Les otages et les complices 

Il y a quelques jours, en répondant à la question d’une journaliste de La Tribune de Genève sur la situation en Ukraine, j’ai dit que j’étais convaincue que personne ne veuille la guerre. Que les Russes et les Ukrainiens sont les otages de politiciens motivés par leurs egos hors normes. Que ce qui se passe, est un échec de la diplomatie mondiale.

Aujourd’hui, en répondant à la même question, j’aurais apporté une nuance en remplaçant « personne » par « la plupart ». Car il se trouve qu’il y a des gens qui la veulent, cette guerre.

Ces derniers jours je suis accrochée à plusieurs écrans à la fois, je lis des nouvelles et des opinions exprimées dans les réseaux sociaux, je compare, j’analyse, j’essaye de comprendre. Ce qui n’est pas facile.

J’essaye de me mettre à la place de M. Poutine – oui, il faut beaucoup d’imagination ! J’avoue que, quand lundi dernier, il a annoncé la reconnaissance de deux républiques auto-proclamées, j’ai été outrée mais aussi quelque part soulagée en me disant que tout allait s’arrêter là, comme pendant le conflit avec la Géorgie. Beaucoup de gens ont partagé mon avis. Surtout qu’il n’arrêtait pas de dire qu’il n’avait pas l’intention d’envahir l’Ukraine.

Pourquoi alors le faire deux jours avant la rencontre MM Lavrov-Blinken à Genève et trois jours avant sa propre rencontre avec M. Marcon ? M. Poutine a commencé cette offensive sous le prétexte de la défense des russophones en Ukraine. Alors que avec tous les jokers qu’il avait dans la main, il aurait pu négocier pratiquement tout, y compris peut-être la restauration du russe comme deuxième langue nationale en Ukraine, un de principaux points de discorde. Il aurait pu prendre sa revanche sur les humiliations présumées subies par les russophones en Ukraine et sortir avec la tête haute. Il aurait même pu faire un geste et inviter les russophones qui ne sont pas heureux en Ukraine à émigrer en Russie – légalement, en plein jour, avec l’accord du gouvernement ukrainien : après tout, Brejnev et Carter ont réussi à régler ainsi le problème d’émigration juive dans les années 1970. Tout cela se discute, c’est à la régularisation de ses questions que servent les négociations diplomatiques, précisément !

Je ne comprends pas pourquoi le président Poutine avait besoin de franchir cette dernière frontière qui devait à tout prix rester infranchissable ! Aurait-il perdu la tête ? Assistons-nous à une démonstration flagrante de ce qui arrive quand absolute power corrupts absolutely ? Ou s’agit-t-il d’une fine stratégie incompréhensible aux mortels ?

En commençant cette guerre – ou « l’opération militaire spéciale » comme les médias russes sont obligés de l’appeler sous peine de grosses amendes – il l’a fait au nom du peuple russe. Il a ainsi fait le peuple russe complice de son crime. Le peuple russe, est-il prêt à assumer cette responsabilité ? A ma grande surprise et à mon plus grand désespoir, je constate que partiellement – oui.

L’organe de contrôle russe a obligé tous les médias accrédités en Russie à n’utiliser, pour couvrir cette guerre, que les sources officielles russes. Comme vous pouvez l’imaginer, ces sources sont peu crédibles aux yeux de beaucoup de mes collègues sur place. Mais ça marche ! Les millions de Russes qui habitent loin des grandes villes, qui n’utilisent pas l’internet et qui ne regardent que la TV d’état, ont leur cerveaux complétement lavés. Non, je ne dis pas qu’il n’y a pas de propagandes en Ukraine, ou aux États-Unis ou en Europe, mais je parle de mon pays, le pays qui a déclenché la guerre. Un sociologue russe de renom dit que les fake news influencent surtout les habitants des provinces, moins éduqués. Alors comment peut-on expliquer que même parmi mes lecteurs en Suisse, même parmi mes amis sur Facebook, certains justifient cette guerre qui ne peut pas être justifiée ?! Grâce à Dieu ou son ad intérim, ils ne sont pas nombreux, mais il n’y en a.

