Il y a 40 ans, le 7 novembre 1981 très précisément, William Burroughs atteignait son degré maximal d’exposition. Invité de Saturday Night Live, il lit des extraits du Festin nu et de Nova Express. Sept minutes de voix de nez, de traine-syllabes pour faire parvenir au plus grand nombre les opérations étranges du Dr Benway, le généraliste de l’Interzone. Effrayé par Burroughs lors des répétitions de l’émission («Je n’ai jamais vu un type aussi ennuyeux», dira-t-il), le producteur Dick Ebersol avait tenté de réduire au maximum la durée de l’intervention de l’écrivain. En vain: la voix de Burroughs a pu prendre tout son temps pour s’infiltrer dans les foyers et hypnotiser les téléspectateurs.
Je tiens pour acquis que la musicalité de la voix de Burroughs est en effet capable d’induire quelque chose qui trait à un état de conscience altéré: ça doit être une question de fréquence, de rythme – et bien entendu d’images aussi. Le son et le sens. Ce que l’on sait aussi, pour rester dans l’orbite de l’oreille, c’est que la figure de Burroughs (son ethos de la subversion) et ses méthodes de travail (le cut up par exemple) ont inspiré bon nombre de musiciens – Casey Rae faisait le tour de la question dans un livre, William S. Burroughs and the Cult of Rock’n’Roll, publié il y a deux ans. Si lui-même n’était pas particulièrement mélomane, bien des grands noms des musiques actuelles ont, avec plus ou moins de foi, emprunté ses outils: David Bowie, Paul McCartney, Lou Reed, Patti Smith, Kurt Cobain, etc.
Descendons quelques étages. Sous le radar des vedettes, Burroughs a irrigué bien d’autres zones – souvent d’ailleurs en prêtant sa voix. Son cameo chez Ministry (sur le titre «Just One Fix», forcément) est bref mais parlant. L’œil qu’il promène au dessus du «Rag for William S. Burroughs» de Matmos est lui aussi notable.
Mais il y a un autre compagnonnage que j’ai toujours trouvé fertile au long des années, c’est celui qui lie l’esthétique de Burroughs à celle du label Sub Rosa: publié en 1996, 10% File Under Burroughs était une magnifique célébration de son œuvre, quelque chose comme un trip tangérois dans lequel on croisait, à ses côtés, Marianne Faithfull, Bomb The Bass, les Gnaouas de Marrakech, Scanner ou Bill Laswell. Lequel sera aux commandes, trois ans plus tard, avec Iggy Pop, Genesis P-Orridge, Jaki Liebezeit, Patti Smith ou Techno Animal, d’une autre œuvre totale, Hashisheen: the End of Law, plus narrative, et centrée sur la fascination de Burroughs pour Hasan-i Sabbâh, le Vieux de la montagne à la devise définitive («Rien n’est vrai, tout est permis»), grand leader et grand dealer des l’Ordre des assassins, à savoir les «hashashyn», à savoir encore les avaleurs de kif. Disque magistral (auquel Laswell a récemment offert un compagnon, The Acid Lands, toujours chez Sub Rosa).
Et sinon, certains ont tenté de faire dialoguer Burroughs avec Britney Spears. Je vous laisse découvrir cette chose étrange:
https://dickwhyte.bandcamp.com/track/oops-i-did-it-again-william-s-burroughs
Si j’étais chez vous, je partirais:
-> A Lausanne, à la Maison de Quartier Sous-Gare, jusqu’au 20 novembre, pour le Festival des Bouffes-du-Rond-Point. On conseillera d’aller y écouter les chansons de pénombre de Hemlock Smith ou, si vous avez des enfants, de Gaëtan (en Suisse romande, c’est un champion, on a testé).
-> A Fribourg, à la Coutellerie, le vendredi 12, pour y écouter Dedelaylay. Steven Doutaz à la batterie, Benjamin Tenko aux synthés, et le résultat sonne comme des rythmes en averse passés en sorcellerie dub.
-> A Lausanne, le même soir, à la Ferme des Tilleuls, en marge de l’exposition Happy Pills, pour y écouter Louis Jucker. Sa musique est, un passionnant attelage de poésie folk et de bricolages surréalistes. On a tout à fait le droit de réécouter Something Went Wrong, son album de 2020:
-> A Lausanne toujours, au Cinéma Bellevaux, et toujours à la même date, pour une soirée centrée sur les œuvres de Joana Bailie et Geneviève Calame. Je vous avais parlé, il y a de cela quelques semaines dans Le Temps (ici), de cette compositrice hors pairs, et bien trop tôt disparue, qu’était Geneviève Calame
-> A Bulle, le même soir, à l’ancienne chartreuse de la Part-Dieu, pour Ex tenebris lux, une performance conjointe de JOD (alias Joël Dewarrat) et Goodbye Ivan (aka Arnaud Sponar) qui mêlera le travail pictural du premier à la musique du second. Le lendemain, Goodbye Ivan sera, avec Guy Oberson, aux manettes d’une installation (entre son et vidéo cette fois-ci) baptisée Pollen. Connaissant le toucher délicat de Sponar, on peut s’attendre à de belles machineries oniriques.
