Quatre francs par mois pour protéger le climat

Dans le cadre de ce que les citoyennes et citoyens attendent de lui, l’état devrait rester autant svelte que possible. Une bureaucratie gonflée, une trop forte centralisation ou encore trop de régulation nuisent à l’efficacité et gaspillent les ressources et donc l’argent des contribuables. En conséquence, voter une augmentation d’impôts fait partie, en ce qui me concerne, des actions politiques les plus désagréables. Elle devrait être mûrement réfléchie, manifestement nécessaire et surtout, clairement argumentée. Mais revenons un peu en arrière.

En 2018, la Ville de Morges s’est dotée d’une stratégie énergétique ambitieuse afin de contribuer sa part à la transition énergétique, et donc à la protection du climat. Concrètement, jusqu’à 2035, elle veut :

  • Réduire la consommation d’énergie finale par habitant de 43% par rapport à l’année 2017 ;
  • Réduire la consommation d’électricité par habitant de 13% par rapport à l’année 2017 ;
  • Réduire les émissions de CO₂ de 41% par habitant par rapport à l’année 2017.

Ces objectifs s’inscrivent dans la stratégie énergétique de la Confédération et font donc partie des engagements pris à travers les Accords de Paris.

Pour y parvenir, la Planification énergétique territoriale morgienne prévoit les réalisations suivantes :

  • La rénovation de 16’000 m2 de surface de référence énergétique par année ;
  • L’injection de 0,7% de plus de biogaz dans le réseau morgien par année ;
  • Le développement et le raccordement de 8 réseaux thermiques jusqu’à 2035 ;
  • Le remplacement de 50 chauffages au mazout ou électrique par une solution écologique par année ;
  • L’installation de 3’000 m2 de panneaux solaires par année.

Ces réalisations concernent tout le territoire morgien et peuvent être entreprises par le public ou le privé. Quand c’est le public, c’est évidemment la manne publique qui le prend en charge, quand c’est le privé… faut souvent le stimuler un peu, car la fameuse responsabilité individuelle s’arrête souvent là où les dépenses commencent. Pour cela, nous avons un fonds d’encouragement qui subventionne les engagements des privés, au alentours de 20% des coûts. Seulement, sur les environ 150’000.- utilisés, la moitié l’est pour des vélos électriques. Malheureusement les montants investis dans les rénovations, le remplacement de chauffage ou l’installation de panneaux solaires reste donc limité à maximum 80’000.-, respectivement 400’000.- si on prend les coûts totaux (dont le fonds finance 20% justement). Ce qui nous amène à parler un peu des chiffres. Que coûte concrètement les objectifs de la Planification énergétique territoriale citée ci-dessus ? Selon nos propres calculs, qui sont confortés par les chiffres reçus par la Municipalité, il faut compter au minimum 4 à 6 millions par année[1], et ceci depuis l’adoption de la Stratégie énergétique, donc 2019[2].

Le prochain réflexe du Conseiller communal est donc d’aller vérifier si ces coûts, ou du moins une bonne partie[3], se trouve dans les budgets. Et là c’est le grand réveil ! Manifestement, depuis 2019, la ville de Morges a accumulé une dette climatique – qui en réalité est tout autant financière – astronomique. Son montant exact reste à être chiffré, mais si l’on compte les 5 millions minimum nécessaires par année, multiplié par 4 années (2019 à 2022) cela fait 20 millions de francs suisses. On en déduira les peanuts investis par les privés et les quelques rénovations énergétique effectuées par la Ville depuis 2019. Nous n’avons pas ces deux derniers chiffres, mais sans aucun doute cette dette, qui figure nulle part, reste alarmante sur le plan climatique et financier. Et elle se creuse de quelque millions chaque année ! Tout ceci sans parler des nouveaux bâtiments et habitants, qui, dès par leur consommation énergétique, viennent annuler une partie des efforts réalisés. C’est comme si votre télé a une économie d’énergie de 20%, mais au lieu d’une vous en avez deux… Bienvenue la bonne conscience.

Quid alors de la capacité financière de Morges pour absorber ces millions supplémentaires ? Elle est plutôt sombre, pour le dire avec optimisme. En 2022, la commune attend un déficit d’environ 10 millions pour la deuxième fois de suite. La reprise économique nous semble instable et la marge de manœuvre par rapport au plafond d’endettement, au vu de tous les investissements déjà votés, reste à être vérifiée.

En clair : les finances communales vont mal et la stratégie énergétique risque fort de se noyer à l’instar de ces bâtiments touchés par les inondations cet été ou encore ces pays côtiers qui disparaitront ces prochaines décennies avec l’augmentation des océans.

Certains proposent la politique de l’autruche, ce n’est pas mon genre. Il faut agir de façon substantielle et il faut agir maintenant.