Je regarde les chaînes d’état russes – en petites quantités, pour ne pas perdre la tête. Je regarde aussi BBC, CNN, RTS, BFM TV… mais surtout je parle avec mes amis russes et ukrainiens, qui sont pour moi les plus fiables des sources. Et ce que j’entends me donne des frissons… L’Ukraine affiche le nombre de ses morts, la Russie pas. Mais on parle déjà de milliers. De milliers de jeunes hommes en bonne santé qui ont à peine commencé leurs vies et sont mort en quelques jours – et pour quoi ?! Moi-même mère de deux garçons qui représentent pour moi le monde entier, je pleure aujourd’hui avec toutes ces mères, toutes sans exception, car aucune n’a choisi un tel sort pour son fils.

J’ai eu la chance d’être née dans le milieu artistique de Moscou et d’appartenir, par le fait de ma naissance, à l’intelligentsia russe qui a toujours joué un rôle très particulier dans mon pays. Certains appellent l’intelligentsia le maillon faible, la 5ème colonne. On me dit parfois que « mon cercle » ne représente que 1 % de la population. Peut-être, mais c’est ce pourcent qui lance les idées, qui forme l’opinion publique. Et oh comme je suis fière que ce soit les gens de « mon cercle » qui se sont montrés les plus actifs et les plus courageux ces derniers jours : les acteurs signent des pétitions ; les cinéastes tournent des clips ; les directeurs des théâtres, même les plus proches du pouvoir, se sont unis ; les médecins, les scientifiques, les écrivains, les journalistes, les musiciens ; les spécialistes russes de Shakespeare ont signé une lettre ouverte commune avec leur collègues ukrainiens… Beaucoup lisent et publient des poèmes, l’ultime remède des Russes dans les pires moments de l’histoire… Tous ces gens qui sont contre la guerre, qui aujourd’hui meurent de honte, qui désespèrent, ils sont aujourd’hui les otages du Système, pas ses complices. Les complices sont ceux qui soutiennent le pouvoir ou qui gardent le silence.

Genève, samedi 26 février 2022

J’en appelle donc à vous, mes chers lecteurs francophones, en vous demandant de faire preuve de sagesse, de ne pas mélanger les otages et les complices. Dostoïevski nous a appris qu’un crime reçoit toujours son châtiment. Attendons de voir…

Où allons-nous ? Comment tout cela va se terminer ? Je l’ignore. Mais la haine s’instaurera pour les générations à venir. Et je crains que même la force immense de la culture russe soit impuissante pour la surmonter.

Certains me disent qu’il est plus facile de prendre une position anti-russe quand tu habites en Suisse. Quant à la facilité, cela se discute – tous les Russes ont des proches là-bas. En ce qui concerne la position, je tiens à clarifier : je ne suis pas contre la Russie, mais contre la guerre qu’elle a déclenchée. Et je prends cette position précisément pour que mes enfants n’aient pas honte de parler le russe et de se considérer Russes.

PS Hier soir, j’aurais dû paraître dans l’émission de la RTS, « Mise au point ». J’ai reçu l’équipe chez moi, jeudi dernier. Ils ont tourné pendant une heure, j’ai vidé mon cœur, j’ai dit à peu près ce que vous venez de lire. J’ai annoncé le programme à mes lecteurs… Mais – surprise ! Sans que je sois prévenue, j’ai été « remplacée » par une dame d’origine russe, membre de l’UDC, qui justifie la guerre. Il faut croire qu’une telle image d’une « Russe », qui est d’ailleurs Suisse, convenait mieux à la rédaction que la mienne ou celles des milliers des Russes qui ont manifesté samedi dernier à Genève et à Berne. Voici la deuxième fois en une semaine que je suis déçue par la RTS. Si c’est cela la neutralité suisse, alors je baisse les bras.

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’université Lomonossov. Après avoir passé 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

33 réponses à “Les otages et les complices 

  1. Dear Nadia
    Your heart is bleeding and mine with yours. I am not Russian, I do not speak Russian but Russia and its people have been part of my life for the last 25 years. I love your country, with all its complexity, I love its history, literature, music, its people’s generosity and warmth. Russians cannot and must not be “assimilated’ to the madness and cruelty of one man! I pray for all the people who are losing their lives, their sons, husbands, loved ones in this unjustified war. Please, keep writing, the world needs intelligent, balanced, reasonable words like yours!

  2. Chère Nadia,
    Je lis toujours vos blogs avec énormément de plaisir, mais cette fois c’est un sentiment profond de gratitude que je ressens en vous lisant. La guerre est une horreur absolue et comme vous le dites elle perpétue la haine bien au-delà des opérations militaires. Puisse votre voix être entendue le plus largement possible. Merci pour vos écrits !

