notre conception à la résilience.

  14. Cette guerre contre l’Euroland que l’homo-politicus a insufflé!

    Comme rappelé le long du fil et en continuité de ce billet offert par l’éminent professeur Rossi, l’euro fut construit sur les fondations d’une Zone Monétaire (mercantile et) non Optimale. Et ça, les spéculateurs en avaient pleinement conscience, car la haute finance a toujours eu un train d’avance sur l’autisme de l’homo-politicus et ses conflits d’intérêts. Rappelons-nous que durant ce contexte – où notamment la Grèce avait fait appel à la banque Goldman Sachs pour l’aider à édulcorer (ai-je dis maquiller?) ses comptes publics aux travers d’outils exotiques; dans l’indifférence de l’Allemagne qui avait déjà un intérêt majeur puisque la Grèce était son premier acheteur d’armes (entres-autres les sous-marins U-Boat) et la France (avions de chasse…) dans une époque baignée à la course à l’armement (risque géopolitique avec la Turquie) – cinq fond spéculatifs américains (hedge funds) se sont réunis en février 2010 dans un restaurant de New York, dont le fond de George Soros. Les responsables de ces cinq fonds (Paulson & Co. / Citadel Investment / SAC Capital Management / Greenlight Capital / Soros fund management), à la recherche d’une nouvelle proie après le coup monté des subprimes (crise financière 2007-2008), ont décidé d’agir de manière concertée pour attaquer l’euro à travers la Grèce puis d’autres petits pays de l’UE. L’idée est qu’en faisant couler un petit pays comme la Grèce, les autres pays de la zone euro seront contaminés par une panique des investisseurs qui vendront leurs titres sur les marchés. Les fonds spéculatifs auront alors une opportunité de gains colossaux en ayant misé – via des produits exotiques – sur la faillite de petits pays de la zone euro, voire de la zone euro dans son ensemble. Les fonds spéculatifs ont ainsi procédé à des ventes massives de la dette grecque, faisant exploser à la hausse les taux d’intérêt (jusqu’à un taux de 20%).

    Voilà comment des marchés financiers peuvent avoir le droit de vie et de mort en coulant un (des) pays pour en tirer des profits colossaux via des outils financiers spéculatifs non réglementés. Depuis que ces outils ont été créés, les gouvernements américains et anglais se sont opposés farouchement à une réglementation sur leur usage (selon la logique éhontée “des marchés efficients” chère aux néolibéraux). En effet, avec l’informatisation, la numérisation et la mondialisation de la finance, des ordres de vente ou d’achat sur la dette d’un pays peuvent être passés depuis n’importe quelle salle de marché dans le monde (libre circulation des capitaux dont la vélocité n’a d’égal au facteur travail) et un pays ne peut réglementer que les transactions qui se déroulent dans les places financières situées sur son territoire – les transactions financières qui se déroulent dans les places financières situées dans le périmètre de l’UE en ce qui concerne l’Europe. Ceci est naturellement le résultat de l’article 104 du traité de Maastricht – aujourd’hui inséré dans l’article 123 du traité de Lisbonne – qui impose aux États de l’UE de faire entièrement financer leur dette publique par les banques privées.

    Ce fut là, la porte ouverte à la possibilité d’entreprendre des guerres financières.

    Alors que les deux pays occidentaux les plus endettés sont les USA et la Grande-Bretagne, l’attaque sur la Grèce puis d’autres pays de la zone euro (Portugal, Irlande, Espagne, Italie, puis même la France et l’Allemagne) a permis par contrecoup aux USA et à la Grande-Bretagne de continuer à faire financer leur dette plus aisément sur les marchés internationaux. Alors que, par exemple, la situation de la dette italienne était bien meilleure que celle des États-Unis (déficit budgétaire moitié moindre), ces derniers sont parvenu à se faire financer leur dette à 2% alors que l’Italie ne parvennait à faire financer la sienne qu’à un taux de 7%. Ceci parce que les investisseurs qui ne sont pas aux manettes de la haute finance internationale se font mener par le bout du nez en suivant les manipulations de masse (de l’inquiétude à la panique) orchestrées par les grands médias aux mains de l’oligarchie financière (tels que le Financial Times, pour ne pas le citer). La crise de 2008, ce sont les spéculateurs de l’oligarchie financière qui, par des opérations purement financières, ont siphonné – moyennant des plans d’austérité instaurés dès 2009/2010, par des technocrates et politiciens autistes – la monnaie représentant la contrepartie de l’activité de populations entières pour la transférer dans leurs poches.

    Voilà pourquoi je dénonce cette “guerre mondiale” menée depuis des lustres – et pas seulement au travers de la théorie du ruissellement qui reste un leurre – que la richesse reste pompée du bas de la pyramide à son sommet. Ne restant que le sang et les larmes pour certains peuples et leurs générations. Et toujours dans l’indifférence de l’homo-politicus.

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