Politique migratoire de la Suisse: avant juin 2002

Le 27 septembre 2020, le peuple suisse sera appelé à se prononcer sur l’initiative populaire “Pour une immigration modérée (initiative de limitation)” dont l’objectif est de mettre fin à la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE). Bien que totalement opposé à cette initiative qui aurait également comme conséquence de mettre fin aux six accords faisant parties des Bilatérales I, je pense néanmoins qu’il est important pour que le citoyen puisse se prononcer en toute connaissance de cause qu’il ait à l’esprit l’évolution de la politique migratoire de la Suisse au courant de ces dernières décennies. Dans cette optique, je publierai trois blogs le premier ayant pour objet de présenter les règles qui s’appliquaient avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes en juin 2002[1].

Avant de traiter de cette question, il importe de faire deux remarques.

Tout d’abord, de manière générale, la politique migratoire de la Suisse peut être divisée en trois catégories: l’octroi des permis de séjour et de travail aux Européens; l’octroi des autorisations de séjour et de travail aux ressortissants des Etats tiers; la politique d’asile dont je ne traiterai pas dans ces différentes publications. De tout temps, la Suisse s’est montrée plus souple à l’égard des Européens et a mené une politique très stricte, aussi bien en matière de permis de séjour que de travail, à l’égard des non-Européens ce qui est notamment justifié par le fait que la Suisse n’a jamais eu de colonies, ce qui lui a évité d’avoir les problèmes d’intégration que connaissent notamment la France et la Belgique.

En second lieu, sur le plan terminologique, il est fondamental d’utiliser les termes adéquats en faisant notamment la distinction entre requérant d’asile, réfugié, titulaire d’un permis de travail, ressortissant européen ou non-européen etc. Seule cette manière de faire permet de faire une distinction entre les trois catégories de politique migratoire mentionnées ci-dessus. Malheureusement, un certain nombre de milieux dont l’objectif était à l’évidence de supprimer la distinction entre réfugié politique et réfugié économique de même qu’entre personne séjournant légalement ou illégalement dans un pays, ont commencé à imposer il y a quelques années le terme de “migrant”. Outre le fait que je désapprouve l’utilisation de ce terme qui ne respecte pas les statuts juridiques en vigueur dans la très grande majorité des Etats européens dont la Suisse, j’y suis foncièrement opposé dans la mesure où il s’agit de pain bénis pour les partisans des initiatives populaires du type de celles sur laquelle le peuple suisse devra se prononcer le 27 septembre. En effet, l’objectif de ses partisans est de créer un grand mélange entre les différentes politiques migratoires afin de faire peur à la population suisse. Jamais vous n’entendrez un de leurs partisans affirmer dans un débat que les autorités suisses mènent une politique très stricte à l’égard de l’immigration des ressortissants non-européens. Au contraire, l’objectif est de faire un grand mélange entre les ressortissants européens et les réfugiés économiques afin qu’apeurés les citoyens votent contre la libre circulation des personnes. Malheureusement, les milieux qui ont imposé l’utilisation du terme “migrant” ont fait un cadeau en or aux milieux xénophobes puisque ce terme crée et entretient lui-même la confusion.

Les deux principales sources législatives qui s’appliquaient avant le mois de juin 2002 étaient la Loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) et l’Ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre 1986 (OLE). Bien que la Suisse ait signé un certain nombre de traités internationaux en la matière, notamment avec les Etats dont l’immigration était la plus importante (Espagne, France et Italie), ceux-ci étaient interprétés de manière très restrictive par le Tribunal fédéral.

Les principales caractéristiques du droit suisse de l’époque peuvent être résumées ainsi :

  1. Comme je le mentionnerai ci-dessous, même avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes avec l’UE, en principe, seuls les ressortissants d’un Etat membre de l’UE ou de l’Association européenne de libre échange (AELE) pouvaient obtenir un permis de travail en Suisse. Cependant, mis à part ce principe, les règles applicables aux ressortissants européens et d’Etats tiers étaient identiques.
  2. Sous réserve de rares exceptions résultant d’accords internationaux, la Suisse n’accordait aucun droit à l’obtention d’une autorisation de séjour ou d’un permis de travail. Dans l’exercice de leur liberté d’appréciation, les autorités administratives devaient tenir compte des intérêts moraux et économiques du pays ainsi que du degré de surpopulation étrangère.
  3. La législation énumérait de manière exhaustive les types de permis. Les principaux qui autorisaient leur titulaire à exercer une activité lucrative en Suisse étaient les suivants : l’autorisation annuelle ; l’autorisation saisonnière ; l’autorisation de courte durée ; l’autorisation pour stagiaires ; l’autorisation frontalière. Seuls pouvaient séjourner en Suisse sans y travailler les titulaires d’une autorisation de séjour pour écoliers, pour étudiants, pour curistes ou pour rentiers.
  4. Certains permis de travail faisaient l’objet d’un contingentement. Chaque année, pour la période allant du 1er novembre au 31 octobre de l’année suivante, le Conseil fédéral fixait dans l’OLE le nombre de nouvelles autorisations de travail annuelles, saisonnières et de courte durée qui pouvaient être délivrées par les cantons et par les autorités fédérales. Par exemple, pour la période allant du 1er novembre 1999 au 31 octobre 2000, le canton de Vaud disposait de 994 unités et celui de Genève de 748 unités pour les permis de travail annuels. Quant au contingent fédéral réservé à des entreprises ou à des activités particulières, il s’élevait à 5’000 unités pour toute la Suisse. Il importe de mettre en exergue que les permis frontaliers de même que toutes les autorisations de séjour ne faisaient l’objet d’aucun contingentement. Il en allait de même des permis de séjour ou de travail délivrés à des requérants d’asile ou à des réfugiés.

