Armée suisse : là où le bât blesse

«Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve, personne ne sait ce qui se passera demain. Une chose est sûre toutefois: la tâche principale de notre armée de milice est de protéger le pays et sa population.»

Commandant de corps André Blattmann, chef de l’Armée

Quel visionnaire cet André Blattmann ! Franchement, personne n’aurait pu avoir une meilleure vision sur l’avenir…

Mais que peut-on faire alors d’André Blattmann à la tête de l’Armée suisse ?

DEVA, le « nouveau » plan de développement de l’Armée, est malheureusement une nouvelle catastrophe pour cette dernière, après la chute du Gripen et trop d’erreurs commises à ce jour ! DEVA, n’est pas un plan de développement pour notre Armée, mais un correctif, très en retard, de toutes les erreurs stratégiques et opérationnelles produites durant ces 20 dernières années.

Depuis la fin septembre, j’ai quitté la grande institution et donc, en ce début d’année, libéré de toute obligation et/ou réserve de parole. Je vais donc me permettre de revoir la copie de notre Armée. Fervent défenseur d’une défense nationale crédible, je vais en plusieurs étapes (diverses interventions sur mon blog durant ces prochaines semaines), porter une critique sévère sur l’institution, afin qu’elle puisse rapidement évoluer, changer et s’adapter aux nouvelles menaces sans pour autant toucher aux devoirs qui lui sont dévolus dans notre constitution.

Le premier point faible de notre Armée est actuellement le profil de nos généraux.

Le premier visé est naturellement son chef suprême : André Blattmann. Ce brillant stratège, qui ne comprend rien à la cyber défense tout comme à l’évolution géostratégique, n’aime surtout pas la critique. C’est la raison pour laquelle il s’entoure uniquement de personnes qui, soit pensent comme lui, soit ne le critiquent pas ! C’est tout le contraire du profil d’un entrepreneur innovant qui s’entourerait de collaborateurs, certes difficiles à manager, mais très critiques et très novateur. André Blattmann, très visionnaire, a tout de même réussi à déclarer, peu avant le printemps arabe, que la menace la plus dangereuse pour la Suisse provenait de la Grèce par une arrivée massive de chercheurs d’emploi ! Peut-être le pense-t-il à nouveau, suite au récent changement de gouvernement de la Grèce.

Le chef des forces aériennes aurait dû également défendre le Gripen, mais malheureusement ne possédant que de très faibles notions de l’engagement de l’aviation, lors de la journée de l’industrie de l’armement 2013 à Berne, répondit à un participant qui lui posa la question : « Avez-vous un plan B si le peuple refuse l’achat du Gripen ? » : « Non, je n’ai pas de plan B car je ne peux pas penser que le peuple puisse refuser cet achat ! ».

Le projet FIS-HEER, système d’engagement des forces terrestres, qu’Ueli Maurer a dû personnellement suspendre, n’a jamais fonctionné à satisfaction étant donné que l’information sur son fonctionnement, ses problèmes de mise en service ainsi que sa sécurité étaient systématiquement filtrées par les personnes qui s’en occupaient.

La base logistique de l’Armée, dont les systèmes informatiques ne fonctionnent pas dans un contexte militaire et de ce fait ralentit la gestion du matériel et empêche ainsi d’équiper ou de déséquiper la troupe dans des temps acceptables.

Puis l’Etat-major de conduite de l’Armée devait être optimisé et réduit afin d’y augmenter sa capacité. Malheureusement cet état-major est une pieuvre et un refuge pour colonels professionnels, souvent l’anti-chambre avant la pré-retraite !

Et maintenant, le président de la société suisse des officiers veut étendre l’obligation de servir à toutes les femmes dans une période où l’Armée réduit drastiquement ses effectifs (100'000 au maximum avec DEVA). On aborde, une fois de plus le problème du mauvais côté.

Voici donc, énuméré en quelques lignes, le premier dysfonctionnement de notre Armée : le profil de nos généraux, tous voués ou obligés d’évoluer dans la pensée unique et donc son système de sélection basé certes sur un « assessment » (SSP-A : Service Psycho Pédagogique de l'Armée) mais bien plus alibi que proche des exigences connues dans le monde civil.

Première solution : Changer rapidement nos généraux, quasiment tous, par des officiers provenant de la milice avec une expérience forte de l’économie ainsi que de l’étranger et non du corps des officiers de carrière. L’économie est une des composantes les plus importantes de la guerre moderne. La compréhension du fonctionnement des différents pays qui nous entourent ou plus lointains est un atout. De plus, dans quelle entreprise, hormis l’Armée suisse, vous commencez tout en bas de l’échelle et quelques soient vos compétences vous terminez tôt ou tard à la tête de la société ? Oui, nous sommes la seule armée au monde où un officier de carrière commence sa carrière en tant que lieutenant et est sûr de terminer un jour colonel ou même général (On confond commandement et instruction) ! Il suffit pour cela que le candidat ferme sa gueule et soit bien dans le moule !

L’expérience du feu et des autres armées manque cruellement à la formation de nos généraux ! Et ce n’est pas prétendre avoir suivi une « école de guerre » à Paris, à Rome, à Hambourg ou à Fort Leavenworth, qui comblera ce manque ! Actuellement nos généraux sont plus aptes aux apéritifs des salons diplomatiques qu’à des commandements en Afghanistan ou au Mali (même si la Suisse ne veut pas la guerre) pour ne prendre que deux exemples ou une opération « Vigipirate » à un échelon national.

Personnellement, en temps de guerre, je ne pourrais en suivre aucun, tandis que pour avoir fréquenté de vrais généraux dans les armées de l’OTAN par exemple, mon sentiment serait tout autre.

Et ce n’est pas Ueli Maurer, lui le spécialiste de la pensée unique, qui voudra faire changer le système. Bien au contraire, une armée de petits soldats bien obéissants lui convient parfaitement. Remarque en passant, si le président de l’UDC, Toni Brunner, se permet de critiquer notre ministre des finances, il ferait mieux de présenter rapidement un remplaçant à Ueli Maurer avant que ce dernier ne détruise totalement notre système de défense.

Malheureusement, l’Armée suisse suit le modèle de l’administration : aux postes-clés surtout pas de décideurs, surtout pas de vrais commandants, mais des administratifs et/ou des suiveurs !

Tout le système de commandement de notre Armée doit être revu et vite !

 

 

 

 

 

Sandro Arcioni

Sandro Arcioni, Dr ès sciences, lieutenant-colonel, expert en stratégie et en cyberdéfense, directeur de mupex Sàrl et enseignant-chercheur dans le domaine de la gouvernance.