“Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?” Quand la pandémie questionne le système scolaire : développer les talents.

Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?

Le confinement comme révélateur…

Marie-Claude Sawerschel : Après une carrière de bonheur passée dans l’éducation, j’ai eu envie, par Foliosophy, de laisser une place majeure à la philosophie, pour favoriser le dialogue entre les savoirs, comprendre ce que nous faisons là, imaginer ensemble comment faire mieux, réconcilier le corps et l’esprit, l’espace et la pensée. J’éprouve une vraie joie à partager dans ces billets, avec la lumineuse Chantal Vander Vorst, les deux passions qui auront parcouru mon existence.

Chantal Vander Vorst : Faire bouger le monde est la vision de mon entreprise, au travers de la formation, de l’accompagnement, et des arts martiaux. La mise en mouvement me passionne et le questionnement tout autant. Ces billets commencés lors du confinement avec Marie-Claude sont une source de réflexion et un moment de partage magique, que nous sommes heureuses de diffuser.

 

Marie-Claude Sawerschel : Un autre lièvre que la fermeture des écoles au printemps a levé concerne le rapport intime que chaque élève entretient avec l’école, et permet de se demander en quoi, précisément l’école est bonne pour chacun d’eux. En temps normal, comme tu le disais dans le billet précédent, l’institution a tendance à catégoriser les élèves en bons, moyens, mauvais et à créer des filières “mieux adaptées” à chacun pour que les moyens et les mauvais puissent aussi redevenir les “bons” quelque part, selon un schéma à peu près toujours identique et des enseignements somme toute, et malgré ce qu’on veut bien dire, assez similaires. En bref, où qu’ils soient, les élèves doivent “faire le programme” (ça aussi, c’est tout un programme !), simplement adapté au niveau dans lequel l’école comme système a classé les élèves. En clair, on fait comme si tous les élèves étaient identiques dans leur manière d’aborder le monde et donc dans leur manière d’apprendre, avec cette seule différence que certains sont “meilleurs” que d’autres. Et l’école se dédouane en créant des filières adaptées, en mettant en œuvre des “appuis” et du “soutien” pour “les plus fragiles”, ce qui lui évite de se demander si elle n’a pas en partie fabriqué ces catégories.

 

“Tout ne convient pas à tous. Il ne faut pas juger autrui d’après soi.”

 

L’oiseau de mer

Or, comme le disait, il y a 23 siècles déjà, Tchouang Tseu, un sage taoïste dont il nous reste pas mal d’écrits, « Tout ne convient pas à tous. Il ne faut pas juger autrui d’après soi. » Et de raconter cette histoire de l’oiseau de mer qui s’abattit aux portes d’une capitale. « Le phénomène étant extraordinaire, le gouverneur pensa que c’était peut-être un être transcendant, qui visitait sa principauté. Il alla donc en personne quérir l’oiseau, et le porta au temple de ses ancêtres, où il lui donna une fête. On lui offrit le grand sacrifice, un bœuf, un bouc et un porc. Cependant l’oiseau, les yeux hagards et l’air navré, ne toucha pas au hachis, ne goûta pas au vin. Au bout de trois jours, il mourut de faim et de soif. (…) C’est que le gouverneur, jugeant des goûts de l’oiseau d’après les siens propres, l’avait traité comme il se traitait lui-même, et non comme on traite un oiseau. À l’oiseau de mer, il faut de l’espace, des forêts et des plaines, des fleuves et des lacs, des poissons pour sa nourriture, la liberté de voler à sa manière et de percher où il lui plaît. (…) La nature des êtres étant diverse, leurs goûts ne sont pas les mêmes. Même entre hommes, il y a des différences, ce qui plaît aux uns ne plaisant pas aux autres. »

Cette parabole vise à rendre sensibles les différences profondes entre les êtres, fussent-ils de même espèce. Un signe de ces différences dans le sujet qui nous occupe est la manière dont les enfants et les jeunes ont vécu la suspension des cours en salle de classe avec tout ce qui va avec, comme le couperet régulier de l’évaluation. Certains se languissent de retrouver le challenge des notes ou la régularité tranquille des fiches à trous qu’on remplit. D’autres ont enfin respiré, libérés du stress que provoque le fait de devoir étudier, assis derrière un pupitre, au même rythme que tous les copains, des disciplines le plus souvent bien fermées les unes aux autres. Qu’est-ce que les neuro-sciences ont à nous dire sur ces différences psychologiques qui révèlent sans aucun doute des modes cognitifs différents ?

