Tu pries trop fort!

L’information provient d’un article du Hindu Post daté du 2 janvier dernier, sur lequel je suis tombé grâce à This Week in Sound, l’excellente newsletter de Marc Weidenbaum. A Krishnalanka, dans l’Etat d’Andhra Pradesh, chrétiens et hindous se sont récemment livré une petite guéguerre pleine de bruit.

En résumé: pour préparer son pèlerinage au sanctuaire de Sabarimala, un fidèle hindou avait prévu d’effectuer, chez lui, une cérémonie de bhajan – c’est une forme de chant dévotionnel. Il avait gentiment demandé à ses voisins – chrétiens – de ne pas le déranger pendant la célébration. Il a été moyennement entendu: le reste de l’immeuble en a profité pour organiser une prière à haut volume, retransmise par toute une série de baffles plus ou moins en état de marche. Il a répliqué en balançant, encore plus fort, ses propres chants.

Le journaliste du Hindu Post a alors cette phrase cruelle: «Christians, especially Pentecostals, create noise pollution in the name of worship.» Elle m’a fasciné. Elle m’a rappelé le fantastique travail que Gilles Aubry avait consacré, il y a une dizaine d’années, à l’usage des sound systems par les prêcheurs des Eglises charismatiques de Kinshasa. On entendait, dans son enquête audio/anthropologique, la parole de Dieu hurlée dans des enceintes qui menaçaient de perdre tous leurs rivets.

«La voix de l’Éternel est puissante. La voix de l’Éternel est majestueuse. La voix de l’Éternel brise les cèdres», disent les Psaumes. Mais alors pourquoi l’amplifier? En me posant cette question (et en cherchant vaguement à y répondre), je suis tombé sur l’étonnant travail d’Eliane Daphy. Dans un article publié en 1993, cette ethnologue s’intéressait aux causes et aux conséquences de l’introduction de moyens de sonorisation dans les églises (en l’occurrence catholiques et françaises). Les témoignages qu’elle avait recueillis chez différents prêtres affairés derrière leur table de mix convergeaient vers une explication: c’est la faute à Vatican II. Voici le résumé qu’elle en donnait: «Les modifications du rituel cérémoniel apportées par le concile ont imposé le remplacement du latin par la «langue vernaculaire» et la célébration de l’office face aux fidèles, et cette réforme liturgique a rendu l’usage du micro inévitable. Le latin – dit-on – pouvait être psalmodié par le prêtre, cela donnait «un son mystérieux qui berçait les fidèles»; par contre l’usage de la langue vernaculaire exige une intelligibilité parfaite de la parole.»

En conclusion, on dira que la sonorisation du supra-naturel est une pratique aussi répandue que la technologie qui la permet. Au moins depuis les trompettes de Jéricho.

 

Si j’étais chez vous, je partirais:

Vous trouverez une sélection de concerts dans les notules que je livre, chaque samedi, pour la page Passe-Temps du supplément culturel du Temps. Voici quelques autres idées encore pour les jours à venir:

14 janvier:

Svarts (SAS, Delémont)

Skeptical (Elysia, Bâle)

Jeff Mills (Audio Club, Genève)

15 janvier:

Pierre Bastien (Cave 12, Genève)

Rocco Glavio (Urgence Disk, Genève)

20 janvier:

Schnellertollermeier (AMR, Genève)

Bitter Moon, After 5:08, Leoni Leoni (Docks, Lausanne)

Plaid (PTR, Genève)

Une mixtape pour la route?

Vous trouverez ici quelques sons qui m’ont accroché l’oreille dans les derniers jours. Cette fois-ci: Celtic Frost, Ron Morelli, Thisquietarmy x Away, Richard Skelton, Oxbow & Peter Brötzmann, Dale Cornish, Wounded Son, Violeta Garcia, Hundschopf (c’est moi).

Philippe Simon

Philippe Simon est chef d'édition au «Temps» et Dr ès Lettres de l'Université de Genève, spécialiste de Rabelais et des littératures de la Renaissance. En marge de cela, il se passionne pour les musiques singulières, curieuses, aventureuses – tous styles confondus. C'est de ces sons qu'on n'entend guère qu'il va vous parler ici.