    1. Cher Monsieur, merci beaucoup! Je regrette que RTS, le service public, n’a pas voulu faire entendre ma voix.

  3. Merci Nadia pour ton excellent article qui vient du fond de ton cœur. J’espère que seule la voix de la raison et de la paix sera entendue et que cette folie de guerre, de pouvoir, de malheurs et de haine cessera pour toujours.

  4. Ce n’est surtout pas le moment de baisser les bras, chère Nadia. Si tels gouvernements ou telles institutions – où qu’elles se trouvent – ne se montrent en rien prêtes à faire face aux réalités les plus crues, ou s’ingénient à les minimiser, du moins s’agit-il que les sociétés civiles russes et ukrainiennes fassent entendre leurs voix jusque chez nous – et sachent qu’elles sont entendues à l’extérieur de leurs frontières. Tissons donc entre elles et nous. Les moyens ? Plusieurs se mettent en place… je puis vous l’assurer.

  5. ….LA NEUTRALITÉ SUISSE..? PARLONS-EN
    Malheureusement l’Histoire nous l’a dévoilé à maintes reprises.
    A bon entendeur, salut !

  6. Merci chère Nadia pour ce message si touchant de paix. Devant l’horreur sidérante de cette guerre, vous nous montrer le chemin du coeur, de la raison et de l’espérance. Vous remarquez avec justesse que nous ne devons pas mélanger les otages (de Poutine) et les complices (de Poutine). Il sera bon de s’en souvenir car nous sommes binaires, soit ‘pour’ soit ‘contre… Pourtant nous devons formuler l’espoir que la Suisse ne fera pas parti des complices… tout comme les intellectuels, artistes, hommes d’affaire (Russes ou autres) – ceux qui ont accès à une information autre que la propagande poutinienne – qui tardent à choisir leur camp. Suivant votre exemple et celle de l’Europe, qu’ils forment la troisième voie – ni otage, ni complice – celle du NON, du NIET, formée par ceux qui se battent à tout prix pour défendre la paix, l’humanité et la Liberté. Aujourd’hui, nous sommes tous Ukrainiens.

    1. Merci infiniment, Antoine, pour ce commentaire. J’espère de tout cœur que nos voix seront entendues!

  7. Chère Надя, Je suis en effet absolument persuadé que s’il était possible d’organiser en Russie un référendum libre une très large majorité de la population se prononcerait contre la guerre en Ukraine. Malheureusement, il y a peu de chances que Poutine leur laisse jamais la possibilité de s’exprimer!
    Avec tout mon soutien et celui, j’en suis sûr, de la plupart des Suisses.
    Мир !

    1. Bonjour,
      Je ne sais pas comment vous comptez. Je compte 6 personnes sur 26 qui ont entre autres la fonction de journaliste.
      La réponse à votre question est inscrite en toutes lettres sous “Motifs” dans le tableau…
      En résumé : ce ne sont pas de simple s journalistes employés d’un média d’État ou payé par le Kremlin ou proche du pouvoir. Ils dirigent tous des “programmes” de propagande.
      Méritent-ils d’ailleurs d’être appelés journalistes ?

      Et vous, en disant qu’il s’agit d’une majorité de journalistes, vous vous rendez coupable de désinformation.
      La même dont vous accusez régulièrement les médias occidentaux… (Je ne dis pas qu’ils sont toujours impartials.)

      Nadia, bravo et merci du fond du cœur pour votre texte rempli d’humanité. Merci aussi aux commentateurs qui ont trouvé des mots très juste pour le décrire.

      1. Je ne fais que reprendre le résumé de l’AFP:
        “Au total, six oligarques, plusieurs personnalités proches du président russe, dont son porte-parole Dmitri Peskov, Igor Sechin le patron du groupe pétrolier Rosneft et Nikolay Tokarev PDG de Transneft, ainsi qu’une dizaine de journalistes figurent sur cette liste de 26 noms approuvée par les États membres et publiée au Journal officiel de l’UE”

        https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/guerre-en-ukraine-les-europeens-elargissent-la-liste-des-personnalites-russes-sanctionnees-8b8dcba8-98d2-11ec-a212-f68235c1350

        Je ne sais pas comment vous avez compté seulement 6 noms de journalistes.

