Je reste pacifiste, basta !

Que ça soit clair d’entrée, le pacifisme ne signifie pas de croiser les bras ni d’être bisounours naïf et de fermer les yeux face aux réalités du monde. Le pacifisme est une vision qui veut réaliser la paix par des moyens pacifique (peace by peaceful means). C’est avant tout une conviction et un engagement.

Grande instabilité géopolitique, violence ouverte, bombes, réarmement, possible élargissement de l’OTAN, etc., la guerre de Poutine en Ukraine met à mal notre mouvement international pour la paix. Il représente pourtant la seule véritable issue aux violences à grande échelle. Restons convaincus, restons engagés !

Que faire face à cette violence ? Toutes les doctrines de la guerre juste reconnaissant et encadrent la légitime défense, y inclut collectif. Tout comme en Ukraine, la défense militaire peut être un mal nécessaire. Mais n’appelons jamais cela un rétablissement de la paix car la paix n’est pas simplement l’absence de guerre !

Mais n’appelons jamais cela un rétablissement de la paix car la paix n’est pas simplement l’absence de guerre !

Mais qu’est-ce que la paix alors ? Nous pouvons identifier trois postures philosophiques qui tentent d’y répondre.

  • La paix par l’équilibre des puissances, communément appelé « le réalisme ». C’est la doctrine prédominante dans les réalisations internationales d’aujourd’hui. En résume, chacun doit s’armer autant que l’autre afin de pouvoir assurer la destruction mutuelle, ce qui est censé décourager une attaque. On identifie rapidement les lacunes et risques de ce modèle et on note qu’on se trouve exactement dans cette posture actuellement face à la guerre en Ukraine.
  • La paix par la primauté de la loi, aussi appelé « le libéralisme ». L’Homme serait le loup pour l’Homme (selon Hobbes, et un certain nombre d’autres…), et il a besoin d’être cadré par des règles pour l’obliger à un comportement pacifique. Une belle triste vision de l’humanité…
  • La paix par des moyens pacifiques, « le pacifisme ». Il s’appuie sur les capacités de la nature humaine à être en paix avec autrui en renforçant ses ressources : l’éducation à la paix, les modes de gestion alternative des conflits, l’élimination de toutes formes de violences ou de précarité, etc. Tout un programme, toute une vision du monde à réaliser à long terme et à ne jamais abandonner même en cas de guerre. La paix n’est donc pas absence de guerre, mais absence de toutes formes de violences, qu’elles soient directes, structurelles ou culturelles. Contrairement au libéralisme ci-dessus, le pacifisme est le véritable modèle libéral au sens propre du terme, car non pas les règles définissent le comportement humain, mais sa propre volonté.

Contrairement au libéralisme ci-dessus, le pacifisme est le véritable modèle libéral au sens propre du terme, car non pas les règles définissent le comportement humain, mais sa propre volonté.

Plus que jamais, le mouvement international pour la paix doit affirmer ses convictions et éviter une course à l’armement au-delà du stricte nécessaire à la légitime défense pour une période que nous espérons toutes et tous très courte. Autrement, nous nourririons le cercle vicieux que représente le réalisme exposé ci-dessus.

La vision quant à la correspondance entre la légitime défense et l’armement est claire : l’élimination de toutes les armes et l’abandon de toutes les armées étatiques en les remplaçant par une police internationale sous l’égide des Nations Unies (Nations Unies réformées bien entendu…) dans une logique de « Weltinnenpolitik ». A moyen terme et comme étape intermédiaire, on passera par une intégration régionale des armées, par exemple par continent ou structure multinationale, ce mouvement semble déjà gentiment s’amorcer.

Initiative anti-burqa : faire avancer la protection des femmes et l’égalité

La liberté inclut la liberté des autres de faire ce que je considère moi-même comme dérangeant. Ou, pour le dire avec Voltaire :

Je hais vos idées, mais je me ferais tuer pour que vous ayez le droit de les exprimer.

Le voile intégral me dérange, il m’irrite. Mais j’ai de la peine quand, dans un début de paternalisme trop insistant, on pense comprendre, mieux qu’elles-mêmes, ce qui anime les concernées, ce qu’elles pensent ou ressentent. Pensez-vous vraiment que la femme musulmane a besoin de notre sauvetage par les urnes ?

Depuis janvier 2021, nous avons les résultats de la première étude scientifique sur la situation en Suisse[1]. La grande majorité des femmes portent le voile intégral de leur plein gré. Souvent contre l’avis de leur mari ou de leur famille. Certaines ont quitté leur mari considéré comme pas suffisamment pieux. Ces résultats correspondent avec ceux d’autres études européennes sur la même thématique.