 

« Révéler et nourrir les motivations primaires ou bio-types permet d’agir dans le plaisir, d’être moins stressé et plus résilient par la réserve d’énergie positive qu’ils apportent. »

 

Chantal Vander Vorst : Cela nous amène à aborder le thème passionnant de la motivation. Dans son sens premier, le mot “motivation” invite à une mise en mouvement, un élan spontané et naturel.

Qu’est-ce qui nous pousse à agir ? Les travaux de l’Institut de Médecine Environnementale à Paris offrent une vision intéressante à ce sujet, par la distinction faite entre la motivation primaire et la motivation secondaire. De quoi s’agit-il ?

Les bio-types

La motivation primaire, ou dynamique primaire, ou bio-type, se développerait dans les premiers mois de vie, permettant de procurer une énergie vitale au nouveau-né. Elle se développerait à partir de nos stratégies de survie instinctive par un mécanisme épigénétique. Cette science étudie les modifications transmissibles et réversibles de l’expression des gènes ne s’accompagnant pas de changements de la séquence de base de l’ADN. Selon J. De Rosnay (“La symphonie du vivant”), les 5 facteurs ayant une influence sur l’expression ou la non-expression de certains gènes sont :

La gestion du stress

Le plaisir dans la vie

La nutrition équilibrée

Des relations épanouissantes

Le mouvement par la marche
ou le sport

Révéler et nourrir les motivations primaires ou bio-types permet d’agir dans le plaisir, d’être moins stressé et plus résilient par la réserve d’énergie positive qu’ils apportent. Tenir compte des bio-types dans l’acte relationnel permet également des relations plus harmonieuses.

Ce thème me semble donc capital d’un point de vue tant épigénétique, que de l’épanouissement et de la réussite.

Huit dynamiques primaires ou bio-types ont ainsi été identifiés, tous sources de motivation extrêmement profonde. Le ressenti, lorsque ces sources sont activées et nourries : plaisir, proactivité, énergie, joie, un élan spontané et naturel, le désir d’avancer. Il semblerait que nous ayons toutes et tous de un à trois bio-types prépondérants, et donc, nous avons toutes et tous un potentiel de motivation gigantesque.

Les huit bio-types identifiés sont les suivants :

 

Se ressourcer, Se motiver

« Il faut, je dois »

Une seconde source de motivation, dans le sens “mise en mouvement” se développe ensuite par l’éducation, les expériences de vie, l’image sociale, les normes et forment les motivations dites secondaires. Elles nous servent à nous adapter socialement et nous pouvons les reconnaître aisément par un langage intérieur : « Il faut, je dois ». Il s’agit progressivement de tendances conditionnées, dont nous ne sommes plus toujours conscients. Ces motivations secondaires peuvent donc étouffer, voire entrer en conflit avec les motivations primaires.

MCS : Cette hypothèse de deux types de motivation est très intéressante. Les enseignants, dont j’ai été pendant plusieurs décennies, butent sur ce facteur d’une manière permanente. Comprendre de quoi la motivation est faite, quelle est sa composition, en repérer l’absence, en trouver la cause, fait l’objet de discussions constantes dans les salles des maîtres et lors des conseils d’école. « Il a perdu sa motivation », dit-on d’un élève morose au fond de la classe dont les résultats piquent du nez. « Il faut que je me remotive » dit l’élève l’œil éteint sans trop y croire lui-même et sans savoir comment s’y prendre. La notion de “motivation” est souvent, pour nous enseignants, comme une boîte noire dont on connaît l’existence, dont on parle abondamment lors d’un “crash scolaire”, sans savoir comment l’ouvrir. On devine, par ton modèle explicatif, que le manque de motivation d’un élève n’est pas d’abord à attribuer à un défaut intrinsèque dont il est porteur (“le paresseux”), ni nécessairement aux difficultés de son environnement (« il vit seul avec sa mère »), mais qu’il tient aussi au conflit latent qui se joue entre les deux types de motivation. Est-ce qu’un élève “perd sa motivation” lorsque sa motivation primaire, par laquelle s’exercent ses talents et se construit son identité particulière, n’est pas suffisamment nourrie ?