        Vous ne trouvez pas dangereux de sanctionner des journalistes, uniquement parce qu’ils présentent p.ex. l’émission-débat la plus populaire en Russie ?

        p. ex., je cite: “Fonction: journaliste pour la chaîne de télévision publique Rossiya-1, à la tête d’une émission-débat politique intitulée “60 Minutes” (avec son mari Yevgeniy Popov) – l’émission-débat la plus populaire en Russie”

        C’est vraiment le meilleur exemple que l’on peut donner en termes de démocratie que sur 26 personnes sanctionnées, une dizaine sont journalistes (ou propagandistes) ?

        Et si demain, la Russie prend des mesures de représailles contre des journalistes européens, on va leur dire quoi ? Que nous on peut, mais pas eux ?

        Et merci de noter que je soutiens la liste de sanctions contre la Russie, mais m’étonne (uniquement) de la présence aussi importante de journalistes. Quelque part, même dans une autocrature, je vois les journalistes comme des agents de la liberté… J’aurais préféré qu’on sanctionner ceux qui sont aux manettes de la censure d’état, de l’armée, etc., plutôt que des journalistes…

        1. Excellent commentaire et excellente question.

          La réponse est peut-être plus simple et plus pessimiste.

          La vérité est que nous sommes en temps de guerre et la vérité est la pire ennemie de la guerre. En temps de guerre ce sont les militaires qui décident. Et depuis le vietnam ils ont tous compris qu’il faut adopter la strategie du blackout total. En gros un controle total de l’information, et ceci dans les deux camps.

          Le truc avec la propagande c’est qu’on se rend compte et qu’on se moque toujours de celle du camps adverse. Quand on regarde les émmisions historique on se dit toujours ” mais qu’est-ce que les gens pouvaient être naifs à cette époque…”

          Et depuis que l’ukraine est en guerre, tous les journalistes des deux camps sont censurés, ne communiques plus entre eux. Bref l’information ne peut plus être vérifiée, les journaliste ne peuvent plus vérifier leur sources mais doivent quand même écrire des articles . ils vont donc écrire sur ce qui touche notre côté émotionnel encore plus exacerbé en temps de guerre . Les gens vont donc perdre leur côté rationnel en pensant que l’information de son camps est l’unique vérité et que nous somme dans le camp du bien. Dans une guerre il n’y a jamais de gentils ou de méchant, que des belligérants. Mais comme c’est dur à accepter on préfère accuser les méfaits de l’autre camp, jamais les siens. Le pire c’est que c’est pareil des deux côtés.

          Exemple parfait : si tu critique le sensationnalisme ou le manque de jugeotte d’un article (à juste titre l’information est censurée) de ton camp, pour nous en l’occurence celui de l’occident, on va immédiatement dire que tu es un membre du Kremlin ou de la désinformation de putin, ou alors un gros naïf manipulé, car ce sont toujours les autres qui sont manipulés, nous sommes toujours les clairvoyants : pro-russe ou pro-occident.

          Et la forme des articles qui doit faire toujours plus de vues n’arrange pas les choses. ni le téléphone arabe journalistique.

          Je vous donne quelques exemples qui sont intervenu juste après le début de la guerre, une fois l’information invérifiable :

          – Les russes ont bombardé une centrale nucléaire qui a faillit déclancher une catastrophe 10x plus grave que Tchernobyl.
          – Des enfants (innocent) qui manifestaient contre la guerre et se retrouvent en prison, avec image des bambins derrière les barreaux…

          C’est triste mais c’est juste le commencement. Les gens vont se radicaliser des deux côtés et la guerre n’est pas prêt de finir. Vous vous rapellez des grand stratèges qui disaient que bachar al-asssad tomberait en une semaine ?

          1. Je suis en grande partie d’accord avec ce que vous dites. Les deux camps cherchent évidemment à orienter l’information selon leurs intérêts. Ceci étant aggravé par les journalistes/rédactions à l’affût des scoops sensationnels pour faire des vues, sans prendre le temps de vérifier la moindre.

