Portnawak

Selon certaines étymologies, les mots drôle, drôlerie, ou drolatique sont des emprunts au hollandais drolle. En hollandais, drolle signifie «lutin»; on le retrouve aujourd’hui en français sous une autre orthographe – c’est le troll, avec un t. Et qu’est-ce que c’est qu’un troll? C’est peut-être un lutin, mais c’est aussi un personnage un peu saumâtre – c’est celui qui tousse sa bile sur les réseaux, généralement bien au chaud derrière son pseudonyme. Pour résumer, est drôle ce qui fait rire, mais aussi ce qui inquiète un peu – comme quand on dit: «Je me sens tout drôle».

On a passé une troll d’année, non? Je vous propose d’en remettre une couche avec une pêche aux horreurs. Des monstres sonores effrayants autant que comiques (drôles, donc), provenant des mers les plus polluées par la naïveté coupable, par la méchanceté esthétique – et certainement aussi par des psychotropes retrouvés dans l’économat d’un garagiste huit ans après sa faillite. Je commence par un court safari dans cette jungle du mauvais goût rigolard qu’est le site Bide & Musique: j’ai récemment découvert son existence par le biais d’un papier de Tsugi (ici), qui le décrit comme «le site qui compile les plus gros ratés de la chanson». C’est une énorme bibliothèque de choses qui tirent les oreilles, et dont la thématique la plus intéressante est celle des adaptations, plus au moins consciemment parodiques, de titres d’une langue vers l’autre. Deux exemples (attention, ça fait pleurer), et commençons avec «Pump ab das Bier» de Werner Wichtig, qui reprend le «Pump up the Jam» de Technotronic:

La réinterprétation du «Relax» de Frankie Goes To Hollywood par les Français de Sale Affaire sous le titre de «Hey Max, pas de panique», met aussi un drôle de seum, je vous promets:

En cherchant ailleurs, dans des recoins plus obscurs de la matrice, on trouve des sorciers amateurs touillant des chaudrons plus étranges encore, et qui font se déliter le matériel musical lui-même. Par exemple sur le canal Youtube d’un certain Fernando Guinto – écoutez bien à partir de 1’45”, vous allez entrer dans une terrible boucle temporelle:

Le dénommé Koshimador s’en est pris au même titre, mais d’une manière plus abstraite (et certainement beaucoup plus impolie):

Changeons de registre: allez (if you dare) jeter une oreille sur le canal Happy Metal, qui s’est spécialisé dans la transcription en mode majeur. Je peux vous assurer que l’offense faite au «Angel of Death» de Slayer n’est, elle, pas mineure du tout:

Si cette réinterprétation de Slayer demande une virtuosité similaire à celle de Kerry King ou Jeff Hanneman (les deux guitaristes originels du groupe), il y a d’autres types de traitements qui tiennent davantage du cut / paste, mais qui produisent des résultats pas forcément inintéressants – comme ici sur Queen, traité par anéantissement de cellules structurelles:

Le travail ici fait me rappelle d’ailleurs celui qui avait été réalisé par le collectif Sound Breaking Sky sur toute une série de titres – de Bowie à Sonic Youth ou New Order. Ici, leur réinterprétation du «Tame» des Pixies:

Le domaine dit du «classique» possède lui aussi ses zinzins, comme Oliver Street (c’est du moins le nom de son canal), qui a visiblement décidé d’inverser l’ordre des touches de son piano. Il en sort des thèmes parfaitement neufs:

Mais le pompon revient certainement à un dénommé яша (j’imagine qu’il est russe), qui semble avoir pour habitude d’aplatir des titres sur une seule note (ou presque). Ce qu’il fait ici du «Beat It» de Michael Jackson est une pure merveille tératologique.

Et sur ce, Joyeux Tout!

Philippe Simon

Philippe Simon est chef d'édition au «Temps» et Dr ès Lettres de l'Université de Genève, spécialiste de Rabelais et des littératures de la Renaissance. En marge de cela, il se passionne pour les musiques singulières, curieuses, aventureuses – tous styles confondus. C'est de ces sons qu'on n'entend guère qu'il va vous parler ici.

Une réponse à “Portnawak

  1. À la fin des années soixante, on trouvait dans les rayons de jouets et d’articles fantaisie pour tous les âges des petits bonshommes de 5 à 7 centimètres de haut en plastique mou, portant une immense touffe de cheveux noirs, qui écartaient les bras en souriant, comme pour nous dire : « Adoptez-moi, je vous porterai bonheur ! » Au gymnase je posais mon protégé à côté du plumier pendant les travaux écrits, ma copine avait le sien sur sa table de chevet, et quand nous allions faire des dérapages en 2 CV feux éteints dans les cols de montagne enneigés sous les étoiles, nous mettions mon Troll ou le sien bien calé dans un coin du pare-brise : il était heureux de partager nos folies, et grâce à lui nous n’avions jamais eu d’accident, sauf nous retrouver coincés dans un mètre de neige avec une bouteille de Whisky biberonnée jusqu’au matin pour ne pas attraper un rhume. Mon petit Troll, c’est ainsi qu’il était nommé sur l’emballage de cellophane « Made in Sweden », a continué à assurer ma sécurité et celle de mes bien aimées durant cinquante ans, même oublié dans un tiroir il pensait à nous : lors d’un saut en parachute avec brusque atterrissage sur la glace, dans une demi-barque brisée par les vagues glacées une nuit de décembre, une autre fois accrochés à un bateau gonflable subitement dégonflé parce que mon pied s’était accroché dans la cordelette du bouchon, le petit Troll était encore avec nous quand la police nous a appelés après enquête, tenant en main une rame où était attachée une lampe de poche au bout d’une longue ficelle : « Êtes-vous- fous ? ! !.. » Et tant d’autres aventures où le Troll prenait soin de notre bonheur. J’ai repensé à lui il y a deux ou trois ans quand j’ai été traité de Troll par des commentateurs douillets de mauvaise humeur, tout surpris qu’ils me fassent part de leur sympathie, puis ai enfin compris que l’on désigne aujourd’hui ce petit personnage bienfaisant d’encombrant et nuisible. Nous sommes bien loin des années de paix et d’amour il y a cinquante ans !

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