Oui, cela irrite, mais ayant au moins l’humilité de dire que cette irritation relève peut-être d’une dissonance cognitive : quand nos idées reçues se heurtent aux faits présentés.

Mais laissons ce débat stérile, on n’avancera pas d’ici mars dans ce climat délétère que génère cette campagne. Les avis déjà exprimés ne pourront plus faire marche arrière.

Mettons plutôt l’accent sur le véritable enjeu de cette campagne, le progrès de l’égalité hommes-femmes. L’émotivité de l’objet principal risque de voiler ce que le Conseil fédéral et le Parlement nous présente à cet égard dans le contre-projet indirect que peu connaissent malheureusement.

Contrairement à l’initiative qui, dans une logique populiste, veut simplement écraser ce qu’elle considère comme problème, le contre-projet propose des véritables projets de société. Il entre automatiquement en vigueur si l’initiative est refusée. Dans ce cas, les lois fédérales sur les étrangers et l’intégration, celle sur l’égalité ainsi que celle sur la coopération au développement seront modifiées afin de renforcer la protection des femmes et la promotion de l’égalité en Suisse et à l’étranger. Quant à la loi sur l’égalité, il y a même une petite révolution en vue, actuellement limité au domaine de la vie professionnelle, elle élargirait son champ d’application à la vie en société en général grâce au contre-projet.

Une véritable avancée qui toucherait sans doute des milliers, voire des dizaines de milliers de femmes. L’initiative concerne elle, toujours selon l’étude citée ci-dessus, entre 20 et 30 femmes au maximum en Suisse, et dont une grande majorité a choisi cet habillement librement et se verrait donc privées de ses libertés fondamentales.

Il est d’une évidence frappante que la protection des femmes et l’égalité passent par le contre-projet, ne noyons pas cette réalité dans un débat stérile sur une initiative simpliste qui propose plus de dégâts que de bien.

Le véritable enjeu de cette campagne est la bonne compréhension des propositions du contre-projet.

 

[1] « Verhüllung – die Burkadebatte in der Schweiz », Prof. Tunger-Zanetti, Université de Lucernce, janvier 2021

La norme pénale anti-homophobie : des conséquences pour la discrimination islamophobe ?

Ce 9 février, les Suisses voteront sur l’extension de la norme antiraciste aux actes homophobes. En cas d’un oui, la discrimination sur base de l’orientation sexuelle sera punissable comme l’est actuellement déjà celle sur base de l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse.

Concrètement, celui qui inciterait d’autres individus à la haine ou à la discrimination homophobe sera poursuivi d’office et punissable d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire, si les propos sont tenus en public.

Ainsi, à la page 11, le 24Heures du 25 janvier 2020 nous donne quelques exemples concrets de cas qui pourraient devenir punissables si cette nouvelle norme est acceptée le 9 février :

  • Une patronne qui, dans son restaurant et devant d’autres clients, dirait à sa fille : « Ne t’approche pas trop d’elles, l’homosexualité peut être contagieuse. »
  • Le refus d’une prestation destinée au public, par exemple « un pâtissier qui refuserait de faire un gâteau de mariage pour un couple d’homosexuels. »

Ces exemples nous donnent une certaine idée des actes potentiellement punissable à l’avenir. Mais à quel point pourrait-on les généraliser ? Quid par exemple d’une personne qui appellerait publiquement des entreprises à ne pas embaucher des personnes homosexuelles ? Serait-ce punissable sous la nouvelle norme ? Intuitivement, on dirait oui, évidemment. Cela ne me semble pourtant pas aussi sûr que ça. Nous avons précisément ce cas en tournant simplement la page dudit 24Heures. C’est donc à la page 12 que Jean-Luc Addor, Conseiller national UDC valaisan, appelle publiquement les CFF et la Poste à ne pas embaucher des femmes appartenant à l’islam et portant le voile. Ayant l’habitude de ce genre de propos vis-à-vis des musulmans, je n’ai aucun espoir qu’ils soient poursuivis d’office comme on s’y attendrait s’il s’agirait de personnes homosexuelles (ou juives, ou de couleur, etc.).

« Ce n’est pas la même chose ! », nous dira-t-on. Dans le cas du voile islamique ça serait le port de cet habit, donc le comportement ostensible, la visibilité de l’appartenance qui invaliderait la protection contre la discrimination et non pas l’appartenance en tant que telle.

On peut entendre l’argument, mais que signifierait cette logique en analogie pour les personnes homosexuelles ? Que leur orientation sexuelle ne devrait pas se manifester au lieu de travail au risque de se voir invalider la protection contre la discrimination ? Qu’elles ne devraient jamais en parler ni porter un habit couleur arc-en-ciel au travail ?