            Toutefois, en essayant d’être objectif, il me semble assez clair que le gouvernement de Poutine a construit et continu de renforcer une chape de plomb bien plus hermétique et même criminalisante pour contrôler et manipuler l’information.
            Quelques exemples :
            – Avez-vous connaissances de médias, de ce côté-ci de Dniepr, qui ont dû se saborder ou ne s’exprime plus sur cette “opération militaire spéciale” par crainte de représailles (jusqu’à 15 ans de prison) ?
            – Ne trouvez-vous pas positif que certains de nos médias (CH, FR) font encore le travail de faire la lumière sur la désinformation même lorsqu’elle vient du camp ukrainien ?
            P.ex. un récent article du Monde, ou à propos du tank qui a écrasé une voiture, ou encore à propos des “martyrs” de l’île au Serpent — au passage, information qui a été corrigée par l’agence ukrainienne des gardes-côte elle-même (!).

            Nadia, pouvez-vous nous informer si une telle “introspection” des médias russes a encore cours actuellement suite à la loi de la Douma ?

            Je retiendrai cette phrase importante : “mais surtout je parle avec mes amis russes et ukrainiens, qui sont pour moi les plus fiables des sources”.

        2. Bonjour,
          Votre lien d’Ouest-France n’est plus valable. Le/la journaliste de l’AFP a dû être un peu trop pressé : le mot journaliste apparaît effectivement 10x, mais concerne uniquement 6 personnes. Un article du Temps compte comme moi, en parlant d’une demi-douzaine de propagandistes.
          Par ailleurs, il s’agit de 6 sur 26 personnes ajoutées à une liste qui en contenait déjà quelques centaines.
          Je serais d’accord avec votre raisonnement si la sanction était faite de façon indiscriminée et touchait n’importe quel journaliste pour des motifs douteux. Ce n’est pas le cas.
          Quant à savoir si c’est une mesure efficace : malheureusement j’en doute fort et je rejoins sur ce point un peu l’avis d’un article de la RTS expliquant que la censure des médias prorusses est peut-être contre-productive.
          Cependant, le gouvernement de Poutine n’a pas attendu les sanctions occidentales pour museler les médias et même les citoyens directement…

          L’extrait que vous citez donne l’impression qu’il s’agit d’une simple émission semblable à Infrarouge. Ce n’est pas le cas d’après le reste du texte :
          “cofondatrice et rédactrice en chef du portail REGNUM;”
          “elle anime l’émission-débat politique la plus populaire en Russie, intitulée “60 Minutes”, où elle a diffusé de la propagande anti-ukrainienne et a promu une attitude favorable à l’annexion de la Crimée et aux actions des séparatistes dans le Donbass.
          Dans son émission télévisée, elle a systématiquement représenté la situation en Ukraine de manière partiale, décrivant le pays comme un État artificiel, soutenu militairement et financièrement par l’Occident et donc comme un pays satellite de l’Occident et un outil entre les mains de l’OTAN. Elle a également réduit le rôle de l’Ukraine à une “anti-Russie des temps modernes”. En outre, elle a fréquemment invité des personnes telles M. Eduard Basurin, l’attaché de presse du commandement militaire de la soi-disant “République populaire de Donetsk”, et M. Denis Pushilin, dirigeant de la soi-disant “République populaire de Donetsk”. Elle a renvoyé un invité qui n’appliquait pas les éléments du discours de propagande russe, tels que l’idéologie du “monde russe”. Mme Skabeyeva semble être consciente de son rôle cynique dans la machine de propagande russe, tenu avec son mari.
          Elle est donc responsable de soutenir activement ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine.”

    2. Faudrait-il qu’il y ait une équité de nombres ? Pourquoi les mauvais politiciens, militaires, ou oligarques seraient plus nombreux que les mauvais journalistes ? Si ces « sanctions » ont été bien dirigées, les proportions respectives ne signifient rien. Il serait par contre utile de connaître selon quels critères les censures ont été opérées, et par qui, de quelle appartenance politique ? Certaines appartenances censurées aussi ? Si c’est le cas, ne parlons plus de démocratie ou de capacité de recul, mais de la volonté d’avancer en direction de ses convictions, à la manière du gouvernement russe, et peut-être aussi ukrainien, dont la “bravoure et l’humanisme” de son président décide du sacrifice pas improbable de son peuple.

  8. Chère Nadia,
    Je suis profondément touché par cet article. En pensée avec toi!

  9. “Le Temps” d’aujourd’hui:

    “Je n’ai pas la force de parler. Je ne m’identifie pas aux officiels qui prônent la guerre. Ce qu’ils font, à mon avis, ils ne le savent pas eux-mêmes.”

