Politique climatique : l’impuissance des locataires

Louise et Jacques vivent au Val-de-Travers. Ils sont tous les deux à la retraite. En cette période automnale, ils reçoivent un courrier qui leur laisse un goût amer : leur propriétaire leur adresse le décompte annuel de charges. En prime, il leur annonce que, taxe sur le COoblige, un montant est encore à payer en plus des acomptes de charges réglés pour 2018 / 2019. Interpellés par cette annonce, Louise et Jacques demandent des précisions : après une courte conversation avec leur propriétaire, ils font, dépités, le constat de leur impuissance. Premièrement, leur propriétaire reste hermétique aux arguments plaidant pour la mise en place d’un système énergétique émettant peu de CO2. Deuxièmement, profitant des lacunes du système actuel, il n’hésite pas à reporter sur ses locataires le coût de la taxe sur les combustibles. Bien obligés de se chauffer et de se loger, ils paieront.

 

L’exemple n’a rien de caricatural, il est malheureusement encore courant de rencontrer des locataires dont le propriétaire rechigne à améliorer l’isolation de son bâtiment et/ou à opter pour un système de chauffage plus moderne. Cela explique que bon nombre de personnes qui louent un logement portent injustement le poids du tournant énergétique. Il faut savoir que la taxe sur le COest prélevée sur les combustibles. Elle augmente, par ailleurs, régulièrement si les objectifs fixés par la Confédération en termes d’émissions ne sont pas atteints. Dans cette situation, les moyens d’action du locataire sont hélas faibles. Il peut déménager, certes, mais en plus d’être extrême, cette solution n’a rien de réaliste pour une très large majorité des locataires. Des locataires captifs autant que leur porte-monnaie.

 

Ce n’est malheureusement pas la redistribution par le biais de la caisse maladie (un rabais de quelques francs qui figurent sur nos décomptes mensuels de primes maladie) qui changera la donne. Actuellement, cette redistribution a un caractère un tantinet social. En moyenne, le poids de la taxe est partiellement fonction du salaire et pour certaines exemptions (ménage de 4 personnes par exemple), la redistribution permet même de compenser ce qu’on peut avoir à payer comme locataire pour la taxe [1]. La redistribution est donc une bonne chose, mais il est indispensable de veiller à ce que les locataires ne soient pas à terme les seuls à payer le tournant énergétique. En l’état, l’augmentation de la taxe, bien qu’incitative, aura pour seul effet d’étouffer les personnes les plus en difficulté. Il est urgent que le système devienne plus solidaire. Si ce n’est pas le cas, il fera porter le coût du tournant énergétique aux seuls citoyennes et citoyens, qui n’ont pas leur mot à dire dans l’affaire. Toutes celles et tous ceux qui, n’ayant pas les outils pour agir afin de changer « leur » système de chauffage ou en diminuer leur utilisation, se font piéger par des propriétaires plus enclins à encaisser les loyers qu’à investir dans l’avenir. Dans ces conditions, les objectifs voulus par notre pays ne seront jamais atteints et, pire, on aura encore accru les inégalités.

 

Au milieu de ce tableau, finalement assez noir, des outils existent néanmoins, à l’instar du programme « Bâtiment ». Ce programme, très important dans la politique climatique suisse, permet de subventionner en partie les rénovations de constructions en vue d’une amélioration énergétique. Mais là encore, la rénovation dépend du bon vouloir du propriétaire, le locataire restant captif des décisions de son bailleur.

 

En conclusion, si en Suisse 60% des habitants et habitantes sont locataires, le système en œuvre n’en tient que très peu compte… Ou alors, s’il en tient compte, c’est uniquement dans le sens où le locataire est considéré comme financier principal de la transition.

 

Partant de ce constat, pour faire face à la crise climatique, en plus des nécessaires et massifs investissements de la Confédération, les propriétaires doivent impérativement être amenés avec davantage de fermeté à faire évoluer leurs installations énergétiques et isoler leurs bâtiments. Une obligation d’assainir donc[2], mais aussi la possibilité de bénéficier d’aide complémentaire à l’investissement[3], car, disons-le clairement, les propriétaires ne sont pas tous de riches financiers, et il n’est pas question ici de les pousser vers la faillite.

 

Enfin, autre outil ou solution à envisager : une révision du droit du bail pour éviter les reports inconsidérés sur les locataires – et donc des augmentations de loyers. Mais, pour ce cela, comme pour la mise en place d’autres mesures, il faut que de nouvelles majorités se dessinent au Parlement fédéral et que celles que nous connaissons actuellement soit remplacées. Encore une bonne raison, ce 20 octobre, de voter à gauche !

[1]https://www.sp-ps.ch/fr/publications/communiques-de-presse/en-finir-avec-le-petrole-le-plan-marshall-climatique-pour-la(Plan Marschall PS : étude comptabilité sociale (dia 35-37))

[2]https://www.sp-ps.ch/fr/publications/communiques-de-presse/en-finir-avec-le-petrole-le-plan-marshall-climatique-pour-la(Plan Marschall PS : 40 mesures (mesure C5))

[3]https://www.sp-ps.ch/fr/publications/communiques-de-presse/en-finir-avec-le-petrole-le-plan-marshall-climatique-pour-la(Plan Marschall PS: 40 mesures (mesure C3))

Martine Docourt

Députée au Grand Conseil neuchâtelois depuis 2009, Martine Docourt a présidé le groupe socialiste de 2013 à 2017. Depuis 2017, elle copréside les Femmes socialistes suisses. En tant que géologue de l’environnement, elle a eu plusieurs expériences dans l’administration publique cantonale et fédérale. Depuis 2020, elle est responsable nationale du Département politique du syndicat Unia. Elle vit à Neuchâtel avec ses deux jeunes enfants et son mari.

Une réponse à “Politique climatique : l’impuissance des locataires

  1. je l’avais écrit voilà des mois , ces taxes vont provoquer une inflation par le biais des augmentations des loyers et des transports . Ça ne fait que commencer …
    Vous aviez parlé de justice climatique ? Il fallait lire “injustice” !!!

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