Ce n’est pas bien de se défausser, Monsieur le Conseiller fédéral !

« Ce n’est pas moi, c’est lui ! » Je m’attendais à une autre réponse du Conseiller fédéral Parmelin au débat d’Infrarouge de la RTS du 12 mai quant à la question « comment fera-t-on pour assainir les sols pollués aux pesticides de synthèse ? ». On s’attendait à une réponse claire de la part du Président de la Confédération, mais au lieu de proposer des solutions à cette situation, il a préféré trouver un autre coupable, l’industrie. Une posture peu digne d’un Conseiller fédéral, même s’il n’est pas faux qu’une des sources de pollution des sols sont les anciennes activités industrielles. La réponse correcte aurait été « avant de définir les méthodes d’assainissement, nous devons connaître l’état de pollution des sols, et l’impact de l’ensemble des substances présentes dans celui-ci….».

 

La position fuyante du Conseiller fédéral démontre le manque d’intérêt pour la problématique des sols de la part du Chef de l’Agriculture et de l’Économie. Durant ce débat, les opposants aux initiatives pesticides déroulent leurs arguments pour tenter de nous convaincre de ce qui est bon pour l’agriculture et surtout pour notre assiette. Aucun n’est prêt à admettre que l’utilisation de pesticides de synthèse représente un souci de santé au travail, ceci alors que d’autres pays ont classé la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle pour le milieu agricole. La Suisse est hélas assez forte dans ce domaine : fermer les yeux sur l’impact de substances nocives, produites par une industrie nationale agressivement lobbyiste. Souvenez-vous du combat acharné pour faire admettre que l’amiante peut être mortelle !

 

Ces substances nocives, si elles s’accumulent dans nos organismes, s’accumulent de façon évidente aussi dans nos sols, induisant des dégâts tout aussi graves. Rappelons que la fonction première d’un pesticide de synthèse est de lutter contre les organismes vivants. Nous ne connaissons pas grand-chose sur leur écotoxicité, sur leur biodégradabilité et donc leur persistance. C’est seulement récemment que nous avons eu une première indication sur la présence de ces substances dans les sols agricoles. Ces substances ne font même pas partie de la liste à analyser systématiquement dans le diagnostic de pollution des sols. Depuis les années 1990, nous nous concentrons principalement sur les métaux lourds et certains hydrocarbures, des reliquats de l’industrie et du trafic routier. Alors qu’on arrête de me dire que dans cette discussion, on se soucie de la ressource qu’est le sol. L’homologation de ces produits ne tient pas assez compte du principe de précaution. Ce que j’observe c’est que tout va lentement, trop lentement, et qu’on joue aux apprentis sorciers en répandant ces substances dans notre environnement sans aucun suivi.

 

Tout comme l’eau, le sol est indispensable à notre survie. C’est le cas pour notre alimentation, mais le sol est aussi l’interface entre le monde minéral et biologique, le support pour la faune et la flore. Il participe à la préservation de la biodiversité. Ne pas préserver le sol, c’est détruire la biodiversité, la vie. Ne pas protéger la vie du sol, c’est réduire le volume de matière organique qui participe à la fertilité du sol. Une matière organique dont le monde scientifique s’accorde à dire qu’il est plus que nécessaire de l’augmenter pour faire face au réchauffement climatique, puisqu’elle permet de capter le CO2 et in fine de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

 

Alors, Monsieur le Conseiller fédéral, il est trop facile de trouver d’autres coupables à l’état préoccupant de la santé des sols. En tant que pédologue, je ne peux pas me contenter de telles réponses à court terme ou passéistes quant à l’origine de la pollution des sols. Les pollutions liées directement à l’industrie font partie du passé, même si leur assainissement n’est pas du tout résolu. J’aimerais qu’on se concentre sur l’avenir. En tant que politicienne, j’attends que le Conseil fédéral ose prendre des décisions sans céder à la pression des lobbys agricoles et agro-chimiques. Travaillant dans un syndicat, j’attends que le Ministre de l’Économie prenne ses responsabilités pour garantir des conditions de travail sans risque, notamment dans le milieu agricole. Et en tant que maman, j’aimerais qu’un Conseiller fédéral ait une vision à long terme de la gestion des ressources naturelles, et s’engage pour les générations futures. J’espère toutefois que vous assumerez la responsabilité d’expliquer un jour à mes enfants que l’infertilité ou les problèmes neurologiques, en augmentation, sont dus à votre inaction politique !