    Ces paroles ne sont pas celles d’une anti-slave primaire mais de Lyudmila Narusova, 70 ans aujourd’hui, la veuve d’Anatoly Sobtchak, décédé en 2000, qui fut, comme le rappelle “Le Temps”, maire de Saint-Pétersbourg et mentor de Vladimir Poutine. Comment celui-ci, qui fut élève du professeur de droit libéral, figure emblématique du mouvement démocratique russe après la chute de l’URSS, auquel il n’a cessé de dire son attachement, a-t-il pu en trente ans inverser ses vues politiques et idéologiques au point de se convertir, en libéral ouvert à l’Occident qu’il disait être, en pur dictateur, comme Mussolini? Celui-ci ne rêvait-il pas de rétablir l’empire romain comme Poutine la Russie de Nicolas 1er, dernier des autocrates qu’il admire au point de garder son portrait dans l’antichambre de son bureau du Kremlin, paraît-il?

    Pas plus Nicolas 1er que Mussolini n’était Jules César, ce fils de modeste ouvrier qui dit honnir Lénine, qu’il rend responsable de la crise ukrainienne, et le communisme, se renferme encore plus quand on lui rappelle que son grand-père fut cuisinier de Lénine et de Staline.

    Poutine, dont le cercle se restreint toujours plus, en particulier après l’humiliation publique qu’il a fait subir à son chef du renseignement le 21 février dernier, ne semble-t-il pas prisonnier de son rêve autiste et mégalomane, véritable scenario qu’il se joue à lui-même en déformant et ré-écrivant l’histoire, d’une Russie passée qu’il instrumentalise à ses fins mais qui n’existe même plus dans les peplum hollywoodiens?

    Cette forme d’aliénation bien connue des psychiatres sous le nom de “délire d’interprétation” (ou délire systémique), sorte d’aliénation rationnelle dont Lénine, qui a fini par perdre tout à fait le peu de raison qui lui restait, était un pratiquant assidu, le rend incapable de se projeter dans l’avenir. Il s’accroche à son fantasme de ce que Marina Gorboff appelle dans son livre consacré à l”émigration russe des années 1920 “la Russie fantôme” * – au point que vous-même, avec tant d’autres, vous demandez: “Aurait-il perdu la tête?”

    Tim Guldimann, ancien ambassadeur suisse à l’OSCE, parlant couramment le russe, posait le même question sur le site de “Heidi.News” le 24 février dernier, le jour de l’invasion de l’Ukraine. Il n’a pas tardé à répondre par l’affirmative.

    Si le professeur de droit Anatoly Sobtchak, qui avait apporté un souffle nouveau et permis tous les espoirs en une Russie nouvelle, ouverte au monde et tournée vers l’avenir après la chute de l’URSS, voyait ce que fait de son héritage intellectuel, culturel et moral celui qui se disait son fidèle disciple mais qui a fait reculer en six jours la Russie de deux siècles, comment ne pourrait-il pas le renier et le condamner?

    Face à un tel aveuglement, une dérive aussi dangereuse, les gens éduqués et cultivés se sentent en effet désemparés, impuissants et sont tentés, comme vous le dites vous-même, à baisser les bras. Or, André Malraux ne disait-il pas de la culture qu’elle est “l’ensemble des formes d’art, d’amour et de pensée qui ont permis à l’homme d’être moins esclave”? Poutine et sa clique ignorent ce langage. C’est leur surdité et leur aveuglement même qui les perdra. Car, comme disait le metteur en scène suisse Dorian Rossel, la culture russe est infinie.

    * Marina Gorboff, “La Russie fantôme”, Editions de l’Age d’homme 1995. Malheureusement, ce livre semble épuisé.

    P.S. J’ai longtemps hésité à vous écrire ce message, conscient que les mots ne peuvent rien contre la folie meurtrière, criminelle et aveugle. Comme vous, comme tant d’autres je me sens désemparé, impuissant et inutile. Le matin du 24 février, moi non plus, je n’ai pu retenir mon indignation, ma colère et mes larmes. Aujourd’hui, je ne peux plus m’empêcher de vous le dire à mon tour: celle qui a attaqué sa propre maison n’est pas la Russie que nous aimons.