L’octroi d’un permis de travail était soumis aux trois conditions suivantes :

  1. Il appartenait à l’employeur de prouver qu’il n’avait pas trouvé un ressortissant suisse ou un travailleur disposant déjà d’un permis de travail en Suisse ayant les capacités et le souhait d’occuper le poste proposé aux conditions de travail et de rémunération usuelles de la branche et du lieu.
  2. Sous réserve de certaines exceptions, notamment celles des personnes hautement qualifiées, une autorisation de travail pouvait être accordée uniquement aux travailleurs ressortissant d’un Etat membre de l’UE ou de l’AELE. En pratique, les autorités accordaient également des autorisations de travail aux personnes provenant de l’Amérique du Nord.
  3. L’employeur devait accorder aux travailleurs les mêmes conditions de rémunération et de travail que celles qui se pratiquaient dans la localité et la profession et qui seraient offertes à un Suisse.

Sans entrer dans trop de détails, les différents types de permis de travail que connaissait le droit suisse peuvent être résumés de la manière suivante.

De manière générale, un employeur qui souhaitait engager une personne étrangère à long terme sollicitait un permis de travail annuel appelé également permis B. En cas d’engagement pour une période limitée, l’employeur pouvait requérir soit un permis de courte durée valable selon les cas pour une période de 6 à 18 mois, soit un permis non contingenté valable 4 mois ou 120 jours pouvant être répartis sur toute une année.

La réglementation relative à deux types de permis mérite une attention particulière.

L’autorisation saisonnière permettait à un ressortissant étranger de travailler en Suisse au maximum 9 mois par année à la double condition que l’entreprise ainsi que l’activité du travailleur aient un caractère saisonnier. Les entreprises saisonnières étaient essentiellement celles appartenant au domaine de la construction, de l’hôtellerie et de la restauration. Un saisonnier n’avait pas le droit de faire venir sa famille en Suisse et il devait séjourner au total 3 mois par année civile à l’étranger. Cela signifiait qu’une fois son autorisation de 9 mois arrivée à échéance, il avait l’obligation de quitter la Suisse. Un ressortissant étranger ayant travaillé en Suisse comme saisonnier pendant 36 mois au total au cours des 4 dernières années consécutives pouvait obtenir un permis B identique à celui décrit ci-dessus sans qu’une unité ne doive être prélevée sur le contingent. Cette transformation de l’autorisation saisonnière en autorisation à l’année, appelée également stabilisation, permettait après 4 ans au saisonnier de faire venir sa famille en Suisse.

Outre le fait que l’autorisation frontalière ne faisait pas l’objet d’un contingentement, il importe d’en rappeler les conditions de l’époque. Son octroi était soumis aux quatre exigences suivantes : en principe, le frontalier devait avoir la nationalité de l’un des Etats voisins de la Suisse ; l’intéressé et l’entreprise devaient se situer dans des zones frontalières l’une par rapport à l’autre (concernant le canton de Vaud, il s’agissait d’une zone de 10 km de part et d’autre de la frontière, les Gets étant, par conséquent, frontaliers par rapport à Dully, mais non pas par rapport à l’Abbaye) ; le frontalier devait être domicilié 6 mois au moins dans la zone frontalière avant de solliciter une autorisation ; il devait retourner chaque jour à son domicile.

Concernant le regroupement familial, seuls les titulaires d’une autorisation annuelle (permis B) pouvaient en bénéficier. Ils pouvaient uniquement faire venir à ce titre leur conjoint ainsi que leurs enfants célibataires âgés de moins de 18 ans (l’âge minimum était de 20 ans pour les Espagnols, les Italiens et les Portugais) dont ils avaient la charge.

Sans me prononcer sur ses avantages et ses inconvénients, voilà le système qui était en vigueur avant le mois de juin 2002. Je présenterai ces prochains jours les principales modifications qu’a subies la politique migratoire de la Suisse à l’égard des ressortissants non-Européens suite à l’entrée en vigueur, à cette date, de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE.

[1] Pour en savoir plus, voir Philippe Kenel, Le droit suisse de la politique des étrangers, pp. 1-180 in La main d’œuvre étrangère, Lausanne, 1989 (mises à jour annuelles de 1990 à 2001).

Philippe Kenel

Docteur en droit, avocat en Suisse et en Belgique, Philippe Kenel est spécialisé dans la planification fiscale, successorale et patrimoniale. Social démocrate de droite, il prône l’idée d’une Suisse ouverte sachant défendre ses intérêts et place l’être humain au centre de toute réflexion. Philippe Kenel est président de la Chambre de Commerce Suisse pour la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg à Bruxelles et de la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) en Suisse.

Une réponse à “Politique migratoire de la Suisse: avant juin 2002

  1. Votre papier est brillant, cher Philippe, mais mal adresse.

    Soyez plus court, d’abord, car vous prechez a des convaincus, sur ce support,
    Ensuite, car ceux qui ne le seraient pas, ne vont pas lire tout ca (vos S1.E3).

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