Elie Barnavi : à propos de …

Vous aurez compris en lisant ces différents blogs toute l’admiration, le respect et l’amitié que je porte à l’égard d’Elie Barnavi, cet homme si courageux, si intelligent et si engagé.

Je ne saurais conclure sans mentionner un certain nombre de réflexions qu’Elie Barnavi fait dans ses mémoires, « Confessions d’un bon à rien » (Grasset), à propos d’un certain nombre de personnes, de pays ou de situations n’entrant pas dans le cadre des thématiques abordées précédemment.

« J’aimais beau­coup Rocard, qui était devenu sur-le-champ un ami et le resterait jusqu’à la fin de sa vie. J’admirais son intelligence et sa vivacité d’esprit. Il aurait fait, je crois, un vrai homme d’Etat, du reste il devait le prouver lors de son passage à Matignon. Mais quel piètre politicien ! » (p.242)

« C’est de cette campagne que date mon antipathie à l’égard des conseillers en communication. Il y a bien une aristocratie du métier, une poignée de communicants qui sentent leur époque, savent identifier les qualités de leurs clients et sont capables de les magnifier. Séguéla, justement, est de ceux-là, comme son collègue américain James Carville, le conseiller de Clinton. Le moment venu, Jean fera revenir l’un, Clinton enverra à Barak l’autre, et ils feront tous les deux un excellent boulot. Mais les autres, tous ces marchands de ballons dont l’arrogance vaut l’incompétence, que j’avais vus à l’œuvre dans la campagne désastreuse de Peres, quel gaspillage de temps et d’argent! Encore s’il ne s’agissait que de temps et d’argent, mais, à force d’inculquer à leurs poulains des slogans creux et des gesticula­tions ridicules, ces gens tuent la politique. » (p.279)

« On ne comprend pas la Belgique si l’on ne voit pas que la querelle entre les communautés n’a rien à voir avec l’ethnie, mais avec la langue et la culture. Jean Dupont peut être un parfait « flamingant », Van Damme un pur Wallon. Ce qui les sépare, c’est un sentiment d’appartenance à une communauté de langue. Cependant, ce que la langue masque, c’est le souvenir amer de l’antagonisme social. Dès l’origine, le français était la langue des élites, le néerlandais, ou ce qui en tenait lieu, celle des paysans flamands. Le français était l’idiome de la promotion sociale ; il donnait accès à la haute culture, ainsi qu’à la fonction publique. La bourgeoisie de Gand, d’Anvers et de Bruges parlait français. La plupart des écrivains flamands, Maeterlinck, Rodenbach, Eekhoud, Verhaeren, Gevers, Lilar, Mallet-Joris, ont écrit en français. Parler néerlandais, c’était déclarer malgré soi, puis, de plus en plus délibérément, appartenir à une classe défavorisée et méprisée. » (p.288)

« J’y ai retrouvé les Susskind, David et Simone, un couple mer­veilleux dont le rôle au sein du judaïsme belge et européen méri­terait un livre à lui seul. David avait fondé après la guerre ce qui allait devenir le CCLJ (Centre communautaire laïc juif), une institution unique en Europe, et dès mon arrivée il m’a associé aussi étroitement qu’il a pu à ses acti­vités. C’était un personnage extraordinaire, l’un de ces Juifs à la fois totalement juifs et totalement universalistes, dont l’espèce se fait rare. L’ascendant qu’il exerçait sur tous ceux qu’il appro­chait était aussi puissant qu’impossible à analyser. Il n’était pas beau, ne parlait correctement aucune des nombreuses langues dans lesquelles il s’exprimait, mais son éloquence et son cha­risme n’étaient pas moins évidents, indéniables. Naturellement, il avait été communiste dans sa jeunesse, mais, avec son indépendance d’esprit, ses chances de le rester étaient nulles. C’est ainsi que David est le seul militant que je connaisse à avoir réussi à se faire expulser de deux partis communistes, le stalinien puis le maoïste. Il m’a raconté comment, en attendant sa comparution pour hérésie devant le tribunal de l’inquisition du premier en compagnie d’une jeune femme enceinte, celle-ci lui murmura, les larmes aux yeux : « Mon enfant naîtra en dehors du Parti. » Formidable profession de foi d’une croyante qui retrouvait sans le savoir ce vieux dogme de l’Église : Extra ecclesiam nulla salus… Il s’était ensuite investi dans des causes juives, mais toujours dans une perspective humaniste : le CCLJ, l’émigration des Juifs de l’Union soviétique, l’affaire du carmel d’Auschwitz, la paix israélo-palestinienne surtout. C’est dans la maison de David et Simone qu’ont eu lieu les premiers contacts, clandestins, entre Israéliens du camp de la paix et Palestiniens de l’OLP. »  (p.319-320)

« Nous retrouvions Bruxelles avec plaisir. Kirsten et moi nous étions attachés à cette ville maltraitée dont on devinait qu’elle avait été belle autrefois, anarchique et amicale, une ville à taille humaine qui ne se prend pas pour le nombril du monde, dont le symbole n’est pas quelque pièce d’architecture grandiose mais un petit bonhomme qui fait pipi. Paris est inti­midant, Bruxelles est aimable. Je ne connais pas un expatrié qui n’apprécie pas la gentillesse, l’hospitalité et le sens de l’hu­mour des Bruxellois. » (p.427)

« Le 13 juillet 2008, cet honnête homme s’est tué au volant de sa voiture sur une route polonaise. Le 19, Benoît Remiche, Kzrysztof Pomian et moi publiions dans Le Monde un hommage au grand ami disparu : « Une haute figure de l’Europe n’est plus. Bronislaw Geremek représentait en raccourci cette seconde moi­tié du XXe siècle européen, qui, à tout prendre, s’est mieux ter­minée qu’elle n’a commencé. Peu d’hommes peuvent se targuer d’y avoir aussi puissamment contribué… » (p.443)

« Qu’on me comprenne bien, je conçois parfaitement qu’on ne soit pas « européen », qu’à l’aventure européenne l’on préfère l’entre-soi national, bien au chaud à l’intérieur de ses frontières. Si je considère le souverainisme comme une voie de garage, je ne pense pas qu’il soit moralement répréhensible. Ce que je ne supporte pas, c’est le mensonge et le procès d’intention. Si je juge Boris Johnson immoral, ce n’est pas parce qu’il est souverainiste; c’est parce qu’il est menteur. » (p.448-449)

Un grand merci à Elie Barnavi de nous avoir fait part dans ses mémoires de tant de réflexions. J’espère que ces différents blogs donneront l’envie au lecteur de lire l’entier des « Confessions d’un bon à rien ». Amitiés à toi et à ton épouse Kirsten.

Philippe Kenel

Docteur en droit, avocat en Suisse et en Belgique, Philippe Kenel est spécialisé dans la planification fiscale, successorale et patrimoniale. Social démocrate de droite, il prône l’idée d’une Suisse ouverte sachant défendre ses intérêts et place l’être humain au centre de toute réflexion. Philippe Kenel est président de la Chambre de Commerce Suisse pour la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg à Bruxelles et de la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) en Suisse.