Mise à part un miracle, il y a deux solutions pour générer de la liquidité pour une commune : ou bien on réduit les dépenses ou bien on augmente les revenus[4]. Concernant les dépenses, effectivement, on aurait pu s’attendre que la nouvelle majorité municipale de droite nous propose un budget équilibré, voire avec certaines coupes, comme ils l’avaient toujours exigé avant d’être en majorité. Or, le budget 2022 prévoit une augmentation des coûts et un déficit de ~ 10 millions. Si même la majorité de droite n’arrive pas à couper les dépenses, faut peut-être partir du principe que la marge de manœuvre à cet égard est très réduite. Reste donc la deuxième option, l’augmentation des revenus. Et qui dit augmentation des revenus pour une commune dit augmentation de l’imposition. Et à partir de là on sait aussi que les crispations et les débats animés attendent au tournant.

Le dogmatisme politique à cet égard veut que les avis sur la question soient faits avant même qu’elle ne soit posée.

Mais il y aurait peut-être une petite porte de sortie pour adoucir les avis d’une petite partie de concernés, à savoir les membres du Conseil communal, afin de gagner une micro-majorité qui permettrait à la Ville de Morges de prendre ses responsabilités en matière de protection climatique. Il faudrait que l’argent demandé soit exclusivement destiné à cette cause. Pour ce faire, il y a une astuce dans la loi, très rarement utilisée, qui permet de définir l’affectation d’une augmentation d’impôts[5]. C’est ce que nous avons proposé. Et à une très courte majorité, 45 contre 43, le Conseil communal de Morges a donc accepté l’augmentation d’un point d’impôts qui sera exclusivement affectée à la Stratégie énergétique de la Ville.

Constater la crise et définir des objectifs c’est bien. Mettre en plus les moyens qu’il faut c’est mieux.

Ah oui ! Pourquoi alors le titre quatre francs par mois pour protéger le climat ? Le point d’impôt ainsi affecté coutera 48.- par année au citoyen moyen ; 23.-/année pour la personne mariée avec un revenu imposable de 50’000.- et 2 enfants ou encore 220.-/année pour la personne seule et sans enfant avec 200’000.- de revenu imposable. Plus on gagne[6], plus on contribue à cette mission collective, cela me semble juste.

 


[1] Par exemple le prix du mètre carré de rénovation d’une surface de référence énergétique = ~ 150.-, multiplié par 16’000 m2 = 2,4 millions ; l’installation de 3’000 m2 de panneaux solaires au prix d’environ ~ 350.- = 1 million 50 milles, etc., etc.

[2] Adoptée le 7 septembre 2018

[3] L’autre est, pardon…, devrait être pris en charge par les privés

[4] Ce qui ne diffère d’ailleurs pas fondamentalement pour un ménage ou une entreprise…

[5] D’habitude plutôt utilisé pour construire une caserne de pompiers par exemple

[6] et plus on émet de CO2 soit dit en passant

Vague Verte malgré la crise covid ? Une évidence écologique, économique et sociale

A plusieurs reprises, ces derniers mois a-t-on pu lire l’étonnement de certains medias quant à la continuation de la vague Verte malgré la crise covid. Cependant, rien ne me semble plus évident. Bien au contraire, une économie verte – des circuits courts plutôt que des chaînes d’approvisionnement internationales qui s’effondrent, le soutien aux commerces et PME de proximité, la paysannerie locale et biologique, les postes de travail à proximité, un équilibre sain entre vie familiale et professionnelle, un revenu de base inconditionnel – une économie durable, résiliente et juste, rien de plus approprié que l’écologie politique qui aurait permis d’éviter une partie de cette crise, respectivement maintenant nous en sortir.

Effectivement, nous traversons aujourd’hui plusieurs crises en parallèle. A celle du climat, abstraite pour beaucoup, s’ajoute désormais celle du covid-19 et notamment ses composantes économiques et sociales que l’on n’avait pas connu depuis la deuxième Guerre. A cela s’ajoute un autre défi d’une ampleur ressemblante à la révolution industrielle du début du 19ème siècle : la transition technologique. Selon une récente étude du World Economic Forum, 85 millions de postes de travail seront remplacés par l’automation d’ici 2025, en contrepartie 97 millions de nouveaux postes seront créés dans ces nouveaux domaines. Les chaînes logistiques, les canaux de vente, le marketing et bien d’autres aspects de la gestion d’entreprises se transforment à une vitesse notablement accélérée par la crise covid-19. Est-ce que nos commerces et PME sont prêts pour faire partie de 97 millions de postes créés plutôt que des 85 millions perdus ?

Les crises mentionnées ci-dessus, leurs origines et dynamiques sont multiples, mais elles se rejoignent dans les solutions : instaurer une économie verte et de proximité, durable, résiliente et juste en s’adaptant (très) rapidement à la transition technologique.

