Le mirage de l’austérité expansive

Six années après la mise en œuvre des plans d’austérité à travers la zone euro, force est de reconnaître leur totale incapacité à atteindre l’objectif annoncé par leurs partisans, à savoir la sortie de crise par le haut (entendez la relance économique). Bien entendu, ces partisans peuvent toujours invoquer que l’austérité a été édulcorée (par souci humanitaire) et que, dès lors, ses résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. L’honnêteté intellectuelle, toutefois, impose d’observer que, en l’état, les effets de l’austérité ne sont pas tous négatifs: pour une très petite partie des agents économiques, l’austérité a bien des conséquences positives, qui montrent clairement pourquoi les États membres de l’Euroland continuent le long de cette trajectoire malgré les souffrances imposées ainsi à de larges pans de leurs populations.

Ainsi, pour les grandes entreprises transnationales dans la zone euro, contrairement aux petites et moyennes entreprises (souvent tournées vers le marché domestique), il devient plus facile d’obtenir des crédits bancaires, étant donné leur taille et leurs débouchés dans l’économie globale, compte tenu aussi de leur possibilité d’emprunter des fonds à travers les marchés financiers globalisés. Cet avantage considérable a aussi une dimension géographique remarquable, dans la mesure où il est plus important pour une grande entreprise située en Allemagne que pour ses concurrentes de même taille implantées dans un pays dont la situation économique est sans doute bien pire. À cela s’ajoute l’état de solidité (ou de fragilité) du système bancaire national: dans un pays où les banques sont moins solides, les (petites et moyennes) entreprises, de manière générale, doivent payer des taux d’intérêt plus élevés que ceux appliqués à des entreprises semblables situées dans des nations dont la solidité bancaire est assurée.

Or, force est de constater que ces «avantages compétitifs» des firmes transnationales dans les pays formant le noyau dur de la zone euro et en particulier en Allemagne ne sont pas exploités pour le bien commun car, bien souvent, ces entreprises placent une partie prépondérante de leurs profits sur les marchés financiers au lieu de les investir dans leur propre activité. Si la rentabilité financière de ces placements est assez souvent plus élevée et plus vite atteinte que celle des investissements dans l’économie «réelle», c’est aussi parce que l’austérité déprime les acheteurs de biens et services non-financiers dont la demande est dès lors insuffisante pour éponger l’offre de ces produits.

Si les tenants de l’austérité continuent de prétendre que celle-ci permet d’augmenter l’offre potentielle sur le marché des produits et de là aussi le niveau d’emploi, il faut leur faire remarquer que l’offre effective reste, en l’état, bien en dessous de ce potentiel, à cause d’une demande tout à fait insuffisante sur ledit marché.

En fin de compte, l’austérité agit sur la répartition du revenu de manière inverse à ce que ses nombreux partisans prétendent. Celui qui affirme le contraire est donc soit un fou, soit un économiste néolibéral (tertium non datur).

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.