L’importance de la Théorie générale 80 ans après

Cette année marque le 80ème anniversaire de la parution de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, que John Maynard Keynes écrivit durant la Grande dépression en proposant une voie de sortie de la crise économique des années Trente du siècle passé, qui inspira le président Roosevelt et le «New Deal» aux États-Unis.

L’approche et les propositions de politique économique présentées par Keynes dans sa Théorie générale (un ouvrage que tous les politiciens et les économistes affirmant vouloir sortir de la crise actuelle devraient lire attentivement) sont encore importantes 80 ans après la parution de cet ouvrage majeur dans l’histoire de la pensée économique, malgré la grande différence du système économique contemporain par rapport à celui existant du temps de Keynes.

La crise économique qui sévit dans l’Union européenne sept ans après son éclatement retentissant (une crise induite et largement entretenue par l’idéologie néolibérale) montre clairement aussi bien l’actualité que l’urgence de l’analyse, véritablement macroéconomique, proposée par Keynes dans les années 1930.

Cette crise économique, comme la crise des «sciences économiques» qui l’ont provoquée, doivent induire une profonde remise en question à trois niveaux (interconnectés) de la politique économique actuelle. Tout d’abord, il est nécessaire de reconsidérer le système économique dans son ensemble, au lieu de prétendre comprendre ce système par les comportements individuels des agents économiques. Par la suite, il est nécessaire de repenser le rôle de l’Etat dans le système économique à partir du constat que les ménages, les banques et les entreprises dans l’économie privée ne sont visiblement pas en mesure de sortir de cette crise majeure sans l’aide publique. Enfin, il est nécessaire de réfléchir sur les réformes qu’il faut mettre en place dans le système monétaire à l’échelle nationale et internationale, s’inspirant des propositions de réforme monétaire que le grand économiste cantabrigien avait élaborées dans les années 1930–40 (avant sa mort).

Or, le caractère utopique de cette profonde remise en question devient évident si l’on considère l’impérialisme dominant au niveau mondial les «sciences économiques» contemporaines. Aucune «contre-révolution» keynésienne n’aura lieu, tant que les économistes influençant bien des choix publics dans les pays «avancés» continuent à faire semblant de comprendre les causes essentielles de la crise économique actuelle à travers l’étude du comportement individuel, proposant de là un paquet de réformes réglementaires qui donnent l’illusion de pouvoir empêcher la prochaine crise du capitalisme financier désormais arrivé au bout de sa trajectoire autodestructrice.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.