CVV : L’élève ne perd pas sa motivation intrinsèque, ses bio-types : ils seront bien présents à l’intérieur de lui. Ils sont probablement enfouis et pas assez nourris ou stimulés. Les motivations secondaires prendront dans ce cas de plus en plus de place, jusqu’à ce que l’élève se perde parfois.

L’explication vient de plusieurs facteurs :

Les motivations primaires ou bio-types font “moins de bruit” à l’intérieur de nous que les motivations secondaires. Ils sont moins conscients, plus discrets que les normes, le conformisme et les conditionnements sociaux.

Le système scolaire renforce en grande partie les motivations secondaires, par un système de notation, par un certain conformisme dans les styles d’apprentissages. Ce qui s’explique aisément car nous avons toutes et tous des tendances conditionnées, et, rappelons-le, le Mode Mental Automatique prend beaucoup de place dans notre être.

Le refoulement de la notion de plaisir, ou peut-être une construction de nos systèmes encore trop basée sur la notion de devoir.

Lorsque l’on analyse le système scolaire dans sa globalité, il me semble qu’il a été créé par des personnes ayant principalement les bio-types suivants :

□ Novateur : l’importance de la compréhension, de la logique

□ Gestionnaire : l’importance de la structure, de l’organisation

□ Compétiteur : l’importance du défi, du fait de se surpasser

Cela donne lieu a un système scolaire prônant la réflexion, l’intellectuel, la compréhension, la structure (prise de notes, raisonnement structuré), et le fait de donner le meilleur de soi-même, de se dépasser, voire d’exceller.

Qu’en est-il dans ce cas des enfants ayant par exemple des bio-types tels que : philosophe et animateur ? Pour le philosophe, il s’agit donc d’un enfant qui aime vivre à son rythme, regarder la nature par la fenêtre, et pour le côté animateur : bouger, rire, s’amuser, faire des blagues ? Le côté philosophe pourra être jugé : “paresseux”, et le côté “animateur”, sera régulièrement jugé : “hyperactif”.

Un bahut pour chacun

MCS : J’ai dans mes connaissances proches, le cas d’une jeune femme qui a été scolarisée, jusque vers l’âge de 12 ans, dans un établissement de l’école Steiner, laquelle fait des miracles pour les élèves de profils “philosophe”, “animateur”, “solidaire” et “participatif”. C’était bien sûr pour favoriser au mieux le développement complet de ses talents et ne pas brimer sa personnalité que ses parents l’avaient scolarisée dans une école de ce type. Personne n’avait compris que, en réalité, elle s’y ennuyait comme un rat mort et qu’elle a commencé à revivre lorsqu’elle a été scolarisée à l’école publique pour renouer avec les filières de sélection qui commencent à la pré-adolescence. « J’hallucinais le jour où je suis arrivée à l’école publique », me racontait-elle des années plus tard, l’œil encore tout vif de bonheur à ce souvenir. « Dès le premier matin, on a eu un test chronométré avec une note à la fin : le rêve ! ». Manifestement elle était, ce qui s’est largement révélé par la suite, une personne de type novateur et compétiteur (et probablement gestionnaire aussi !) pour reprendre ta terminologie.

« Il s’agit alors parfois de faire de véritables fouilles archéologiques pour retrouver les sources d’énergie. »

Entrer dans la compréhension des personnes par les motivations primaires ou bio-types pourrait nous permettre de cesser d’opposer les écoles de pédagogies différentes comme des lieux où s’opposent des vérités sur l’éducation qui ont à se combattre. Elles sont en réalité des lieux éducatifs pensés par certains types de profils pour les élèves de certains profils, sans qu’on s’en soit vraiment avisé.