-> A Genève, encore et toujours le même soir, au Rez de l’Usine, pour une soirée de soutien au Monstre Festival. On pourra entre autres y écouter Martin XVII. Le duo jurassien (Louis Riondel / Pascal Lopinat) a inventé un genre: le mielcore. Ça colle et c’est piquant, c’est du rêve solarisé – et j’en disais le plus grand bien dans une récente livraison du jukebox du Temps.
-> A Bâle, à l’Elysia, le samedi 13, pour y écouter Helena Hauff. Parfaite illustration de l’intelligence mise au service de l’electro: des machineries anciennes (on est au cœur de la gamme Roland), une avancée en bulldozer, des inscriptions rythmiques qui vous décalent. Son dernier album, Qualm, est d’une puissance effrayante:
-> A Genève, à la Cave 12, le dimanche 14, pour y écouter Hyperculte. Simone Aubert et Vincent Bertholet, pour une dinguerie qui fait feu de tous bois: hypnoses krautrock, éruptions / irruptions de sons et de manières de faire d’ailleurs, le tout en surgissements sans pauses:
-> A Berne, à la Dampfzentrale, du 18 au 21 novembre, pour le festival Saint Ghetto, avec tout une série de signatures aventureuses (en grande partie féminines, notons-le): Aïsha Devi, Jenny Hval, Caterina Barbieri, Maria W Horn (cf. infra) et bien d’autres. Je vous en reparlerai vite dans le journal.
-> A Genève, à la Cave 12, le vendredi 19, pour y écouter Hand & Leg. Comme souvent, la Cave nous fait découvrir des choses: cette fois-ci, il s’agit d’un duo grec post-punk dont on écoute le dernier disque en écrivant ces lignes. C’est une révélation: une musique tendue, puissante, qui sort les couteaux, absolument urgente:
-> A Sion, le même soir, au Point 11, pour y écouter Yannick Barman et Guillaume Perret. Le premier est trompettiste, le second saxophoniste, et ils passeront ce soir-là leurs instruments dans toute une série de dispositifs électroniques.
-> A Lausanne, au Cylure Binchroom (l’un des plus chouettes centres vaudois de bièrologie), le samedi 20, pour une chouette soirée entre post punk et no wave agrémentée par Trash Mantra et Umarell & Zdaura.
-> A Genève, à la Cave 12, le dimanche 21, pour y écouter Maria W Horn. Cette compositrice suédoise a débarqué dans le paysage il y a trois ans à peine, mais sa marque est déjà bien installée. Epistasis, le disque qu’elle a sorti en 2019 chez Hallow Ground, en donne un très bon aperçu, qui court de miniatures au piano jusqu’à des drones à cordes de très grand ampleur:
-> A Yverdon, le même soir, à l’Amalgame, pour y écouter Bohren und der Club of Gore. Une merveille de dark jazz, un spleen jouissif, quelque chose comme un film noir pris dans l’ambre, ralenti à l’extrême.
-> A Berne, au Bee-Flat, le mercredi 24, pour y écouter Faraj Suleiman. Un pianiste de feu, qui amarre à sa matrice orientale tout un aréopage de musiques, du classique au jazz et aux modes balkaniques. J’en parlais dans un récent Jukebox duTemps, ici.
-> A Renens, à l’ECAL, dès le jeudi 25, pour y découvrir une itération de la dream house de La Monte Young et Marian Zazeela – une installation à vivre comme un espace dans lequel les drones vous modèlent la conscience aussi longtemps que vous le souhaitez.
-> A Yverdon, à l’Amalgame, le jeudi 25, pour y écouter Pan·American. Le projet solo de Mark Nelson est une musique qui avance comme poussée par le vent, folk blême dans un halo ambient. Un générateur poétique qui sera précédé d’une performance plus musclée par le rock fuligineux des romands de Ventura – qu’on se réjouit de revoir sur scène.
-> A Vevey, au Rocking Chair, le vendredi 26, pour y écouter Faust. Un des dieux majeurs du panthéon du krautrock, le groupe allemand y rejouera IV, publié en 1973 pour la première fois, et inaltéré depuis.
-> A Sion, le même soir, au Point 11, pour y écouter Schnellertollermeier. C’est-à-dire Andi Schnellmann, Manuel Troller et David Meier (basse, guitare et batterie respectivement), trois Lucernois qui vous propulsent dans des équations souples comme des jaguars.
-> A Genève, à la Cave 12, du 26 au 28 novembre, pour le festival Akouphène. On y retrouvera énormément de belles identités des musiques d’exploration: Christine Ott (aux ondes Martenot, ce lointain cousin du theremin), le guitariste Noël Akchoté, ou encore Lea Bertucci – on reste complètement sous l’emprise de son récent A Visible Length of Light, une suite de paysages de grande ampleur faits d’instruments à vent, d’orgue et de manipulations de bandes.
-> A Berne, à la Dampfzentrale, le samedi 27, pour y découvrir Taking Care of God, la nouvelle performance de Soraya Lutangu Bonaventure. Une tentative d’hybridation du profane et du sacré – et incidemment, musicalement parlant, un entremêlement de gospel et d’instrumentation électronique.
