Vin nouveau dans outres neuves

Effondrements. Cette année 2019, le mot vient frapper aux portes de nos consciences avec une redoutable intensité: cycle de huit conférences à l’Université de Lausanne proposées par l’association Adrastia, insolite débat musical réalisé par la fondation Zoein le 19 mars à Lausanne «pour faire un chemin de l’angoisse à l’acceptation et du déni à l’enthousiasme», table ronde sur l’après effondrement, le 15 juin au Festival de la Terre, encore à Lausanne, etc. La «collapsologie», cette savante étude de l’effondrement de la civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder, a de quoi nous  faire passer des nuits blanches. Puisque tout s’effondre, du climat aux écosystèmes en passant par la gouvernance toujours plus autoritaire des Etats, à quoi bon faire encore des projets de vie, mettre au monde des enfants pour un avenir sans avenir? Certes, nous pouvons continuer à trier nos déchets, à nous défaire de notre bagnole, à manger et à nous habiller bio, à isoler nos maisons. Mais face à l’ampleur des désastres annoncés, ces petits gestes individuels suffiront-ils à sauver notre humanité?

Etrangement, si la raison m’en fait douter, une voix intérieure m’invite à relire la parabole des outres neuves écrite dans l’Evangile selon Matthieu: «On ne met pas (non plus) du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement, les outres se rompent, le vin se répand, et les outres sont perdues; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et le vin et les outres se conservent». Il semble que de puissants courants pareils à du vin nouveau se déversent actuellement sur le monde, éveillant les consciences, notamment celles d’une jeunesse qui, dans la rue, crie sa détermination à ne pas voir l’humanité sombrer. Partout se multiplient des initiatives collectives pour produire, consommer, vivre autrement. La permaculture fait son chemin, les métiers anciens et l’artisanat attirent des vocations.

Au vrai, le vin nouveau touche autant les esprits enténébrés par la mélancolie que ceux illuminés par l’espérance, il remplit les vieilles outres comme les neuves. Mais si la lumière des scandales libérateurs fait éclater les vieilles, les neuves accueillent une autre vision de l’humanité où la concurrence fait place à la solidarité, l’égocentrisme à l’altruisme, l’exploitation des ressources naturelles à l’écoute et au respect des forces vives de la nature, le matérialisme à la spiritualité. Quoi qu’il arrive, rien ne devrait arrêter le vin nouveau de couler. Dans le brouillard de mes doutes, c’est ma seule certitude.

(Trait libre publié dans Echo Magazine du 20 mars 2019)

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)