On peut supposer que notre système judiciaire n’acceptera aucune discrimination entre des cas relevant d’une seule et même norme pénale. Cette extension de la norme antiraciste aux actes homophobes – en plus de son évidence frappante – nous permettra peut être aussi d’avoir une nouvelle perspective, voire une nouvelle pratique juridique, concernant les discriminations à l’égard des musulman/es.

L’inclusion de l’homophobie dans la norme pénale antiraciste me semble donc une excellente opportunité pour renforcer en parallèle la protection de personnes d’autres groupes protégés par cette loi.

Le combat contre la haine et la discrimination ne peut être sélectif, il nous concerne toutes et tous. Réunissons nos forces pour lutter contre toute sorte de discrimination, quel que soit l’auteur, quelle que soit la victime.

La constitution n’est pas au-dessus de tout: 10 ans d’interdiction des minarets en Suisse

Pourquoi revenir sur ce débat qui est clos depuis dix ans, demanderont certains. La réponse est simple : rarement les analystes politiques se sont autant trompé sur leur pronostiques, rarement une initiative a fait parler autant d’elle après le dimanche de votation et rarement les Suisses ont introduit une discrimination aussi frappante contre une minorité dans la Constitution. On pensait loin le temps quand les jésuites ou les clochers dans le Canton de Vaud étaient interdits ; c’est pourtant en 2009 que le peuple à introduit une loi d’exception contre une minorité religieuse dans sa Constitution à travers une réglementation de construction, qui, à priori, serait de compétence communale.

L’interdiction des minarets est donc une votation qu’on peut considérer, sans beaucoup d’exagération, comme historique pour la Suisse.

J’ai eu la possibilité de m’engager pour deux projets concrets autour de ce dixième anniversaire dont j’aimerais vous présenter quelques résultats principaux.

Le premier est un montage vidéo pour lequel j’ai interviewé des personnes choisies au hasard à travers un appel sur les réseaux sociaux. Je leur ai posé les questions suivantes, dont je vous présente les réponses dans la vidéo ci-dessous.

  • Est-ce que tu te souviens où t’étais quand t’as appris le résultat de cette votation ?
  • Quelles émotions cela avait provoqué chez toi ?
  • Quel était le message envoyé à la communauté musulmane de Suisse ?
  • Il y a-t-il une évolution depuis 2009 ?
  • Peut on voire des côtés positifs dans cette votation/interdiction ?
  • Aujourd’hui, faut-il garder, supprimer ou ignorer cet article constitutionnel ?

C’est parti !

Le deuxième projet était une table ronde[1] avec MM. Hafid Ouardiri (Fondation de l’Entre-Connaissance), Michael von Graffenried (photographe) et Dominique Voinçon (responsable catholique pour le dialogue interreligieux dans le Canton de Vaud. Les échanges étaient modérés par Sid Ahmed Hammouche, journaliste. J’en retiens entre autres la conclusion suivante :

A l’instar des dispositions de « l’initiative pour le renvoie des criminels étrangers », les juges n’appliqueraient probablement pas non plus l’interdiction de construire des minarets à la lettre, tout comme la première, elle viole des droits fondamentaux garantis dans la Constitution suisse et dans la Convention européenne des droits de l’homme[2]. La constitution n’est pas au-dessus de tout.

La construction d’un minaret reste possible en Suisse, elle serait à évaluer au cas par cas.

Faut-il pour autant forcer la main et tenter sa chance en passant par les tribunaux ? Non, certainement pas. Etant donné que le minaret n’est qu’un simple décor architectural, beau certes, mais pas nécessaire pour vivre la foi islamique, je suis opposé, en tant que musulman, à l’idée de générer des tensions inutiles, d’engendrer des frais de justice, de provoquer un débat public houleux juste pour éventuellement pouvoir imbriquer des briques d’une certaine manière. En revanche, en tant que citoyen, je reste, même après dix ans, profondément perturbé par cette disposition discriminatoire dans notre Constitution. On pourrait tout simplement attendre le prochain toilettage général de notre loi fondamental, en espérant que la suppression soit proposée. Cependant, la constitution suisse n’a connu que deux réformes depuis la création de l’état fédéral en 1848, à savoir celle de 1874 et celle de 1999. En l’occurrence, il faudrait s’armer de patience pendant quelques décennies probablement. C’est long pour les défenseurs de l’égalité et des droits fondamentaux, c’est trop long. Les jours suivant la votation en 2009, des voix s’étaient levées pour proposer un nouveau vote afin de corriger le tir. A l’époque, cela me semblait inapproprié. Dans la mentalité politique suisse il faut laisser passer un bon bout de temps avant de revenir sur le même sujet. C’était le cas, par exemple, pour le droit de vote des femmes, refusé une première fois en 1959, puis accepté en 1971 (12 ans après) ou encore pour l’adhésion de la Suisse aux Nations Unies, refusé en 1986 avant d’être accepté en 2002 (16 ans plus tard). Cela fait une moyenne de 14 ans d’attente. En revanche, l’interdiction des jésuites a été aboli après 126 ans seulement, par votation populaire en 1973. La Suisse semblait enfin prête à vivre véritablement sa tolérance et sa paix religieuse, jusqu’à ce dimanche en novembre 2009. Mais plutôt que de supprimer cette interdiction, il faudrait peut être la garder comme mise en garde par rapport aux failles d’un système qui pourtant se veut parfait, l’histoire nous jugera.