-> A Sion, le même soir, au Point 11, pour y écouter Somnolent Priests vernir leur dernière production. Une très belle expérience drone metal (Sunn O))) n’est pas forcément loin), mais avec un propos peut-être plus narratif.
-> A Düdingen, au Bad Bonn, le dimanche 28, pour y écouter Pink Siifu. Hip hop excité et excitant, minimaliste, sombre et décalé. On a beaucoup aimé son featuring sur le dernier album de Moor Mother, Black Encyclopedia of the air.
A Genève, le même soir, à la Bibliothèque municipale, pour y écouter une conférence de Yann Courtiau, JOY DIVISION : FENÊTRE SUR RUE (Jeux d’Ombres), qui propose un parcours dans le chronotope mancunien de la bande à Ian Curtis.
-> A Genève toujours, à l’Usine, le mercredi 1er décembre, pour y écouter Igorrr et Horskh. Ceux-ci perpétuent avec un certain brio la flamme ancienne d’un metal industriel tout en angles. Quant à Igorrr, c’est une proposition totalement iconoclaste, voire surréaliste (et pas dénuée d’humour), une collision d’éléments divers (du metal au baroque) sur un fond drill’n’bass (c’est rapide et saccadé).
-> A Berne, à l’ISC, le jeudi 2, pour y écouter Abstral Compost et Baby Volcano. Du premier, on aime énormément sa manière d’imaginer le rap (c’est-à-dire son vocabulaire au sens premier du terme) comme quelque chose qui a trait à la fois à la musique concrète et au dadaïsme, et de la seconde une capacité à nourrir son électronisme d’une bonne dose de danger. On notera que Baby Volcano se reproduira le samedi 4 au SAS de Delémont, dans une soirée où l’on entendra aussi le rap rentre dedans de Murmures Barbares.
-> A Lausanne, à l’Eglise Saint-François, le vendredi 3, pour y écouter Anna von Hausswolff. La Suédoise, tout à la fois chanteuse, compositrice et organiste, s’emparera ce soir-là des registres. On sait, pour la suivre, que là se prépare une célébration absolument tellurique. Cette femme est d’une rare puissance. Vous pourrez également l’entendre l’avant-veille, 1er décembre, à la Heiliggeistkirche de Berne.
-> A Lausanne, le même soir, au Cinéma Bellevaux, pour y écouter Francisco Meirino. Il y vernira une pièce inédite, You’re here, there’s no cure for that. C’est un maître de la mise au jour de ce que l’on n’entend pas, et j’avoue beaucoup apprécier la manière dont il est présenté: «Francisco Meirino explore la tension entre le matériel programmable et le potentiel de son échec.»
-> A Lausanne toujours, dans toute une série d’endroits, du 3 au 5 décembre, pour les Urbaines. Festival pluridisciplinaire dans lequel on trouve toujours quelques mirabilia musicales. Entre mille choses, on peut conseiller les dystopies de Firas Shehadeh (drone et rythmes en étouffoir), celles de Thoom, qui cabote entre bruit et chanson, ou encore l’étonnante pop ectoplasmique de Yikii.
-> A Martigny, aux Caves du Manoir, le samedi 4, pour le Road Sweet Road Festival. Une programmation articulée entre blues et rockabilly, avec la possibilité de goûter au grotesque (c’est une définition, et un compliment) de l’énergétique Bernois Reverend Beat-Man.
-> A Düdingen, le même soir, au Bad Bonn, pour y écouter une collaboration entre Julian Sartorius et Feldermelder. Une soirée de rythmes, sur les peaux ou dans les puces.
-> A Bienne, au Singe, le dimanche 5, pour y écouter le projet Ceramic Dog de Marc Ribot. Figure phare du jazz exploratoire d’outre-Atlantique, le guitariste propose avec ce projet-ci des évolutions plutôt anguleuses (rock, disons-le) qui s’enflamment à la première étincelle.
-> A Düdingen, au Bad Bonn, le mardi 7, pour y écouter Etran de l’Aïr. Du blues d’Agadez, extrême nord du Niger, rugueux et sautillant comme on le souhaite.
-> A Lausanne, à l’Oblo, le jeudi 9 décembre, pour y écouter Sourdure et Sarah Terral. Le premier est le projet solo d’Ernest Bergez, un trickster magnifique qui travestit les répertoires anciens du Massif central en machines à transe. Derrière Sarah Terral se cache Clément Vercelletto, un exhausteur de la beauté des bruits – son dernier disque, Le Ménisque original, publié par Three:Four, est un étonnant voyage.
Dans le registre des perles discographiques, je me permet de rajouter la collaboration entre sieur Borrouhgs et les Disposable Heroes of Hiphoprisy, parfaite union entre le hip-hop des années 90 et le flow lancinant du vénérable junkie: Spare ass Annie and other Tales (1993). Avec mes musicales salutations.
Tu as tout à fait raison, très cher! Ça m’était sorti de la tête, merci!