Depuis que nous avons commencé à publier ces billets, je rencontre de plus en plus de personnes, la plupart ayant fort bien “réussi dans la vie”, pour employer l’expression consacrée, me raconter combien leurs années d’école ont été cauchemardesques. “J’ai 200 ans”, me dit cet ingénieur, supérieurement intelligent et vif d’esprit. “J’ai 200 ans parce que j’ai passé ma scolarité à essayer de deviner combien de minutes avaient passé depuis la dernière fois où j’avais regardé ma montre”. “J’étais le cancre, me dit cet autre coach influent, éjecté des meilleures filières que j’ai rejointes, plus tard, quand j’ai découvert mes talents de communicateur”. La corrélation entre les résultats scolaires et la réussite professionnelle par la suite n’est pas aussi forte qu’on pourrait le croire. Je me suis laissé dire, mais il faudrait vérifier l’information, qu’il n’y a aucune corrélation entre les bons résultats des étudiants de l’EPFL et ce que certains deviennent ensuite, comme innovateurs reconnus : ces derniers ne faisaient pas partie des meilleurs étudiants qui, eux, viennent, renouveler le corps professoral. Les cas que je cite sont des histoires qui ont bien fini. Mais pour quelques-unes de cet acabit, combien d’adultes abîmés à jamais dans l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes ?

« L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité
humaine (…) »

CVV : L’impact de la suprématie des motivations secondaires est le suivant. A l’âge adulte, la notion de “devoir”, deviendra dans ce cas plus grande que celles de motivation, d’envie, de désir et de plaisir. Il arrive donc que les motivations primaires soient refoulées, ou non-exprimées, ou non nourries. Le vécu dans ce cas est du stress, une perte de sens, un manque d’énergie et de vitalité, du cynisme. Et à l’extrême, c’est ce que l’on appelle une “dépression molle”. La dépression molle se marque par un manque d’énergie, une non-envie, un manque de désir, un manque d’élan. Tout semble “bofffff”. De l’ennui dans la vie. La personne fonctionnera, se lèvera le matin, et errera à la recherche de quelque chose de non-conscient, ignorant qu’elle regorge de ressources, de motivation profonde, et que celle-ci est bien présente, mais enfouie et non-nourrie. Il s’agit alors parfois de faire de véritables fouilles archéologiques pour retrouver les sources d’énergie. Les conséquences à l’âge adulte peuvent être extrêmement importantes : stress, sensation de manque de repères, manque de sens, fatigue, sensation de ne pas savoir par où aller, de ne pas se connaître.

MCS : Nous le disions tout à l’heure à propos des écoles animées, apparemment, par des visions pédagogiques différentes. En réalité, elles sont complémentaires en ce sens que certaines sont plus adaptées que d’autres à certains profils d’élèves. Il est bon que cette complémentarité existe, mais c’est largement insuffisant. Le progrès mériterait de se faire au niveau de l’école publique qui, par définition, accueille tous les élèves, sans discrimination, se plaît-on à ajouter de nos jours, parce que l’école se doit d’être inclusive. La première partie de l’alinéa 2 de l’article 26 de la déclaration des droits de l’homme dit en substance :

« L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine (…) »

Fort bien. On se plairait à imaginer que cet appétit pour l’inclusion aille jusqu’au cœur de ce qui fait la reconnaissance des motivations primaires des élèves, qui constituent le socle de leur personnalité vraie. Dans cette perspective, rendre les enseignants et les parents attentifs à ces dimensions de la personne que sont les bio-types et leurs énergies, ou plus simplement quelle est la personnalité des élèves, serait un minimum.

Mise en pratique

CVV : La connaissance et la prise en compte des bio-types est incontestablement un plus dans l’apprentissage. Bien entendu, ce n’est pas toujours facile, car nous avons nos propres bio-types, et nos propres intolérances par rapport à d’autres dynamiques.

Un exercice que je propose régulièrement en formation, pour se familiariser est le suivant :

« Expliquer de façon motivante les mathématiques selon les 8 bio-types ».

 

L’énergie des bio-types

Ce n’est pas si facile : l’exercice nécessite de sortir de nos propres tendances conditionnées, et l’activation du Mode Mental Adaptatif permettant le recul et l’ouverture.

