Depuis mercredi dernier le public suisse est invité à visionner le film du cinéaste canadien Daniel Roher consacré au plus célèbre opposant russe vivant et décrit comme « un documentaire biographique avec des éléments de thriller ». Le mot « thriller » me gêne car il sous-entend des éléments de fiction, tandis que la force de ce genre de film est dans sa véracité.
Le film couvre une période entre août 2020, quand Alexeï Navalny est sorti du coma après avoir être empoisonné par Novitchok dans l’avion Tomsk-Moscou, jusqu’à son retour à Moscou le 17 janvier 2021, quand il a été immédiatement arrêté. Il montre également l’investigation des auteurs de l’empoisonnement mené avec succès par Navalny et son équipe.
La première du film a eu lieu le 25 janvier 2022 au Sundance Film Festival aux États-Unis où il a reçu le prix du public. (La veille, Navalny est inscrit sur la liste des personnes terroristes par l’organisme fédéral russe de contrôle des transactions financières.) Par la suite, quelques cadres ont dû être rajoutés – pour annoncer le nouveau verdict tombé le 22 mars 2022 : 9 ans d’internement en régime strict pour détournement de fonds et non-respect de la justice. Dans le contexte de la guerre cette nouvelle n’a pas reçu l’attention qu’elle méritait.
J’imagine que, sorti sur les écrans, ce film attirera d’avantage le public non-russophone, ce dernier étant plus au courant de l’histoire. Mais même pour nous, il est intéressant de voir les divers épisodes, pour ainsi dire, rassemblés dans un film concis de 98 minutes. Surtout que l’opinion des Russes est aussi divisée sur le sujet de Navalny que sur tant d’autres. J’ai pu le constater lors de la première publication le concernant dans Nasha Gazeta – en février 2021, quand plusieurs manifestations de ses supporters ont eu lieu en Suisse, je vous en ai parlé à ce moment-là, dans le texte « Les limites de la neutralité ». Les commentaires de mes lecteurs allaient de « bravo » et « héro » jusqu’au « clown ».
Le film de Daniel Roher a le mérite de nous montrer un homme vif, avec ses qualités et ses défauts, et pas un personnage « photoshopé » et stérile. D’où la dualité de sa perception : comme une fusion d’un décembriste et Don Quichotte pour les uns ou comme un type vaniteux et ambitieux avec des prétentions irréalistes, incapable d’évaluer la situation, pour les autres. Ces dernières utilisent l’arrestation de Navalny comme argument en leur faveur, disant qu’il a sous-estimé l’ampleur possible de la reposte du pouvoir, déterminé de l’enlever de la scène politique.
Je présume que le nouveau film ne changera pas radicalement ces opinions. Quelqu’un affichera un sourire ironique en l’entendant dire, en janvier 2021, qu’il reviendra à Moscou avec « le vol de la victoire » – on connait la suite des événements. D’autres, comme moi, seront heurtés par la légèreté de sa réponse à la question sur sa coalition avec les nationalistes en 2011 – « ils sont aussi des citoyens Russes et ils sont nombreux », explique-t-il. Il y aura ceux, enfin, qui seront énervés par ces folâtreries et ces messages sur tik-tok en absence d’un programme politique clair. Effectivement, il y une dissonance entre le ton souvent léger et la gravité de la question de base. Cette question de base est formulée par Daniel Roher lui-même, qui décrit ce film comme « l’histoire d’un homme et sa lutte contre le régime autoritaire ».
On peut spéculer à l’infini sur les raisons qui ont poussées Alexeï Navalny de rentrer à Moscou. Pensait-il vraiment avoir une chance de rester en liberté ? Pensait-il vraiment que les masses populaires allaient le suivre ? Et si oui, le suivre où – à l’assaut du palais poutinien dont il a tourné un film vu, selon Navalny, par plus de 100 millions de personnes ? Est-il un naïf ou un fataliste, un sans foi ni loi ? Ou une personne d’un courage extrême, déterminé à aller jusqu’au bout dans sa lutte acharnée contre la corruption et l’abus du pouvoir en Russie ? Au tout début du film Navalny dit, en faisant référence au réalisateur : « Il fait un film qu’il va relâcher une fois que je me serai fait descendre ». Le film est sorti, son héro vit. Heureusement.
Quoi qu’on pense d’Alexeï Navalny, il est difficile de pas admirer son courage, car pendant que les spectateurs vont scruter son visage sur les écrans en mâchant leur popcorn, lui est au bagne. Il est difficile de ne pas admirer également le courage de ses proches unis pas ce slogan des mousquetaires « un pour tous, tous pour un ».
Le film a été tourné avant la guerre en Ukraine mais sa perception est forcément influencée par cette guerre. Dans ce contexte je retiens cette phrase comme la plus importante prononcée par Alexeï Navalny : « Le mal n’a besoin que d’une chose pour gagner – l’inaction des bonnes gens ».
PS. Il parait que le film « Navalny » sera discuté sur RTS à 19.30 aujourd’hui. Regardons-le ensemble.
Sujet intéressant.
Dommage que la Radio RTS ne puisse être écoutée depuis l’étranger.
Merci de cet article intéressant. Dans la phrase que vous citez en conclusion: “Le mal n’a besoin que d’une chose pour gagner – l’inaction des bonnes gens” (j’ignore quels mots N. a utilisés en russe), on perçoit l’idéalisme voire l’héroïsme de son auteur. En effet, pourquoi “bonnes” gens ? Il n’est pas sûr non plus que le mal doive implicitement s’écrire avec une majuscule ? J’écouterai le débat autour du film.
Le peu de commentaires que vous ayez montre la peur , voir la frayeur que suscite Poutine … Un dictateur ne peut rester aussi longtemps maitre de son pays , sans cette peur primitive de l’assassinat , ou pire , de l’ enfermement au régime strict sans espoir de sortir indemme … Pourtant , même un partisan de Poutine pourrait reconnaitre que dans la grande Russie , il y a certainement d’autres gens assez intelligents pour bien gérer le pays … Incarcérer la jeune opposition légitime est le propre de la dictature qui dure trop … Cela prive toute une génèration d’espoir en l’avenir … ” Peut t’on noyer l’espoir en l’avenir d’un vaste peuple , dans une tasse de thé … ? ” Peut on perturber le rêve de l’ Histoire indifiniment , et jusqu’à quand … ? Ce qu’ a fait Navalny , personne d’autre n’a eu le courage de le faire … S’opposer au plus grand des dictateurs … C’est pourquoi , libérer Navalny au grand jour , etonnerait le Monde entier , et prouverait plus que tout , la grande sagesse de Poutine … Que St. Sergeï de Radonège protège le peuple russe … Serge , Montpellier , Occitanie , France , le 22 mai 2022 . ( soleil )