Contre une alimentation à deux vitesses
« Je ne sais plus quoi manger »… La phrase m’est arrivée au vol, dans un café de La Chaux-de-Fonds. Une femme discutait avec une amie et le sujet m’a fait tendre l’oreille. J’apprends alors que non, ce n’est ni l’écoeurement, ni la lassitude qui a coupé l’appétit de cette quinquagénaire, mais ses questionnements sur la santé et l’environnement en lien avec l’alimentation. Sa perplexité est largement partagée : comment manger sainement, sans traces de pesticides, par exemple, en épargnant nos ressources naturelles ? Comment savoir si ce que nous ingérons est à la hauteur de nos attentes ? Le florilège des qualificatifs utilisés par l’agriculture moderne, « biologique », « biodynamique », « de proximité », « durable », « extensive », « en respect des animaux » ou « sans pesticide de synthèse », façonnent notre alimentation mais ne simplifie pas vraiment la situation. Comment savoir si on fait réellement le « bon choix », pour nous, pour les générations futures, pour la préservation des écosystèmes ?
Cette femme n’est pas aidée dans sa réflexion par les débats parlementaires. Alors que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme en révélant notamment la présence de substances toxiques dans nos aliments et leur nocivité, les décisions politiques ne suivent pas ou si peu (la preuve encore lors de la session d’été, qui a vu la majorité du Conseil national s’opposer aux initiatives anti-pesticide). Pendant que les lobbys d’une certaine agriculture, de l’agroalimentaire et de la chimie hantent les couloirs du Palais fédéral, nous, consommatrices et consommateurs, sommes bien seul-e-s face à ces choix cornéliens. « Faut-il se tourner vers le bio, un choix en augmentation, mais est-ce vraiment accessible ?» se demandait ma voisine de table. Après une santé à deux vitesses, une alimentation à deux vitesses ? Malheureusement oui et depuis longtemps. Manger sainement devrait être pourtant un droit et non un luxe ! Se nourrir sainement à tous niveaux a un prix, et c’est peut-être ça le plus grand dilemme et la première injustice.
Le temps est venu d’une réelle politique d’incitation pour permettre au plus grand nombre d’avoir accès à une alimentation exempte de substances toxiques. Pourtant, les réticences sont légion : les discussions récentes au Grand Conseil neuchâtelois en sont la preuve. Que ça soit la volonté d’interdire les pesticides de synthèse ou demander la reconversion des exploitations agricoles sur terrain de l’État en culture biologique, une certaine retenue pour ne pas dire une réelle opposition des autorités est palpable. Des craintes quant à la faisabilité, mais surtout de chambouler une partie du milieu agricole qui a de la peine à se réinventer.
Or, se réinventer par rapport au mode de production concerne également les conditions de travail. Encore dernièrement, la Chambre d’agriculture de l’Union paysanne suisse s’est démarquée en ne voulant pas reconnaître la rétribution du travail fourni par les paysannes avec une couverture sociale. L’agriculture ne pourra être durable que lorsque l’ensemble des actrices et acteurs des exploitations seront traité-e-s décemment. Dans le système actuel, qui voit l’agriculteur bien mal payé pour son travail alors que les distributeurs et intermédiaires se frottent les mains, il n’est pas normal que le coût ne soit que pour nous, consommateurs et consommatrices.
L’enjeu est majeur : notre société doit se réinventer et ce ne sera pas une petite affaire !
Et des solutions existent pour faciliter une transition agricole durable et bio. Des mesures d’accompagnement pour soutenir les agricultrices et agriculteurs qui passent à des cultures biologiques ou qui souhaitent s’en rapprocher sont un moyen d’y parvenir, tout en tenant compte que la faisabilité de reconversion dépend du type de production. De la même manière, pourquoi les établissements publics, comme cantines et autres cafétérias de lieux de formation par exemple, ne passeraient-il pas au bio en s’approvisionnant par circuits courts ? Une mesure favorable à plus d’égalité des chances qui permettrait également de garantir aux agriculteurs locaux l’achat de leurs produits et à nos plus jeunes une alimentation saine.
Les pessimistes diront que pour passer au bio l’ensemble des cultures à l’échelle mondiale, il faudrait soit augmenter les surfaces des sols soit limiter le gaspillage. Et que la Suisse peine déjà à maintenir ses surfaces cultivables. C’est un fait. Mais pour ce qui est du gaspillage, nous savons combien notre marge de manœuvre est gigantesque. Saviez-vous que l’agriculture actuelle génère plus de 200 000 tonnes de déchets alimentaires alors que les 90% pourraient être évités ? Et que les ménages produisent un million de tonnes de déchets, dont la moitié pourrait être évitée ? Là aussi, il est temps que nous agissions pour trouver des solutions.
Car, finalement, d’un point de vue global, si tout le système change, il y aura surtout des bénéfices tant sur notre vie quotidienne que celle de nos enfants et sur les coûts de la santé, de même que pour les travailleurs agricoles.
Qu’avons-nous à perdre?
Je suis en accord totale avec votre article.
Merci. Je ne comprends toujours pas pourquoi les populations ne se rendent pas compte qu’elles sont abusées et empoisonnées par les grands lobby de l’agroalimentaire et chimie.
Les populations sont droguées par l’alimentation et deviennent passives. C’est bien dommage et espérons qu’il reste suffisamment de personnes lucides, surtout chez les jeunes, pour renverser le cours des évènements.
Interesting article. Thanks a lot for sharing this with us. In today’s world people have to eat healthy food for their life. So nicely you told everything with us.