    Mais comme c’est ce que veulent Poutine et tous ceux qui cherchent à diviser, rien ne leur ferait autant plaisir que de croire que nous cédons à leur chantage. Alors non, chère Madame Sikorsky, il ne faut pas baisser les bras – même après le comportement honteux et scandaleux de la RTS à votre égard, tel que vous l’évoquez. J’ai regardé l’émission de “Mise au point” et constaté que cette soit-disant Helvète était non seulement Russe et fervente admiratrice de Poutine, mais membre de l’UDC, parti qui se targue d’être premier défenseur des valeurs suisses. Que ce parti ait bénéficié ou bénéficie encore des faveurs de Poutine, à l’instar de ses éponymes français, ne me surprendrait d’ailleurs pas.

    Non, ce n’est pas ça, la neutralité suisse. C’est sa négation. Non, nous ne confondons pas tous complices et otages. Trop de messages touchants par leur spontanéité et leurs encouragements, parmi ceux que vous avez reçus, ne vous montrent-ils pas le contraire? Je tenais juste à y ajouter le mien.

    мужество и надежда!

    1. Cher/Chère lecteur/lectrice inconnu/inconnue.. Votre message me va directement au coeur… Je ne sais pas comment vous remercier.

  10. Monsieur Poutine a réussi depuis des années une communication formidable : J’ai été témoin, sur place, de la chute de l’URSS où je me rendais pour des affaires culturelles depuis 1981. Beaucoup de russes trouvaient formidable de revenir aux idéaux et aux images de la Russie d’antan. Ah ! rebaptiser Saint-Petersbourg ! (Moi-même j’étais considéré par des amies comme “l’excellence” de l’amant français de la littérature du 19ème (malgré mon patronyme). Excusez et comprenez mon embarras sur place…) Bref, Monsieur Poutine a surfé sur cette nostalgie et s’est, en même temps, appuyé sur les bras armés (c’est tellement désarmants !) de la religion orthodoxe pour mieux faire passer le message. Oui, les russes les moins instruits et les plus éloignés, et ceux qui n’ont accès qu’à cette propagande, très surveillée et très imagée, sont nostalgiques de la Grande Russie des 17ème et 18ème siècles. Il ont rêvé de la Crimée revenue dans le giron de l’Empire, et on leur en propose encore plus ?… Ben, oui, y’a qu’à y aller aussi ! Allez, l’Ukraine aussi !…
    J’ai des amis dans les deux pays. Mes amis russes sont ceux de l’intelligentsia culturelle, je n’ai jamais rompu avec eux ; sauf depuis longtemps avec un réalisateur connu qui aimait à se prendre, dans ses films, pour Alexandre III. Un soleil n’est jamais si trompeur, n’est-ce pas ? Lui est pour cette guerre, bien sûr.
    Mes amis unkrainiens sont des gens simples qui vivent dans des villages aujourd’hui bombardés. Nous communiquons encore avec amour. Pour combien de temps encore ? Pour combien de morts encore ? Pour combien de haine encore, qui surgira pour rien entre les deux peuples, quel que soit le destin de cette guerre ?

  11. Depuis quelque jours, tous les soirs à 18h des Quakers du monde entier (hier nous étions plus de 500!) se réunissent sur zoom en silence pour témoigner de leur profonde certitude que toute violence ne résout aucun conflit et pour garder dans la lumière ceux qui doivent souffrir de l’incapacité des meneurs politiques à reconnaître cette vérité. Ce soir un ami pris la parole pour exprimer son regret de ne pas nous avoir incité plus tôt à nous adresser au pouvoir en Europe pour le supplier de ne pas succomber à la tentation d’offrir à l’Ukraine l’adhésion à l’Otan, offre qui se révèle maintenant comme cadeau empoisonné. Et L’aide aux Ukrainien par l’armement équivaut à une assistance au suicide. Il n’y a pas d’alternative à la non-violence, ni d’alternative à l’amour. Nous gardons dans la lumière les soldats russes retournant chez eux dès qu’ils se sont rendu compte qu’on leur donnait l’ordre de tirer sur leurs frères et soeurs Ukrainiens. Nous louons leur courage de prendre sur eux le destins qui les attend à leur retour. Vivent tous les artisans de la paix par le renoncement à la violence. Le monde et la sauvegarde de la Terre tant besoin d’eux!

    1. Merci beaucoup pour cet avis, un peu différent des autres et très intéressant.

Les commentaires sont clos.