La manne publique a sauvé d’innombrables places de travail et évité la faillite de PME en Suisse ces derniers mois. Tout le monde l’aura compris, en cas de crise ce n’est pas la main invisible du marché mais bel et bien l’état-providence qui sauve notre société. Cependant, nous ne pourrons pas injecter ces fonds perdus à long, ni moyen-terme. Après le pansement pour stopper l’hémorragie, nécessaire dans l’immédiat, le temps est venu de penser guérisons plutôt que qu’intervention de sauvetage, d’investissement plutôt que de dépenses. Les prochains rounds de soutien aux PME devraient se focaliser sur la transformation écologique et technologique des entreprises concernées. La société qui continue à s’approvisionner en Asie plutôt que de soutenir nos producteurs locaux court des grands risques, le petit commerce qui n’assure pas sa transition digitale les cinq prochaines années ne sera probablement plus de la partie. Aidons-les, aidons-les à se transformer, à se moderniser, à surmonter la crise, mais pas seulement, aidons-les surtout à devenir des entreprises durables, résilientes et justes, prêtes à affronter l’avenir de notre économie et de notre société.

L’écologie verte nous permet d’affronter ces trois crises en parallèle – climatique, économique et sociale ainsi que la transition technologique – à travers leur solution commune.

A titre d’exemple, en 2013, les Vert·e·s de Morges ont déposé un postulat qui demande la mise en place d’un fonds pour soutenir les PME locales dans leur transition écologique. Concrètement, une société pourra demander des fonds pour se mettre à niveau, par exemple pour remplacer un chauffage de bureau, un four de boulanger, etc. puis rembourser ces fonds sur les économies réalisées. Il n’y donc rien à investir, mais des bénéfices écologiques et économiques rapide. Le restaurateur qui a dû fermer ce mercredi 4 novembre pourrait tirer profit de la fermeture pour faire les travaux puis bénéficier des retombés rapidement. N’est-ce pas justement en période de crise qu’il est fondamental de se poser les bonnes questions et d’agir en conséquence ?

Il est urgent de réagir. Trois propositions concrètes :

  • Transformons les aides à fonds perdus en investissement pour l’avenir.
  • Affectons ces fonds à la transition écologique pour affronter en même temps la crise climatique et pour permettre des économies aux PME.
  • Affectons ces fonds à la transition technologique en accompagnant les PME dans leur transition numérique et technologique afin de réduire les impacts environnementaux et pour garantir la survie de nos PME en affrontant les défis de l’avenir.

La chute du mur et l’ère de l’écologie politique

Une ère nouvelle souffle sur le paysage politique suisse. Le 20 octobre 2019, le parti des Verts a marqué l’histoire en faisant élire 17 nouvelles et nouveaux parlementaires, c’est un record en Suisse depuis la mise en place du système proportionnel en 1919. Le parti fait plus que doubler sa députation et devient ainsi 4ème force politique du pays avec une prétention d’entrer au Conseil fédéral. Cette participation gouvernementale ne fait cependant pas unanimité auprès des autres partis. L’argument le plus fréquent contre ce rééquilibrage du Conseil fédéral est celui de la pérennisation du score. Il faudrait d’abord le confirmer lors des prochaines élections en 2023 pour s’assurer qu’il ne s’agit pas seulement d’un effet de mode à courte durée. L’histoire nous enseigne pourtant que les grands bouleversements sociétaux ont un impact de plusieurs décennies sur les partis politiques en Suisse.

Prenant l’exemple du Parti Radical-démocratique, prédécesseur principal du PLR, vainqueur de la guerre du Sonderbund et ainsi force motrice de la Suisse moderne et de ses institutions davantage centralisées. Ils ont dominé la politique suisse jusqu’à la première guerre mondiale, une bonne soixantaine d’années.

Le Parti Socialiste a connu le meilleur résultat de son histoire en 1943. Son ascension est due notamment à la crise économique après la première guerre mondiale qui avait provoqué la grève générale en 1918. En 1943, le PS a doublé ses sièges de 20 à 41 pour atteindre 28,4%. Cela fait presque 30 ans de succès électoral.

Manifestations le 4 novembre 1989 à Berlin-Est.

Et enfin, l’Union Démocratique du Centre doit son succès en grande partie à la fin de la guerre froide et à la mondialisation depuis les années ’90. Le nouvel ordre multipolaire du monde, l’éclat de guerres civiles jusqu’alors étouffées par la prédominance des deux forces majeures, les Etats-Unis et l’Union Soviétique, les nouveaux flux migratoires et les incertitudes ont provoqué des réactions nationalistes en Suisse et ailleurs. Une bonne trentaine d’années de réussite pour l’UDC pour arriver à son apogée de presque 30% en 2015.

Quid alors de la nouvelle ère après celle de la chute du mur ? Tout laisse à penser que nous venons d’entamer un nouveau cycle politique, celui de l’urgence écologique. Les scientifiques du monde s’accordent pour dresser un avenir sombre du monde et de l’humanité si le tournant climatique n’est pas assuré par des mesures politiques importantes et rapides. Des références comme le National Geographic n’hésite pas à parler de la 6ème extinction massive de la vie sur terre[1]. L’écologie politique restera sans doute une priorité sine qua non pour une certaine durée. Rien ne nous empêche de prédire une prépondérance progressive des Verts sur les prochaines décennies à l’instar de ce que le PLR, le PS et l’UDC ont connu dans le passé.

[1] https://www.nationalgeographic.fr/environnement/la-sixieme-extinction-massive-deja-commence