 

Une chose est sûre, même si les initiatives du 13 juin ne sont pas parfaites, je voterai deux fois oui ! Il est temps qu’on ait une vision à long terme et qu’on dépasse la seule logique du profit économique. Ceci pour permettre un avenir plus durable, par un réel soutien à l’agriculture en menant à bien cette reconversion nécessaire !

Un accord trompeur

Les affirmations voulant que l’accord de libre-échange avec l’Indonésie « pose les bases d’une économie plus durable et équitable »[1] ou « l’accord de libre-échange renforce le développement durable »[2] ne manquent pas ces temps-ci. En effet, l’économie et certaines personnalités politiques soutenant cet accord se veulent depuis quelques semaines être de grandes promotrices de la durabilité. La droite et les milieux économiques auraient-ils enfin intégré que nous n’avons une seule planète ? J’ai bien peur que nous en soyons une fois de plus encore très loin…

Le 7 mars prochain, le peuple suisse devra se déterminer sur cet accord commercial avec l’Indonésie. Un nouvel accord de libre-échange car la Suisse n’en est pas à son premier. Mais pour la première fois, le peuple pourra donner son avis. Une disposition nouvelle qui permet un réel débat dans notre pays en actionnant le référendum.

Même s’il est vrai que cet accord a un chapitre dédié à la durabilité et qu’il a été renforcé par le Parlement, il reste insuffisant. Il n’y a aucune garantie de l’application de sanctions en cas d’infraction lors de la production d’huile de Palme. La certification RSPO n’a rien de convaincant et la formulation dans l’accord reste très vague[3]. Pas besoin de vous faire le dessin que sans contrainte, il n’y aura pas d’avancées avec cet accord.

De plus, alors que la Suisse développe son Agenda 2030 (agenda pour le développement durable), nous pouvons nous demander si un tel accord est compatible avec les objectifs fixés ? L’augmentation de la production l’huile de palme entrainera inévitablement des violations de normes dans le domaine social et environnemental pour garantir une maximisation des profits[4]. Des profits dont seule une minorité profitera. Encore une façon d’un peu plus creuser le fossé entre les pays du Nord et du Sud, au contraire de ce que vise l’Agenda 2030.

Une maximisation des profits qui détruit la planète mais qui a aussi des conséquences sociales : travail forcé ou avec des salaires indécents notamment. L’huile de palme est un triste exemple. Cette activité agricole est accélératrice de la déforestation de notre planète. Une déforestation de la forêt tropicale qui touche directement la biodiversité et le climat, en asséchant des zones comme des tourbières.

Il est temps que nous agissons pour une réelle prise de conscience de la nécessité de la préservation de la nature et de sa biodiversité, et ceci aussi de manière globale. A force de détruire la biodiversité, de diminuer nos ressources naturelles, nous impactons également négativement des populations et accentuons davantage les inégalités. Le vote sur cet accord est l’occasion de nous opposer à ces échanges économiques qui n’ont plus d’avenir si nous voulons réellement vivre dans un monde durable.

[1] https://www.swissinfo.ch/fre/votations-du-7-mars_simone-de-montmollin—cet-accord-de-libre-échange-pose-les-bases-d-une-économie-plus-durable-et-équitable-/46300222

 

[2] https://www.economiesuisse.ch/fr/articles/libre-echange-avec-lindonesie-des-opportunites-pour-les-deux-pays

 

[3] https://www.publiceye.ch/fr/thematiques/politique-commerciale/politique-commerciale-bilaterale/indonesie/votation-ale-indonesie

 

[4] https://www.pronatura.ch/fr/2018/pas-de-libre-echange-pour-lhuile-de-palme

 

Manger sainement doit être un droit et non un luxe

Contre une alimentation à deux vitesses

 

« Je ne sais plus quoi manger »… La phrase m’est arrivée au vol, dans un café de La Chaux-de-Fonds. Une femme discutait avec une amie et le sujet m’a fait tendre l’oreille. J’apprends alors que non, ce n’est ni l’écoeurement, ni la lassitude qui a coupé l’appétit de cette quinquagénaire, mais ses questionnements sur la santé et l’environnement en lien avec l’alimentation. Sa perplexité est largement partagée : comment manger sainement, sans traces de pesticides, par exemple, en épargnant nos ressources naturelles ? Comment savoir si ce que nous ingérons est à la hauteur de nos attentes ? Le florilège des qualificatifs utilisés par l’agriculture moderne, « biologique », « biodynamique », « de proximité », « durable », « extensive », « en respect des animaux » ou « sans pesticide de synthèse », façonnent notre alimentation mais ne simplifie pas vraiment la situation. Comment savoir si on fait réellement le « bon choix », pour nous, pour les générations futures, pour la préservation des écosystèmes ?