Nous proposons aux lecteurs de ce billet de faire cet exercice, et de nous envoyer leurs propositions. C’est un très bon moyen de se familiariser avec la notion de bio-type !

Il s’agit d’un chemin de développement personnel et de prise de conscience pour les enseignants, les parents et les enfants, pour que l’alchimie de la motivation profonde puisse s’exprimer.

Chaque bio-type a donc un énorme potentiel : un potentiel d’apprentissage et un potentiel de transmission. Par exemple : l’enfant ayant un bio-type “participatif” aura énormément de satisfaction à apprendre aux autres enfants le plaisir du lien, de l’échange, de la rencontre, de l’affection. Un enfant ayant un bio-type “animateur”, pourra apprendre aux autres enfants le plaisir de la créativité, de l’humour, du décalage, … Il s’agit de considérer notre nature biologique telle qu’elle est, la cueillir, la révéler, et la nourrir tout simplement. Et tous les bio-types pourront apprendre toute matière, le tout étant d’entrer par le bon canal.

MCS : Tu ouvres là, par le potentiel d’apprentissage et le potentiel de transmission, un nouveau champ passionnant, tant il est vrai que nous ne comprenons bien que ce que nous transmettons. J’espère que nous y reviendrons plus tard. En attendant, j’aimerais revenir sur cette opposition entre joie et devoir.

Malgré des progrès indéniables dans la prise en compte de la psychologie des élèves, la pédagogie est encore largement marquée par le sceau du “devoir”. Un élève est quelqu’un qu’on élève, précisément, qu’on prend d’un état pour le conduire vers un état supérieur et on conçoit qu’il puisse y avoir une part de forçage, de contrainte, d’obligation dans cette affaire. A l’école obligatoire, « on n’est pas là pour s’amuser » entend-on souvent. Mais il me semble qu’il y a une drôle de méprise entre une situation de divertissement sans ambition et ce que quelqu’un comme Spinoza appelle la joie. Dans l’Ethique, il nous est donné à comprendre que tous les êtres, et pas seulement les élèves ni les humains, sont ainsi faits qu’ils visent à “persévérer dans leur être”, qu’ils visent à “augmenter leur puissance d’agir”. Il en va ainsi d’une forêt qui pousse, d’un chevreau qui fait l’effort de se tenir sur ses pattes, d’un humain qui “veut devenir ce qu’il est”, pour reprendre une expression un peu new age. Lorsque cette puissance d’agir est favorisée, l’être connaît la joie. Lorsqu’elle est diminuée, en revanche, il fait l’expérience de la tristesse. Dans la joie spinoziste, il ne s’agit pas d’être béat en permanence, mais de sentir qu’on progresse dans la nature de ce qu’on est. Dans leur dimension symbolique, les cérémonies de fin d’études viennent sacraliser le fait que les élèves ont persévéré dans ce qu’ils sont et, comme tous ceux qui l’ont vécu le savent, le sentiment collectif lors des remises de diplômes est de l’ordre d’une joie profonde qui est due, pour les élèves, à ce qu’ils ont accédé à cet état souhaité et, pour ceux qui les encadrent, enseignants ou directeurs, qu’ils ont rendu cet état possible, persévérant ainsi eux aussi dans l’être de ce qu’ils ont choisi de devenir. Le développement de la motivation primaire me paraît être une traduction du conatus spinoziste, comme il nomme cet “effort pour persévérer dans son être”. Et cet effort n’a rien de pénible ni de contraignant qui brimerait quoi que ce soit qui conduise à la joie. Tout au contraire.

« Ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. Eux savent déjà ce que vous voulez devenir. Tout le reste est secondaire. »

A l’inverse, il y a des situations que l’école ne sacralise pas, comme celles des élèves laissés pour compte dans l’intégralité de leur cursus, celles des élèves qui garderont de leur parcours scolaire un sentiment de tristesse ineffable parce qu’ils n’ont pas persévéré dans leur être, parce qu’ils ont été empêchés dans leur puissance d’agir.

CVV : Oui, ce sont des élèves qui auront essayé de se sur-adapter pour être intégrés et ne pas risquer une exclusion sociale. Ce mécanisme de sur-adaptation est fréquent, jusqu’à étouffer les bio-types.

