La montagne moderne

Affiche des années 30

A l’est les neiges encore éternelles ornent les sommets alpins. A l’ouest les derniers filaments d’or blanc zèbrent nostalgiquement le haut des contreforts jurassiens.

Cette année fut à marquer d’une pierre blanche, celle jaugeant de la quantité de flocons qui procura une longue saison aux amateurs de sports d’hiver. Mais cette embellie circonstancielle ne doit pas masquer les modifications profondes que notre comportement a induit sur le climat et ses conséquences montagnardes. L’avenir n’est plus aussi blanc que les promesses enjouées des affiches du début du vingtième siècle. Le monde de la glisse se questionne. En Autriche, les stations commencent à fermer, et cet eldorado européen s’apprête à perdre 300 millions d’euros par année selon une récente étude(1). Les petites stations suisses historiques souffrent également de cette situation.

Château d’Oex (970 m.). L’ancien hameau du Comté de Gruyère a pris la décision de clôturer son domaine cette année, la faute à une rentabilité déficiente. Dans ce lieu qui a vu le départ mythique du tour du monde en ballon de Bertrand Piccard et Brian Jones, une nouvelle approche du tourisme « sans ski » est en cours de développement. Peut-être avec bonheur.

Les Diablerets (1151 m.). Dans la station que la crainte ancestrale des démons d’altitude a ainsi dénommé, le domaine d’Isenau sur le flanc nord-est du cirque montagneux est fermé depuis deux saisons. L’orientation sud n’aide pas à la conservation de la couche neigeuse, mais c’est surtout la télécabine qui ne trouve pas son financement pour renaître.

Evolène (1300 m.). Dans le mythique village moyen-âgeux du Val d’Hérens, là où se situe une des plus emblématiques implantations de chalets historiques, un débat similaire se fait jour. Le crédit de remplacement pour le télésiège s’est vu opposer un recours des milieux de protection de la nature. L’avenir des sports d’hiver classiques est là aussi chancelant.

Le ski est devenu un pur produit de consommation. Sa survie – temporaire? – devient un enjeu où la technologie se confronte avec la nature et ceux qui la protègent : canons à neige contre réchauffement climatique.

La question de sa pratique dans des stations qui ont parfois de la peine à absorber la masse de pratiquants est devenu aujourd’hui aussi un enjeu de mobilité. Aux Diablerets toujours, le domaine skiable est divisé en trois parties, la translation des skieurs y est parfois complexe. Pour y remédier, un grand parking s’offre au regard de tous. Verbier (1’500 m.), Crans-Montana (1’500 m.) sont devenues des espèces de « villes étendues » dont les cœurs historiques ont perdu – vendu? – leur âme aux véhicules qui forment de longues files disgracieuses là où l’aspiration à une forme de sérénité face au grand paysage serait de mise. Un accommodement à la rentabilité? Une densification du loisir trop rapide dans des lieux inappropriés?

Dans le débat sur la colonisation humaine de la montagne, c’est aujourd’hui, une fois encore, ce rapport entre modernité et tradition qui interroge. On a déjà beaucoup écrit sur les stations modernes, celles conçues de toute pièce, celles sans noyau pré-existant. On a (j’ai) beaucoup écrit sur la station de Flaine (1’600 m.) en France voisine. Elle est souvent critiquée pour son aspect jugé trop « brut » pour ceux qui ne l’ont pas réellement analysée. Mais elle a le mérite, à plus d’un titre, d’être exemplaire et d’afficher une forme de cohérence tant dans sa démarche conceptuelle que dans son exploitation actuelle.

Vue perspective des années 60.

Le choix du site qui a présidé à l’édification de cette « ville nouvelle à la montagne » s’appuie d’abord sur des principes géologiques et climatiques, à l’inverse de certains développements de villages historiques dont le devenir est aujourd’hui sur le ballant. En Haute-Savoie, dans la région d’Arâches, les conditions d’enneigement étaient exceptionnelles. A cette qualité répondait une accessibilité complexe. Le chantier fut épique : une histoire en soi. Le résultat est cohérent et à l’image de son usage : des immeubles magnifiquement implantés dans la topographie pour accueillir des habitants saisonniers. Pour parfaire l’ensemble, le talent de Marcel Breuer en a définir les contours et l’écriture architecturale.

