L’introduction de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne (UE) en juin 2002 a engendré deux profondes modifications de la politique migratoire de la Suisse. Tout d’abord, alors que sous l’ancien droit tous les ressortissants étrangers étaient soumis aux mêmes règles, l’introduction de la libre circulation des personnes a créé un traitement différent pour les Européens et pour les ressortissants d’un Etat tiers. En second lieu, alors que jusqu’au mois de juin 2002, la Suisse était libre d’octroyer et de renouveler les autorisations de séjour et les permis de travail, l’accord conclu entre la Suisse et l’UE accorde des droits aux Européens voulant venir séjourner ou travailler en Suisse[1].
A partir du 1er juin 2002, les ressortissants européens, soit ceux de l’UE et de l’Association européenne de libre échange (AELE), sont soumis à l’Accord conclu le 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP) et à l’Ordonnance du Conseil fédéral du 22 mai 2002 sur l’introduction de la libre circulation des personnes (OLCP). Le statut des ressortissants étrangers originaires d’Etats tiers est resté régi par les règles présentées dans mon blog précédent jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2008, de la Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr) et de l’Ordonnance du Conseil fédéral du 24 octobre 2007 relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA).
Les règles applicables aux ressortissants européens
Les deux caractéristiques essentielles de la libre circulation des personnes sont les suivantes :
- Si un certain nombre de conditions sont satisfaites, les bénéficiaires de cette liberté ont un droit à la délivrance d’une autorisation de séjour ou d’un permis de travail.
- Les titres de séjour et de travail ne font l’objet d’aucun contingentement. Dans les relations entre la Suisse et l’UE, ce principe souffre deux exceptions. Tout d’abord, l’introduction de la libre circulation des personnes a fait l’objet d’une introduction progressive en droit suisse. Par exemple, concernant les quinze premiers Etats membres de l’UE, l’ALCP a été conclu le 21 juin 1999, mais des contingents ont subsisté jusqu’au 1er juin 2007. En second lieu, en vertu de la clause de sauvegarde prévue dans l’ALCP, la Suisse peut réintroduire, à un certain nombre de conditions, des contingents.
L’ALCP et l’OLCP prévoient trois types de permis de travail : l’autorisation de séjour valable 5 ans (permis B) ; l’autorisation de séjour de courte durée ; l’autorisation frontalière.
Les règles régissant l’autorisation frontalière sont beaucoup plus souples que celles en vigueur sous l’ancien droit : le frontalier doit avoir la nationalité de l’un des Etats membres de l’UE ; il doit retourner à son domicile uniquement une fois par semaine ; la notion de zone frontalière ayant disparu, une personne domiciliée à Madrid peut travailler en Suisse en qualité de frontalier si les autres conditions liées à cette autorisation sont réunies ; il peut exercer une activité aussi bien dépendante qu’indépendante.
Concernant les personnes qui ne souhaitent pas exercer d’activité lucrative en Suisse, elles ont le droit d’y séjourner à condition de disposer des moyens financiers suffisants pour ne pas devoir faire appel à l’aide sociale et d’être assurées de manière adéquate contre la maladie. Par ailleurs, il existe des autorisations de séjour pour stagiaires, écoliers et étudiants.
Le regroupement familial est soumis à des principes moins stricts que ceux applicables sous l’ancien droit. En effet, non seulement tous les titulaires de permis peuvent faire venir les membres de leur famille, mais le cercle des personnes pouvant venir est beaucoup plus large. En font partie, le conjoint ou le partenaire enregistré, les descendants (enfants et petits-enfants) âgés de moins de vingt et un ans ou à charge ainsi que les ascendants (parents ou/et grands-parents) qui sont à charge. A noter que, concernant les écoliers et les étudiants, seuls leur conjoint et leurs enfants à charge peuvent bénéficier du regroupement familial.
Les règles applicables aux ressortissants d’Etats tiers
De manière générale, il est possible de résumer la situation des ressortissants d’Etats tiers en écrivant que les règles régissant l’octroi d’un permis de séjour ou de travail sont relativement similaires à celles qui étaient applicables à tous les ressortissants étrangers avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes en juin 2002 que j’ai décrite dans mon blog précédent.
En conclusion, il résulte de ce qui précède que depuis le mois de juin 2002, le statut des ressortissants étrangers en Suisse est très différent selon qu’ils ont ou non la nationalité d’un Etat membre de l’UE ou de l’AELE. Dans mon prochain blog, je traiterai de l’initiative populaire contre l’immigration de masse acceptée par le peuple suisse le 9 février 2014 et de ses conséquences sur la politique migratoire de la Suisse.
[1] Pour en savoir plus, voir: Philippe Kenel, Les conséquences de l’intégration européenne sur la politique suisse en matière de main d’œuvre étrangère, pp. 131-138, in la Suisse et son avenir européen, Lausanne, 1989; Philippe Kenel, en collaboration avec Bettina Kahil-Wolff et Martine Ray-Suillot, Etranger en Suisse-guide juridique, Lausanne, 2002