Smartphone, mon amour

Mon IPhone arrivant en fin de vie, j’ai acquis un autre smartphone, de la célèbre marque sud-coréenne Samsung cette fois. Le smartphone est (hélas ?) un outil indispensable quand on est journaliste. Ce dernier bijou de technologie n’est pas le tout dernier Samsung Galaxy Note 7, celui dont la batterie risque de prendre feu, mais l’un des avant-derniers, qui apparemment n’a pas encore explosé.

Hier, venant tout juste d’installer une application « réveil », j’avais programmé ce dernier à 06h30. Or, à 22h30, j’entendis mon smartphone sonner l’alarme. Quelques minutes après, à ma grande surprise, je vis s’afficher sur l’écran : « Nous vous conseillons de vous coucher à 22h30 ». Horreur ! Encore tout habillé, je n’étais pas du tout prêt à me coucher. Veillant jalousement sur ma santé, et sur les huit heures de sommeil programmées, mon smartphone me donnait un précieux conseil que j’étais bien incapable de suivre. Qu’allait-il m’arriver ? Ma santé était-elle en grand danger ?

Ma santé menacée ?

Mon cœur se mit à battre si fort que je cherchai à en mesurer le rythme. Devais-je m’inquiéter de l’accélération brutale de mes pulsations cardiaques ? Vaine quête. Encore peu à l’aise avec le fonctionnement de mon nouveau smartphone, je ne trouvais aucune application qui aurait pu me donner les informations vitales que je désirais obtenir. Il fallait me rendre à l’évidence : je devrais bel et bien m’en passer.

En désespoir de cause, je m’allongeai pour me calmer quelque peu et commençai à méditer sur la bienveillance de mon smartphone. Quelle merveille, tout de même, ces nouvelles technologies qui se soucient de notre sommeil, de notre alimentation, de notre sécurité, de notre emploi du temps, bref, de notre bien être. Face à un Etat-Providence toujours plus contesté et mis en pièces par un courant planétaire ultralibéral, la Tech-Providence a pris le relai et m’assiste dans les plus petits gestes de ma vie quotidienne.

On ne se prend plus la tête.

Quel confort de se savoir ainsi considéré, soutenu, guidé ! Je suis fatigué, j’ai mauvaise mine, j’ai besoin de repos ? Qu’importe si mes proches ne le voient pas, mon smartphone ou ma montre hyper-connectée sont là pour me réconforter, pour me conseiller. Plus besoin de « se prendre la tête », comme disent les ados, plus besoin de trop réfléchir, plus besoin de chercher à l’intérieur de soi-même la réponse à ses multiples interrogations. Quel soulagement !

Et comme mon smartphone ne me donne aucune indication sur l’état de santé des petites mains qui l’ont fabriqué, notamment sur l’évolution des cancers et leucémies constatés chez certains ouvriers affectés au lavage des semi-conducteurs, je n’ai pas trop de souci à me faire. Tout va bien, Madame la marquise.

Dommage que je ne sois pas citoyen américain. Les yeux fermés, les oreilles bouchées et la bouche muselée, je pourrais voter pour Donald Trump. En toute bonne inconscience. A condition, bien sûr, que mon smartphone me le suggère avec une technologique insistance…

 

Philippe Le Bé

Désormais auteur, Philippe Le Bé a précédemment été journaliste à l’ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L'Hebdo, et Le Temps. Il a publié trois romans: «Du vin d’ici à l’au-delà » (L’Aire),« 2025: La situation est certes désespérée mais ce n’est pas grave » (Edilivre) et "Jésus revient...en Suisse" (Cabédita)