J’aime beaucoup la phrase de Steve Jobs : « Ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. Eux savent déjà ce que vous voulez devenir. Tout le reste est secondaire ».

La reconnaissance des bio-types n’est pas si compliquée, elle peut s’apprendre. En voici quelques ingrédients :

La reconnaissance physique, l’identification des signes comportementaux : lorsqu’une personne parle d’activités nourrissant l’un ou l’autre de ses bio-types, cela se voit : le regard pétille, son visage est ouvert, joyeux, lumineux, rayonnant. Son corps incarne aussi tout entier cette énergie par la détente, l’enthousiasme, le désir ;

L’observation des activités favorites et spontanées : la nature humaine est bien faite, et il suffit d’observer. Chez les enfants, les bio-types ne sont pas encore “envahis” par les personnalités secondaires (conditionnements, conformismes sociaux, …). Leurs bio-types s’expriment donc naturellement ;

Le questionnement ouvrant permet de révéler les bio-types, de les laisser s’exprimer. Ce questionnement peut revêtir les formes suivantes :

  •  Qu’aimes-tu faire par plaisir, quel que soit le résultat ?
  • Qu’est ce qui comptes vraiment pour toi ?
  • Qu’est-ce que tu aimes vraiment ?
  • Que te dit ton intuition ?
  • Des vacances, un hobby, un travail, une vie de rêve, pour toi c’est quoi ?

« Si un haut fonctionnaire de l’OCDE se met à parler comme un philosophe taoïste, toutes les raisons d’espérer sont permises ! »

MCS : Je crois qu’il y a des raisons d’avoir de l’espoir que nous puissions évoluer dans la reconnaissance des différences cognitives entre les bio-types. Dans une interview publiée le 28 mai 2020, un quotidien suisse romand, Heidi.News, donnait la parole à Andreas Schleicher, directeur de l’éducation et des compétences à l’OCDE. Ce dernier, au détour du bilan qu’il effectuait sur la réactivité des systèmes éducatifs pendant la crise du coronavirus, pointant le retard de la Suisse dans l’enseignement du numérique, en profitait pour montrer que la marge de progression dépassait largement la question informatique. Je cite ses propos :

En matière d’enseignement, une même approche pour tous ne convient pas. Des élèves différents apprennent différemment. C’était déjà le cas en classe et l’école à distance l’a montré de manière encore plus flagrante. J’espère que cette crise sera l’occasion d’adopter une vision de l’enseignement plus personnalisée et de mettre en place de nouvelles méthodes pour mieux soutenir les élèves. Dans ce processus, la technologie et les possibilités qu’elle offre devraient jouer un rôle central.

J’espère également que la crise permettra de sortir de la logique de marchandisation dans laquelle de nombreux pays, dont la Suisse, se sont enfermés. Au cours des 15 dernières années, les élèves sont devenus des consommateurs, les parents, des clients et le système scolaire, un fournisseur. Il y a désormais beaucoup de distance entre l’école et la société. Nous devons impérativement améliorer ces interactions. »

Si un haut fonctionnaire de l’OCDE se met à parler comme un philosophe taoïste, toutes les raisons d’espérer sont permises !

CVV : Oui, tout est dit !

 

 

Foliosophy

Marie-Claude Sawerschel

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Marie-Claude Sawerschel

Après une carrière consacrée à l’éducation et à l’enseignement, Marie-Claude Sawerschel veut conjuguer la réflexion sur l’humain et les trésors de la philosophie. Parce que la philosophie est soluble dans les sciences, la politique, les arts, l’entreprise, le sport, dans la vie sous toutes ses formes et qu’elle n’est pas réservée aux seuls spécialistes.

10 réponses à ““Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?” Quand la pandémie questionne le système scolaire : développer les talents.

  1. “J’espère également que la crise permettra de sortir de la logique de marchandisation dans laquelle de nombreux pays, dont la Suisse, se sont enfermés. Au cours des 15 dernières années, les élèves sont devenus des consommateurs, les parents, des clients et le système scolaire, un fournisseur. Il y a désormais beaucoup de distance entre l’école et la société. Nous devons impérativement améliorer ces interactions.”