Immeuble Le Centaure (Christian Hauvette & R-Architecture), 2014 ©PhMeier

Le béton des barres contre le bois des chalets? Cette question ne devrait pas se poser quand on parle d’une pure création des années soixante. Le « saut d’échelle » est partout critiqué dans les villages que la manne des marchands de loisirs a forcé à grandir – se souvenir de la polémique des « jumbo-chalets » qui ornent les flancs des anciens bourgs de montagne. L’éventuel futur développement de Flaine est quant à lui assuré de manière plus aisée. La contemporanéité architecturale peut s’y insérer. Le récent immeuble « Le Centaure » (2014) s’inscrit dans le lieu avec continuité malgré son enveloppe en inox. Paradoxalement ce sont les promotions de chalets colorés à la mode « norvégienne » qui dénotent dans ce paysage. La mesure de protection patrimoniale qui englobe toute l’opération de Breuer les éloigne fort judicieusement.

Dès sa conception, la station française a également posé clairement la question du stockage des véhicules : plusieurs grands parkings publics sont hors champs, des parkings privés s’insèrent sous les immeubles. Certaines stations ont exclu les transports de leur environnement a posteriori. Flaine  l’a posé comme postulat de base. Dans toutes les démarches qui ont présidé à son édification, la question de l’artificiel a été mis en regard de celle du naturel. Et cela se ressent dans sa pratique. En effet, quoi de plus naturel dans cette pratique actuelle a-naturelle de la montagne que d’achever sa journée dans le Forum, skis au pieds, sans aucune voiture dans le périmètre visuel, et de profiter des terrasses qui s’ouvrent sur ce panorama hors normes. Toutes ses concessions à la modernité génèrent une plus value d’usage, dont le prix à payer serait, pour certains, son aspect trop urbain. Mais n’est-ce pas justement un exemple de réponse cohérente à notre relation de consommateur de la montagne?

+ d’infos

(1) Voir : https://www.rts.ch/info/monde/10268872-l-autriche-eldorado-du-ski-se-prepare-a-une-nouvelle-ere-sans-neige.html

Hôtel “Le Flaine” (Marcel Breuer & Associates), 1966 ©PhMeier
Greniers indépendants, extrait de “Atlas des Schweiz”, 1966

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.

3 réponses à “La montagne moderne

  1. A l’époque, j’habitais Genève, nous partions très souvent skier dans le fabuleux domaine du Grand Massif (recommandé !) mais la majorité des skieurs n’aimait pas la station de Flaine et préférait le caractère village de Morillon ou Samoëns.
    En Valais, les stations comme Verbier ou Crans-Montana ont réussi à garder un cadre de vie avec une vie villageoise plus agréable après les activités diverses d’hiver ou d’été.
    Par leur altitude, le changement climatique en cours ne semble pas affecter ces stations (comme Zermatt ou Saad-Fee), par contre l’accès à ces stations pourrait à l’avenir devenir problématique, en particulier pour bénéficier l’été de températures plus clémentes, et in fine générer le réaménagement ou la constructions d’hôtels, voir d’immeubles avec appartements, plutôt que des chalets individuels.
    Le style de ces constructions aura un impact sur le cadre de vie qui devrait rester différent de celui de la ville ou de la campagne, mais devra impérativement respecter l’environnement, le besoin en végétaux et en espace. La démographie risque de compliquer l’exercice.

  2. Suis pas architecte, mais je ne comprends pas que l’on puisse construire des “blocs carrés” pour les intégrer à un site montagneux?
    Bon, d’accord, l’architecture, c’est la vie, pas que la forme émergente et pourtant, le Corbusier a fait les deux.

    Regardais Le Louvre d’Abu Dabi, quelle merveille d’intégration et d’espace, quel génie, ce Nouvel.
    Ai pas encore visité le nouveau musée lausannois, mais, … peu d’attente.

    Alors bien sûr, l’argent aide, mais le génie n’a pas besoin d’argent, même si on le paie des dizaines de millions, lorsqu’on l’a reconnu.

    1. P.S. Ca me fait penser à ce projet (Andermatt, d’un financier indien?)
      Les mêmes blocs avec un toit à deux pans. Si le tourisme suisse veut progresser, il devra faire un grand bond qualitatif en avant… !

      C’est fini, l’heure de gloire des coucous, du secret bancaire aux trente glorieuses, même si je suis sûr que la Suisse a encore beaucoup de qualités à mettre en avant
      🙂

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