 

Cette femme n’est pas aidée dans sa réflexion par les débats parlementaires. Alors que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme en révélant notamment la présence de substances toxiques dans nos aliments et leur nocivité, les décisions politiques ne suivent pas ou si peu (la preuve encore lors de la session d’été, qui a vu la majorité du Conseil national s’opposer aux initiatives anti-pesticide). Pendant que les lobbys d’une certaine agriculture, de l’agroalimentaire et de la chimie hantent les couloirs du Palais fédéral, nous, consommatrices et consommateurs, sommes bien seul-e-s face à ces choix cornéliens. « Faut-il se tourner vers le bio, un choix en augmentation, mais est-ce vraiment accessible ?» se demandait ma voisine de table. Après une santé à deux vitesses, une alimentation à deux vitesses ? Malheureusement oui et depuis longtemps. Manger sainement devrait être pourtant un droit et non un luxe ! Se nourrir sainement à tous niveaux a un prix, et c’est peut-être ça le plus grand dilemme et la première injustice.

 

Le temps est venu d’une réelle politique d’incitation pour permettre au plus grand nombre d’avoir accès à une alimentation exempte de substances toxiques. Pourtant, les réticences sont légion : les discussions récentes au Grand Conseil neuchâtelois en sont la preuve. Que ça soit la volonté d’interdire les pesticides de synthèse ou demander la reconversion des exploitations agricoles sur terrain de l’État en culture biologique, une certaine retenue pour ne pas dire une réelle opposition des autorités est palpable. Des craintes quant à la faisabilité, mais surtout de chambouler une partie du milieu agricole qui a de la peine à se réinventer.

 

Or, se réinventer par rapport au mode de production concerne également les conditions de travail. Encore dernièrement, la Chambre d’agriculture de l’Union paysanne suisse s’est démarquée en ne voulant pas reconnaître la rétribution du travail fourni par les paysannes avec une couverture sociale. L’agriculture ne pourra être durable que lorsque l’ensemble des actrices et acteurs des exploitations seront traité-e-s décemment. Dans le système actuel, qui voit l’agriculteur bien mal payé pour son travail alors que les distributeurs et intermédiaires se frottent les mains, il n’est pas normal que le coût ne soit que pour nous, consommateurs et consommatrices.

 

L’enjeu est majeur : notre société doit se réinventer et ce ne sera pas une petite affaire !

 

Et des solutions existent pour faciliter une transition agricole durable et bio. Des mesures d’accompagnement pour soutenir les agricultrices et agriculteurs qui passent à des cultures biologiques ou qui souhaitent s’en rapprocher sont un moyen d’y parvenir, tout en tenant compte que la faisabilité de reconversion dépend du type de production. De la même manière, pourquoi les établissements publics, comme cantines et autres cafétérias de lieux de formation par exemple, ne passeraient-il pas au bio en s’approvisionnant par circuits courts ? Une mesure favorable à plus d’égalité des chances qui permettrait également de garantir aux agriculteurs locaux l’achat de leurs produits et à nos plus jeunes une alimentation saine.

 

Les pessimistes diront que pour passer au bio l’ensemble des cultures à l’échelle mondiale, il faudrait soit augmenter les surfaces des sols soit limiter le gaspillage. Et que la Suisse peine déjà à maintenir ses surfaces cultivables. C’est un fait. Mais pour ce qui est du gaspillage, nous savons combien notre marge de manœuvre est gigantesque. Saviez-vous que l’agriculture actuelle génère plus de 200 000 tonnes de déchets alimentaires alors que les 90% pourraient être évités ? Et que les ménages produisent un million de tonnes de déchets, dont la moitié pourrait être évitée ? Là aussi, il est temps que nous agissions pour trouver des solutions.

 

Car, finalement, d’un point de vue global, si tout le système change, il y aura surtout des bénéfices tant sur notre vie quotidienne que celle de nos enfants et sur les coûts de la santé, de même que pour les travailleurs agricoles.

 

Qu’avons-nous à perdre?