    Au cours des 15 dernières années, seulement? A lire ces mots, quelques mânes d’enseignants semblent se réveiller de leur sommeil d’outre-tombe :

    “Le 28 mars 1972, un élève du Gymnase de Lausanne monte en chaire à la Cathédrale, au cours d’une cérémonie de promotions, et s’écrie: “Nous voilà au terme de six à sept ans d’efforts inutiles, gratuits souvent. Nous avons accompli cette période dans un sentiment d’ennui total qui caractérise les écoliers. Nous nous ennuyons continuellement… Qu’est-ce qu’ils ont à vouloir nous abrutir dans cette société basée sur le seul profit de l’argent?” – cité par Denis de Rougemont dans “Les Méfaits de l’instruction publique, aggravés d’une Suite des Méfaits”, Eureka, Lausanne, 1972.

    “Au fond, l’école n’enseigne qu’un vilain jeu de commerce; jeu de banque, jeu de bourse…” – Edmond Gilliard, “L’Ecole contre la vie”, Bibliothèque romande, Lausanne, 1973.

    “L’école, c’est la guerre” (Ibid.).

    Et pas seulement la guerre des boutons, semble-t-il. Pallas Athena n’est-elle pas à la fois déesse des arts, des sciences et des métiers, mais aussi de l’industrie, et surtout de l’industrie guerrière?

    “L’éducation doit être considérée comme un service rendu au monde économique” – European Round Table, février 1995.

    “L’école et la formation constituent l’un des piliers de la cohésion sociale et l’un des moteurs du développement économique.” – Préambule au bilan intermédiaire de la réforme “Ecole Vaudoise en Mutation”, publié par le Département de l’Instruction Publique et des Cultes (aujourd’hui Département de la Formation et de la Jeunesse) en septembre 2003.

    “Dans un monde scolarisé, le chemin vers le bonheur est pavé par un index de la consommation […] Le Mythe de la Consommation Sans Fin a remplacé la croyance dans la vie éternelle. Les jeunes voient leurs études comme un investissement avec le plus haut rendement financier possible et les maîtres les voient comme un facteur-clé de développement […] L’Ecole est devenue la religion d’un prolétariat modernisé, et fait des promesses futiles de salut aux pauvres de l’ère technologique.” – Ivan Illich, “Une Société Sans Ecole” (titre originel anglais: “Deschooling Society”, 1971).

    “Le diplôme est l’ennemi mortel de la culture.” – Paul Valéry

    “L’école est le jeu d’échecs par excellence.” – Benjamin Franklin

    On pourrait ainsi continuer la liste des doléances longtemps encore (j’ai déjà cité celles qui précèdent à l’occasion d’autres blogs) pour illustrer ce que d’autres appellent par euphémisme “le malaise scolaire”. Mon but n’est pourtant pas d’ouvrir une autre polémique sur l’école, qui en a déjà bien assez à son palmarès. L’école n’est-elle pas depuis toujours le champ de bataille des idéologies? Mais elle semble toujours s’en sortir victorieuse. A croire Edmond Gilliard, elle s’en nourrirait même:

    “Il y a des siècles que l’école bouffe des claques. Plus on la fouette, plus elle s’engraisse; et des coups mêmes. Elle se nourrit impudemment de la substance des généreuses indignations qu’elle suscite. Elle plonge son gobelet dans le torrent des invectives, et se gargarise. Quelques coups de glotte suffisent, et l’amertume du tonique s’évapore, tout ce qu’elle avale est devenu guimauve. Ce qu’elle a ingurgité de vérités est inimaginable, ce qu’elle a rendu de sornettes est incalculable. Sa panse est une usine à avortements. Ce qui y pénètre en foudre en ressort en fumée. Le tonnerre y finit en vesse. Son pouvoir de communiquer l’impotence est quasi prodigieux; il y a de quoi épouvanter toute bravoure de vie.” (Edmond Gilliard, op. cit.)

    Si l’école ne change pas, alors à quoi les réformes servent-elles?