[1] https://gemperli-diversite.ch/972-2/

[2] https://www.nzz.ch/schweiz/auch-das-minarettverbot-gilt-nicht-absolut-1.17991202

Le mariage pour toutes et tous : comprenons bien la question et l’enjeu

Que ça soit au niveau des partis politiques ou des communautés religieuses, les réactions à la question du mariage pour toutes et tous font figure d’une prévisibilité sans surprise. Cependant, les traditionalistes qui s’y opposent, notamment du côté des communautés religieuses, interprètent mal la question et se trompent de combat. Pire encore : ils mettent en péril leurs propres libertés tant réclamées.

Quand à l’interprétation de la question, il importe de la comprendre au bon niveau, à savoir sur le plan politique et sociétal. Il ne s’agit en aucun cas d’un enjeu religieux puisque l’état libéral et séculier ainsi que les lois qu’il promulgue se doivent d’être neutre à ce niveau. La question posée n’est pas « est-ce que dans ta tradition religieuse le mariage pour toutes et tous est permis ? », et encore moins « est-ce que le mariage pour toutes et tous concorde avec tes convictions personnelles ? ». La seule question qui se pose, et qui est absolument fondamentale pour la compréhension de notre modèle de société, est la suivante : « est-ce que chacun-e doit pouvoir vivre sa vie selon ses propres définitions,  ses convictions, ses valeurs et ses orientations ? ». Ce sont avant tout, mais pas seulement, les minorités religieuses qui devraient affirmer avec conviction ce principe, d’autant plus si elles se voient exposées à des discriminations. Leurs protections, leurs libertés en dépendent. C’est le deuxième point mentionné en introduction, il concerne la mise en péril de ses propres libertés par le risque que comporte la promotion d’une société normative sur le plan des valeurs sociales et religieuses, comme par exemple l’interdiction du mariage pour toutes et tous. Une telle normativité est par définition exclusive car elle s’expose à la nature contradictoire des normes et elle devient donc forcément assujettie à la loi du plus fort et donc à la discrimination des uns, ou des autres.

En conséquence, nous avons intérêt à prôner l’éthique de la règle d’or qu’on retrouve dans la plupart des grandes civilisations et religions, à savoir le principe suivant : « Traite les autres comme tu voudrais être traité toi-même ». Ou autrement dit :

Comment pourrais-je continuer à réclamer mes droits et mes libertés tout en refusant ceux d’autrui ?!

Le contre-modèle que je propose est celui que je qualifierais d’un « libéralisme social maximal ». Ni l’état, ni aucun autre groupe social ou groupe d’intérêt, ni aucune personne ne doit intervenir dans l’autodéfinition des normativités sociales ou religieuses d’autrui. Ceci bien évidemment dans un cadre légal minimal protégeant les principes démocratiques et les libertés, les vulnérables ainsi que l’environnement, nécessaires pour assurer la paix, la dignité et la survie de l’Homme et de la nature.

On me reprochera d’être ultralibéral sur le plan sociétal, je l’assume avec conviction, car ce modèle est la condition préalable pour le respect des modes de vie particuliers de tout un chacun sous forme d’« îlots de normativité » au sein de la société. Des îlots qui se développeraient librement à travers des communautés ou groupes quelconques tout en assurant le vivre ensemble dans le respect mutuel. L’essentiel est que ces îlots respectent sans ambiguïté les règles exposées ci-dessus dans l’interaction interne et externe et que ces derniers permettent la perméabilité des confins du groupe, donc l’accès et le départ libre de ses membres. Non seulement les groupes eux-mêmes mais aussi ses adhérents individuellement doivent pouvoir s’auto-organiser et choisir librement, que ça soit pour l’adhésion ou non à un groupe tout comme pour les modes de vie au sein d’un tel groupe.

Ces réflexions représentent l’attitude fondamentale de ce blog qui se reflète ainsi dans sa dénomination : Nous sommes 1001 suisses, vivant ensemble dans une seule nation, en se respectant, en s’enrichissant mutuellement et  en veillant ensemble au progrès de cette nation commune.