    “Les réformes ne visent qu’à maintenir le statu quo”, disait autrefois MIchel Butor à ses étudiants au cours d’un séminaire sur “Gargantua”, modèle anti-scolaire s’il en est un:

    “…car leur sçavoir [celui des pédagogues] n’estoit que besterie et leur sapience n’estoit que moufles, abastardissant les bons et nobles esperitz et corrompant toute fleur de jeunesse.” (Rabelais, “Gargantua”, XV).

    Plus près de nous, Henri Roorda semble lui répondre:

    “…il existe toujours, et même plus que jamais, des écoles pur enfants arriérés ou anormaux, des écoles pour sourd-muets, des écoles pour crétins ou pour culs-de-jatte, mais il n’existe toujours pas d’écoles pour enfants très intelligents. On dit: “Oh! ceux-là se tireront toujours d’affaire.” Cela n’est pas sûr. Ce sont les imbéciles, dont notre société capitaliste fait une grande consommation, qui peuvent être certains de trouver, ici ou là, un emploi rémunérateur.” – Henri Roorda, “Le pédagogue n’aime pas les enfants” in “Oeuvres complètes”, tome 1, Editions L’Age d’Homme, 1969.

    Cette société sans école dont rêvait Ilia Illich et, bien avant lui, Tolstoï, précurseur de Carl Roger, de Freinet et de Dewey, est-elle donc impossible?

    Dans une émission télévisée, au cours des années 1980, l’épouse du violoniste Dimitri Markevitch disait devant une classe d’un cycle d’orientation que son mari n’était jamais allé à l’école. Rousseau a-t-il jamais fréquenté l’école?

    (Me voici déjà de retour, chère Madame Sawerschel. Ne m’en voulez pas trop pour mes hérésies au relents quelque peu facho-réacs, mais j’ai toujours été en retard à l’école – d’abord comme élève, puis comme prof… sans doute faute de bio-types adéquats).

    1. Florilège remarquable, cher Monsieur, toute ma gratitude !
      Rien de nouveau sous le soleil, bien sûr, vous avez raison. Mais qu’un Andreas Schleicher, qu’on ne peut pas supposer être, par idéologie, un opposant au système scolaire, soit à la source du commentaire qui me vaut votre magnifique billet est peut-être, déjà, un pas en avant.

      Sans vouloir révolutionner un système scolaire qui ne se laissera de toute façon pas si facilement faire (vous en apportez des preuves multiples), ce que l’Institution scolaire ne doit plus ignorer, me semble-t-il, est son propre impact sur les échecs et le décrochage scolaire. Imputer ces derniers au seul milieu socio-culturel ou socio-économique des élèves qu’on se propose d’aider à coup de mesure de soutien à composante thérapeutique a fait long feu.

  2. Formidable cette série « Faire bouger le monde », avec le requestionnement du système scolaire par la pandémie. C’est Rousseau qui serait ravi de vous entendre, lui qui semble avoir été à l’origine des réflexions pédagogiques caractéristiques du pays de Genève, à moins que celles-ci, antérieures peut-être, lui aient été profitables…
    Ainsi, l’institut Jean-Jacques Rousseau, né en 1912 grâce au psychologue et pédagogue Edouard Claparède, « a occupé une place importante dans la recherche en pédagogie et en psychologie de l’enfant. Parmi ses directeurs et ses animateurs ont figuré d’autres illustres penseurs de l’éducation tels que Jean Piaget, Pierre Bovet et Adolphe Ferrière. »
    https://www.unige.ch/archives/aijjr/archives/institut/
    Seriez-vous les continuatrices de l’école genevoise de pédagogie expérimentale ?
    http://www.unige.ch/fapse/centenaire/historique.html

    De plus, la forme du dialogue , que vous avez adoptée, s’y prête fort bien. Le dialogue, ainsi que le dit Erri de Luca, contrairement à l’interrogatoire, « permet de mettre au même niveau l’argument de l’un et de l’autre… »
    https://www.rts.ch/play/radio/vertigo/audio/erri-de-luca-impossible?id=11575811

    1. Merci ! J’adore votre commentaire à double tranchant : vous aimez mon blog et je suis un peu paresseuse. Je crois que je vais épingler votre phrase dans mon bureau comme mantra.

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